Saisie immobilière : recevabilité de l’appel contre le jugement d’orientation

La tenue d’une audience d’orientation et le prononcé du jugement qui en résulte constituent une étape charnière dans la procédure de saisie immobilière (C. pr. exéc., art. 322-15 s.). À cette occasion, le juge de l’exécution vérifie – d’office – que certaines conditions de fond sont bien réunies, statue sur les éventuelles contestations et demandes incidentes concernant les différents actes et formalités accomplis jusque-là et détermine les modalités de poursuite de la procédure, en autorisant la vente amiable à la demande du débiteur ou en ordonnant la vente forcée.

Conformément à la règle générale consacrée au premier alinéa de l’article R. 311-7 du code des procédures civiles d’exécution, ce jugement d’orientation est en principe susceptible d’appel et ledit appel est formé dans un délai de quinze jours à compter de sa notification. En revanche, dans un souci de célérité accrue de la procédure, l’appel de ce jugement se singularise en ce qu’il doit être formé, instruit et jugé selon la procédure à jour fixe (à peine d’irrecevabilité devant être relevée d’office, Civ. 2e, 22 févr. 2012, n° 10-24.410, Bull. civ. II, n° 37 ; Dalloz actualité, 6 mars 2012, obs. V. Avena-Robardet ; Procédures 2012. Comm. 146, obs. R. Perrot ; Gaz. Pal. 13-15 mai 2012, p. 21, obs. C. Brenner), sans que l’appelant ait à se prévaloir...

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Éric Dupond-Moretti veut accélérer une justice trop lente

1 000 sucres rapides pour booster la justice

En 2021, un divorce contentieux met en moyenne vingt-deux mois à être jugé, une procédure en droit du travail plus de quinze mois. Le mouvement social des avocats et la crise sanitaire ont encore aggravé ce problème de lenteur. Le ministère de la Justice veut réduire ces délais à six mois.

Pour y parvenir, Éric Dupond-Moretti a annoncé le recrutement de 1 000 contrats courts pour la justice civile : 500 contrats d’un an en appui des greffes et 500 contrats de trois ans (dont 330 juristes assistants et 170 renforts de greffe). Ces contrats, des « sucres ultrarapides » selon l’expression du ministre, budgétisés à 15 millions d’euros, viendront en plus du schéma d’emploi déjà prévu pour 2021.

Si le budget 2021 promet une hausse importante des crédits pour la justice judiciaire (+ 6 %), les créations d’emploi prévues sont en retrait par rapport à l’année dernière (+ 318 emplois en 2021 contre + 384 en 2020, avec moins de magistrats et greffiers recrutés qu’en 2020). Les durées de formation des magistrats (trente et un mois) et des greffiers (dix-huit mois), dont les écoles sont saturées, font que les recrutements pérennes ne sont pas des réponses rapides. Le ministère préfère donc recourir à des contrats courts. Avec la crainte, pour les syndicats, que les sucres rapides aient un goût d’aspartame et aboutissent à une précarisation de la justice.

Réformer la procédure civile

Mais les recrutements ne suffiront pas à réduire le problème. Le ministre a donc missionné un groupe de travail dirigé par Peimane Ghaleh Marzban, président du tribunal judiciaire de Bobigny, qui lui a remis hier 43 préconisations.

Pour réduire les stocks, le groupe ne recommande pas les procédures de juge unique ou sans audience, expérimentées pendant le confinement. Il privilégie plutôt le recours au juge rapporteur, qui permet la collégialité « tout en allégeant la charge collective ».

Autre point, les modes de règlement amiable. Si la médiation obligatoire connaît ses limites, le groupe souhaite favoriser la procédure participative. Dans certaines juridictions, les dossiers dans lesquels une mise en état conventionnelle est mise en œuvre seraient audiencés prioritairement. Le groupe souhaite également favoriser l’expertise amiable, qui pourrait être considérée à l’égal d’un rapport d’expertise judiciaire. L’audiencement des homologations d’accord serait accéléré et les conventions de procédure participative aux fins de mise en état pourraient être rétribuées au titre de l’aide juridictionnelle.

Sur la médiation, le rapport encourage la formation commune de magistrats et d’avocats sur le sujet et souhaite qu’un référent médiation soit nommé dans chaque juridiction.

Le rapport s’appuie aussi sur une expérimentation menée à Paris par la chambre de la propriété intellectuelle de « césure du procès civil ». Après avoir tranché les points de droit qu’il juge pertinents, le juge propose aux parties de se mettre d’accord sur le reste. Le groupe de travail souhaite aussi encourager la présentation en amont des pièces et des conclusions.

Pour le pénal : CRPC, dématérialisation, participation des avocats

En matière pénale, le groupe souhaite favoriser la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CPRC) (Dalloz actualité, 26 mars 2021, reportage A. Bloch). La CRPC serait possible même si le dossier a fait l’objet d’un renvoi par le tribunal, tant qu’il n’a pas été examiné au fond. Un renvoi en CRPC après une information judiciaire serait possible, même en l’absence d’accord de la partie civile, à condition qu’elle soit informée. Le groupe souhaite créer une CPRC au niveau de l’appel, dès lors que l’appel du condamné ne porte que sur la peine (et pas sur sa culpabilité).

Une piste souvent avancée pour résorber les stocks serait de faire participer les avocats à l’activité juridictionnelle. Mais compte tenu du statut de la magistrature, le groupe de travail propose plutôt la piste de l’intégration d’avocats comme « magistrats à titre temporaire ». Ces derniers sont en effet nommés après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Ils pourraient toutefois accéder à plus de missions qu’aujourd’hui.

À noter : contrairement au code de procédure civile (qui est du domaine réglementaire), modifier le code de procédure pénale nécessite souvent de changer la loi. Alors qu’une loi sur les CRPC vient d’être votée, le projet de loi pour la confiance de l’institution judiciaire pourrait être amendé en ce sens.

Pratique restrictive de concurrence : portée d’une demande subsidiaire sur la compétence

Ce dossier pose une question très intéressante située au carrefour du droit des pratiques restrictives de concurrence et de la procédure civile. La particularité du droit des pratiques restrictives de concurrence a justifié que le contentieux soit confié à un nombre limité de juridictions de première instance et, en appel, à la cour d’appel de Paris aux termes de l’article D. 442-3 du code de commerce renvoyant à son annexe 4.2.2. Si cette exclusivité de compétence, d’ordre public, ne pose guère de difficulté lorsque le litige porte principalement sur une pratique restrictive de concurrence, la question de savoir quelle est l’incidence d’une demande subsidiairement fondée sur l’une de ces pratiques se pose avec une particulière acuité.

En l’espèce, la société MHCS, une société qui fabrique et commercialise des champagnes, a choisi de diffuser ses produits par l’intermédiaire de Mme de B. dès 1990. En 2014, la société décide de résilier le contrat pour faute grave. Mme de B. saisit alors le tribunal de commerce de Marseille en formulant diverses demandes.

Au principal, et dans l’hypothèse où, comme elle le soutient, le contrat est qualifié d’agence commerciale, elle réclame le paiement de commissions, d’une indemnité de clientèle et d’une indemnité de préavis en application du droit commun des contrats et des articles L. 134-1 et suivants du code de commerce.

Au subsidiaire, dans l’hypothèse où la juridiction ne retiendrait pas la qualification souhaitée, elle sollicite des dommages-intérêts pour rupture brutale d’une relation commerciale établie sur le fondement de l’ancien article L. 442-6, I, 5e (devenu l’art. L. 442-1 c. com.). Souvenons-nous effectivement que cette disposition n’a pas vocation à s’appliquer à l’agence commerciale (v. par ex., Com. 18 oct. 2017, n° 15-19.531). La juridiction accueille la demande principale en sorte que n’est pas statué sur la demande subsidiaire.

La société MHCS interjette alors appel devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Saisissant cette juridiction de l’entier litige en soutenant que la qualification d’agence commerciale doit être rejetée, elle formule parallèlement une exception d’incompétence au profit de la cour d’appel de Paris en application de l’article D. 442-3 du code de commerce dans la mesure où le débat subsidiaire porte sur la rupture brutale de la relation commerciale établie. Retenant la qualification d’agence commerciale, la cour d’appel déclare l’appel recevable et confirme le jugement de première instance condamnant la société au paiement des indemnités de clientèle et de préavis. Elle décide que la « recevabilité de l’appel n’aurait pu être examinée qu’une fois tranchée la nature du contrat liant la société MHCS à Mme de B. ».

Le pourvoi formé par la société pose la question de savoir si un moyen subsidiaire, non examiné en première instance mais à nouveau débattu dans le cadre d’un appel général, dont l’examen relève en principe de la compétence exclusive de la Cour d’appel de Paris en application de l’article D. 442-3 du code de commerce, peut être porté, et éventuellement examiné, devant une autre cour d’appel.

La chambre commerciale répond négativement : « la cour d’appel de Paris dispose exclusivement du pouvoir juridictionnel de statuer sur les décisions rendues par les juridictions spécialement désignées pour statuer sur l’article L. 442-6 du code de commerce, ce texte fût-il invoqué devant elle à titre subsidiaire ». En d’autres termes, quoique subordonnée au sort réservé à la demande principale, la demande présentée à titre subsidiaire, dès lors qu’elle est dévolue à la connaissance de la cour d’appel, doit pouvoir être examinée par la juridiction qui a reçu exclusivement compétence pour ce faire.

Les arguments au soutien de cette solution sont nombreux. D’abord, elle s’associe harmonieusement avec la jurisprudence récente. Dans un arrêt retentissant du 29 mars 2017, la chambre commerciale a opéré un revirement à la suite d’un important contentieux qui alourdissait inutilement les délais de traitement des dossiers. La question était quelque peu différente : quid de la juridiction d’appel compétente en cas de recours contre un jugement rendu par une juridiction incompétente en matière de pratiques restrictives de concurrence, c’est-à-dire non spécialement désignée pour en connaître. La Cour de cassation a décidé qu’il fallait opérer un distinguo : les appels formés contre les jugements rendus par les juridictions spécialement compétentes sont portés devant la cour d’appel de Paris alors que ceux formés contre les jugements rendus par une juridiction incompétente doivent être portés devant les autres cours d’appel géographiquement compétentes, à charge pour ces dernières de relever d’office l’excès de pouvoir commis par la juridiction inférieure incompétente (Com. 29 mars 2017, n° 15-17.659, 15-24.241 et 15-27.811, D. 2017. 756 image ; ibid. 1075, chron. S. Tréard, F. Jollec, T. Gauthier, S. Barbot et A.-C. Le Bras image ; ibid. 2018. 865, obs. D. Ferrier image ; RTD civ. 2017. 722, obs. P. Théry image). La demande litigieuse formée devant les premiers juges est alors irrecevable sans que ne se trouve affectée la recevabilité de l’appel (Com. 23 janv. 2019, n° 17-23.271).

La décision commentée est fidèle à ce distinguo dans la mesure où la demande, fût-elle subsidiaire, avait été introduit devant une juridiction spécialement désignée pour en connaître, à savoir le tribunal de commerce de Marseille, et qu’elle devait en conséquence être portée à la seule connaissance de la cour d’appel de Paris. Aucune erreur procédurale liée à l’incompétence n’existait avant la saisine de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, même si le respect de l’article D. 442-3 du code de commerce, dans le cadre de la première instance, résulte sans doute d’un heureux hasard.

Cette solution garantit au demeurant la substance de l’effet dévolutif de l’appel dès lors que doit nécessairement être pris en considération l’ensemble des demandes formulées en première instance pour apprécier, en cas d’appel général, la compétence de la juridiction saisie. C’est ainsi que la Cour de cassation admet, a contrario, c’est-à-dire dans l’hypothèse où une demande fondée sur une pratique restrictive de concurrence est formulée pour la première fois devant une cour d’appel non compétente pour en connaître, que celle-ci puisse opérer une ventilation des demandes en ne statuant que sur celles relevant de sa compétence et déclarer le surplus irrecevable (Com. 7 oct. 2014, n° 13-21.086, D. 2014. 2329 image, note F. Buy image ; ibid. 2015. 943, obs. D. Ferrier image ; AJCA 2015. 86, obs. M. Ponsard image ; RTD civ. 2015. 381, obs. H. Barbier image ; RTD com. 2015. 144, obs. B. Bouloc image).

En l’espèce, la demande n’est ni nouvelle, ni additionnelle. Subsidiaire, elle dépend du sort réservé à la demande principale. La cour d’appel d’Aix-en-Provence ne peut statuer sur sa compétence sans se prononcer sur la qualification de la relation unissant les parties retenue par les premiers juges. Même si, en première instance, la demande subsidiaire est devenue sans objet puisque la relation a été qualifiée d’agence commerciale justifiant l’accueil de la demande principale, l’appel a justement pour objet de porter l’entier litige à l’attention de la juridiction d’appel. Il est effectivement possible de considérer que les premiers juges ont au moins implicitement écarté l’application de l’article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce par suite de la qualification du contrat en agence commerciale. Ainsi, la cour d’appel qui n’a pas été spécialement désignée en matière de pratiques restrictives, n’est pas autorisée à procéder à l’examen de la demande principale et, en cas de rejet de cette demande, à relever une fin de non-recevoir affectant le moyen subsidiaire, la sanction doit être immédiatement prononcée. Les moyens, principal et secondaire, sont dépendants en sorte qu’une demande de disjonction n’aurait même pas pu être envisagée (sur ce point, v. Com. 24 sept. 2013, n° 12-21.089, D. 2013. 2269, obs. E. Chevrier image ; ibid. 2812, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra image ; ibid. 2014. 893, obs. D. Ferrier image).

Cet arrêt place néanmoins dans les mains des parties un pouvoir important sur le sort procédural d’un litige dans la mesure où le choix des demandes subsidiaires est susceptible d’avoir une incidence sur la compétence juridictionnelle, y compris lorsque celles-ci ne sont pas étudiées en première instance car devenues sans objet. Le déroulement de nombreux procès est ainsi susceptible d’être déstabilisé.

Partage de responsabilité dans le cadre d’une convention d’assistance

La convention d’assistance bénévole ne cesse de fasciner les spécialistes du droit des contrats hier comme aujourd’hui (R. Bout, La convention dite d’assistance, in Mélanges en l’honneur de Pierre Kayser, Aix-en-Provence, PUAM, 1971, p. 157 s. ; A. Sériaux, L’œuvre prétorienne in vivo l’exemple de la convention d’assistance, in Mélanges en l’honneur de Michel Cabrillac, 1999, Litec, p. 299 s. ; T. Génicon, Variations sur la réalité du consentement : la convention d’assistance bénévole, RDC 2014. 16). Véritable contrat pour les uns, gestion d’affaire pour les autres, l’assistance demeure énigmatique en droit positif tant l’hésitation reste permise. L’une des principales interrogations récurrentes demeure la rencontre de cette figure avec la question de la responsabilité de l’assisté lorsque l’un des assistants subit un dommage. En somme, laquelle des responsabilités contractuelle ou délictuelle doit s’appliquer en pareille situation ? En d’autres termes encore, ceci se résume à savoir si l’assistance bénévole doit s’analyser véritablement en un contrat. L’arrêt rendu par la première chambre civile le 5 mai 2021 explore cette discussion dans un arrêt original par la rareté de la figure de l’assistance bénévole en jurisprudence.

Plusieurs personnes aident bénévolement une autre personne à trier des affaires au domicile de ce dernier. Lors du rangement, un des participants à l’opération jette un carton de 30 kilogrammes du haut de la fenêtre du deuxième étage. Le problème est le suivant : un autre assistant se trouvait juste en dessous. Il est grièvement blessé par le choc du carton très lourd et projeté à une certaine vitesse. L’assureur de la personne assistée accorde une provision à la victime avant de se retourner contre celui qui a projeté le carton. La cour d’appel de Nancy qualifie la situation entre la victime et la personne ayant bénéficié de l’aide de convention d’assistance bénévole. Elle acte ainsi un partage de responsabilité dans la réalisation du dommage : 70 % pour le donneur de l’ordre (le bénéficiaire du contrat d’assistance bénévole) et 30 % pour celui qui a jeté le carton effectivement du haut de la fenêtre. Selon les juges du fond, le premier avait manqué à un certain devoir de sécurité puisqu’il n’avait pas donné de consignes précises pour jeter les cartons du haut de la fenêtre tandis que le second a bien commis une faute délictuelle en ne faisant pas attention si des personnes se trouvaient en dessous de cette fenêtre. C’est dans ce contexte que l’assureur de la personne assistée se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi qui présentait une argumentation intéressante, à savoir que la faute délictuelle devait empêcher de mettre en cause la responsabilité contractuelle de l’assisté. En refusant une telle lecture, la Haute juridiction confirme la vigueur de la qualification de la convention d’assistance bénévole tout en validant une répartition de la responsabilité délicate à gérer pour l’assureur se retournant après avoir indemnisé la victime.

La vigueur de la qualification de convention d’assistance

Aucune disqualification de la figure de la convention d’assistance n’apparaît dans cet arrêt. Le raisonnement des juges du fond dans la qualification est purement et simplement insusceptible d’ouverture à cassation pour violation de la loi. Certes, le rattachement à la figure contractuelle peut paraître artificiel mais il n’est pas ici discuté (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 2e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 103, n° 88). Dans un article resté célèbre, Roger Bout avait proposé une approche quasi-contractuelle de la question à travers la gestion d’affaires (R. Bout, La convention dite d’assistance, préc.). Mais cette proposition n’a pas emporté la conviction de la Haute juridiction qui n’a jamais véritablement changé de position à ce sujet.

Sur ce point, il faut noter que la vigueur de la qualification, aussi discutable soit-elle, aboutit nécessairement à pouvoir prendre en compte une responsabilité contractuelle de l’assisté. Il aurait fallu que ce dernier prouve avoir donné des consignes strictes de sécurité pour y échapper. Or, les juges fond ont simplement relevé que celui qui a lancé le carton avait crié « Attention » au moment de projeter l’objet à travers la fenêtre. Mais du côté de l’organisateur du rangement ayant profité de l’assistance bénévole, aucune preuve d’une quelconque consigne de sécurité ou, du moins, d’ordres susceptibles d’éviter ce genre d’accidents n’avait été produite. C’est une bien délicate preuve à rapporter puisque les consignes dans ce genre d’évènements sont bien souvent verbales d’autant plus dans le cadre d’une assistance bénévole. Dans un courrier postérieur à l’accident, la personne assistée avait reconnu avoir donné l’ordre de jeter les cartons du haut de la fenêtre ; ce qui a facilité encore plus la reconnaissance de sa responsabilité contractuelle sans qu’il rapporte corrélativement des consignes de sécurité données au moment du rangement.

La difficulté d’une telle qualification repose sur une conséquence directe dans l’affaire étudiée, un partage de responsabilité reposant sur des fondements juridiques différents.

L’originalité du partage de responsabilité

La lecture de l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy frappé de pourvoi est très instructive. On peut y lire notamment que « la convention d’assistance bénévole emporte nécessairement l’obligation pour l’assisté de garantir l’assistant de la responsabilité par lui encourue, sans faute de sa part, à l’égard de la victime d’un accident éventuel, que cette victime soit ou non un assistant. […] Il résulte de ces éléments que si M. B. a commis une faute en jetant un carton de trente kilogrammes sans s’assurer préalablement qu’il pouvait le faire sans danger pour les personnes, parmi lesquelles M. V., qui se trouvaient au rez-de-chaussée, M. P. a lui-même, en tant qu’assisté et organisateur des travaux entrepris dans son intérêt, commis une faute en donnant à M. B. un ordre dont les conséquences pouvaient être dangereuses pour les personnes, et sans l’accompagner d’une quelconque consigne de sécurité. » (nous soulignons).

Tout ceci devait donc aboutir à un partage de responsabilité dont le fondement juridique devait différer nécessairement. Celui qui a lancé le carton engage sa responsabilité délictuelle envers la victime puisqu’il n’existe aucun contrat entre ces deux personnes ayant aidé bénévolement l’assisté. Mais dans les rapports entre ce dernier et la victime, la convention d’assistance impose – non-cumul ou plutôt plus exactement non-option oblige – le recours à la responsabilité contractuelle. En plus d’une qualification délicate à justifier sous l’angle du contrat d’assistance bénévole, la faute repose sur un forçage du contrat puisqu’il s’agit de la violation d’un devoir de sécurité. Le raisonnement du demandeur au pourvoi reposait sur la faute délictuelle de celui qui a projeté le carton qui devait, selon lui, éluder la responsabilité contractuelle de l’assisté qu’il assurait.

La Cour de cassation refuse une telle lecture. C’est un triomphe d’une prise en compte individualisée des rapports d’obligation entre les différents acteurs de cet accident fort malheureux. Puisque sans la convention d’assistance le dommage ne serait pas né, la cour d’appel avait considéré que la faute de l’assisté avait été à l’origine de 70 % de la réalisation du dommage en ce qu’un défaut de sécurité transparaissait tandis que la faute délictuelle de celui projetant le carton n’y avait concouru qu’à hauteur de 30 %. Il reste possible de critiquer une telle lecture de la situation qui fait une part-belle au forçage du contrat et qui fait reposer une grande partie du partage de responsabilité sur la personne ayant été assistée. Mais il faut bien avouer que cette solution reste parfaitement logique à la suite de la qualification contractuelle de l’assistance bénévole ou du moins inévitable en tout état de cause. Il ne resterait plus qu’à, peut-être, envisager une qualification en dehors de la sphère contractuelle. Mais, dans le contexte d’une qualification prétorienne, seule la Cour de cassation peut gérer sa propre création ; à moins de la codifier prochainement.

Catastrophe aérienne : règles de compétence

En matière de transport aérien de passagers, l’essentiel du contentieux porte – et de très loin – sur des demandes d’indemnisation en cas d’annulation ou de retard important de vol. Peu fréquentes – et c’est heureux – sont les décisions rendues en matière d’accident aérien, qu’il concerne l’aviation de loisir (pour une illustration récente, v. Civ. 1re, 8 avr. 2021, n°[ESPACE19-21.842, Dalloz actualité, 6 mai 2021, obs. X. Delpech ; D. 2021. 741 image) ou de ligne. Dans cette dernière hypothèse, l’accident est susceptible d’entraîner plusieurs dizaines, voire centaines de morts. On parle alors volontiers de catastrophe aérienne. C’est ce dont il est d’ailleurs question dans l’arrêt commenté. Les enjeux sont alors souvent considérables. Les responsabilités ne sont jamais faciles à déterminer ; souvent, tant la compagnie aérienne que le constructeur de l’aéronef ont quelque chose à se reprocher. Il est alors de bonne politique, pour les ayants droit des victimes, d’exercer une action en indemnisation à la fois contre le constructeur de l’aéronef et contre la compagnie aérienne.

Dans l’affaire ici jugée, le 28 décembre 2014, un avion, parti d’Indonésie à destination de Singapour, s’est abîmé en mer. Tous les passagers et membres de l’équipage ont malheureusement péri. Le 4 juillet 2016, divers ayants droit des victimes ont alors engagé une action en responsabilité civile à la fois contre la compagnie aérienne (une société indonésienne), le propriétaire de l’avion (une société allemande), le constructeur (une société française) et son fournisseur (une autre société française ; qui semble être un sous-traitant du constructeur auquel il est reproché d’avoir livré une pièce défectueuse), devant le tribunal de grande instance d’Angers, lieu du siège social de cette dernière société. On peut comprendre que les demandeurs, de nationalité française, ont préféré saisir une juridiction française pour obtenir la mise en cause de tous ces acteurs, d’abord par commodité, mais aussi parce que celles-ci sont probablement plus généreuses que les juridictions indonésiennes. Par ailleurs, le fournisseur a formé un recours en garantie contre la compagnie aérienne, également devant le tribunal de grande instance d’Angers. De leur côté, la compagnie aérienne, le fournisseur et le constructeur ont saisi le juge de la mise en état d’une exception d’incompétence au profit des juridictions indonésiennes.

Malheureusement pour eux, ils n’obtiennent – sur le seul terrain de la procédure – que partiellement gain de cause : la cour d’appel d’Angers déclare, en effet, le tribunal de grande instance d’Angers incompétent pour connaître de leurs demandes à l’encontre de la compagnie aérienne et énonce que l’affaire les opposant à celle-ci devra faire l’objet d’une disjonction d’instance, ainsi que le prévoit l’article 367, alinéa 2, du code de procédure civile. Dans leur pourvoi, les ayants droit ont contesté cette disjonction, estimant qu’en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur a le choix de saisir la juridiction du lieu où demeure l’un d’entre eux. Cette prorogation de compétence a vocation à s’appliquer dans l’ordre international dès lors que les demandes dirigées contre les différents défendeurs sont connexes. Ils ajoutent qu’un accident d’aéronef est un fait unique rendant indivisibles ou, à tout le moins connexes, les demandes présentées à l’encontre des constructeurs et transporteur et justifiant à ce titre, l’application de la prorogation de compétence. En refusant de reconnaître la compétence de la juridiction française pour statuer sur la responsabilité de la compagnie indonésienne, la cour d’appel aurait violé l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile, qui prévoit qu’en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur saisit, à son choix, la juridiction du lieu où demeure l’un d’eux (ici le fournisseur). Il est vrai qu’il a déjà été jugé qu’une telle action en indemnisation peut valablement être intentée à la fois contre le constructeur et le transporteur devant le tribunal du siège du premier car la Cour de cassation a estimé que ces demandes ont entre elles un lien de connexité (Civ. 1re, 26 juin 2019, n° 18-12.541, Dalloz actualité, 26 sept. 2019, obs. X. Delpech).

Devant quelle juridiction et sur quel fondement la compagnie aérienne doit-elle être attraite ? Tout d’abord, les ayants droit des victimes se sont prévalues des règles de compétence issues du règlement (UE) n° 1215/2015 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles 1 bis, et du principe de bonne administration de la justice résultant de ce règlement. En effet, selon eux, ce principe risquerait d’être bafoué s’il y a une incompatibilité entre la décision rendue par une juridiction française retenant la responsabilité du transporteur aérien sur l’appel en garantie exercé contre lui par le fournisseur, constructeur de la pièce défectueuse, et celle – qui serait rendue par une juridiction indonésienne, qui serait alors compétente – écartant toute responsabilité de ce même transporteur sur l’action directement intentée par les ayant-droits des victimes. L’argument est séduisant, mais la Cour de cassation le rejette logiquement, à la suite de la cour d’appel d’Angers, estimant que, dans la mesure où le transporteur aérien étant une société domiciliée dans un État tiers à l’Union européenne, la cour d’appel en a justement déduit que cette société ne pouvait être attraite en France sur la base de l’un des chefs de compétence dérivée du règlement Bruxelles 1 bis. Cette solution se recommande de l’article 6, § 1er, de ce règlement qui énonce que, « [si] le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre ».

Les règles de compétence pour connaître d’une action en responsabilité contre le transporteur aérien sont en principe déterminées par les conventions internationales en matière de transport aérien. D’ailleurs, l’article 71 du règlement précité énonce que « [le] présent règlement n’affecte pas les conventions auxquelles les États membres [dont la France] sont parties et qui, dans des matières particulières, règlent la compétence judiciaire, la reconnaissance ou l’exécution des décisions ». On serait donc tenté de prime abord de solliciter la Convention de Montréal du 28 mai 1999 pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international. Pourtant, elle doit être en l’occurrence écartée, car, pour qu’elle s’applique, il faut en principe que le point de départ et le point (prévu) de destination soient deux parties à la Convention (art. 1er, al. 2). Or, à la date de l’accident, l’Indonésie, État du point de départ du vol, n’en était pas encore partie. C’est donc la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929, dont l’objet est le même que celle de Montréal, qui est applicable. Son article 28 pose les règles de compétence territoriale dans le cadre d’une action en responsabilité contre le transporteur aérien en cas de transport international. Selon le premier alinéa de cet article, « [l]’action en responsabilité est portée, au choix du demandeur, dans le territoire d’une des hautes parties contractantes, soit devant le tribunal du domicile du transporteur, du siège principal de son exploitation ou du lieu où il possède un établissement par le soin duquel le contrat a été conclu, soit devant le tribunal du lieu de destination ».

Ce texte ne permet en aucun cas d’attraire le transporteur aérien devant une juridiction française. Que l’on retienne l’un ou l’autre des deux chefs de compétence prévus par celui-ci, le transporteur aérien ne pouvait être poursuivi que devant une juridiction indonésienne. La Cour de cassation ajoute que l’article 28, alinéa 1er, de la Convention de Varsovie « édicte une règle de compétence directe ayant un caractère impératif et exclusif, de sorte qu’elle fait obstacle à ce qu’il y soit dérogé par application des règles internes de compétence, et notamment celle de l’article 42, alinéa 2, du code de procédure civile ». La solution n’est pas nouvelle (v. déjà Civ. 1re, 11 juill. 2006, n° 04-18.644 P, D. 2006. 2055, obs. X. Delpech image ; RTD com. 2006. 703, obs. P. Delebecque image ; JCP 2006. Actu. 373 ; 12 nov. 2009, n° 08-15.269, Rev. crit. DIP 2010. 372, note H. Muir Watt image ; RTD com. 2010. 456, obs. P. Delebecque image ; JCP E 2010, n° 1789, note F. Letacq). Cette règle de compétence directe signifie que le juge français saisi, amené, au préalable, à s’interroger sur sa propre compétence, est tenu d’appliquer cet article 28 pour apprécier cette compétence, à l’exception de toute autre règle de conflit de juridictions, en particulier la règle française de compétence territoriale.

Qu’en est-il enfin des règles de compétence territoriale s’agissant de l’appel en garantie du fournisseur contre le transporteur ? La cour d’appel a jugé que le tribunal de grande instance d’Angers était compétent à l’égard des demandes en garantie formées par le fournisseur à l’encontre du transporteur. Ce que confirme la Cour de cassation dans sa réponse, qui mérite d’être intégralement reproduite : « L’arrêt retient exactement, d’une part, que la Convention de Varsovie ne s’applique qu’aux parties liées par le contrat de transport et que, par conséquent, l’appel en garantie du constructeur d’aéronefs ou de son sous-traitant, qui n’exerce pas une action subrogatoire mais une action personnelle, contre le transporteur, ne relève pas du champ d’application de cette Convention et, partant, échappe aux règles de compétence juridictionnelle posées en son article 28, d’autre part, que, conformément à l’article 333 du code de procédure civile, applicable dans l’ordre international en l’absence d’une clause attributive de compétence, le transporteur ne peut décliner la compétence de la juridiction française saisie dans ses rapports avec l’appelant en garantie ».

La solution ne saurait surprendre. La Cour de cassation a, en effet, déjà jugé que l’appel en garantie du constructeur d’aéronefs contre le transporteur aérien ne relève pas du champ d’application de la Convention de Varsovie et, partant, échappe aux règles de compétence juridictionnelle posées en son article 28 (Civ. 1re, 4 mars 2015, n° 13-17.392 P, Dalloz actualité, 6 mars 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 622, obs. X. Delpech image ; ibid. 1294, obs. H. Kenfack image ; JCP 2015, n° 601, note O. Cachard). C’est dire que la détermination de cette compétence relève des règles françaises, en l’occurrence de la règle de prorogation légale de compétence posée par l’article 333 du code de procédure civile sur l’intervention forcée, dont la Cour de cassation a déjà eu l’occasion d’affirmer que, sauf en présence d’une clause attributive de compétence ou d’une clause compromissoire, il est applicable dans l’ordre international (Civ. 1re, 12 mai 2004, n° 01-13.903, Bull. civ. I, n° 129 ; D. 2004. 1562, et les obs. image ; RTD civ. 2004. 553, obs. R. Perrot image). Ainsi, la Convention de Varsovie (et aujourd’hui celle de Montréal) n’est applicable que dans les relations entre le passager et le transporteur aérien. L’arrêt commenté ne surprend donc pas mais réitère opportunément, en les motivant davantage, des solutions complexes qui méritent d’être mieux connues.

Isolement et contention en hospitalisation sous contrainte : publication du décret d’application

Après l’abrogation de plusieurs textes du code de la santé publique en juin 2020, le législateur a pu élaborer en décembre dernier une nouvelle mouture des dispositions autour de l’isolement et de la contention en matière de soins psychiatriques sans consentement (L. n° 2020-1576, 14 déc. 2020, de financement de la sécurité sociale pour 2021, Dalloz actualité, 12 janv. 2021, obs. C. Hélaine). Le décret d’application n’était pas encore sorti et de nombreux juges des libertés et de la détention (JLD) s’en inquiétaient notamment pour connaître les modalités pratiques des contrôles et des communications que les nouveaux textes imposent en matière d’hospitalisation sous contrainte. Le contexte reste trouble : nous avons commenté dans ces colonnes il y a quelques semaines la transmission par la Cour de cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité sur ces nouvelles dispositions (Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, n° 21-40.001, Dalloz actualité, 15 avr. 2021, obs. C. Hélaine). Mais la transmission au Conseil constitutionnel ne devait pas empêcher pour autant la publication du décret sur ces dispositions importantes pour les établissements de santé. Si l’incertitude règne pour l’heure sur le devenir des nouveaux textes, il faut donc se réjouir de connaître les modalités pratiques de la réforme partielle entreprise. Ne restera plus qu’à attendre la publication prochaine des instructions de la Direction générale des offres de soins (DGOS) pour que les praticiens de santé puissent s’adapter à ces nouvelles exigences légales dans le cadre des soins qu’ils prodiguent en matière d’hospitalisation sans consentement. Les textes nécessitent, en effet, une parfaite communication entre les équipes médicales et de direction des établissements de santé et le greffe du JLD pour garantir l’équilibre d’une procédure que l’on sait complexe.

Deux séries d’observations seront faites à propos de ce décret publié le 2 mai 2021 notamment sur les modalités d’information du JLD et sur le déroulement de la procédure.

Modalités d’information du JLD

On se rappelle que la clé de voûte du mécanisme issu de l’article 84 de la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 repose sur des conditions de seuils permettant de déclencher l’information du JLD dans le cadre de soins comprenant de l’isolement et de la contention. Auparavant, une incertitude régnait sur la durée de ces soins qui devaient être, certes, d’une durée limitée, mais sans plus de précision. C’est à partir de cette formule jugée ambiguë que le Conseil constitutionnel avait abrogé les dispositions relatives à l’isolement et à la contention.

Rappelons, à ce titre, brièvement que les seuils issus de la réforme de 2020 diffèrent selon la mesure envisagée aux alinéas 1 et 2 de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique :

en ce qui concerne l’isolement, la mesure peut être répétée jusqu’à atteindre quarante-huit heures au maximum quand l’état de santé du patient le nécessite ;
  en ce qui concerne la contention, la mesure ne peut intervenir que pour une durée plus courte, six heures renouvelable jusqu’à atteindre vingt-quatre heures.

Le décret n° 2021-537 vient donc ajouter au sein du chapitre Ier du titre Ier du livre II de la troisième partie du code de la santé publique une section 4 comprenant une sous-section 1 sur les obligations d’information pesant sur les établissements de santé accueillant des patients hospitalisés sous contrainte. 

L’article R. 3211-31-I prévoit ainsi que l’information à destination du JLD se fait « par tout moyen permettant de dater sa réception ». La difficulté repose sur la masse de travail que cette information supplémentaire peut représenter pour les médecins et les établissements hospitaliers. Mais, en tout état de cause, il s’agit de la seule option viable pour pouvoir informer le JLD dans les meilleurs délais : qui de mieux placé que le médecin ayant choisi l’isolement et la contention pourrait faire ceci ? La souplesse du décret repose sur l’expression « par tout moyen » qui devrait éviter de trop surcharger les établissements concernés par les soins psychiatriques sans consentement. La seule limite consiste à simplement à pouvoir dater avec certitude l’information du JLD par le médecin.

Le décret d’application rappelle que l’information du JLD se fait à chaque renouvellement à titre exceptionnel de l’isolement ou de la contention dans « un délai inférieur à quarante-huit heures à compter de la fin de la mesure précédente ». La computation des renouvellements exceptionnels invite ainsi à éviter que le JLD soit informé que de la mesure initiale dépassant les seuils évoqués : un retour de l’information est exigé à chaque fois que ces renouvellements atteignent à nouveau les délais légaux. Ceci permet de garantir le contrôle éventuel du juge sur ces mesures particulières que ce soit dès leur renouvellement originel ou lors d’un renouvellement secondaire. Plus encore, l’information doit également être délivrée lorsqu’en quinze jours, l’un des paliers est atteint par des mesures d’isolement ou de contention de courte durée mais qui ont été prises en série. Le but reste ici de ne pas faire échapper l’information du JLD au sujet de mesures sérielles même si elles ne sont que de courtes durées.

Le contrôle juridictionnel n’étant qu’éventuel (L. Mauger-Vielpau, Soins psychiatriques sans consentement : une nouvelle loi déjà controversée sur la contention et l’isolement, Dr. fam., n° 3, mars 2021, comm. 45), il reste à voir comment le JLD est saisi de la mainlevée d’une mesure.

Procédure applicable devant le JLD

Le décret n° 2021-537 vient également ajouter au sein du chapitre Ier du titre Ier du livre II de la troisième partie du code de la santé publique dans la section 4 une sous-section 2 sur la procédure judiciaire devant le JLD.

L’article R. 3211-32 du code de la santé publique prévoit diverses généralités bien connues mais toujours utiles à rappeler. À l’instar de la mesure d’hospitalisation sans consentement qui leur sert de support, les procédures judiciaires liées aux mesures d’isolement et de contention dépendent du code de procédure civile. D’apparence ultra spéciale, la procédure liée aux mesures d’hospitalisation sans consentement reste dépendante du droit commun de l’instance, sauf exceptions décrites dans le code de la santé publique. La compétence est celle du JLD du ressort dans lequel est situé l’établissement d’accueil du majeur hospitalisé sous contrainte.

En ce qui concerne l’accès au juge, le décret prévoit pour l’intéressé une possibilité de saisir le JLD par requête. Bien évidemment, les circonstances imposent de préciser comment la requête sera déposée puisque, par définition, le majeur est à l’isolement ou empêché de se déplacer par la contention. La requête est recueillie par le secrétariat d’accueil de l’établissement qui l’horodate avec éventuellement la signature du patient. Si tout écrit est impossible (notamment en raison de la contention ordonnée par le psychiatre), le décret permet au directeur de l’établissement de recueillir une déclaration verbale qui devra être consignée sous la forme d’un procès-verbal remplaçant la requête. L’entourage du majeur peut également demander à ce que le JLD soit saisi d’un contrôle de la mesure, comme nous l’avions déjà étudié dans le commentaire de la loi de 2020. Tout l’intérêt des informations au JLD décrites précédemment trouve un écho dans la possibilité qu’a le juge de se saisir d’office, par le biais de l’article R. 3211-37 du code de la santé publique, par application du troisième alinéa du II de l’article L. 3222-5-1 ou du dernier alinéa du I de l’article L. 3211-12.

L’article R. 3211-34 du code de la santé publique prévoit que la requête ou le procès-verbal de demande d’audition sont transmis au greffe du tribunal compétent dans un délai très court, dix heures avec la même possibilité de communication que dans le cadre des informations décrites précédemment, c’est-à-dire « par tout moyen permettant de dater sa réception ». On connaît l’importance de ces délais qui sont contrôlés de manière stricte par la Cour de cassation (Civ. 1re, 8 juill. 2020, n° 19-18.839, Dalloz actualité, 4 sept. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 1465 image).

Le juge dispose alors d’un large panel d’éléments probatoires susceptibles de mieux comprendre la situation dans l’article R. 3211-38 du code de la santé publique : il peut, par exemple, désigner un autre médecin psychiatre pour solliciter son opinion sur la pertinence de la mesure d’isolement ou de contention. Les JLD le savent bien également : ils peuvent se déplacer sur place pour constater l’intérêt de la mesure afin de forger leur opinion. Le décret rappelle cette possibilité plus fréquente hier qu’aujourd’hui.

En ce qui concerne la décision et les voies de recours, on retrouve la rapidité qui est impulsée à toute l’hospitalisation sous contrainte. Le JLD doit rendre sa décision dans les vingt-quatre heures à compter de l’enregistrement de la requête au greffe. Si le JLD n’a pas pu statuer, l’article R. 3211-39 du code de la santé publique prévoit la fin de la mesure d’isolement ou de contention automatiquement ; ce qui incite d’autant plus à une certaine rapidité notamment quand les mesures sont justifiées par le danger que peut représenter le patient pour lui-même ou pour l’équipe médicale.

Quid de la tenue d’une audience ? L’article L. 3211-12-1, I, issu de la loi du 14 décembre 2020 dispense, par exception au principe, de la tenue d’une audience : il s’agit alors d’une procédure purement et simplement écrite. Le JLD peut toutefois décider de recourir à une procédure avec audience. On notera plusieurs dispositions du décret concernant l’audition effective du majeur hospitalisé avec la possibilité de recourir aux moyens de télécommunications (par exemple, une visioconférence) même si l’on sait que beaucoup d’établissements hospitaliers ne disposent pas de l’équipement nécessaire.

Non sans un certain parallélisme, le délai de vingt-quatre heures est également utilisé pour faire courir la possibilité d’interjeter appel. Le majeur tout comme le ministère public disposent de vingt-quatre heures à compter de la notification de l’ordonnance. Mission dédiée au premier président de la cour d’appel compétente, l’examen de la voie de recours se fera également dans le délai très rapide de vingt-quatre heures à compter de sa saisine.

En somme, le décret d’application joue avec des durées d’une rapidité extrême puisque l’isolement et la contention sont désormais limités à des bornes temporelles très strictes. La réponse judiciaire doit alors être rapide et efficace. Si elle n’agit pas à temps, le décret prévoit la fin pure et simple de la mesure. L’équilibre fragile garanti par la loi de 2020 implique d’être particulièrement vigilant à la décision QPC qui sera rendue prochainement par le Conseil constitutionnel pour savoir le devenir de ces règles. Degré supplémentaire de privation de liberté, l’isolement ou la contention nécessitent une attention de tous les instants non seulement pour les médecins mais aussi pour le juge. Reste à savoir comment ces textes seront reçus par les principaux intéressés.

Où l’amiable devient l’objet du contentieux…

Un arrêt du 15 avril 2021 est intéressant en ce qu’il se prononce sur la notion récente de « démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ». À l’image des nombreuses décisions relatives aux clauses de conciliation ou médiation préalable obligatoire, l’arrêt illustre le paradoxe de l’évolution de notre procédure : les plaideurs sont de plus en plus obligés de recourir aux MARD (modes amiables de résolution des différends ; sur lesquels, v. not., N. Fricero et al., Le guide des modes amiables de résolution des différends 2017, 3e éd) préalablement à la saisine d’un juge ; or l’« amiable » devient lui-même objet de contentieux, car ses contours ne sont pas nets et qu’il faut donc les définir. Même si la réforme Belloubet a changé l’organisation juridictionnelle et la procédure depuis les faits de l’arrêt, la Cour de cassation nous donne ici des indications qui pourront être utiles à l’avenir, sans pour autant éviter d’inévitables discussions : autant dire que le problème de l’encombrement des tribunaux n’est pas résolu mais déplacé, le contentieux ne portant plus sur le fond mais sur la procédure (c’est le cas depuis la réforme Magendie) ou désormais sur des démarches extrajudiciaires…

Un demandeur saisit le tribunal d’instance de Grenoble, par une déclaration au greffe du 12 mars 2019, en vue d’obtenir la condamnation à son profit de la défenderesse.

Le tribunal d’instance prononce d’office l’irrecevabilité de l’acte l’ayant saisi, faute pour le demandeur de justifier avoir rempli l’obligation légale prescrite par l’article 4 (dans sa version alors applicable) de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 : à savoir que « la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe doit être précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice ».

Le justiciable se pourvoit en cassation. La troisième branche du moyen, à laquelle la deuxième chambre civile répond seule, reproche au tribunal d’instance un manque de base légale au regard de l’article 4-2° de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016.  Il rappelle qu’il existe des exceptions à l’obligation posée à l’article 4, ainsi, « lorsque l’une des parties au moins justifie de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige »  et affirme qu’en l’espèce, de telles diligences avaient bel été bien été entreprises, qui sont relatées par la déclaration au greffe : « pour justifier de la saisine directe du tribunal sans tentative préalable de conciliation, celui-ci a expressément indiqué avoir envoyé un courrier à l’autre partie en vue d’un accord pour mettre un terme au litige ».

La Cour elle-même vise l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et en rappelle la teneur : principe et exceptions. Elle casse le jugement du tribunal d’instance pour manque de base légale pour les motifs rapportés en chapô.

Rappelons qu’en matière de MARD préalables, le plaideur est soumis à des obligations formelles et d’autres substantielles : celles-ci trouvent leur source dans la convention et la jurisprudence – qui élabore une construction au fil des arrêts (v. les clauses de conciliation préalable obligatoire) –, ou la loi, au sens large du terme – comme celle en question dans l’arrêt.

Obligations formelles

Le pouvoir réglementaire a d’abord imaginé un système purement incitatif – et peu efficace.

Le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 a ainsi créé les articles 56, alinéa 3, et 58, alinéas 3, du code de procédure civile (C. Bléry et J.-P. Teboul, Une nouvelle ère pour la procédure civile (suite et sans doute pas fin). À propos du décret n° 2015-282 du 11 mars 2015, Gaz. Pal. 17-18 avr. 2015, p. 7, spéc. nos 6 s.), qui ont imposé, à compter du 1er avril 2015, une obligation assez formelle, à savoir : « Sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, en particulier lorsqu’elle intéresse l’ordre public, l’assignation [56], la requête ou la déclaration qui saisit la juridiction de première instance [58] précise également les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ». Le non-respect de cet article 56, alinéa 3, pouvait déclencher une réaction du juge, mais il n’était pas, à proprement parler, sanctionné ; il en était de même de l’article 58, alinéa 3 : selon l’article 127 (issu du même décret de 2015), « s’il n’est pas justifié, lors de l’introduction de l’instance et conformément aux dispositions des articles 56 et 58, des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, le juge peut proposer aux parties une mesure de conciliation ou de médiation ». La Cour de cassation a eu l’occasion de statuer sur le motif légitime tenant à l’ordre public, à propos de cet article 58, alinéa 3 (Soc. 19 déc. 2018, n° 18-60.067, Dalloz actualité, 28 janv. 2019, obs. G. Deharo ; RDT 2019. 123, obs. F. Guiomard image).

Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a apporté quelques changements (M.-P. Mourre-Schreiber, Réforme de la procédure civile : simplification des modes de saisine, Dalloz actualité, 18 déc. 2019 ; C. Bléry, Réforme de la procédure civile : prise de date d’audience devant le tribunal judiciaire, Dalloz actualité, 24 déc. 2019 ; Nouveaux modes d’introduction de la procédure et communication par voie électronique, D. avocats 2020. 25 image ; D. d’Ambra, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droit interne et européen, Dalloz Action, 10e éd., 2021/2022, nos 436.31 s.). C’est désormais l’article 54, commun à l’assignation et la requête, unilatérale ou conjointe, qui reprend l’obligation formelle (v. 5°). Celle-ci change cependant de nature : depuis le 1er janvier 2020, lorsque la demande initiale doit être précédée d’une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative, l’acte introductif d’instance doit préciser les diligences entreprises en vue d’une résolution amiable du litige ou la justification de la dispense d’une telle tentative. Cette mention existait antérieurement, sans être prescrite à peine de nullité ; c’est désormais le cas, mais elle ne concerne plus que les domaines dans lesquels la demande initiale doit être précédée d’une tentative de mode alternatif de règlement des différends (art. 750-1 ; v. 2). Précisons encore que le décret n° 2020-1457 du 27 novembre 2020 a retouché l’article 127 afin de l’harmoniser avec l’article 750-1 issu du décret Belloubet : il dispose désormais que, « hors les cas prévus à l’article 750-1, le juge peut proposer aux parties qui ne justifieraient pas de diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable du litige une mesure de conciliation ou de médiation » (adde JCP 2020. 1404, spéc. p. 2255, obs. S. Amrani-Mekki).

Obligations substantielles

Le législateur a ensuite prévu un système plus coercitif.

La loi « J21 » n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du 21e siècle, elle, a instauré une véritable sanction dans son article 4, à savoir une fin de non-recevoir que le juge pouvait prononcer d’office. L’hypothèse visée était assez limitée, celle d’une procédure introduite par déclaration au greffe du tribunal d’instance, non précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf trois exceptions (rappelées par la Cour de cassation dans notre arrêt) : « 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; 2° Si les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ; 3° Si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime ». Rappelons que :

• la déclaration au greffe était une formule procédurale utilisable pour introduire l’instance devant le tribunal d’instance, à côté, notamment de l’assignation (à toutes fins), lorsque le montant de la demande n’excédait pas 4 000 € : v. C. pr. civ., art. 843, issu du décr. n° 2010-1165, 1er oct. 2010 et abrogé par le décr. n° 20219-1333, 11 déc. 2019) ;

• la réforme Belloubet (loi, ordonnance et décret) a fait disparaître le tribunal d’instance et le tribunal de grande instance, fusionnés en tribunal judiciaire et les actes introductifs d’instance autres que l’assignation et la requête, au 1er janvier 2020 ;

• la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (art. 3, II) a conditionné la recevabilité de certaines demandes à une tentative de procédure préalable de médiation, de conciliation ou de procédure participative (sur ces MARD, v. C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, Dalloz, 35e éd., coll. « PRécis », 2020, n° 2366 s. ; L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, 2020, nos 889 et 890 ; D. d’Ambra, in Droit et pratique de la procédure civile, op. cit., n° 436.111 s.) et modifié en conséquence l’article 4 de la loi J21. Il a reconduit la sanction de 2016, mais a élargi les cas de recours à l’amiable qui peuvent être entrepris au choix des parties et a modifié quelque peu les exceptions (v. Précis Dalloz, nos 1600 et 1601).

L’article 4 de la loi J21, modifié et par la loi Belloubet et par l’ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, dispose ainsi que : « Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation, telle que définie à l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ou d’une tentative de procédure participative, sauf : 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; 2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ; 3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ; 4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation. L’article 4 ajoute encore qu’« un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent article, notamment les matières entrant dans le champ des conflits de voisinage ainsi que le montant en deçà duquel les litiges sont soumis à l’obligation mentionnée au premier alinéa. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas aux litiges relatifs à l’application des dispositions mentionnées à l’article L. 314-26 du code de la consommation ».

Le Conseil constitutionnel (décis. n° 2019-778 DC du 21 mars 2019) a imposé d’expliciter les notions de motif légitime et de délai raisonnable. Le décret Belloubet a créé l’article 750-1 du code de procédure civile qui complète et précise ainsi l’article 4 de la loi J21 (G. Maugain, Cas de recours préalable obligatoire aux modes de résolution amiable des différends, Dalloz actualité, 20 janv. 2020). Malgré la place de l’article dans les dispositions communes du tribunal judiciaire, l’article 750-1 ne concerne actuellement que des cas relevant de la procédure orale ordinaire (et non de la procédure écrite).

Si l’article 750-1, alinéa 1er, reproduit le principe de l’obligation et sa sanction tels qu’énoncés à l’article 4 de la loi, il définit plus précisément le domaine de la tentative préalable obligatoire de règlement amiable, afin d’être conforme aux prescriptions du Conseil constitutionnel : il chiffre donc le montant de l’obligation à 5 000 € et renvoie aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire pour les conflits de voisinage (curieusement entendus comme recouvrant les conflits relatifs aux fonds dont les parties sont propriétaires ou occupants titrés et qui relevaient de la compétence du tribunal d’instance). L’article 750-1, alinéa 2, reprend les cas de dispense de l’article 4 de la loi J21, mais développe le 3°.

Notons d’abord, au passage, que si le 1° va de soi, les 2° et 4° laissent « perplexes » (selon le mot des professeurs Cadiet et Jeuland, op. cit.), en matière de contentieux civil. Les auteurs citent, à propos d’un recours préalable au juge (4°), l’article 281-6 du code de procédure civile, en matière de distribution de deniers en dehors d’une procédure de distribution)…

Quant au 3°, il est loin d’être simple : « Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige ».

Il a pu être soutenu (v. G. Maugain, art. préc.) que, si la procédure sur requête entrait dans ce 3°, ce n’était pas le cas du référé du fait de l’urgence « manifeste » exigée. Un arrêt de cour d’appel a pourtant jugé que les demandeurs sollicitant devant la juridiction des référés des expertises et formant des demandes provisionnelles au visa des articles 834 et 835 du code de procédure civile, et subsidiairement au visa de l’article 145 du code de procédure civile pour les expertises, ces demandes, qui « relèvent donc de la compétence du juge des référés, […] n’entrent pas dans les cas énoncés à l’article 750-1 prévoyant la nécessité de tentative de conciliation ou de médiation ou de procédure participative préalables à la demande en justice (Riom, ch. com., 17 mars 2021, n° 20/01181). Ce qui n’est pas évident…

Par ailleurs, on constate que le cas de dispense en cause dans l’arrêt du 15 avril 2021 (2°) n’est plus mentionné en l’état dans l’article 4 de la loi J21 modifié par la loi Belloubet et qu’il ne l’est pas davantage dans l’article 750-1 du code de procédure civile issu du décret Belloubet. Pour autant, on peut penser que l’ancien 2° se « coule » dans le nouveau 3° de l’article 4 de la loi et de l’article 750-1. Il faut cependant pour se faire admettre que l’existence de « pourparlers » antérieurs et vains constitue un motif légitime. En effet, « le motif légitime peut tenir aux “circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative [de résolution amiable]”. La généralité de cette formule laissera la part belle à l’appréciation souveraine des juges du fond » (G. Maugain, art. préc.). À cet égard, notons un jugement du tribunal judiciaire d’Amiens du 24 juillet 2020 (TJ Amiens, 24 juill. 2020, n° 11-20-000327) : à la suite d’une mise en demeure d’avocat, l’adversaire s’est opposée de façon catégorique aux demandes. Le tribunal judiciaire en déduit que « compte tenu de cette opposition ferme et sans appel, il est manifeste que la résolution amiable du litige était impossible. Dès lors, [le demandeur] justifie d’un motif légitime pour s’exonérer de la tentative de résolution amiable mentionnée à l’article 750-1 du code de procédure civile ».

Si l’on admet cette interprétation (qui nous semble être de bon sens : « MARD sur MARD ne vaut !), l’analyse de la Cour de cassation n’est pas déjà seulement de l’histoire du droit.

Que nous dit-elle ?

Si un plaideur a expressément indiqué avoir envoyé un courrier à l’autre partie en vue d’un accord pour mettre un terme au litige, les juges devront, même sous l’empire du droit en vigueur depuis le 1er janvier 2020, apprécier si cet élément permet de justifier de démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige… Même pour le droit de 2016, l’arrêt ne dit pas que le courrier mentionné par le demandeur « est une démarche » ou « n’est pas une démarche » en vue de parvenir à un accord. En revanche, les juges ne peuvent l’écarter d’un revers de main et doivent l’analyser concrètement, l’examiner pour vérifier si le demandeur justifie de démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige… tâche qui prend évidemment du temps, que l’« on » espérait économiser en instituant des obstacles à la saisine du juge.

Notons encore

Il faut donc une nouvelle fois (C. Bléry, Loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice : aspects numériques, D. 2019. 1069 image, Modalités d’accréditation des organismes certificateurs des services de MARD en ligne : un système complexe, Dalloz actualité, 13 janv. 2021) constater que le développement des modes amiables des différends, bien qu’à la mode, est un cache-misère de la pauvreté des moyens de la justice traditionnelle et qu’« en outre, il est loin d’être la panacée. D’une part, parce qu’on ne fait pas s’entendre des personnes qui ne le souhaitent pas, d’autre part, parce qu’il est source lui-même de contentieux ! »…

Retour sur la prescription de l’action subrogatoire de la caution

On sait que la caution solvens dispose à l’encontre du débiteur d’un recours subrogatoire fondé sur l’article 2306 du code civil (qui n’est qu’une application du principe posé par l’article 1346 du même code) : « La caution qui a payé la dette est subrogée à tous les droits qu’avait le créancier contre le débiteur » (v. à ce sujet P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, nos 214 s.). Les mérites de ce recours sont bien connus, qui consistent principalement dans la préservation des accessoires assortissant la créance. Mais cette voie présente également des dangers : outre l’opposabilité d’un nombre considérable d’exceptions (v. à ce sujet F. Jacob, « La distinction des exceptions inhérentes à la dette et de celles qui ne le sont pas à l’épreuve [entre autres] de sa consécration légale nouvelle par l’article 1346-5, alinéa 3, du code civil », in Mélanges en l’honneur du professeur Claude Witz, LexisNexis, 2018, p. 347 ; v. égal. M. Mignot, « La règle dite de l’opposabilité des exceptions après l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 », in Mélanges en l’honneur d’É. Loquin, LexisNexis, coll. « Droit sans frontières », 2018, vol. 51, p. 671), la caution peut s’exposer à la prescription de l’obligation garantie, comme le montre un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 mai 2021.

En l’espèce, par un acte du 5 août 2003, une banque a consenti à Mme W… deux prêts de 72 000 € et de 35 000 €, garantis par l’engagement de caution solidaire de M. I…. La débitrice ayant été défaillante dans l’exécution de ses obligations, la banque a mis en demeure le 22 juin 2010, M. I…, qui lui a ensuite payé la somme 63 233,06 € contre remise d’une quittance subrogative, le 13 décembre 2010. Ayant vainement mis en demeure Mme W… de le rembourser, M. I… a assigné cette dernière le 5 décembre 2015. La cour d’appel de Nîmes, dans un arrêt du 21 juin 2018, déclare l’action de la caution recevable et condamne la débitrice à lui payer la somme 68 233,63 €, en retenant que l’action subrogatoire est une action personnelle soumise à une prescription de cinq ans en application de l’article 2224 du code civil à compter du jour où le créancier a connu les faits lui permettant de l’exercer, soit après le paiement effectué en exécution du contrat de cautionnement, à compter de la date de délivrance de la quittance subrogative, le 13 décembre 2010. La débitrice s’est donc pourvue naturellement en cassation, soutenant que l’action subrogatoire de la caution est soumise à la prescription applicable à l’action du créancier contre le débiteur et que par suite, la prescription de l’action subrogatoire commence à courir au même moment que la prescription de l’action principale. Le délai de prescription avait donc commencé à courir dès que la banque avait eu connaissance de la défaillance du débiteur, soit le 22 juin 2010 au plus tard. L’argument fait mouche auprès des hauts magistrats, qui censurent l’arrêt au visa des articles 2224 et 2306 du code civil : la Cour de cassation rappelle tout d’abord qu’« aux termes du second de ces textes, la caution qui a payé la dette est subrogée à tous les droits qu’avait le créancier contre le débiteur et il résulte du premier que le créancier dispose, pour agir contre ce dernier, d’un délai de cinq ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action » (pt 3). Elle en conclut qu’« en statuant ainsi alors que la caution qui est subrogée dans les droits du créancier ne dispose que des actions bénéficiant à celui-ci, de sorte que l’action subrogatoire de la caution contre le débiteur est soumise à la même prescription que celle applicable à l’action du créancier contre le débiteur, laquelle ne commence à courir que du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (pt 5).

La solution est parfaitement justifiée au regard des effets de la subrogation : celle-ci « transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier » (v. J. Mestre, La subrogation personnelle, préf. P. Kayser, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 160, 1979 ; sur les limites de la subrogation, v. P. Delebecque, « Les limites de la subrogation personnelle », in Mélanges en l’honneur de Jacques Mestre, LGDJ, 2019, p. 361). La caution recueille donc la créance telle qu’elle se trouve au moment du paiement effectué par le solvens. En conséquence, il est tout à fait logique que son action soit soumise au délai de prescription qui s’imposait au créancier (on peut cependant s’interroger sur le point de savoir s’il en irait de même en présence de la prescription biennale prévue par l’article L. 218-2 du code de la consommation, v. à ce sujet Civ. 1re, 11 déc. 2019, n° 18-16.147, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 523 image, note M. Nicolle image ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJ contrat 2020. 101, obs. D. Houtcieff image ; Rev. prat. rec. 2020. 14, obs. M. Aressy, M.-P. Mourre-Schreiber et U. Schreiber image ; ibid. 15, chron. F. Rocheteau image ; RTD civ. 2020. 161, obs. C. Gijsbers image : « Mais attendu que la cour d’appel a exactement retenu qu’en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution »). Ce délai de prescription commençant à courir à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir, il fallait donc bien prendre en considération, en l’occurrence, le jour où la banque avait eu connaissance de la défaillance du débiteur, soit le 22 juin 2010, ce qui devait conduire à admettre le jeu de la prescription, l’assignation ayant été délivrée à la caution le 5 décembre 2015.

Il est heureux que la Cour de cassation ait clairement consacré cette solution dans la mesure où certaines juridictions du fond avaient cru pouvoir s’affranchir de la logique subrogatoire (v. par ex. Chambéry, 7 févr. 2019, n° 17/02756 : « quel que soit le fondement juridique de l’action entreprise par la caution, recours subrogatoire de l’article 2306 du code civil ou recours personnel de l’article 2305 du code civil, cette action suppose dans tous les cas un paiement préalable de la part de la caution qui s’en prévaut, de telle sorte qu’aucun délai de prescription ne peut courir contre elle tant que son recours à l’encontre du débiteur principal n’est pas ouvert par le fait dudit paiement » ; Rennes, 19 mai 1994, n° 373/93 : « à l’égard de la caution, qui, ayant préalablement désintéressé le prêteur, exerce son action subrogatoire contre l’emprunteur, le point de départ du délai préfix de deux ans résultant de l’article L. 311-37 du code de la consommation doit être fixé à la date à laquelle cette caution a été contrainte, pour la première fois, de se substituer à cet emprunteur », v. à ce sujet JCP 2019. Doctr. 470, n° 12, obs. P. Simler).

La caution n’est pas pour autant démunie dans la mesure où elle peut également exercer un recours personnel à l’encontre du débiteur, sur le fondement de l’article 2305 du code civil (sur les mérites du recours personnel, v. L. Bougerol et G. Mégret, Droit du cautionnement, préf. P. Crocq, Gazette du Palais, coll. « Guide pratique », 2018, n° 241). Un arrêt de la cour d’appel d’Orléans exprime d’ailleurs à merveille l’avantage du recours personnel du point de vue de la prescription : « Si le recours subrogatoire de la caution, qui n’est autre que l’exercice de l’action du créancier lui-même, est soumis au délai de prescription de celle-ci qui, par hypothèse, a commencé à courir dès avant le paiement fait par la caution, le recours personnel de la caution ouvre un nouveau délai de prescription courant du jour du paiement fait par elle » (Orléans, 19 nov. 2020, n° 19/03063). La caution aurait donc dû prendre la peine d’exercer son recours personnel en sus du recours subrogatoire, puisque ceux-ci peuvent parfaitement se cumuler (v. en ce sens Civ. 1re, 29 nov. 2017, n° 16-22.820).

L’imminente réforme du droit des sûretés ne changera en rien cette solution dans la mesure où les dispositions relatives aux recours de la caution seront vraisemblablement reprises en substance (v. avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés du 18 décembre 2020, art. 2305 et 2306, ces textes ne précisant toutefois pas que les deux recours peuvent se cumuler, ce qui est regrettable).

Accident de la circulation : un fauteuil roulant électrique n’est pas un VTM

Le silence du législateur conduit parfois le juge à répondre à des questions inattendues. Comme souvent pour les conditions d’application du régime des accidents de la circulation, c’est à lui que revient la tâche de définir les contours de la définition de la condition de véhicule terrestre à moteur (VTM).

Dans cet arrêt du 6 mai 2021, la question était la suivante : un fauteuil roulant électrique est-il un VTM au sens de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ?

En l’espèce, une jeune femme présentant un trouble moteur cérébral en raison d’une anoxie néonatale et souffrant d’une hémiplégie droite ne se déplace à l’extérieur qu’à l’aide d’un fauteuil roulant électrique. Alors qu’elle circulait sur ce fauteuil roulant, elle a été percutée par une voiture. Victime de plusieurs préjudices, elle a assigné l’assureur de la conductrice du véhicule en réparation. Celui-ci refusait de l’indemniser intégralement en raison de sa faute.

La cour d’appel l’a déboutée de sa demande en réparation intégrale, considérant que le fauteuil roulant électrique était un VTM au sens de la loi Badinter. En conséquence, la victime revêtait la qualité de conductrice. En tant que conductrice, sa faute lui était opposable et réduisait donc son droit à réparation en vertu de l’article 4 de la loi du 5 juillet 1985.

La victime s’est donc pourvue en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir violé les articles 3 et 4 de la loi du 5 juillet 1985. Par mémoire distinct et motivé, elle a également demandé à la haute juridiction de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ce que celle-ci a refusé de faire dans un arrêt du 1er octobre 2020 (n° 20-14.551), faute de caractère nouveau et sérieux de la question.

Pour contester sa qualité de conductrice et donc l’opposabilité de sa faute, la demanderesse au pourvoi avançait notamment qu’une personne handicapée qui circule en fauteuil roulant électrique ne devait pas être assimilée au conducteur d’un VTM, en ce que la notion de VTM au sens de la loi du 5 juillet 1985 serait autonome de celle retenue par l’article L. 211-1 du code des assurances.

La deuxième chambre civile était donc invitée à s’interroger sur la définition de véhicule terrestre à moteur.

Au visa des articles 1, 3 et 4 de la loi tels qu’interprétés à la lumière des objectifs assignés aux États par les articles 1, 3 et 4 de la Convention internationale des droits des personnes, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.

La haute juridiction rappelle les conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985 et les règles qui régissent l’étendue du droit à réparation des victimes d’accidents, puis elle exclut le fauteuil roulant électrique de la définition de VTM telle qu’elle s’applique dans ce régime de réparation.

Le rappel des conditions d’application de la loi du 5 juillet 1985

En premier lieu, la Cour de cassation rappelle l’article 1er de la loi dite Badinter qui énumère les conditions d’application de loi, à l’exception de la condition d’imputabilité du dommage à l’accident ajoutée par la jurisprudence, qui ne distingue pas selon la présence ou non d’un contrat liant responsable et victime et qui exclut du champ du régime les véhicules circulant sur une voie propre.

Elle revient ensuite sur les règles en matière d’opposabilité de la faute à la victime d’un accident de la circulation. Sur ce point, la loi distingue selon la qualité de la victime – conductrice ou non – et selon la nature de l’atteinte subie, à la personne ou au bien.

La victime qui revêt la qualité de conducteur se voit opposer sa faute, quelle que soit l’atteinte subie dans les mêmes conditions qu’en droit commun de la responsabilité (v. art. 4 de la loi).

La victime qui a la qualité de non-conducteur se voit également opposer sa faute simple si elle demande réparation d’une atteinte aux biens (art. 5 de la loi).

En revanche, la faute simple n’est pas opposable aux victimes non conductrices ayant subi un dommage corporel. Dans ce cas, une distinction s’opère entre les victimes « super privilégiées » et les victimes « simplement privilégiées ». Les premières sont âgées de moins de 16 ans ou de plus de 70 ans ou présentent un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité au moins égal à 80 % : seule leur faute intentionnelle leur est opposable (art. 3, al. 2, de la loi). Les secondes ont entre 16 et 70 ans ou présentent un taux d’incapacité permanente ou d’invalidité inférieure à 80 % : leur faute intentionnelle (art. 3, al. 3, de la loi) et leur faute inexcusable cause exclusive de l’accident (art. 3, al. 1) leur sont opposables.

On comprend alors l’enjeu de la détermination de la qualité de la victime en l’espèce puisque celle-ci demande réparation de dommages corporels alors qu’elle a commis une faute qui a contribué à son dommage. Afin de savoir à quelle catégorie de victimes elle appartient, il convient donc, en amont, de déterminer si le fauteuil roulant est un VTM ou non.

L’exclusion du fauteuil roulant électrique de la définition de VTM au sens de la loi du 5 juillet 1985

La Cour de cassation rappelle que le dispositif d’indemnisation qu’est la loi du 5 juillet 1985 est un régime sans faute.

Elle précise également que le législateur a pris en compte les risques associés à la circulation de véhicules motorisés et a voulu réserver une protection particulière à certaines catégories d’usagers de la route tels que les piétons, les passagers transportés, les enfants, les personnes âgées et celles en situation de handicap.

Elle relève par ailleurs que le fauteuil électrique est un dispositif médical dont l’objectif est de permettre le déplacement d’une personne handicapée, ce qui l’exclut de la catégorie des véhicules terrestres à moteur.

Par voie de conséquence, si le fauteuil roulant n’est pas un véhicule, la personne handicapée qui l’utilise ne peut pas avoir la qualité de conducteur. Il en résulte qu’en application de l’article 3 de la loi, sa faute lui est inopposable.

Pour autant, était-il si évident d’arriver à la conclusion que la victime handicapée qui se déplace sur un tel dispositif ne devait pas être considérée comme conductrice ? Humainement, oui, techniquement, pas forcément.

L’équilibre entre l’application rigoriste de la définition du véhicule terrestre à moteur et la volonté de protéger les victimes d’accident particulièrement vulnérables n’est pas évidente.

Il n’existe pas de définition du VTM dans la loi du 5 juillet 1985. Le législateur semble s’en être remis à la définition du code des assurances. Selon l’alinéa 1er de l’article 211-1, le VTM correspond à « tout véhicule terrestre à moteur, c’est-à-dire tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique sans être lié à une voie ferrée, ainsi que toute remorque, même non attelée ».

Une autre définition se trouve également dans le code de la route. L’article L. 110-1 dispose que « le terme de “véhicule à moteur” désigne tout véhicule terrestre pourvu d’un moteur à propulsion, y compris les trolleybus, et circulant sur route par ses moyens propres, à l’exception des véhicules qui se déplacent sur rails ».

Notons que le code de la route envisage la situation des fauteuils roulants et opère une distinction selon que ceux-ci sont manuels ou électriques à l’article R. 412-34, II. Si la personne handicapée qui se déplace en fauteuil manuel est considérée comme un piéton, la personne se déplaçant sur un fauteuil électrique ne l’est que si elle roule « à l’allure du pas ». Dans le cas contraire, elle revêt la qualité de conducteur.

La question se pose alors de savoir si la définition jurisprudentielle du VTM au sens de la loi Badinter est identique à ces définitions légales.

La Cour de cassation, par une démarche casuistique, a adopté, comme souvent en la matière, une conception souple de la notion de VTM. Pour le définir, elle ne tient compte ni de la vitesse à laquelle il circule ni des caractéristiques du conducteur, pas plus qu’elle n’exige que le véhicule soit assuré de façon effective.

Elle a notamment considéré qu’une tondeuse à gazon autoportée (Civ. 2e, 24 juin 2004, n° 02-20.208, Bull. civ. II, n° 308 ; D. 2004. 2197, et les obs. image ; ibid. 2005. 1317, obs. H. Groutel image ; 22 mai 2014, n° 13-10.561, Bull. civ. II, n° 116 ; Dalloz actualité, 6 juin 2014, obs. N. Kilgus ; D. 2014. 1201 image ; RTD civ. 2014. 665, obs. P. Jourdain image) et qu’une mini-moto (Civ. 2e, 22 oct. 2015, n° 14-13.994, Dalloz actualité, 4 nov. 2015, obs. T. de Ravel d’Esclapon ; D. 2015. 2181 image ; ibid. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout image ; RTD civ. 2016. 135, obs. P. Jourdain image) étaient des VTM au sens de la loi.

Une application stricte de la définition du VTM, notamment au regard des définitions légales, aurait pu conduire les juges du droit à reconnaître que le fauteuil roulant électrique était un VTM et que la victime avait la qualité de conductrice. En ayant un moteur et la possibilité de circuler sur la voie publique comme tout autre véhicule, la personne qui le manœuvre participe aux risques de la circulation.

Mais l’esprit de la loi impose, à l’inverse, un rejet de cette solution puisque l’idée du législateur était avant tout de protéger les victimes vulnérables de ce type d’accidents, a fortiori lorsqu’elles sont victimes de dommages corporels. D’ailleurs, le projet de réforme de la responsabilité civile prévoit d’abandonner la distinction de régime en cas de dommages corporels selon que la victime est conductrice ou non.

Le fauteuil roulant, électrique ou manuel, est avant tout un dispositif médical qui vient aider une personne qui a perdu tout ou partie de ses facultés motrices. Plus qu’un véhicule, c’est un moyen de se mouvoir quand il n’est pas possible de le faire avec son corps. En ce sens, ce serait la vulnérabilité de la victime qui primerait sur la nature du moyen utilisé pour se déplacer.

Toutefois, la solution aurait-elle été la même si la personne sur le fauteuil, au moment de l’accident, n’avait pas été la personne à laquelle il était destiné mais une personne qui l’essaye simplement ? Autrement dit, est-ce la qualité de la personne qui le manœuvre ou la nature du fauteuil qui exclut la qualité de conducteur et de VTM ? Les deux peut-être ? Il reste encore des questions à poser et des réponses à apporter.

La juste évaluation du préjudice réparable

Le 3 juillet 2009, le passager d’un train a été victime d’un accident causé par une collision avec une remorque agricole immobilisée sur la voie ferrée. Cet accident a causé de nombreux préjudices à la victime dont, notamment, son placement sous le régime de la tutelle.

Sa tutrice a saisi le tribunal de grande instance pour obtenir réparation de ses préjudices.

Deux arrêts ont été rendus, le 4 avril 2019 et le 26 septembre 2019 et les pourvois ont été joints devant la Cour de cassation en raison de leur connexité.

Seules les premières et deuxièmes banches du moyen sont développées par la Haute juridiction.

Dans la première branche du moyen, les demandeurs reprochent aux juges du fond de ne pas avoir respecté l’article 455 du code de procédure civile. Plus exactement, ils considèrent que la cour d’appel n’a pas évalué le préjudice de la victime en prenant en compte sa situation à la date la plus proche de l’accident. Les juges n’auraient pas analysé les dernières pièces versées au débat et ont retenu un salaire moyen de 2 840 € par mois au lieu de 3 134 € ce qui, dans le calcul de la perte de salaire, a une incidence très importante.

La Cour de cassation opère un contrôle normatif de motivation et fait droit à la demande de la victime. Elle considère, en effet, que l’arrêt ne comporte pas les motifs propres à justifier sa décision. Les juges du fond auraient donc dû analyser les nouvelles pièces communiquées par les parties afin de calculer de façon optimale le préjudice subi par la victime au regard de sa situation à la date la plus proche de l’accident.

Dans la deuxième branche du moyen, les demandeurs reprochent à la cour d’appel de ne pas avoir entièrement pris en compte le préjudice lié à l’incidence professionnelle subie par la victime.

Ils rappellent que ce poste de préjudice est différent de celui compris au titre du déficit fonctionnel permanent et comprend la perte d’identité sociale ainsi que le préjudice lié au désœuvrement social qu’entraîne l’impossibilité d’exercer toute activité professionnelle.

La Cour de cassation vise le principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime pour juger que la cour d’appel a privé sa décision de base légale. Plus précisément, la cour d’appel n’a pas pris en compte l’existence du préjudice résultant de la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail. Ce préjudice est inclus dans le poste de préjudice lié à l’incidence professionnelle et doit donc faire l’objet d’une réparation.

Concernant le premier moyen, la cassation semblait inévitable, car il est difficile de comprendre pourquoi les juges du fond n’ont pas voulu inclure les derniers bulletins de salaire afin de calculer le préjudice en toute connaissance de cause. Ils ont étudié la situation de la victime en prenant en compte les éléments versés lors du premier jugement en adoptant les motifs des premiers juges. Il est pourtant constant que le juge doit se placer au jour de la décision pour déterminer l’étendue du préjudice subi. La situation économique de la victime doit donc être analysée à la date la plus proche de l’accident. C’est l’état de la jurisprudence depuis 1942 (Cass., req., 24 mars 1942, DA 1942. 118 ; Civ. 2e, 11 oct. 2001, n° 99-16.760, D. 2001. 3093, et les obs. image ; Civ. 1re, 19 nov. 2009, n° 08-19.790 ; Civ. 2e, 12 mai 2010, n° 09-12.056 NP, RCA 2010. Comm. 211, obs. H. Groutel ; Crim. 8 mars 2011, n°10-81.741, D. 2011. 1075 image ; 1er mars 2011, n° 10-85.965 ; 20 nov. 2012, n° 12-80.93 ; 13 nov. 2013, n° 12-84.838, D. 2013. 2695 image ; RCA 2014. Comm. 44, obs. C. Corgas-Bernard ; 12 sept. 2018, n° 17-82.122 NP, D. 2018. 2217 image, note A. Dejean de la Bâtie image ; ibid. 2019. 1858, obs. C. Mascala image ; RTD com. 2018. 1045, obs. L. Saenko image, citées in P. le Tourneau [dir.],...

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Nullité pour vice de fond et fin de non-recevoir en hospitalisation sous contrainte

Si les procédures judiciaires de soins sans consentement restent assujetties à la procédure civile de droit commun conformément à l’article R. 3211-7 du code de la santé publique, elles n’en demeurent pas moins un laboratoire topique pour observer des distinctions classiques du droit judiciaire privé. Ainsi, nous commentons régulièrement dans ces colonnes les arrêts s’intéressant à la possibilité de soulever des moyens de défense dans l’instance tendant au renouvellement de la mesure devant le juge des libertés et de la détention (Civ. 1re, 19 déc. 2019, n° 19-22.946, Dalloz actualité, 27 janv. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 22 image ; 4 mars 2020, n° 19-14.269, Dalloz actualité, 13 avr. 2020, obs. C. Hélaine ; D. 2020. 605 image ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry image). Pour l’heure, la Cour de cassation avait surtout distingué le domaine des exceptions de procédure et de la défense au fond dans ces contentieux ; distinction extrêmement classique, bien que parfois subtile (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 34e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p.  283, n° 363). La question dépasse évidemment les enjeux théoriques puisque, si les exceptions de procédure s’invoquent in limine litis, les défenses au fond peuvent l’être en tout état de cause. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 mai 2021 prolonge le questionnement en s’intéressant à la possibilité d’invoquer en tout état de cause la nullité pour vice de fond et la fin de non-recevoir.

Les faits sont classiques en la matière : une personne sous curatelle est admise en soins psychiatriques sans consentement à la demande de sa mère par décision du directeur d’un établissement de soins sur le fondement de l’article L. 3212-1 du code de la santé publique. Ce dernier a ensuite saisi le juge des libertés et de la détention (JLD) pour prolonger la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1. Deux problèmes se posent toutefois : le premier concerne l’absence de convocation du curateur à l’audience tandis que le second est un défaut dans la signature de la requête introductive. Un appel de l’ordonnance du JLD statuant en première instance est interjeté. Le premier président de la Cour d’appel de Paris déclare irrecevable le moyen titré de l’absence de convocation du curateur de l’intéressé à l’audience du JLD car ledit moyen n’aurait pas été invoqué in limine litis. Est également déclaré irrecevable en appel le moyen tiré du défaut de qualité du signataire dans la requête introductive. Là encore, l’ordonnance retient qu’il fallait l’invoquer in limine litis. L’article 74 du code de procédure civile était donc au cœur de l’argumentation de cette ordonnance du premier président pour ordonner la poursuite de la mesure d’hospitalisation sous contrainte.

La personne sous curatelle se pourvoit en cassation. Mais c’est par deux moyens relevés d’office que la cassation intervient pour violation de la loi : le premier pour la convocation du curateur, le second pour la qualité du signataire dans la requête. Analysons-les l’un après l’autre pour comprendre les enjeux de ce problème de pure procédure civile. À titre de précision, la cassation intervient sans renvoi puisque les délais pour statuer sur la mesure ont expiré entre temps. 

L’absence de convocation du curateur, une nullité pour vice de fond

L’entrecroisement entre l’hospitalisation sans consentement et le droit des majeurs vulnérables est assez régulier. Les dispositions du code de la santé publique dans cette optique sont ainsi fréquemment l’occasion d’une cassation pour violation de la loi et l’arrêt du 12 mai 2021 n’échappe pas à cette tendance. La Cour de cassation rappelle donc que « l’omission de convocation du curateur constitue une nullité pour irrégularité de fond, qui peut être soulevée en tout état de cause, y compris pour la première fois en appel ». Cette irrégularité de fond se distingue ainsi d’une nullité pour vice de forme de l’article 74 du code de procédure civile cité dans l’ordonnance entreprise. Comme le disent certains auteurs « ce n’est pas l’instrumentum qui est affecté, mais la qualité de la manifestation de volonté émise par le plaideur ou par son représentant » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Montchrestien », 2019, p. 189, n° 220). En ne convoquant pas le curateur, c’est toute la procédure de renouvellement de la mesure qui est donc menacée par ce vice de fond.

La cassation s’adosse logiquement à l’article R. 3211-13 du code de la santé publique qui prévoit que le greffier doit convoquer « la personne qui fait l’objet de soins psychiatriques par l’intermédiaire du chef d’établissement lorsqu’elle y est hospitalisée, son avocat dès sa désignation et, s’il y a lieu, son tuteur, son curateur ou ses représentants légaux » (nous soulignons). Ainsi, le raisonnement fondé sur le caractère in limine litis de l’exception de procédure (une exception de nullité pour vice de forme en l’occurrence) était condamné puisque la curatelle rendait nécessaire la convocation du curateur. Il ne pouvait donc pas s’agir d’un vice de forme mais seulement d’un vice de fond. L’entrecroisement entre les matières apporte donc une utile précision qui pourra être réutilisée dans d’autres contentieux à l’avenir. 

L’article 118 du code de procédure civile indique, en effet, que les exceptions de nullité fondées sur une irrégularité de fond de l’acte de procédure peuvent être invoquées en tout état de cause ; ce qui constitue une des « véritables dérogations » de l’article 74 du code de procédure civile (Rép. pr. civ., v° Défenses, exceptions, fins de non-recevoir, par I. Pétel-Teyssié, n° 82). Cette dérogation fait d’ailleurs ressembler la nullité pour vice de fond à une irrecevabilité plus qu’à la nullité pour vice de forme (L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, coll. « Manuels », 2020, p. 407, n° 439). La personne qui tarderait dans un esprit dilatoire à soulever l’exception de procédure pour nullité de fond s’exposerait à des dommages-intérêts comme le rappelle régulièrement la doctrine.

Prudence donc en présence d’une curatelle : l’absence de convocation du curateur peut conduire à une exception de procédure désarçonnant toute l’hospitalisation sans consentement engagée, et ce en tout état de cause.

Le défaut de qualité du signataire de la requête comme fin de non-recevoir

Cette fois-ci, c’est sur le terrain de la fin de non-recevoir que s’axe la Cour de cassation pour retenir une cassation pour violation de la loi. On sait que ces dernières peuvent être invoquées en tout état de cause par le jeu de l’article 123 du code de procédure civile. Les articles L. 3211-12-1, I, R. 3211-7 et R. 3211-10 du code de la santé publique imposent en la matière que la requête qui saisit le juge des libertés et de la détention soit signée du directeur d’établissement ou du représentant de l’État dans le département (la plupart du temps, le préfet). La signature posait, en l’espèce, problème pour cette raison sans plus de précisions dans l’arrêt commenté. La solution donnée est limpide : le défaut de qualité du signataire de la requête est de nature à engendrer une fin de non-recevoir invocable en tout état de cause.

La difficulté reposait donc sur la distinction entre exception de procédure et fin de non-recevoir pour ce défaut de qualité du signataire. L’arrêt permet ainsi d’ajouter sa contribution dans l’effort de comparaison entre ces mécanismes du droit judiciaire privé. L’article 122 du code de procédure civile donne une brillante définition, héritée d’Henri Motulsky, de la fin de non-recevoir par le jeu de son effet majeur, l’irrecevabilité (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Montchrestien », 2019, p. 129, n° 149) La fin de non-recevoir touche, en effet, à la recevabilité de la demande tandis que l’exception de procédure puise son intérêt dans l’irrégularité de cette procédure (J.-Cl. Pr. civ., v° Fins de non-recevoir, par N. Lesourd, actualisé par H. Croze, n° 3). Ainsi, si la première peut être invoquée en tout état de cause, la seconde doit rester cantonnée in limine litis sauf exceptions ponctuelles. La confusion entre l’une et l’autre est donc aisée. La précision reste, par conséquent, très utile : le défaut de la qualité du signataire dans la requête introductive doit pouvoir entraîner l’irrecevabilité de la demande. Cette prétention peut être invoquée en tant que fin de non-recevoir en tout état de cause de l’instance de renouvellement.

Voici qui prouve à nouveau la subtilité des mesures de soins sous contrainte. Procédures ultra-spécialisées d’apparence, mais assujetties à une procédure civile très classique, elles permettent d’observer des distinctions essentielles de la matière. On sait que l’hospitalisation sans consentement connaît en ce moment un certain frémissement avec la publication du décret sur les nouvelles mesures d’isolement et de contention (décr. n° 2021-537, 30 avr. 2021, JO 2 mai, Dalloz actualité, 11 mai 2021, obs. C. Hélaine) lui-même consécutif à l’article 84 de la loi du 14 décembre 2020 (L. n° 2020-1576, 14 déc. 2020, de financement de la sécurité sociale pour 2021, Dalloz actualité, 12 janv. 2021, obs. C. Hélaine). Ce frémissement s’accompagne d’ailleurs de la très attendue décision QPC sur la question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel (Civ. 1re, QPC, 1er avr. 2021, n° 21-40.001, Dalloz actualité, 15 avr. 2021, obs. C. Hélaine) et dont la solution devrait intervenir d’ici quelques semaines sur la constitutionnalité de ces nouveaux textes. 

Territorialité de la postulation : nouvel avis de la Cour de cassation en matière d’expropriation

Les réformes de procédure ne vont pas sans leur lot d’incertitudes. Il en est ainsi de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui a, notamment, étendu les règles de la représentation obligatoire par avocat (Dalloz actualité, 19 déc. 2019, obs. A. Bolze). Dans le prolongement de cette loi, l’article 11 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a modifié les articles R. 311-9, R. 311-12, R. 311-20 et R. 411-3 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique pour permettre l’extension de la représentation obligatoire dans les procédures qui sont expressément soumises à la procédure d’indemnisation décrite aux articles R. 311-9 et suivants du code de l’expropriation. L’article R. 311-9 de ce code dispose que « […] les parties sont tenues de constituer avocat. L’État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics peuvent se faire assister ou représenter par un fonctionnaire ou un agent de leur administration ».

Dès lors, comment appliquer cette réforme au regard des règles régissant la territorialité de la postulation ? La réponse n’est pas évidente, que l’avis du 6 mai 2021 apporte en plusieurs temps.

La formation pour avis de la deuxième chambre civile a été saisie d’une demande d’avis, émanant de la juridiction de l’expropriation des Hauts-de-Seine, ainsi formulée : « Les règles relatives à la territorialité de la postulation prévue aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 s’appliquent-elles à l’État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics ou aux propriétaires expropriés ou préemptés, ou à l’ensemble de ces parties, dans les instances introduites devant les tribunaux judiciaires et les cours d’appel en matière judiciaire d’expropriation consécutivement à la mise en place de la procédure avec représentation obligatoire ? »

Pour trancher cette question, la haute juridiction a dû répondre à deux autres interrogations, celles de savoir :

si la juridiction de l’expropriation est autonome du tribunal judiciaire

La réponse de la haute juridiction a été sans ambiguïté : « 6. Le code de l’organisation judiciaire distingue du tribunal judiciaire les juridictions d’attribution énumérées à l’article L. 261-1 de ce code. Les dispositions de ce texte renvoient au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique lequel, dans son article L. 211-1, institue le juge de l’expropriation. 7. Il en résulte que le juge de l’expropriation est une juridiction d‘attribution distincte du tribunal judiciaire […] ».

ce qu’il en est devant la cour d’appel

« 8. Les appels contre les décisions du juge de l’expropriation sont formés devant la cour d’appel en application de l’article L. 211-3 du code de l’expropriation pour cause d‘utilité publique […]. »

Préalable : notion de postulation et de territorialité de celle-ci

La demande d’avis évoque la notion de postulation. Il n’est pas inutile de revenir sur celle-ci qui est loin d’être évidente, même si elle n’est pas nouvelle. Curieusement, la loi n’en donne pas de définition. Il faut donc se référer à la doctrine. Selon le doyen Cornu, la postulation est « la mission consistant à accomplir au nom d’un plaideur les actes de la procédure qui incombent, du seul fait qu’elle est constituée, à la personne investie d’un mandat de représentation en justice » (G. Cornu, Vocabulaire juridique, v° Postulation). On peut également faire appel aux bâtonniers H. Ader et A. Damien pour qui « La postulation pour autrui est la représentation appliquée à des hypothèses limitées où la partie ne peut légalement être admise elle-même à faire valoir ses droits et où la loi prévoit que cette représentation obligatoire sera confiée à une personne qualifiée (avocat, [ancien avoué] à la Cour). Le législateur […] n’a pas voulu laisser les plaideurs choisir entre la possibilité de se présenter eux-mêmes en justice ou celle de confier leur représentation à un auxiliaire de justice. C’est ce mode particulier de représentation qu’on désigne sous le vocable de postulation » (H. Ader et A. Damien, Règles de la profession d’avocat 2016/2017, 15e éd., Dalloz action, 2016, n° 622.91).

Or la règle qui joue lorsque la représentation est obligatoire est celle de la territorialité de la postulation : seul un avocat du barreau de la cour d’appel peut représenter un plaideur au sein de cette cour, seul il peut postuler.

Cette règle est énoncée dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 relative à l’exercice de la profession d’avocat, plus précisément, par son article 5 qui dispose que « les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l’article 4. / Ils peuvent postuler devant l’ensemble des tribunaux judiciaires du ressort de cour d’appel dans lequel ils ont établi leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel. / Par dérogation au deuxième alinéa, les avocats ne peuvent postuler devant un autre tribunal que celui auprès duquel est établie leur résidence professionnelle ni dans le cadre des procédures de saisie immobilière, de partage et de licitation, ni au titre de l’aide juridictionnelle, ni dans des instances dans lesquelles ils ne seraient pas maîtres de l’affaire chargés également d’assurer la plaidoirie ».

Aujourd’hui, ces règles s’appliquent donc devant le tribunal judiciaire et la cour d’appel (v. avis, n° 5), à la suite d’une évolution. La loi « Macron » n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques avait en effet élargi le champ de la postulation à la cour d’appel (auparavant celui-ci était circonscrit au tribunal de grande instance) : depuis le 1er août 2016, sauf exception, les avocats ont pu postuler devant tous les tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel dans lequel ils ont leur résidence professionnelle et devant ladite cour d’appel (H. Ader et A. Damien, op. cit., n° 622.111) ; les Sages ont considéré que ces nouvelles règles n’affectent pas les conditions d’accès au service public de la justice (Cons. const. 5 août 2015, n° 2015-715 DC).

On se souvient que, le 5 mai 2017 (Cass., avis, 5 mai 2017, n° 17-70.005 P, Dalloz actualité, 10 mai 2017, obs. C. Bléry), la Cour de cassation avait rendu un avis sur cette question de la postulation devant les cours d’appel en matière prud’homale. En effet, la loi Macron avait supprimé le monopole des avocats pour la représentation devant la cour d’appel en matière sociale, « un défenseur syndical exer[çant] des fonctions d’assistance ou de représentation devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel en matière prud’homale » (C. trav., art. L. 1453-4, al. 1er) et le décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail avait mis en œuvre la procédure avec représentation obligatoire devant les cours d’appel en matière prud’homale, pour les appels formés à compter du 1er août 2016.

La question s’était alors posée de savoir si la territorialité de la postulation devait désormais jouer devant la cour d’appel statuant en matière prud’homale, puisque la représentation y était devenue obligatoire. La haute juridiction avait estimé que « l’application des dispositions du code de procédure civile relatives à la représentation obligatoire devant la cour d’appel statuant en matière prud’homale n’implique pas la mise en œuvre des règles de la postulation devant les cours d’appel, les parties pouvant être représentées par tout avocat, si elles ne font pas le choix d’un défenseur syndical ». Depuis lors, il a été précisé que la territorialité joue pour les défenseurs syndicaux (périmètre d’une région administrative, C. trav., art. L. 1453-4, al. 3, issu de l’ord. n° 2017-1718, 20 déc. 2017).

Principal : application de la ROA dans la réforme Belloubet

La réforme Belloubet a étendu la représentation obligatoire par avocat (ROA). La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 et surtout le décret du 11 décembre 2019 ont changé les règles (v. Dalloz actualité, 19 déc. 2019, obs. A. Bolze, préc.), notamment en matière d’expropriation, ainsi qu’il a été rappelé ci-dessus.

Sans exhaustivité, rappelons qu’une telle représentation est en principe imposée devant le tribunal judiciaire (C. pr. civ., art. 760) – donc y compris en référé – et en particulier dans les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal sauf pour les matières qui en sont expressément dispensées (avec le décr. n° 2020-1452, 27 nov. 2020), la ROA n’est donc plus systématique pour les matières relevant de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (C. pr. civ., art. 761, al. 2 ; Dalloz actualité, 1er déc. 2020, obs. F.-X. Berger). Ceci sauf dispenses prévues à l’article 761.

Il en est de même devant certaines juridictions autonomes au sein du tribunal judiciaire. Par exemple, devant le juge de l’exécution, la représentation obligatoire est devenue le principe. C’est le cas aussi, on l’a dit, devant le juge de l’expropriation.

Devant la cour d’appel, le domaine des procédures avec représentation obligatoire a été étendu : en particulier, il comprend, désormais, l’expropriation (C. expr., art. R. 311-9, al. 2, in limine).

Or « l’État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration » (C. pr. civ., art. 761, al. 3, devant le TJ ; CPCE, art. R. 121-7, et aussi L. n° 2019-222, art. 5, modifiant L. n° 2007-1787, 20 déc. 2007, art. 2, I, devant le JEX ; C. expr., art. R. 311-9, al. 2, in fine, devant le juge de l’expropriation et art. R. 311-27, devant la cour d’appel en cette matière).

Ces nouvelles dispositions ont conduit à s’interroger sur les conséquences à tirer sur l’application des règles de la territorialité de la postulation.

Un avis de la deuxième chambre civile est venu récemment préciser la règle relative aux personnes de droit public à propos du juge de l’exécution même lorsque la représentation par avocat est obligatoire – ce que les textes n’envisageaient pas (Civ. 2e, 18 févr. 2021, n° 20-70.006 P, Dalloz actualité, 9 mars 2021, obs. F. Kieffer ; AJDA 2021. 426 image ; Gaz. Pal. 27 avr. 2021, p. 58, obs. S. Amrani-Mekki) : dans les instances introduites postérieurement au 1er janvier 2020 devant le juge de l’exécution, l’État, les départements, les régions, les communes et les établissements publics peuvent se faire représenter ou assister par un fonctionnaire ou un agent de leur administration, même lorsque la demande n’est pas relative à l’expulsion ou a pour origine une créance ou tend au paiement d’une somme excédant 10 000 €.

C’est à nouveau à une question de ce type qu’a dû répondre la formation pour avis de la deuxième chambre civile (COJ, art. L. 441-2, al. 1er) le 6 mai 2021. D’une part, pour ladite formation, la dispense édictée par ce texte au profit de l’État, des régions, des départements et de leurs établissements publics ne s’étend pas aux autres parties, dès lors qu’elle tient à la seule qualité de la partie concernée. D’autre part, la réponse apportée est différente pour le juge de l’expropriation et pour la cour d’appel, en raison de l’autonomie du premier au sein du tribunal judiciaire.

En conséquence :

• les règles de la postulation prévues aux articles 5 et 5-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ne s’appliquent pas aux parties devant la juridiction du juge de l’expropriation ;

• en revanche, devant les cours d’appel, ces règles s’appliquent aux parties, y compris « lorsqu’ils choisissent d’être représentés par un avocat, à l’État, aux régions, aux départements, aux communes et à leurs établissements publics ». En conséquence, l’avis rappelé ci-dessus du 5 mai 2017 rendu en matière prud’homale n’est pas transposable en matière d’expropriation.

Mme le professeur Soraya Amrani-Mekki (note préc. sur l’avis du 18 févr.) écrivait que « la référence au tribunal judiciaire dans l’avis conduit dès lors à s’interroger sur l’autonomie de la juridiction en charge de l’exécution ». L’avis du 6 mai, lui, prend soin d’évoquer l’autonomie du juge de l’expropriation « juridiction d’attribution distincte du tribunal judiciaire ». Dès lors, tous les avocats, quel que soit leur lieu d’exercice, peuvent représenter une partie devant le juge de l’expropriation. En revanche, devant la cour d’appel, quand l’État, les régions, les départements, les communes et leurs établissements publics font choix d’être assistés par un avocat, celui-ci ne peut être qu’un avocat qui exerce dans le ressort de la cour d’appel saisie.

L’avis du 6 mai 2021, comme déjà celui du 5 mai 2017, aboutit toutefois à déconnecter la ROA et la territorialité de la postulation.

Suite : quid de la CPVE ?

Même si la question n’était pas posée, on peut s’interroger sur la communication par voie électronique (CPVE) en matière d’expropriation (sur la CPVE, v. C. Bléry, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile. Droits interne et européen, 10e éd., Dalloz Action, 2021/2022, ch. 273).

En première instance, l’article 850 du code de procédure civile, qui impose la remise des actes par RPVA à et par le tribunal judiciaire en procédure écrite ordinaire et à jour fixe (hors requête), ne s’applique pas ; en revanche, la CPVE est facultative (C. pr. civ., art. 748-1, 748-6 et arr. 7 avr. 2009).

En appel, en l’absence de spécificité de la procédure, c’est l’article 930-1 du code de procédure civile qui impose la CPVE. En matière prud’homale, le pouvoir réglementaire a adapté les règles aux faits en créant les articles 930-2 et 3 (le second d’ailleurs oublié dans un premier temps), puisque le défenseur syndical n’a pas accès au RPVA.

Mais quid de l’État et des personnes publiques qui ne se font pas représenter par un avocat ? En matière d’expropriation, l’article R. 311-24, alinéa 2, issu du décret n° 2017-1255 du 8 août 2017, prévoit que « l’appel est interjeté par les parties ou par le commissaire du gouvernement dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement, par déclaration faite ou adressée par lettre recommandée au greffe de la cour. La déclaration d’appel est accompagnée d’une copie de la décision ». Ce texte n’a pas été modifié depuis. Comment faut-il le comprendre ? Est-ce à dire que l’avocat devrait faire appel par RPVA (art. 930-1), mais pas l’État qui ne serait pas représenté par un tel professionnel (art. R. 311-24) ? En revanche, quid si l’État choisit d’être représenté : l’avocat aurait-il la faculté d’utiliser le RPVA ou l’obligation (comme l’avis pourrait le laisser penser) ?…

Autre question, alors que la « voie électronique » n’est plus seulement synonyme de RPVA mais que la plateforme PLEX peut, dans certains cas, être utilisée, est-ce le cas ici ? Autrement dit, l’administration a-t-elle accès à PLEX pour transmettre des actes aux juridictions en matière d’expropriation ?

Pour revenir à l’avis, en l’état actuel des textes, il semble qu’il doive être approuvé. Pour autant, une règle, quelle qu’elle soit, identique dans tous les cas, serait souhaitable. Par ailleurs, les règles dérogatoires que s’offre l’État, quel que soit le domaine, ne nous semblent pas justifiées. Cela conduit à des difficultés qui n’ont sans doute pas été perçues lors de l’adoption des dispenses de ROA.

Au moins l’avis traite-t-il les personnes morales de droit public représentées par un avocat – cas fréquent eu égard à la technicité de la matière de l’expropriation – comme un plaideur « ordinaire »…

Honoraires d’avocats et autorisation du juge des tutelles

On connaît la sévérité de la Cour de cassation dans l’application aux majeurs protégés du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 prévoyant notamment – dans son annexe – la liste des actes de disposition. Cette rigidité est la garantie d’une bonne protection des majeurs les plus fragiles, notamment sous tutelle ou sous curatelle. Or, parmi tous les actes de disposition recensés par ce tableau, c’est le tout dernier qui nous intéresse aujourd’hui, à savoir la « convention d’honoraires proportionnels en tout ou partie à un résultat, indéterminés ou aléatoires ». La limpidité du texte n’empêche pas de manière assez récurrente un contentieux devant les juridictions pour des avocats ayant conclu des conventions avec des tuteurs, ces derniers n’ayant pas demandé l’autorisation du juge des tutelles (v. par ex. Civ. 1re, 23 mai 2019, n° 18-15.788, AJ fam. 2020. 317, obs. V. Montourcy image ; ibid. 292, Pratique V. Montourcy image). L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 6 mai 2021 est dans la droite lignée de ces réflexions. Deux conventions d’honoraires avaient été conclues entre l’avocat et le tuteur du majeur protégé : une première en 2011 visant à récupérer 9 % d’un bien immobilier du majeur dans une instance et une seconde en 2015 relative à une action en paiement des loyers, prévoyant des honoraires de résultat à hauteur de 10 % des sommes perçues ou économisées par la cliente. À la mort du majeur vulnérable, le contentieux se cristallise autour de ces conventions passées sans l’accord du juge des tutelles, les héritiers refusant de payer les honoraires de résultat.

Le premier président de la cour d’appel de Montpellier déclare nulles les conventions litigieuses, puisque non autorisées par le juge des tutelles. L’avocat se pourvoit en cassation en reprochant à l’ordonnance entreprise d’avoir qualifié un tel acte de disposition alors « que la convention d’honoraires de résultat constitue un acte de disposition si et seulement si elle engage le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l’avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire ». La Cour de cassation refuse une telle lecture en rejetant le pourvoi purement et simplement sans ajouter une quelconque condition de contrôle de ces honoraires de résultat.

Une interprétation littérale garante d’une protection du majeur sous tutelle

La solution a pour principal avantage de ne pas commencer à créer des distinctions là où elles ne sont pas prévues par la loi ou par les décrets ; ubi lex non distinguit, nec nos debemus distinguere. Le décret n° 2008-1484 ne parle que des conventions d’honoraires proportionnels aux résultats, indéterminés ou aléatoires. Or le demandeur au pourvoi souhaitait voir – à travers la définition même de l’acte de disposition en général (G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 13e éd., PUF, coll. « Quadrige », v° Acte de disposition) – une recherche qu’il n’y avait pas à entreprendre puisque le décret précise très clairement la nature de l’acte. La Cour de cassation vient ainsi logiquement rejeter le pourvoi en précisant que le premier président n’avait pas « à procéder à un contrôle des conséquences de ces actes sur le patrimoine de la personne protégée ». Le décret pose une présomption irréfragable que cette convention est de nature à provoquer un tel risque.

La solution fait la part belle à l’argumentation littérale qui ne demande pas aux juges du fond de procéder à des vérifications complexes alors que l’acte est prévu expressément dans la catégorie des actes de disposition. L’intérêt d’une telle lecture reste une protection du majeur vulnérable, lequel ne devra pas supporter des honoraires d’avocats qui n’ont pas été avalisés en amont par le juge des tutelles. Le principal danger des honoraires en fonction des résultats reste leur chiffrage parfois très important qui peut signer ne certaine difficulté pour l’individu sous tutelle qui présente par définition une altération physique ou mentale ayant nécessité la mise en place d’une mesure de protection. L’anéantissement rétroactif de l’acte juridique conclu en violation des règles du droit des majeurs vulnérables permet d’assurer l’effectivité de ladite protection.

Bien évidemment, tout ceci impose à la fois de la prudence et une certaine bienveillance des avocats.

Prudence et bienveillance

Les avocats souhaitant obtenir des honoraires en fonction des résultats doivent, en tout état de cause, faire avaliser le principe de cette convention par le juge des tutelles. La simple présence du tuteur ne suffit pas à assurer à l’acte une pleine efficacité juridique conformément aux articles 465, 4°, et 505, alinéa 1er, du code civil qui imposent soit l’autorisation du Conseil de famille soit, à défaut, du juge des tutelles pour les actes de disposition. Inutile de mener des raisonnements sur le danger de l’acte eu égard au patrimoine puisque le décret prévoit purement et simplement de telles conventions dans les actes de disposition. Mieux vaut assurer l’efficacité de l’acte juridique en amont et, en cas de refus du juge des tutelles, basculer sur des honoraires classiques plutôt que de vouloir sauver l’acte imparfait qui ne pourra pas échapper à la nullité dans ce cadre.

Le rapport de mission interministérielle sur l’évolution de la protection juridique de la personne, mené par Anne Caron Déglise avait pointé le caractère indispensable du ministère d’avocat pour ces personnes particulièrement fragiles (spéc. p. 61). C’est dans ce contexte que certains barreaux impulsent des chartes permettant d’encourager des comportements précis pour les avocats intervenant dans ce domaine. Par exemple, l’Antenne des majeurs vulnérables du barreau de Paris a proposé une Charte dédiée à cet effet (AJ fam. 2020. 415, obs. V. Montourcy image) prévoyant à ce titre « dans le cadre d’une instance devant le juge des tutelles et la cour d’appel, seuls sont acceptables des forfaits raisonnables, ou un taux horaire prévoyant un plafond d’heures facturables ».

En somme, les honoraires de résultat restent tout à fait envisageables, mais encore faut-il que le tuteur obtienne l’accord du juge des tutelles avant de pouvoir conclure au nom et pour le compte du majeur de telles conventions. Sinon, la nullité les anéantira purement et simplement. La prudence doit donc conduire à la bienveillance à l’égard de la représentation des majeurs protégés en la matière.

La surprenante application du règlement Bruxelles I [I]bis[/I] à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre

Le présent jugement du tribunal judiciaire de Paris n’est autre que le prolongement de l’affaire Volkswagen (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin image) qui avait enrichi l’« interminable » débat relatif, en matière d’arbitrage, au devoir de révélation de l’arbitre et la fameuse « obligation de curiosité » (E. Loquin, obs. ss Civ. 1re, 15 juin 2017, n° 16-17.108, Dalloz actualité, 4 juill. 2017, obs. X. Delpech ; RTD com. 2017. 842 image) qui incombe, quant à elle, aux parties.

Concernant les faits, rappelons brièvement qu’en l’espèce, deux sociétés, l’une de droit émirati (Audi Volkswagen Middle East Fze [AVME]), l’autre de droit qatari (Saad Buzwair Automotive Co [SBA]), étaient entrées en relation commerciale pour que la première fournisse à la seconde des véhicules, selon les termes de deux accords conclus en 2007 qui contenaient des clauses compromissoires prévoyant l’organisation d’un arbitrage CCI, avec application du droit allemand au fond du litige. Plus tard, une lettre-avenant avait précisé que ces deux accords étaient conclus pour une durée indéterminée. En 2011, toutefois, AVME décide de ne pas renouveler ces deux conventions au-delà du 30 juin 2012.

En réaction, SBA introduit en février 2013 une procédure arbitrale contre AVME. Une sentence définitive est rendue le 16 mars 2016 et rejette les demandes d’indemnisation de la société SBA pour rupture abusive des relations commerciales et condamne celle-ci à supporter les frais d’arbitrage, ainsi que l’intégralité des frais et honoraires exposés par la société AVME. C’est cette sentence, rendue à Paris, qui a été annulée par le juge français (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, préc.) sur le fondement de l’article 1520, 2°, du code de procédure civile, au motif que l’un des arbitres avait omis de mentionner, lors de sa nomination en qualité de coarbitre puis au cours de la procédure arbitrale, les liens unissant le cabinet d’avocats dont il était associé et le groupe dont fait partie la société AVME. Entre-temps, SBA avait adressé par acte extrajudiciaire, le 30 octobre 2018, une assignation à l’arbitre concerné par le défaut de révélation afin d’obtenir qu’il soit déclaré contractuellement responsable et condamné au paiement des différentes sommes engagées dans le cadre de l’arbitrage annulé. Le présent jugement en est la continuité avec l’orientation du débat, par l’arbitre concerné, sur le terrain de la compétence du juge français qu’il conteste. À l’évidence, l’apport principal de la décision est le surprenant raisonnement du tribunal judiciaire sur l’application du règlement (UE) 1215/2012 du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale dit Bruxelles I bis (ci-après RBI bis), à l’action en responsabilité contre l’arbitre.

En effet, dans une décision inégalement étayée, le tribunal judiciaire de Paris rejette les arguments de la société SBA qui soutenait la compétence du juge français et retient son incompétence pour connaître du présent litige. Elle renvoie en conséquence SBA à se pourvoir devant la juridiction allemande compétente, en vertu du RBI bis, dont elle fait ici application, après avoir déterminé qu’il s’appliquait bien à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Cela invite donc à réfléchir à deux principales questions :

celle de l’applicabilité du RBI bis à une action en responsabilité dirigée contre un arbitre ;
  celle ensuite de la mise en œuvre de ce règlement et le choix du critère permettant l’identification de la juridiction européenne compétente pour connaître d’une telle action.

C’est dès lors l’examen détaillé des arguments soulevés et surtout retenus pour justifier une telle décision qui appellera aujourd’hui notre attention en traitant à la fois de l’applicabilité du RBI bis, mais également de son application à une action en responsabilité d’un arbitre dont le manquement à son devoir de révélation a entraîné l’annulation de la sentence à laquelle il a participé.

L’applicabilité du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre

Sur le terrain de l’applicabilité du RBI bis, le tribunal affirme que « le présent litige a pour objet, une action en responsabilité contractuelle de l’arbitre fondée sur des manquements de [l’arbitre] à ses obligations contractuelles découlant du contrat d’arbitre conclu avec [les parties]. Il s’ensuit que, ne portant pas sur la constitution du tribunal arbitral, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale, il n’entre pas dans le champ de l’exclusion posée par l’article 1, paragraphe 2, sous d), du règlement (UE) n° 1215/2012 et que, dès lors, le choix de la juridiction compétente pour connaître de la présente action doit être déterminé selon les règles énoncées par ce texte ».

Si le résultat ne surprend pas, plusieurs remarques s’imposent néanmoins au regard de la faible motivation du tribunal face à une question qui méritait à n’en point douter des développements plus ambitieux, tant elle chagrine la résolution satisfaisante de la difficile question de l’étendue de l’exclusion de l’arbitrage du RBI bis, mais également celle de la nature de l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre en raison d’un manquement à son devoir de révélation.

Le champ de l’exclusion posée par l’article 1, paragraphe 2, sous d), du RBI bis

Il paraît utile pour bien traiter cette question de revenir sur l’évolution de la relation entre l’arbitrage et le droit européen. Plus spécifiquement, le point qui nous intéresse ici est celui du domaine de l’exclusion de l’arbitrage du champ matériel du règlement Bruxelles I bis (v. not. sur le sujet H. Gaudemet-Tallon et M.-E. Ancel, Compétence et exécution des jugements en Europe, 6e éd., LGDJ, 2018, spéc. nos 48 s. ; S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979 ; A. Nuyts, Exclusion de l’arbitrage, JT 2015. 90 ; G. Matray, L’arbitrage et le droit judiciaire européen : aspects pratiques, JDE 2014. 370). Historiquement, cette exclusion n’est pas récente puisque, dès l’adoption de la convention originaire de 1968 (v. not. Rapport Jenard sur la Convention du 27 sept. 1968, JOCE C 59, 5 mars 1979, p. 1), l’arbitrage était du nombre des matières expressément exclues. Cette exclusion fut ensuite maintenue à l’article 1, 2, d, dans les versions refondues du règlement, celle de 2001 (règlement [CE] n° 44/2001 du Conseil du 22 déc. 2000 ; ci-après RBI) et celle de 2012 (préc.). Toutefois, le domaine de cette exclusion a connu d’importantes variations dont nous rappellerons seulement les plus importantes, en nous appuyant notamment sur les deux affaires citées par le tribunal. Il y a tout d’abord la décision Marc Rich qui avait semblé conférer une portée large à l’exclusion de l’arbitrage (CJCE 25 juill. 1991, aff. C-190/89, Marc Rich, Rev. crit. DIP 1993. 316, note P. Mayer image ; Rev. arb. 1991. 697, note D. Hascher) en précisant notamment que, « pour déterminer si un litige relève du champ d’application de la convention, seul l’objet de ce litige doit être pris en compte ». En conséquence, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) déduit que « l’exclusion s’étend à un litige pendant devant une juridiction étatique qui a pour objet la désignation d’un arbitre, même si ce litige soulève au préalable la question de l’existence ou de la validité d’une convention d’arbitrage ».

Dans la présente décision, les deux parties conviennent que l’objet du litige est bien l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Elles s’affrontent en revanche sur le point de savoir si cette action est véritablement en lien avec l’arbitrage. Pour l’arbitre, l’objet du litige est sans lien direct avec l’arbitrage, tandis que la société SBA défend l’idée que l’action en responsabilité contre l’arbitre est directement liée « à la contestation de la sentence » et a pour « origine la constitution irrégulière du tribunal arbitral ». L’arbitre relève néanmoins un point très intéressant en faisant valoir que l’appréciation du lien de la procédure avec l’arbitrage doit se faire au regard du critère suivant : la procédure concourt-elle ou affecte-t-elle l’arbitrage ? Sur la première partie de la question, il apparaît évident que l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre ne concoure pas à la réalisation de l’arbitrage, en ce sens qu’elle ne lui est point indispensable pour qu’il se réalise. En revanche, l’on peut encore se demander si cette décision n’est pas de nature à affecter l’arbitrage. En réalité, l’action en responsabilité dirigée semble plus affectée par l’arbitrage qu’elle ne l’affecte, si l’on considère qu’elle est avant tout une conséquence indirecte de l’annulation de celui-ci ; indirecte, car l’annulation de la sentence pour un manquement de l’arbitre à son devoir de révélation ne présume pas du traitement au fond de la question de la responsabilité de l’arbitre. L’inverse tendrait à confondre, notamment en matière délictuelle, le manquement de l’arbitre avec la faute qualifiée telle qu’elle est exigée pour engager la responsabilité de l’arbitre (v. not., sur ce point, P. Stoffel-Munck, La responsabilité de l’arbitre, Rev. arb. 2017. 1123 ; v. aussi le rapport du Club des Juristes sur la responsabilité de l’arbitre, juin 2017 ; v., pour un compte rendu, JCP 2017. Act. 951 ; TGI Paris, 22 mai 2017, Blow Pack, n° 14/14717, Rev. arb. 2017. 977, note J.-Y. Garaud et G. de Rancourt). Plus loin, l’arbitre fragilise un peu plus le lien entre l’action en responsabilité contre l’arbitre et l’arbitrage en relevant que cette action est nécessairement intentée a posteriori et non a priori comme cela est le cas pour une difficulté afférente à la constitution du tribunal. Ce critère temporel est assez efficace en ce qu’il marque la dépendance unilatérale de l’action en responsabilité vis-à-vis de l’arbitrage. Dans le cas d’espèce, justement, ce sont bien les conséquences financières découlant de l’annulation de l’arbitrage qui conditionnent l’action en responsabilité, sans que celle-ci rayonne en retour sur l’arbitrage. D’ailleurs, cela aurait pu concerner également les frais supplémentaires engagés en raison d’une récusation tardive, imputable à l’arbitre, sans que cela n’entraîne pour autant l’annulation de la sentence. Dans tous les cas de figure, l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre demeure sans effets sur l’existence et le déroulement de l’arbitrage ou même le contenu de la sentence arbitrale. Malheureusement, le tribunal passe à côté de cette discussion en précisant simplement que l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre ne porte pas sur la « constitution du tribunal, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale », sans expliquer en quoi ladite action y échappe. En définitive, la question n’est pas tant celle de savoir si cette action est liée à l’arbitrage, mais comment elle y est liée. De ce point de vue, le critère des effets que la procédure visée projette sur l’arbitrage offre une grille de lecture intéressante pour trancher la question de son inclusion ou exclusion du champ du RBI bis. Le tribunal n’y a pas été aussi sensible.

Passant outre les points précédemment exposés, le tribunal préfère évoquer, dans le prolongement de l’affaire Marc Rich, une autre décision, également citée dans le jugement, qui a restreint l’étendue de l’éviction de l’arbitrage du domaine du règlement. Il s’agit évidemment de la célèbre affaire West Tankers (CJCE 10 févr. 2009, West Tankers, aff. C-185/07, D. 2009. 981 image, note C. Kessedjian image ; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2959, obs. T. Clay image ; ibid. 2010. 1585, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke image ; Rev. crit. DIP 2009. 373, note H. Muir Watt image ; RTD civ. 2009. 357, obs. P. Théry image ; RTD com. 2009. 482, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image ; ibid. 644, obs. P. Delebecque image ; ibid. 2010. 529, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2009. 407, note S. Bollée) dans laquelle la Cour de justice a retenu qu’une anti-suit injunction rendue par le tribunal d’un État membre, au soutien d’une procédure arbitrale, n’était pas compatible avec le Règlement de Bruxelles (RBI). L’arbitrage rentrait donc à nouveau dans le giron du droit européen. Ici, toutefois, le raisonnement du tribunal est affaibli par l’absence de référence à la très importante décision Gazprom (CJUE 13 mai 2015, Gazprom, aff. C-536/13, concl. M. Wathelet, Dalloz actualité, 28 juin 2015, obs. F. Mélin ; AJDA 2015. 1585, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser image ; D. 2015. 1106 image ; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2588, obs. T. Clay image ; ibid. 2016. 1045, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; RTD civ. 2015. 837, obs. L. Usunier image ; Procédures 2015. Comm. 226, note C. Nourissat) qui a renoué, quelques années plus tard, avec une conception large de l’exclusion de l’arbitrage. Dans cette décision, la Cour de justice qui s’exprime après l’entrée en application du RBI bis, mais sous l’empire du RBI, décide que le règlement Bruxelles I « ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction d’un État membre reconnaisse et exécute, ni à ce qu’elle refuse de reconnaître et d’exécuter, une sentence arbitrale interdisant à une partie de présenter certaines demandes devant une juridiction de cet État membre, dans la mesure où ce règlement ne régit pas la reconnaissance et l’exécution, dans un État membre, d’une sentence arbitrale prononcée par un tribunal arbitral dans un autre État membre ». Ainsi, les États membres restent libres, conformément à leur droit national, interne ou international, de régler le sort d’une anti-suit injunction prononcée par un tribunal arbitral. Si l’arrêt Gazprom sauve la décision West Tankers (arrêt Gazprom, préc., pt 39), en notant que l’origine étatique de l’injonction justifie qu’elle tombe sous l’empire du RBI, une partie de la doctrine a néanmoins relevé, prenant acte du refus de la Cour de justice dans l’arrêt Gazprom de se prononcer à la lumière des précisions introduites dans le considérant 12 du RBI bis, comme l’y invitait pourtant l’avocat général (concl. M. Wathelet, préc., pt 91), que la refonte du règlement met fin à la jurisprudence West Tankers (S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979, spéc. p. 983).

En effet, dans le RBI bis, le considérant 12, rappelé par le tribunal dans son jugement, vient éclairer le sens de l’exclusion de l’arbitrage, telle qu’elle figure à l’article 1er, § 2, d. Si le tribunal rappelle la lettre du considérant 12, il ne semble pas tirer de son contenu toutes les conséquences attendues, ou tout du moins la nuance imposant une démonstration particulièrement convaincante pour en modérer la portée. En définitive, le tribunal fournit une liste, négative, des litiges susceptibles d’intégrer le champ matériel du RBI bis, dès lors qu’ils ne portent « pas sur la constitution du tribunal arbitral, la convention d’arbitrage, ou la sentence arbitrale ». Il prend soin donc d’exclure le contrat d’arbitre de cette catégorie pour justifier l’application du règlement à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. Il semble ici que le tribunal va à l’encontre de la lettre du règlement et de son considérant 12 qui évoque un spectre bien plus large en concevant une liste non exhaustive : « une action ou demande accessoire portant, en particulier, sur la constitution d’un tribunal arbitral, les compétences des arbitres, le déroulement d’une procédure arbitrale ou tout autre aspect de cette procédure ni à une action ou une décision concernant l’annulation, la révision, la reconnaissance ou l’exécution d’une sentence arbitrale, ou l’appel formé contre celle-ci ».

Pour les mêmes raisons, le raisonnement du tribunal apparaît friable, dès lors qu’il n’expose pas le ou les critères retenus pour justifier l’inclusion de l’action en responsabilité. Tout au plus, le tribunal s’en tient simplement à l’idée générale selon laquelle l’exclusion de l’arbitrage du champ matériel du RBI bis est nécessairement restrictive puisqu’une décision, certes célèbre, et néanmoins prise en application de la précédente version du règlement, le laisse à penser. Au surplus, le tribunal valide implicitement la thèse de l’arbitre sur le caractère limitatif de la liste fixée par le considérant numéro 12, en proposant une liste plus restrictive encore, à nouveau sans justification.

C’est d’autant plus regrettable que les arguments substantiels ne manquaient pas. Le tribunal aurait ainsi pu relever que si le considérant 12 ne prévoit pas une liste exhaustive, il constitue également la preuve que, par la présence d’une liste illustrative, toutes les actions périphériques à un arbitrage n’ont pas vocation à intégrer le domaine de l’exclusion. Par suite, il eut été certainement plus simple et convaincant de déterminer la raison d’être de la liste non exhaustive du considérant 12 en identifiant de potentiels critères de rattachement au domaine de l’exclusion.

Il faut néanmoins relever, à la décharge du tribunal, que le présent problème n’a jamais été directement traité, ni par les cours nationales ni par la Cour de justice, mais surtout que la question de l’étendue de l’exclusion de l’arbitrage est loin d’avoir été clarifiée par le considérant 12 et continue donc de soulever de multiples interrogations (v. not. RTD eur. 2013. 435, spéc. n° 51, obs. H. Gaudemet-Talon et C. Kessedjian image ; S. Bollée, L’arbitrage et le nouveau règlement Bruxelles I, Rev. arb. 2013. 979 ; Rev. crit. DIP 2013. 1, A. Nuyts image ; D. 2013. 1014, obs. L. d’Avout image), amenant même certains commentateurs à regretter que l’on n’ait pas précisé une règle matérielle de compétence « propre à centraliser le contentieux au siège de l’arbitrage » (M. Laazouzi, Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale. Champ d’application, J.-Cl. dr. internat., fasc. 584-120, n° 58 ; S. Bollée, « Les questions liées à l’appréciation et aux effets des conventions d’arbitrage », in P. Mayer [dir.], Arbitrage et droit de l’Union européenne, LexisNexis, 2012, p. 15, spéc. nos 9 s.). Le recours à une règle matérielle unique semble d’autant plus justifié que l’identification d’un ou plusieurs critères clairs fait ici défaut au jugement du tribunal, mais aussi à l’analyse proposée. Car il transparaît de la jurisprudence des cours une incompatibilité patente avec des critères simples tels que celui de la temporalité du litige vis-à-vis de l’arbitrage ou de l’influence du litige sur la réalisation de l’arbitrage, c’est-à-dire des effets qu’il est susceptible de produire sur la procédure arbitrale. Il suffit pour s’en convaincre de songer à nouveau à l’inclusion des demandes formées devant le juge d’un État membre aux fins d’obtention d’une mesure provisoire ou conservatoire (CJCE 17 nov. 1998, aff. C-391/95, Van Uden, D. 2000. 378 image, note G. Cuniberti image ; Rev. crit. DIP 1999. 340, note J. Normand image ; ibid. 669, étude A. Marmisse et M. Wilderspin image ; ibid. 2021. 157, note G. Cuniberti image ; RTD civ. 1999. 177, obs. J. Normand image ; RTD com. 2000. 340, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 1999. 143, note H. Gaudemet-Tallon), sauf à considérer que ces procédures devraient impérativement intégrer le domaine d’exclusion de l’arbitrage. Il n’en demeure pas moins que cette distribution présente le très grand défaut d’entretenir une confusion et l’avertissement formulé par l’avocat général Darmon sous la décision Marc Rich (M. Darmon, concl., 19 févr. 1991, Rec. CJCE 1991. I. 3865, pt 77) n’en raisonne que plus fort : « en appliquant la convention de Bruxelles aux litiges en matière d’arbitrage, le risque est grand de conduire à des solutions sans doute harmonisées, mais totalement inadéquates aux besoins propres de l’arbitrage international ».

Au fond, sur la question de l’applicabilité du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre, plus que le résultat, c’est la faiblesse de l’argumentation du tribunal qui laisse perplexe. En amenant les décisions du passé au présent, celui-ci ne favorise pas la compréhension de la démonstration. Il paraissait pourtant naturel que l’écart procédural entre l’arbitrage et l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre suffît pour partie à justifier que l’action soit traitée séparément, selon les règles de droit commun, auxquelles appartiennent sans doute, en matière internationale, celles du droit européen. En revanche, la question de la nature de l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre impose un travail approfondi des cours et, là-dessus, le jugement du tribunal judiciaire de Paris ne rassure pas le lecteur.

La nature de l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre pour manquement à son devoir de révélation

Dans le présent jugement, la question de la nature de l’action engagée à l’encontre de l’arbitre ne semble pas poser de problème particulier et le tribunal énonce d’ailleurs que le litige « a pour objet une action en responsabilité contractuelle de l’arbitre fondée sur des manquements [de l’arbitre] à ses obligations contractuelles découlant du contrat d’arbitre conclu avec [les parties] ». Au surplus, la question n’est pas non plus débattue entre les parties qui se prononcent elles aussi sur le terrain contractuel.

Ce choix paraît d’autant plus justifié que la jurisprudence précise également depuis l’affaire Raoul Duval (TGI Paris, 12 mai 1993 et Paris, 12 oct. 1995, Raoul Duval, Rev. arb. 1999. 324, note P. Fouchard) que « la faute consistant en un défaut de révélation pouvait engager la responsabilité de l’arbitre, fondée sur sa “faute contractuelle”, selon les règles de droit de la responsabilité civile contractuelle » (v. le rapport du Club des Juristes sur la responsabilité de l’arbitre, juin 2017, préc. spéc. p. 32). Classiquement rattaché aux obligations d’indépendance et d’impartialité, le manquement au devoir de révélation est donc sanctionné selon le droit commun de la responsabilité (T. Clay, L’arbitre, Dalloz, 2001, n° 932 ; v. aussi, P. Fouchard, note ss Paris, 12 oct. 1995, Rev. arb. 1999. 327).

Pourtant, il est permis de penser que la question aurait mérité, du fait qu’elle conditionne à la fois l’applicabilité et l’application du RBI bis, de plus amples développements de la part du tribunal, en écartant tout doute eu égard à l’obligation que l’article 12 du code de procédure civile lui fait de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ».

En effet, passée l’apparente simplicité, la question de la nature contractuelle ou délictuelle de l’action en responsabilité dirigée contre les arbitres n’a pas livré tous ses secrets et continue d’animer la jurisprudence comme en témoignent de récentes affaires (v. not. Paris, 2 avr. 2019, n° 16/00136, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 302, obs. E. Loquin image ; v. aussi, sur l’engagement de la responsabilité de l’arbitre pour violation du contradictoire, Paris, 21 mai 2019, n° 17/12238, Dalloz actualité, 17 juill. 2019, obs. L. Jandard ; ibid. 7 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2020. 802, obs. L. Jandard ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image), mais aussi la richesse des écrits doctrinaux sur le sujet (v. not. P. Stoffel-Munck, La responsabilité de l’arbitre, art. préc. ; v. aussi J.-Y. Garaud et G. de Rancourt, note ss TGI Paris, 22 mai 2017, préc. ; M. Mekki, Le double jeu de l’arbitre et la mise en jeu de sa responsabilité, Gaz. Pal. 17 avr. 2014, n° 107).

Il faut admettre que l’identification d’un critère clair de distinction entre les deux types de responsabilités est loin d’être simple. Si tous les commentateurs s’accordent pour dire que le manquement de l’arbitre à son obligation de révélation, qui se rapporte à son devoir d’indépendance et d’impartialité, lui-même rattaché à l’exigence de loyauté évoquée par l’article 1464 du code de procédure civile, est susceptible d’engager sa responsabilité civile, la question de la nature de cette action interroge beaucoup plus la logique. Plus précisément, la difficulté refait surface lorsqu’est posée la question des critères permettant de distinguer selon que la responsabilité de l’arbitre est de nature délictuelle ou contractuelle. Pour certains auteurs, la réponse se trouve dans la célèbre affaire Azran du 15 janvier 2014. Dans cette décision, la première chambre civile de la Cour de cassation précise que « la critique […] tendant à remettre directement en cause le contenu des sentences rendues, et partant l’exercice de la fonction juridictionnelle des arbitres, c’est à bon droit que la cour d’appel […] a écarté leur responsabilité en l’absence de preuve de faits propres à caractériser une faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice » (Civ. 1re, 15 janv. 2014, Azran, n° 11-17.196, Bull. civ. I, n° 1, préc., note 1 ; Dalloz actualité, 23 janv. 2014, obs. X. Delpech ; D. 2014. 219, obs. X. Delpech image ; ibid. 2541, obs. T. Clay image ; AJCA 2014. 35, obs. M. de Fontmichel image ; RTD com. 2014. 315, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2016. 493, note J.-S. Borghetti ; Cah. arb. 2014, n° 2, p. 299, note L. Aynès ; Gaz. Pal. 17 avr. 2014, n° 107, note M. Mekki ; ibid., 27-28 juin 2014, p. 18, obs. D. Bensaude). Ainsi, la distinction entre la responsabilité de l’arbitre de nature contractuelle et celle de nature délictuelle repose sur le point de savoir si la demande a trait à l’exercice de la fonction juridictionnelle ou non, c’est-à-dire si celle-ci est susceptible de remettre directement en cause le contenu des sentences rendues (P. Stoffel-Munck, art. préc.). Si l’objet du grief remet directement en cause un motif ou une conclusion de la sentence, alors l’action est nécessairement de nature délictuelle et suppose l’établissement d’une faute spécifique – « une faute personnelle équipollente au dol ou constitutive d’une fraude, d’une faute lourde ou d’un déni de justice » – pour évincer la quasi-immunité dont jouissent les arbitres dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle. En revanche, lorsque l’objet du grief n’est pas de nature à influer sur le contenu des décisions des arbitres, alors il faut revenir au droit commun de la responsabilité sur le terrain contractuel, c’est-à-dire à l’examen des manquements aux obligations découlant du contrat d’arbitre qui lie l’arbitre aux parties (v. not. Paris, 12 oct. 1995, Rev. arb. 1999. 324, note P. Fouchard ; TGI Paris, 12 mai 1993, Rev. arb. 1996. 411 [2e esp.], et obs. P. Fouchard, p. 360).

La démonstration semble convaincante et rappelle implicitement que la fonction juridictionnelle elle-même « découle en principe du contrat d’arbitre, même [si elle] […] n’y est pas réductible » (J.-S. Borghetti, note préc., spéc. n° 9). C’est pourtant là que le bât blesse. En effet, d’autres auteurs notent qu’il est naturel d’orienter sur le terrain de la responsabilité délictuelle la sanction des manquements les plus graves dans l’exercice de la fonction juridictionnelle, tels que la violation des obligations d’indépendance, d’impartialité et de loyauté (v. not. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, 2019., spéc. n° 799 ; M. Henry, L’obligation de loyauté des arbitres envers les conseils, Cah. arb. 2014, n° 3, p. 525, spéc. n° 4). Or, comme exposé précédemment, il n’est pas discuté que le devoir de révélation se rattache précisément aux exigences d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre, si bien qu’il se trouve plus intimement lié à la fonction juridictionnelle qu’au contrat d’arbitre lui-même. C’est si vrai qu’il serait tout à inconcevable de lier cette exigence fondamentale du procès arbitral à la validité du contrat d’arbitre, dès lors que les exigences d’indépendance et d’impartialité sont « de l’essence de [la] fonction juridictionnelle exclusive par nature de tout lien de dépendance à l’égard notamment des parties, et de tout préjugé » (Paris, 28 nov. 2002, Rev. arb. 2003, p. 445, note C. Belloc ; v. aussi Civ. 1re, 16 mars 1999, Bull. civ. I, n° 88).

À l’évidence, notre propos vise ici à anticiper les potentielles divergences entre les cours nationales et européenne sur la qualification de l’obligation de révélation (v. not. sur le choix d’une interprétation autonome de la « matière contractuelle », CJCE 22 mars 1983, Martin Peters, aff. C-34/82, Rec. CJCE p. 987, pt 9 ; v. aussi CJCE 8 mars 1988, Arcado, aff. C-9/87, Rec. CJCE p. 1539) en essayant de déterminer l’origine de celle-ci puisqu’elle constitue le cœur de la responsabilité envisagée. Dès lors, si l’on considère que la distinction entre la nature contractuelle et délictuelle tient à ce que l’action en responsabilité contre l’arbitre ayant manqué à son devoir de révélation n’affecte pas le contenu de l’arbitrage, alors il paraît tout à fait logique de l’exclure du domaine de la fonction juridictionnelle. En ce sens, l’obligation faite à l’arbitre de révéler tous les faits de nature à créer un doute raisonnable quant à son impartialité ou son indépendance trouve potentiellement sa source dans le contrat d’arbitre lui-même. Il ne serait d’ailleurs pas surprenant que le droit européen adhère à cette qualification, constatant simplement l’existence d’un « engagement librement assumé » (CJCE 17 juin 1992, Jacob Handte, aff. C-26/91, Rec. CJCE p. 3967 ; D. 1993. 214 image, obs. J. Kullmann image ; Rev. crit. DIP 1992. 726, note H. Gaudemet-Tallon image ; RTD civ. 1993. 131, obs. P. Jourdain image ; RTD eur. 1992. 709, note P. de Vareilles-Sommières image) entre l’arbitre et les parties. À l’inverse, si l’on prend pour point d’appui de la démonstration celui de savoir si la nullité du contrat d’arbitre entraîne l’effacement de l’obligation de révélation qui incombe aux arbitres, alors la réponse paraît beaucoup moins évidente et semble faire glisser l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre en raison du manquement à son devoir de révélation sur le terrain délictuel. Et pour cause, en l’espèce, l’obligation est susceptible de trouver son origine non pas dans le contrat d’arbitre, mais dans la loi applicable à la procédure et plus spécifiquement dans l’article 1464 du code de procédure civile français qui fait notamment peser sur les arbitres, en matière interne comme en matière internationale, un devoir de loyauté à l’égard des parties.

L’importance de la distinction est de taille pour l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre tant elle influence à la fois le traitement au fond de l’affaire et également l’identification de la juridiction compétente pour en connaître. En effet, les critères de rattachement ne sont pas équivalents selon que l’on considère une action de nature contractuelle ou délictuelle, en droit national comme en droit européen. Au-delà, l’engagement de la responsabilité de l’arbitre est plus difficile à rapporter sur le terrain délictuel que contractuel, puisqu’une faute qualifiée est exigée pour le premier cas de figure. Plus loin, la question de la validité des clauses d’exonération se pose et renforce la nécessité d’une discussion sur le sujet.

La question et celles qui en découlent resteront néanmoins suspendues puisqu’en l’espèce le tribunal s’est laissé convaincre par les parties que l’action était nécessairement de nature contractuelle et la solution était sans doute opportune (en matière délictuelle, les critères semblent particulièrement mal indiqués pour identifier, dans le cadre d’une action en responsabilité contre un arbitre, le lieu « où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » - règl., art. 7, § 2) en prévision de l’application qu’il lui restait désormais à faire du RBI bis.

L’application du RBI bis à l’action en responsabilité dirigée contre un arbitre

Après avoir déterminé que le RBI bis trouvait bien à s’appliquer à l’action en responsabilité contre un arbitre, le tribunal en fait application en s’appuyant là encore sur les arguments soulevés par l’arbitre en opérant une démonstration en deux temps. En premier, il rejette le critère du siège de l’arbitrage, considérant qu’il n’a dans l’acte de mission qu’un « caractère fictif ». En second, le tribunal s’applique à déterminer quel lieu correspond en l’espèce à celui où « les services ont été ou auraient dû être fournis » et tranche en faveur de l’Allemagne.

Là encore, plusieurs critiques peuvent être formulées, et ce d’autant plus que le résultat ainsi que les motivations qui y mènent interpellent. En conséquence et pour bien analyser le jugement du tribunal sur ce point, il est utile de distinguer les deux étapes de son raisonnement qui rejette tout d’abord le siège de l’arbitrage comme critère pertinent de rattachement à la juridiction européenne compétente puis indique que le lieu effectif de la prestation intellectuelle de l’arbitre, déterminé à partir d’un faisceau d’indices, constitue, en application de l’article 7, paragraphe 1, sous b), deuxième tiret du RBI bis, le critère le plus adéquat pour désigner les juridictions compétentes.

Le rejet du siège de l’arbitrage comme critère de rattachement à la juridiction européenne compétente en vertu du RBI bis

C’est sans doute l’apport le plus intéressant de la décision du tribunal judiciaire de Paris. En refusant d’appliquer le critère du siège, la juridiction parisienne exprime une évidente réserve à l’égard de l’arbitrage, refusant de reconnaître audit siège une valeur autre que celle d’une simple fiction juridique insusceptible de produire des effets sur les questions de compétences se rapportant à l’action en responsabilité contre un arbitre.

Avant toutefois d’en venir à la mise à l’écart du siège, il faut commencer par relever que le tribunal semble rester relativement indifférent à la discussion se rapportant à la qualification du siège de l’arbitrage en clause attributive de juridiction au sens de l’article 25 du RBI bis. Plus simplement, le tribunal aimante l’application du RBI bis sur l’unique terrain de l’article 7, paragraphe 1, sous b), à la recherche du « lieu de la fourniture principale des services » localisé soit conventionnellement par les parties, soit en considération du second tiret, sous le b) de l’article 7, paragraphe 1, qui évoque « le lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ». Or, pour le tribunal, la localisation conventionnelle ne peut correspondre au siège de l’arbitrage dès lors qu’il n’a qu’un « caractère fictif » et qu’il existe en outre d’autres lieux désignés dans le contrat d’arbitre et susceptibles de convenir. Il déduit une équivocité autour de la désignation du siège comme for compétent pour connaître de l’action en responsabilité à l’encontre de l’arbitre.

Il y a derrière cette solution un paradoxe intéressant à relever. En effet, le raisonnement pourrait convaincre qu’il y a là l’expression d’une certaine hostilité à l’égard de l’arbitrage, considérant d’ailleurs à raison que la première partie du raisonnement du tribunal donne quelques indices de son rattachement à une approche dite « localisatrice », justifiant que l’arbitrage soit soumis par exemple à l’application des normes européennes, mais ce serait oublier bien vite que même les tenants des thèses les plus « délocalisatrices » de l’arbitrage estiment que l’action en responsabilité échappe à la sphère arbitrale (T. Clay, « À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », in S. Bostanji [dir.],Le juge et l’arbitrage, F. Horchani et S. Manciaux, Pedone, 2014, p. 45 : « [si le siège] sert pour la détermination de la loi applicable [lorsque les parties n’ont rien prévu dans le contrat d’arbitre], il ne sert pas pour celle de la juridiction compétente qui sera, par application des règles classiques du droit des conflits de juridictions, celle du lieu du domicile du défendeur, ou d’un co-défendeur en cas de tribunal arbitral plural »). Ainsi, toutes les thèses semblent se rencontrer sur la question, convenant de la faiblesse des effets produits par le siège de l’arbitrage (la jurisprudence française va même jusqu’à valider des clauses attributives de la juridiction compétente en cas de recours en annulation, quel que soit le lieu du siège du tribunal arbitral, réduisant ainsi à peau de chagrin le rôle du lieu de l’arbitrage dans la détermination des recours contre la sentence ; v. not. Paris, 17 juin 2004, D. 2006. Pan. 3026, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2006, p. 161, note T. Azzi).

Pourtant, la réconciliation n’est pas totale pour au moins deux raisons. La première renvoie à l’idée que c’est précisément à l’égard des contrats périphériques à l’arbitrage que le siège conserve le plus d’effets puisque « l’un des derniers intérêts juridiques de l’implantation du siège du tribunal arbitral est qu’il permet de localiser la relation juridique nouée entre l’arbitre et les parties, entre les parties et le centre d’arbitrage, et entre l’arbitre et le centre d’arbitrage. On sait en effet qu’il existe, en plus de la convention d’arbitrage, trois contrats qui unissent les différents protagonistes de l’instance arbitrale : le contrat d’arbitre entre les parties et l’arbitre, le contrat d’organisation de l’arbitrage entre les parties et le centre, et le contrat de collaboration arbitrale entre le centre et l’arbitre » (v. T. Clay, À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », art. préc. ; L’arbitre, préf. de P. Fouchard. Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèse », 2001, spéc. nos 587 s.). Ainsi, le siège de l’arbitrage n’est pas une coquille vide et conserve a minima une vitalité pour les contrats « péri-arbitraux » aux fins de régler, notamment, les quelques conflits de lois qui demeurent.

La seconde tient à ce que les conceptions autonomistes de l’arbitrage ne rejoignent pas l’orientation prise par le tribunal qui accorde une valeur juridique équivalente au lieu du siège de l’arbitrage et à celui des audiences. Sur ce point, et malgré le vacillement de plus en plus prononcé de la notion de siège dans l’arbitrage (v. not. sur la désuétude du critère du siège, J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, nos 657 s., préf. T. Clay), il demeure évident que le siège se distingue du lieu de tenue des audiences et le supplante juridiquement (A. Panchaud, Le siège de l’arbitrage international de droit privé, Rev. arb. 1966. 2, spéc. p. 8 ; v. aussi, sur la distinction, T. Clay, « À quoi sert le siège du tribunal arbitral international ? », art. préc. ; G. Kaufmann-kohler, Le lieu de l’arbitrage à l’aune de la mondialisation. Réflexions à propos de deux formes récentes d’arbitrage, Rev. arb. 1998. 517, spéc. p. 532 s.). En conséquence, le lieu du siège a nécessairement, du point de vue strictement juridique, un poids supérieur au lieu des audiences et constitue un critère de rattachement valable. D’ailleurs, il est très intéressant de relever que la Commission européenne elle-même avait réfléchi à faire du siège le critère privilégié de désignation du for compétent pour tous les litiges liés à une procédure arbitrale (v. not. art. 29 (4) de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale du 14 déc. 2010, COM(2010) 748 final 2010/0383).

Toutefois, malgré la valeur juridique évidente du critère du siège, le tribunal a choisi d’écarter toute localisation conventionnelle pour se mettre à la recherche d’autres lieux, plus effectifs et rendant selon lui meilleur compte de la réalité des prestations accomplies par l’arbitre en vertu du contrat d’arbitre. Malheureusement, si l’entreprise visant à identifier le lieu qui correspond géographiquement le mieux à l’endroit où l’arbitre a concrètement effectué ses missions est louable, elle présente des dangers évidents qu’il est nécessaire d’évoquer maintenant.

Le choix du lieu effectif de la prestation intellectuelle de l’arbitre

En relevant que la localisation conventionnelle faisait défaut en l’espèce, laissant à entendre au contraire qu’une équivalence du lieu des audiences et du siège de l’arbitrage aurait permis de désigner de manière non équivoque un for compétent, le tribunal s’est mis quête d’un autre critère de rattachement. Pour ce faire, il considère le second tiret de l’article 7, paragraphe 1, sous b), qui indique que le « lieu d’exécution de l’obligation servant de base à la demande » s’entend, dans un contrat de service, du « lieu d’un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ». Pour le tribunal, ce lieu correspond, en considération de « la genèse, les objectifs et le système du règlement », au « lieu dans lequel le défendeur a effectivement réalisé, de manière prépondérante, sa prestation intellectuelle d’arbitre ». La démonstration paraît très convaincante, et ce d’autant plus que le cas d’espèce offre sur un plateau une série de faits plaçant en Allemagne le centre de gravité de l’ensemble des prestations accomplies par l’arbitre. Le tribunal considère notamment le lieu de tenue des réunions, des audiences ou encore le lieu des délibérations… tous désignent l’Allemagne ! En opportunité, il semblait donc parfaitement logique d’entraîner la désignation du for compétent vers le pays ayant eu, sur le plan géographique au moins, la très grande faveur des membres du tribunal arbitral, et plus encore de l’arbitre visé par l’action en responsabilité, puisque celui-ci y a même établi sa résidence pendant les deux ans de la procédure.

Pourtant, la solution présente d’importantes limites en cas de généralisation de la règle de désignation du for compétent, pour connaître d’une action en responsabilité dirigée contre un arbitre ayant manqué à son devoir de révélation, à des hypothèses où les trois lieux précités, d’audience, de réunion et de délibération, sont totalement distincts. À l’inverse, le même constat incline à faire du siège de l’arbitrage le critère privilégié de désignation des juridictions étatiques compétentes, dès lors qu’il est le seul permettant d’unifier le critère de rattachement, sans égard pour la nature de l’action, et d’offrir à l’arbitre un moyen de mieux anticiper, postérieurement à l’annulation de l’arbitrage en raison d’un manquement à l’une des obligations qui lui incombaient, la juridiction susceptible de le condamner à une réparation.

En pratique, cependant, la plus sage des recommandations pour les arbitres serait certainement de devancer plus en amont encore ces difficultés en veillant désormais à négocier dans leur contrat d’arbitre une clause attributive de juridiction en cas d’engagement de leur responsabilité, et ce quel qu’en soit le motif : un manquement au devoir de révélation, au principe du contradictoire, etc. Il pourrait ainsi mieux anticiper dès le départ l’éventualité d’une action dirigée contre eux en bout de procédure arbitrale.

Pour le reste, on ne peut s’empêcher de se demander, au vu des nombreuses difficultés soulevées par la présente affaire, si le tribunal n’aurait pas mieux fait de poser ici une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne…

[PODCAST/VIDEO] L’action oblique : entre droits des baux et de la copropriété

L’action oblique permet au créancier d’exercer les droits de son débiteur, lorsqu’il ne les exerce pas lui-même. Appliquée en matière de copropriété, cette action permet au syndicat des copropriétaires, dans certaines hypothèses, d’obtenir la résiliation du bail liant un copropriétaire à son locataire. C’est une des applications notables de ce mécanisme de droit commun qui permet notamment de faire définitivement cesser des atteintes au règlement de copropriété.

Avec Pierre-Édouard Lagraulet, avocat au cabinet Lagraulet Avocat, et Pierre de Plater, juriste au cabinet PDPavocat, tous deux docteurs en droit.

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Le gouvernement enterre la juridiction nationale des injonctions de payer

Chaque année, les tribunaux traitent 400 000 injonctions de payer. Un contentieux massif, qui permet d’obtenir rapidement et à moindre coût le recouvrement d’une créance impayée.

La loi Belloubet, votée en 2019, prévoyait la création d’une juridiction nationale des injonctions de payer (JUNIP), pour dématérialiser et centraliser ce contentieux. Elle devait entrer initialement en vigueur au 1er janvier 2021 (Dalloz actualité, 29 mars 2018, obs. C. Bléry), mais avait déjà été reportée au 1er septembre 2021. L’article 35 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire prévoyait un nouveau report à 2023. Aujourd’hui le gouvernement juge...

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Affaire [I]Karine J…[/I] : l’État condamné pour faute lourde

Dès sa naissance, Karine J… a été victime de carences éducatives, de maltraitance, d’agressions sexuelles et de viols. Malgré de très nombreux signalements aux autorités, les viols ont perduré de nombreuses années, commis notamment par un ami de la famille vivant à leur domicile, déjà condamné pour des actes pédocriminels et par ailleurs accusé par sa propre fille. Le récit du calvaire de Karine J… a été fait par son avocat qui, lors de l’audience du 17 février 2021 (v. Dalloz actualité, 19 févr. 2021, art. J. Mucchielli), a demandé la condamnation de l’État pour déni de justice et faute lourde. En première instance, les juges avaient rejeté la faute lourde de l’État, constaté l’absence de demande d’indemnisation de l’oncle et de la tante de la jeune fille, déclaré les constitutions de partie civile de deux associations irrecevables. La décision s’était bornée à reconnaître un déni de justice et avait accordé la somme de 12 000 € à Karine J… à ce titre.

Par arrêt du 18 mai 2021, la cour d’appel a infirmé ce jugement du 17 février 2018. La constitution des deux associations a été déclarée recevable, ainsi que les demandes de l’oncle et de la tante de Karine J…. En effet, c’est sur le fondement d’une grossière erreur de plume que le tribunal avait considéré qu’aucune demande n’avait été formée au nom des époux J…. « S’agissant d’une pure erreur matérielle sur laquelle le tribunal aurait pu et dû solliciter les observations des parties pour la rectifier, tant elle est évidente et indiscutable, il y a lieu pour la cour, opérant cette rectification, de constater que les demandes indemnitaires formées devant le tribunal au nom de “M. et Mme René J…” étaient bien celles des époux Loïc J…. Elles ne peuvent donc être sérieusement qualifiées de “demandes nouvelles” ainsi que le prétend l’agent judiciaire de l’État. »

La question suivante portait sur la prescription de la faute lourde. Les juges de première instance avaient retenu comme point de départ de la prescription quadriennale l’année 2011, lorsqu’ils furent convoqués en tant que partie civile par le juge instruisant l’affaire de viols dans laquelle Karine J… était la victime, et les époux J… les représentants légaux, l’action étant donc prescrite après le 31 décembre 2015. Les appelants ont souligné que l’ensemble des dossiers d’assistance éducative n’avaient été joints au dossier qu’en 2013, et que ce n’est qu’à partir de ce moment qu’ils avaient pu prendre connaissance des faits qui ont été à la source du dommage, que le délai ne courait qu’à partir du 1er janvier 2014, et qu’ainsi, l’action engagée le 26 décembre 2016 n’était pas couverte par la prescription, qui n’était acquise qu’après le 31 décembre 2016. C’est le raisonnement qu’ont adopté les juges de la cour d’appel : « Ce n’est donc qu’à la date où les éléments collectés sur cette période 2002-2006 ont ainsi été joints au dossier, soit en novembre 2013, que les appelants ont eu connaissance des exactes modalités selon lesquelles avait été gérée la situation, dont les ratés sont la source de leur action », et retiennent le 1er janvier 2014 comme point de départ du délai de prescription.

La cour s’est ensuite penchée sur la question centrale faute lourde. Le parquet et l’agent judiciaire de l’État ont toujours estimé que les services de l’État ont réagi de manière adéquate à chaque signalement. Concernant l’un de ces signalements, une dénonciation anonyme informant d’abus sexuels et d’un comportement anormalement sexué de l’enfant, la cour d’appel considère : « Force est de constater qu’alors, aucune investigation complémentaire n’a été menée auprès de l’établissement scolaire fréquenté par l’enfant ou du voisinage de la famille, qu’aucun examen psychologique ni gynécologique de l’enfant n’a été envisagé, ni apparemment aucune vérification auprès des services sociaux, pour contrôler la réalité de la situation, le parquet s’accommodant, pour classer sans autre précaution ni réserve, d’une enquête exclusivement fondée sur les propos d’une enfant de six ans et de ses parents visés par la dénonciation : au regard de la nature des faits dénoncés, et quoi qu’il en soit de l’anonymat du dénonciateur [la tante de Karine J…, ndlr], cette réaction n’apparaît ni clairvoyante ni adaptée. »

Lors d’un signalement ultérieur, dit la cour, « une nouvelle fois, les enquêteurs s’en sont essentiellement tenus aux dénégations de Karine, âgée de huit ans et entendue par une brigadière de police, sans apparemment suspecter qu’elle puisse avoir subi des pressions de la part de ses parents, et à celles des époux J…, appuyées à nouveau d’un certificat médical rassurant sur l’état de l’enfant. […] Si l’agent judiciaire de l’État ne voit aucune faute dans cette seconde décision de classement, […] la cour y trouve pour sa part la démonstration de la superficialité de l’enquête ».

La cour considère in fine que « la succession des insuffisances ci-dessus analysées, dans le travail d’enquête et dans la communication interservices, et le manque de clairvoyance qui a gouverné l’appréciation de la situation et les prises de décisions constituent des fautes lourdes engageant la responsabilité de l’État vis-à-vis de Karine J… et de ses oncle et tante, victimes par ricochet ».

Sur le déni de justice : « La cour, en confirmation de la décision du tribunal sur ce point, retient donc le principe d’un déni de justice en raison de délais de procédure qu’elle considère toutefois excessifs à hauteur non pas de dix mois, mais de vingt-six mois. »

En conséquence, la cour a condamné l’État à verser la somme totale de 40 000 € au titre de la faute lourde et 15 000 € au titre du déni de justice, à Karine J…. À ses oncle et tante, 10 000 € et 6 000 € aux mêmes titres.

 

Sur le procès de l’agent judiciaire de l’État, Dalloz actualité a également publié :

Karine J…, enfant violée malgré des signalements, demande réparation à l’État pour « faute lourde », par Julien Mucchielli le 19 février 2021

L’insaisissabilité des biens des banques centrales

Depuis plusieurs années déjà, les difficultés auxquelles est confrontée la société Commissions Import Export (Commisimpex) pour mettre à exécution deux sentences arbitrales condamnant l’État du Congo à lui verser près d’un milliard d’euros alimentent les chroniques judiciaires. Il faut dire que la Commisimpex bénéficie d’un atout dans son jeu qui lui donne quelques raisons d’espérer recouvrir son dû : un acte du 3 mars 1993 au terme duquel la République du Congo a renoncé définitivement et irrévocablement à toute immunité de juridiction et d’exécution. Certes, cet acte n’a pas permis à la société de saisir des biens utilisés ou destinés à être utilisés dans l’exercice des fonctions de la mission diplomatique de l’État congolais car la renonciation y étant contenue ne revêt pas un caractère « spécial » (Civ. 2e, 10 janv. 2018, n° 16-22.494 P, Dalloz actualité, 24 janv. 2018, obs. G. Payan ; D. 2018. 541 image, note B. Haftel image ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; Rev. prat. rec. 2020. 29, chron. F. Rocheteau image ; Rev. crit. DIP 2018. 315, note D. Alland image ; RTD civ. 2018. 353, obs. L. Usunier et P. Deumier image ; ibid. 474, obs. P. Théry image). Mais la société pouvait légitimement espérer utiliser cette renonciation pour saisir d’autres biens.

C’est ainsi qu’elle a fait pratiquer deux saisies-attributions entre les mains du contrôleur budgétaire et comptable ministériel du ministère de l’Économie et des Finances, sur les comptes ouverts au nom de la Banque des États de l’Afrique centrale. En sa qualité de tiers saisi, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel du ministère de l’Économie et des Finances devait déclarer l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur (C. pr. civ., art. L. 211-3 et R. 211-4) et, en cas de déclaration inexacte ou mensongère, s’exposait à être condamné au paiement de dommages-intérêts (C. pr. civ., art. R. 211-5). Il a déclaré qu’il ne pouvait individualiser dans ses comptes aucune somme appartenant à la République du Congo et que les comptes dont il était fait mention dans le procès-verbal de saisie-attribution lui étaient inconnus. Ces déclarations n’ont pas convaincu la société Commisimpex qui a assigné l’agent judiciaire du Trésor, en qualité de tiers saisi, afin de le voir condamner au paiement de dommages-intérêts.

Pour échapper au paiement de ces dommages-intérêts, l’agent judiciaire du Trésor s’est abrité derrière l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution qui prévoit que « ne peuvent être saisis les biens de toute nature […] que les banques centrales ou les autorités monétaires étrangères détiennent ou gèrent pour leur compte ou celui de l’État ou des États étrangers dont elles relèvent », sauf à ce que le juge de l’exécution autorise une telle saisie sur les biens qui font partie d’un patrimoine que la banque centrale ou l’autorité monétaire étrangère affecte à une activité principale relevant du droit privé. La cour d’appel a fait droit à cette argumentation et la société Commisimpex a formé un pourvoi en cassation. Son pourvoi s’est essentiellement organisé autour de sa carte maîtresse : cet acte de 1993 dans lequel l’État du Congo avait renoncé à toute immunité d’exécution. La société a notamment fait valoir que la cour d’appel aurait dû rechercher si l’État du Congo n’avait pas renoncé à son immunité d’exécution, que l’article L. 153-1 du code monétaire et financier, qui ne prévoit aucune faculté de renonciation du débiteur, est contraire aux articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et à l’article 1er, alinéa 1, de son protocole additionnel n° 1 et qu’en tout état de cause, le tiers saisi ne pouvait se prévaloir de l’immunité.

Le pourvoi invitait ainsi la Cour de cassation à répondre à plusieurs questions.

La conventionnalité des dispositions de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier

Les dispositions de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier sont-elles conformes à celles de l’article 6, § 1, de la Convention européenne et de l’article 1er de son protocole additionnel n° 1 ? Telle est la question centrale posée à la Cour de cassation. Et elle n’est pas tout à fait nouvelle. Dans un précédent arrêt, la Cour de cassation avait pu juger que ces dispositions ne méconnaissent pas les exigences du droit à un procès équitable car elles « s’inscrivent dans les principes posés en matière d’immunité d’exécution par le droit international coutumier, tel que reflété par la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 sur l’immunité juridictionnelle des États et de leurs biens » (Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-10.661 NP, D. 2018. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image). Dans l’arrêt commenté, la conclusion ne diffère pas et la conventionnalité de l’article L. 153-1 n’est pas remise en cause. Mais l’argumentation est tout autre ! Nulle trace de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 ou de la nécessité de respecter le droit international coutumier : la Cour de cassation juge en effet que l’insaisissabilité de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier est « instituée, en raison de la nature des biens concernés, afin de garantir le fonctionnement de ces banques et autorités monétaires, indépendamment de l’immunité d’exécution reconnue aux États étrangers ». En insistant sur la nature des biens concernés et leur fonction, la haute juridiction indique, en filigrane, que l’article L. 153-1 n’instaure pas une immunité d’exécution (même indépendante de l’immunité dont bénéficient les États), mais une « simple » insaisissabilité (sur cette distinction, v. L. Lauvergnat, L’insaisissabilité, thèse, Nanterre, 2020, ss la dir. de S. Amrani-Mekki, nos 45 s.). Ce changement de perspective, qui a des conséquences (v. infra), ne suffit naturellement pas pour conclure à la conventionnalité des dispositions de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier. Parce que l’insaisissabilité qui découle de ce texte constitue une ingérence dans l’exercice du droit à l’exécution et du droit de propriété du créancier, sa conformité aux dispositions de la Convention de sauvegarde suppose qu’elle poursuive un but légitime et qu’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (v. par ex. CEDH 21 nov. 2001, req. n° 37112/97, Fogarty c. Royaume-Uni, § 33). La Cour de cassation juge que tel est bien le cas. Pour dire que l’atteinte est légitime, elle souligne qu’elle « vise à préserver le fonctionnement d’institutions qui concourent à la définition et à la mise en œuvre de la politique monétaire et à prévenir un blocage des réserves de change placées en France ». Et, pour admettre qu’elle est proportionnée, elle ne se fonde pas sur le second alinéa de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier, qui offre au créancier la possibilité de solliciter du juge de l’exécution de pratiquer une saisie s’il établit que les biens font partie d’un patrimoine affecté par la banque centrale ou l’autorité monétaire étrangère à une activité principale relevant du droit privé (Civ. 1re, 11 janv. 2018, n° 16-10.661, préc.), mais sur le simple constat que l’insaisissabilité prévue par ce texte « ne s’applique qu’aux valeurs ou biens détenus en France ». Les créanciers sont invités à frapper aux portes des autres États !

La Cour de cassation n’appréhende ainsi plus l’article L. 153-1 du code monétaire et financier comme le prolongement d’une immunité d’exécution reconnue au profit des États par le droit international coutumier. Cela n’est guère surprenant. Car, si la Cour européenne des droits de l’homme a admis que certaines dispositions de la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 reflètent le droit international coutumier (CEDH, gr. ch., 29 juin 2011, req. n° 34869/05, Sabeh El Leil c. France, § 49 s., Dalloz actualité, 1er sept. 2011, obs. C. Demunck ; D. 2011. 1831, et les obs. image ; ibid. 2434, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; 23 mars 2010, req. n° 15869/02, Cudak c. Littuanie, § 57 s., AJDA 2010. 2362, chron. J.-F. Flauss image ; RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre image), c’est essentiellement pour souligner que le respect de ce droit peut légitimer les restrictions du droit au juge découlant d’immunités d’exécution protégeant les États (CEDH 23 mars 2010, req. n° 15869/02, préc., § 60). Or l’article L. 153-1 du code monétaire et financier, en ce qu’il n’envisage aucune renonciation à l’immunité d’exécution, ne se borne pas à refléter la Convention des Nations unies du 2 décembre 2004 (art. 19 et 21) : il porte plus profondément atteinte au droit au juge, ce qui, sous cet aspect, fait douter de sa conventionnalité (en ce sens R. Bismuth, Débat autour de la conventionnalité de l’immunité spéciale des biens des banques centrales étrangères en France, note ss Versailles, 16e ch., 1er oct. 2015, n° 14/05200, JCP 2016. 442). Cela explique le radical revirement argumentatif opéré par la Cour de cassation. Mais en opérant de la sorte, la Cour de cassation fait un saut dans l’inconnu. Car la Cour européenne des droits de l’homme n’a jamais jugé que la préservation d’institutions qui concourent à la politique monétaire constitue un motif légitime de porter atteinte au droit au juge. Surtout, énoncer que le droit d’accès au juge n’est pas méconnu car l’insaisissabilité prévue par ce texte « ne s’applique qu’aux valeurs ou biens détenus en France » paraît critiquable.

Une fois résolu ce problème central, la Cour de cassation en tire les conséquences.

L’inefficacité de la renonciation de l’État du Congo à son immunité d’exécution

La Cour de cassation juge que la cour d’appel n’avait pas à rechercher si l’État du Congo n’avait pas renoncé à son immunité d’exécution. D’une part, l’insaisissabilité issue de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier étant indépendante de l’immunité reconnue aux États, l’État du Congo ne pouvait y avoir renoncé dans son acte de 1993 au terme duquel il renonçait à se prévaloir de toute immunité d’exécution. D’autre part, l’article L. 153-1 du code monétaire ne prévoit aucune faculté de renonciation, de sorte qu’il importe peu que la Convention des Nations unies (qui n’est d’ailleurs pas entrée en vigueur) l’envisage.

La possibilité pour le tiers saisi de se prévaloir de l’insaisissabilité

La haute juridiction juge que le tiers saisi pouvait se prévaloir de l’insaisissabilité découlant de l’article L. 153-1 du code monétaire et financier. Assurément, une autre conclusion s’imposerait si l’insaisissabilité issue de l’article L. 153-1 découlait de l’immunité d’exécution protégeant les États : une telle immunité constitue en effet un moyen de défense personnel au débiteur dont le tiers saisi ne doit pas pouvoir se prévaloir (J.-P. Mattout, « La saisie des avoirs de banques centrales étrangères et le tiers saisi », in H. de Vauplane et J.-J. Daigre [dir.], Droit bancaire et financier. Mélanges AEDBF-France V ; Rev. Banque 2008. 305, spéc. nos 13 s.), ce qu’a d’ailleurs admis la Cour de cassation (Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 11-13.323, Bull. civ. I, n° 64 ; Dalloz actualité, 16 avr. 2013, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2013. 1728 image, note D. Martel image ; ibid. 1574, obs. A. Leborgne image ; ibid. 2293, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; RTD civ. 2013. 437, obs. R. Perrot image ; ibid. 2014. 319, obs. L. Usunier image ; v. égal., à propos d’une immunité de juridiction, Civ. 1re, 30 juin 1993, n° 91-21.267, Bull. civ. I, n° 234). Mais parce que le texte instaure une simple insaisissabilité, la Cour de cassation croit pouvoir en déduire que le tiers saisi peut s’en prévaloir. S’il est vrai que le tiers saisi a « un intérêt à se prévaloir des causes d’inefficacité de la saisie » (Cass., avis, 21 juin 1999, n° 09-90.008, Bull. avis. n° 5 ; D. 1999. 206 image ; JCP 1999. II. 10160, note H. Croze et T. Moussa), il n’est pourtant pas certain qu’il puisse se prévaloir d’insaisissabilités (H. Croze et T. Moussa, art. préc., n° 8 ; v. égal. Civ. 1re, 24 févr. 1993, n° 91-15.032, Bull. civ. I, n° 89 ; D. 1993. 279 image, obs. P. Julien image). En rejetant le moyen de ce chef, la Cour de cassation laisse ainsi entendre que le tiers saisi peut se prévaloir des insaisissabilités qui affectent les biens qui font l’objet de la mesure d’exécution pour échapper à toute sanction, ce qui serait un apport considérable…

Précisions sur l’assurance automobile obligatoire au sein de l’Union européenne

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient de rendre, coup sur coup, deux arrêts interprétant l’article 3 de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (JO 2009, L 263, p. 11), concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs.

Dans un premier arrêt, rendu le 29 avril 2021 (aff. C-383/19), la CJUE a précisé que l’article 3, alinéa 1, de la directive « doit être interprété en ce sens que la conclusion d’un contrat d’assurance de la responsabilité civile relative à la circulation d’un véhicule automoteur est obligatoire lorsque le véhicule concerné est immatriculé dans un État membre, dès lors que ce véhicule n’a pas été régulièrement retiré de la circulation conformément à la réglementation nationale applicable ». La Cour de Luxembourg avait déjà jugé, trois ans auparavant, qu’un véhicule apte à circuler et non retiré officiellement de la circulation doit néanmoins être couvert par une assurance responsabilité civile automobile même si son propriétaire, qui n’a plus l’intention de le conduire, a choisi de le stationner sur un terrain privé (R. Bigot, La couverture obligatoire d’un véhicule stationné sur un terrain privé, sous CJUE 4 sept. 2018, aff. C-80/17, Dalloz actualité, 18 sept. 2018 ; D. 2018. 1693 image ; RTD eur. 2019. 149, obs. L. Grard image).

Dans un autre arrêt du 20 mai 2021, la demande de décision préjudicielle était présentée dans le cadre d’un litige opposant le propriétaire d’un véhicule à l’assureur du conducteur responsable au sujet d’une demande de remboursement des frais de stationnement en Lettonie et de remorquage vers la Pologne d’un véhicule et d’une semi-remorque endommagés à la suite d’un accident de la circulation survenu en Lettonie (aff. C-707/19).

Précisément, le 30 octobre 2014, un accident de la circulation est survenu dans une ville de Lettonie, au cours duquel un véhicule et sa semi-remorque, immatriculés en Pologne, ont été endommagés. Le véhicule et la semi-remorque ont, en raison des dommages subis, été évacués vers un parking aux fins de stationnement puis remorqués vers la Pologne. Les frais de stationnement en Lettonie se sont élevés à environ 1 292 € et les frais de remorquage vers la Pologne à environ 7 054 €.

À la suite d’une demande de remboursement introduite par le propriétaire du véhicule, la compagnie d’assurances garantissant la responsabilité civile de l’auteur de l’accident, lui a versé une indemnité d’environ 964 € au titre des frais de remorquage en Lettonie. En revanche, l’assureur a refusé de verser toute indemnité au titre des frais de stationnement en Lettonie et de remorquage en dehors du territoire letton. Le 23 janvier 2017, le propriétaire a saisi le tribunal d’arrondissement de Łódź (Pologne) d’un recours aux fins de voir condamner l’assureur à lui payer, avec intérêts de retard, la somme totale d’environ 6 124 € au titre des frais de remorquage en dehors du territoire letton et la somme d’environ 1 292 € au titre des frais de stationnement en Lettonie.

Dans ces circonstances, le tribunal d’arrondissement de Łódź a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour deux questions préjudicielles. En premier lieu, l’article 3 de la directive [2009/103] doit-il être interprété en ce sens que, dans le cadre de « toutes les mesures appropriées », chaque État membre doit veiller à ce que l’assurance de responsabilité civile concernant les accidents de la circulation couvre l’intégralité des dommages, y compris les conséquences du sinistre tenant aux besoins de remorquer le véhicule de la victime vers le pays d’origine de celle-ci et les frais liés à la nécessité de stationner les véhicules ? En second lieu, en cas de réponse affirmative à cette question, la législation des États membres peut-elle limiter, d’une quelconque manière, cette garantie ?

Avant de répondre à ces questions, la CJUE a rappelé le droit de l’Union. Les considérants 2 et 20 de la directive 2009/103/CE énoncent que « l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (l’assurance automobile) revêt une importance particulière pour les citoyens européens, qu’ils soient preneurs d’assurance ou victimes d’un accident. Elle présente aussi une importance majeure pour les entreprises d’assurances, puisqu’elle représente une grande partie des contrats d’assurance non-vie conclus dans [l’Union européenne]. L’assurance automobile a, par ailleurs, une incidence sur la libre circulation des personnes et des véhicules. Le renforcement et la consolidation du marché intérieur de l’assurance automobile devraient donc représenter un objectif fondamental de l’action [de l’Union] dans le domaine des services financiers. […] Il y a lieu de garantir aux victimes d’accidents de la circulation automobile un traitement comparable, quels que soient les endroits de [l’Union] où les accidents se sont produits ».

En outre, l’article 3 de cette directive, intitulé « Obligation d’assurance des véhicules », dispose que « Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées, sous réserve de l’application de l’article 5, pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance. Les dommages couverts ainsi que les modalités de cette assurance sont déterminés dans le cadre des mesures visées au premier alinéa. Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées pour que le contrat d’assurance couvre également : a) les dommages causés sur le territoire des autres États membres selon les législations en vigueur dans ces États ; […] L’assurance visée au premier alinéa couvre obligatoirement les dommages matériels et les dommages corporels ».

La CJUE a, tout d’abord, jugé que cet article 3 doit être interprété en ce sens qu’il « s’oppose à une disposition d’un État membre en vertu de laquelle l’assurance obligatoire de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs ne couvre à titre obligatoire les dommages constitués par les frais de remorquage du véhicule endommagé que dans la mesure où ce remorquage a lieu sur le territoire de cet État membre. Cette constatation est sans préjudice du droit dudit État membre de limiter, sans recourir à des critères tenant à son territoire, le remboursement des frais de remorquage ».

La CJUE a, ensuite, décidé que cet article 3 « ne s’oppose pas à une disposition d’un État membre selon laquelle cette assurance ne couvre à titre obligatoire les dommages constitués par les frais de stationnement du véhicule endommagé que si le stationnement était nécessaire dans le cadre d’une enquête dans une procédure pénale ou pour toute autre raison, à la condition que cette limitation de couverture s’applique sans différence de traitement en fonction de l’État membre de résidence du propriétaire ou du détenteur du véhicule endommagé » (aff. C-707/19).

La décision s’inscrit dans la continuité de la politique législative et jurisprudentielle de l’Union tendant à assurer la protection accrue des victimes d’accidents causés par les véhicules automoteurs (v. en ce sens, CJUE 4 sept. 2018, Juliana, aff. C-80/17, EU:C:2018:661, pt 47, préc.), l’assurance de la responsabilité civile automobile facilitant « la libre circulation des personnes et des véhicules ». La Cour veille à garantir un traitement comparable des victimes des accidents causés par ces véhicules, quels que soient les endroits de l’Union où les accidents se sont produits (CJUE 23 oct. 2012, Marques Almeida, aff. C-300/10, EU:C:2012:656, pt 26 ; 20 juin 2019, Línea Directa Aseguradora, aff. C-100/18, EU:C:2019:517, pt 33, D. 2019. 1336 image ; RTD eur. 2020. 404, obs. L. Grard image), ce que rappelle la décision du 20 mai 2021 une nouvelle fois.

L’étendue de l’obligation d’assurance en droit interne français, prévue à l’article L. 211-4 du code des assurances et imposant à l’assureur d’accorder les règles de couverture les plus favorables, ne devrait pas contrarier ce mouvement (v. A. Cayol, L’assurance automobile, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 374), malgré l’échec de l’harmonisation européenne du droit du contrat d’assurance automobile (P. Pailler, Manuel de droit européen des assurances, Bruylant, 2019, n° 130). À ce titre, en contrepartie du paiement d’une prime unique, l’assureur doit prendre en charge le risque de l’indemnisation des victimes d’un éventuel accident impliquant un véhicule, et ce quel que soit l’Etat membre sur le territoire duquel ce véhicule est utilisé et où cet accident se produit (CJUE 26 mars 2015, aff. C-556/13, RCA 2015. Étude 8, obs. N. Ciron). En outre, « le responsable de l’accident va bénéficier de la garantie la plus étendue, soit celle du lieu de l’accident, soit celle figurant dans le contrat d’assurance qu’il a souscrit » (Lamy Assurances 2020, n° 2846 ; sur les règles de circulation internationale, nos 3072 s.). La doctrine souligne cependant que « la jurisprudence accorde une importance excessive à cette disposition. En effet, cette dernière a été prévue pour que les victimes bénéficient de la meilleure des garanties, celle du lieu de survenance de l’accident ou celle bénéficiant au responsable par le contrat qu’il a souscrit. Or, la jurisprudence considère également que l’on doit apprécier les conditions de garanties au regard de la législation étrangère » (ibid.).

En définitive, la CJUE tente de maintenir un subtil équilibre, acceptant que le champ de l’obligation d’assurance automobile soit limité à condition qu’il n’en résulte aucune discrimination. 

Défaut d’objet illicite et pratique de l’épilation par lumière pulsée

On sait que la motivation dite « enrichie » des arrêts de la Cour de cassation accompagne les revirements de jurisprudence (Rép. civ., v° Jurisprudence, par P. Deumier, n° 75). Le contexte des arrêts rendus le 19 mai 2021 par la première chambre civile est celui d’une véritable fresque jurisprudentielle, laquelle repose sur plusieurs revirements en droit administratif, en droit civil et en droit pénal prenant comme point de départ un sujet original, l’épilation définitive par lumière pulsée. Rappelons-en brièvement le contexte, comme l’a d’ailleurs fait de manière très pédagogue la Cour de cassation dans les arrêts commentés. La pratique de l’épilation est, en tout état de cause, normalement réservée aux médecins depuis 1962 (art. 2, 5°, de l’arr. du 6 janv. 1962 fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins) sauf pour l’épilation à la pince et à la cire. Mais de nouveaux modes d’épilation définitive sont apparus à la fin du XXe siècle, notamment l’épilation laser et par lumière pulsée. Ce dernier mode consiste à ce que la lumière dirigée sur un poil brûle sa zone de croissance et empêche sa repousse. On comprend donc que le geste n’est pas forcément anodin et les médecins dermatologues ont alors défendu l’idée qu’il s’agissait d’un véritable acte nécessitant des connaissances aiguës de santé qu’ils étaient les seuls à posséder. Voici donc le point de départ de toute cette question puisque l’article L. 4161-1 du code de la santé publique implique que toute personne pratiquant l’un des actes professionnels prévus par l’arrêté susmentionné sans être titulaire du diplôme exerce illégalement la médecine.

Dans ce cadre, la Cour de cassation a pu déduire que la pratique de l’épilation au laser et à la lumière pulsée était un cas d’exercice illégal de la médecine (Crim. 8 janv. 2008, n° 07-81.193, Lebon image ; AJDA 2020. 713 image ; 13 sept. 2016, n° 15-85.046, D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire image ; RSC 2016. 760, obs. Y. Mayaud image ; ibid. 2017. 353, obs. P. Mistretta image). Tout ceci n’était pas une difficulté tant que le Conseil d’État admettait que ces actes d’épilation étaient réservés aux médecins (CE 28 mars 2013, M. C…, req. n° 348089, Lebon image). Toutefois, le Conseil d’État a ensuite annulé la décision de refus implicite du ministre des Solidarités et de la Santé d’abroger les dispositions de l’article 2, 5°, de l’arrêté précédemment cité réservant aux médecins la possibilité d’épiler au laser et à la lumière pulsée (CE 8 nov. 2019, M. Z… et SELARL Docteur Dominique Debray, req. n° 424954, Lebon image ; AJDA 2020. 713 image). La Cour de cassation a alors pu retenir que les personnes pratiquant de telles épilations sans être médecins ne pouvaient pas être condamnées pour exercice illégal de la médecine (Crim. 31 mars 2020, n° 19-85.121, Dalloz actualité, 14 mai 2020, obs. A. Roques ; D. 2020. 881 image ; RSC 2020. 387, obs. P. Mistretta image). Sur le plan pénal, tout était réglé par cet important revirement de jurisprudence accueilli de manière bienveillante par la doctrine. Mais sur le plan civil, subsistait une question : pouvait-on toujours annuler les contrats ayant pour objet de telles épilations pour objet illicite ? L’interrogation pouvait subsister même si la négative semblait l’emporter.

C’est dans ce contexte que les deux arrêts commentés interviennent, lesquels ont le même point de départ. Une personne souhaitait ouvrir un institut d’esthétique pour pratiquer notamment des épilations. Elle a ainsi conclu un contrat de franchise avec la société D…, laquelle proposait des méthodes d’épilation par lumière pulsée. Le droit d’entrée s’élevait à 28 400 € dans la première espèce, 52 800 € dans la seconde. Coup de théâtre : le franchisé décide d’attaquer le franchiseur pour nullité du contrat pour objet illicite et indemnisation du préjudice subi. En réalité, la demande de nullité était liée à un problème de financement que le franchisé n’avait pas pu obtenir. La nullité était un moyen de sortir du lien contractuel. Dans la première affaire (pourvoi n° 19-25.749), le tribunal de commerce de Nice refuse de faire droit à la demande, si bien que le franchisé interjette appel de ce jugement. La cour d’appel d’Aix-en-Provence refuse d’annuler le contrat à son tour. Le franchisé se pourvoit alors en cassation en s’appuyant sur l’article L. 4161-1 du code de la santé publique. Dans la seconde affaire (pourvoi n° 20-17.779), la même cour d’appel annule les contrats de franchise intéressés par ce mode d’épilation au motif « qu’en 2014, l’épilation à la lumière pulsée exercée par des non-médecins, proposée par le franchiseur, était une activité illicite relevant d’un exercice illégal de la médecine, tout mode d’épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit aux non-médecins ». C’est donc la société D… qui se pourvoit en cassation en l’espèce.

Dans une longue motivation, dite enrichie, la Cour de cassation confirme sa nouvelle position en refusant d’annuler les contrats de franchise pour objet illicite, alignant ainsi les jurisprudences civiles et pénales eu égard au revirement de jurisprudence intervenu en mars 2020 applicable aux contrats en cours. Elle rejette, ce faisant, le pourvoi n° 19-25.749 et elle casse et annule l’arrêt des juges du fond dans l’affaire n° 20-17.779. Les solutions convergent vers une nouvelle ligne directrice, source de clarté pour le droit positif des franchises en matière d’épilation définitive par lumière pulsée.

L’alignement opportun des jurisprudences en matière civile et pénale

La société D… – présente dans les deux arrêts – avec laquelle la personne physique exploitant l’institut d’esthétique a conclu son contrat de franchise était la même société qui avait été demanderesse au pourvoi dans l’important revirement de jurisprudence en matière pénale cité précédemment (Crim. 31 mars 2020, n° 19-85.121, préc.). En décidant qu’« il y a lieu de revenir sur la jurisprudence antérieure et de considérer que l’interdiction de l’épilation à la lumière pulsée par des personnes autres que des médecins est contraire aux articles précités du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) [art. 49 et 56, ndlr] », la chambre criminelle avait fondé sa motivation sur la liberté d’établissement et la libre prestation des services. Un auteur avait pu noter qu’« il faut certainement saluer la clairvoyance et le réalisme ayant animé les magistrats de la chambre criminelle qui permettent enfin de redéfinir un tant soit peu les contours d’une incrimination très complexe et tarabiscotée » (P. Mistretta, Exercice illégal de la médecine et épilation au laser : un revirement à rebrousse-poil, RSC 2020. 387 image, dernier paragraphe). Bien évidemment, la solution n’avait rien d’évident à l’époque et un revirement était essentiel pour clarifier la question remise en cause jusqu’au niveau de l’exécutif qui envisageait un décret pour encadrer la pratique de telles épilations par des instituts d’esthétique. L’exercice illégal de la médecine était donc bien éloigné du sujet. 

La solution retenue dans ces deux arrêts rendus par la première chambre civile du 19 mai 2021 tire les constats sur le plan civil en refusant d’annuler les contrats passés dans l’optique de la pratique de telles épilations par des personnes qui ne sont pas médecins. En refusant l’annulation du contrat de franchise, la Cour de cassation aligne ainsi de manière opportune les jurisprudences en tirant toutes les conséquences de son revirement de jurisprudence antérieur. L’objet du contrat – ou son contenu – n’est pas illicite puisqu’aucune infraction d’exercice illégal de la médecine n’est constituée en l’état eu égard à la jurisprudence de mars 2020. La lecture de l’arrêt d’appel dans la première affaire est instructive sur le refus de la nullité demandée par le franchisé. L’un des piliers de l’argumentation des juges du fond était que, « d’ailleurs, de nombreux centres d’épilations à lumière pulsée sont ouverts sans que les pouvoirs publics en interdisent l’activité et des appareils d’épilation à lumière pulsée sont en vente libre auprès du public » (nous soulignons). L’argumentation sur l’objet illicite était donc très difficile à tenir dans ce cadre précis, en dépit d’une notion d’objet du contrat « protéiforme » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 586, n° 505).

Le droit des contrats s’en trouve alors précisé puisque cette nouvelle interprétation s’applique immédiatement aux contrats en cours.

Application aux contrats en cours de la licéité de l’opération

Dans le paragraphe n° 11 commun aux deux affaires, l’arrêt rendu par la première chambre civile précise ainsi que « cette évolution de jurisprudence s’applique immédiatement aux contrats en cours, en l’absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d’un droit d’accès au juge » (nous soulignons). On reconnaît l’expression de plusieurs arrêts désormais bien connus du droit privé (Civ. 1re, 9 oct. 2001 n° 00-14.564, D. 2001. 3470, et les obs. image, rapp. P. Sargos image, note D. Thouvenin image ; RTD civ. 2002. 176, obs. R. Libchaber image ; ibid. 507, obs. J. Mestre et B. Fages image ; 21 mars 2000, n° 98-11.982, D. 2000. 593 image, note C. Atias image ; RTD civ. 2000. 592, obs. P.-Y. Gautier image ; ibid. 666, obs. N. Molfessis image ; RTD com. 2000. 707, obs. B. Bouloc image ; plus récemment, Civ. 1re, 12 nov. 2020, n° 19-16.964, Dalloz actualité, 14 déc. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 2284 image ; RDI 2021. 143, obs. H. Heugas-Darraspen image). Véritable profession de foi de la Cour de cassation (Rép. civ., v° Jurisprudence, art. préc., n° 120), l’expression permet de justifier l’application aux contrats en cours du revirement posé par la haute juridiction. Ceci explique notamment la présence de l’article 6, § 1er, de la Convention dans le visa de l’arrêt de cassation commenté. C’est une solution bienvenue puisque le contentieux opposant les cocontractants, dont l’un agit en nullité pour objet illicite, sait depuis l’acte introductif d’instance que l’hésitation est telle qu’un revirement était tout à fait envisageable par la Cour de cassation tant le fondement juridique de l’exercice illégal de la médecine était discuté.

L’absence d’annulation par les juges du fond pour objet illicite était ainsi clairvoyante dans la première affaire de ce changement de position inéluctable pour aligner les solutions entre le droit administratif et le droit civil, puis entre le droit pénal et le droit privé. Il faudra un certain temps toutefois pour purger le droit des situations où une demande de nullité avait été introduite antérieurement aux revirements intervenus, comme c’est le cas dans la seconde espèce. Quand la Cour de cassation voyait dans ces pratiques un cas d’exercice illégal de la médecine, la nullité pour objet illicite du contrat de franchise était tout à fait pertinente, dans le même esprit d’harmonisation des jurisprudences. L’application immédiate permettra d’aligner les solutions en la matière, ce qui est garant d’un droit interprété de manière uniforme. L’uniformité de la jurisprudence est, en ce sens, un des rôles de la Cour de cassation (M.-N. Jobard-Bachellier, X. Bachellier et J. Buk Lament, La technique de cassation, 9e éd., Dalloz, coll. « Méthodes du droit », 2018, p. 113).

On sait qu’antérieurement à l’ordonnance n° 2016-131, l’objet et la cause étaient les instruments du contrôle de la licéité de l’opération contractuelle désormais assuré par l’article 1162 nouveau (F. Chénedé, Le nouveau droit des obligations et des contrats, 2e éd., Dalloz, coll. « Référence », 2018, p. 68, n° 123.193). Avant ou après la réforme, la solution sera donc la même en dépit du remplacement de vocables précisant les contours de la notion (M. Latina et G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations, 2e éd., Dalloz, coll. « Hors collection », 2018, p. 348, n° 402). Voici donc une solution commune qui permet de sauvegarder des conventions et donc leur force obligatoire en l’absence de toute violation d’une norme légale. Bien évidemment, la solution inverse aurait été maintenue si l’exercice illégal de la médecine était toujours de mise. Tout est ici une question d’équilibre, quelque peu délicat à maintenir compte tenu des enjeux d’une question sujette à controverse entre les médecins et les instituts d’esthétique. Sur le plan du droit, toutefois, ces solutions sont garantes d’uniformité.

Clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif et recours de la caution contre le cofidéjusseur

L’article L. 643-11, I, du code de commerce dispose que « le jugement de clôture de liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice individuel de leurs actions contre le débiteur » (v. à ce sujet P. Le Cannu et D. Robine, Droit des entreprises en difficulté, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, nos 1276 s.). Il existe toutefois des exceptions à ce principe, l’une des plus évidentes étant celle prévue par le II du même texte qui dispose, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives, que « les coobligés et les personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie peuvent poursuivre le débiteur s’ils ont payé à la place de celui-ci » (comp. anc. art. L. 643-11, II : « Toutefois, la caution ou le coobligé qui a payé au lieu et place du débiteur peut poursuivre celui-ci » ; sur l’évolution de ce texte, v. J.-D. Pellier, La poursuite de la construction d’un régime des sûretés pour autrui. À propos de la modification de l’article L. 643-11 du code de commerce par l’ordonnance du 12 mars 2014, D. 2014. 1054 image). On sait en effet que la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif n’affecte pas la dette, mais seulement le droit de poursuite du créancier à l’égard du débiteur principal. Le créancier peut donc toujours poursuivre le garant (v. en ce sens Com. 8 juin 1993, n° 91-13.295 : « Mais attendu que, si, en application de l’article 169 de la loi du 25 janvier 1985, les créanciers ne recouvrent pas l’exercice individuel de leur action contre le débiteur dont la liquidation judiciaire a fait l’objet d’une clôture pour insuffisance d’actif, ils conservent, la dette n’étant pas éteinte, le droit de poursuite à l’encontre de la caution du débiteur ; qu’il en est ainsi quoique le droit, subsistant, de la caution à subrogation, ne puisse s’exercer, sauf dans les cas prévus aux articles 169, alinéa 2, et 170 de la loi du 25 janvier 1985 ; qu’il s’ensuit que la cour d’appel a exactement décidé que, malgré la clôture de la liquidation judiciaire de la société pour insuffisance d’actif, Mme X était tenue envers la banque en vertu du cautionnement par elle contracté ; d’où il suit que le moyen n’est pas fondé »). En conséquence, il est logique (et juste) de permettre au garant solvens d’exercer un recours contre le débiteur, et ce que le paiement soit intervenu antérieurement ou postérieurement à l’ouverture de la procédure collective et qu’il s’agisse d’un recours personnel ou subrogatoire (v. en ce sens Com. 28 juin 2016, n° 14-21.810, Dalloz actualité, 22 juill. 2009, obs. X. Delpech : « Mais attendu qu’ayant exactement énoncé que l’article L. 643-11, II du code de commerce, qui autorise la caution qui a payé à la place du débiteur principal à le poursuivre, malgré la clôture de la liquidation judiciaire de celui-ci pour insuffisance d’actif, ne distingue pas selon que ce paiement est antérieur ou postérieur à l’ouverture de la procédure collective, ni suivant la nature, subrogatoire ou personnelle, du recours exercé par la caution, la cour d’appel en a déduit à bon droit que la société Interfimo remplissait les conditions prévues par ce texte »). Comme l’a justement souligné une éminente doctrine, « il serait en effet injuste que celui-ci [le garant] supporte définitivement le poids d’une dette qui n’est pas originellement la sienne alors que le débiteur serait revenu à meilleure fortune » (P. Le Cannu et D. Robine, op. cit., n° 1290). Toutefois, le domaine de cette exception doit être strictement limité au recours que peut exercer le garant solvens à l’encontre du débiteur et de lui seul, du moins en principe, ainsi que nous l’enseigne le chambre commerciale dans un arrêt du 5 mai 2021. En l’espèce, une banque a consenti des prêts à une société civile immobilière (SCI), pour lesquels se sont rendus cautions M. et Mme R…, ainsi qu’une société. Les 14 décembre 2010 et 17 janvier 2012, la liquidation judiciaire qui avait été prononcée à l’égard d’une autre société le 26 octobre 2010 a été étendue à M. R… puis à la SCI débitrice. Après l’admission au passif de la liquidation des créances de la banque, la société caution a réglé à cette dernière la totalité des sommes garanties. Puis, à la suite de la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire étendue, la caution solvens a déposé une requête auprès du président du tribunal de la procédure pour obtenir un titre exécutoire contre M. R…, en application de l’article L. 643-11, II, du code de commerce.

La cour d’appel d’Angers déclare cette demande irrecevable dans un arrêt du 28 janvier 2020, au motif qu’« elle ne peut soutenir agir sur le fondement de l’article L. 643-11, II, contre le cofidéjusseur qui ne constitue pas le débiteur pour qui elle a réglé en conséquence de l’engagement de caution consenti. Le fait que M. C… ait été par extension en liquidation judiciaire avec la SCI California n’a pas eu pour conséquence de faire disparaître la personnalité juridique de chacun des débiteurs et l’action fondée sur l’article L. 643-11, II, ne peut davantage être engagée à l’encontre de M. C…, qui reste distinct du seul débiteur au regard de ce texte : la SCI California » (Angers, 28 janv. 2020, n° 18/00214). Naturellement, la caution s’est pourvue en cassation, mais en vain, la cour régulatrice considérant que « l’article L. 643-11, II, du code de commerce, qui autorise les coobligés et personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie à poursuivre le débiteur après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, s’ils ont payé à la place de celui-ci, ne permet pas à la caution qui a acquitté la dette principale d’exercer dans les conditions prévues par ce texte un recours contre un cofidéjusseur, en application de l’article 2310 du code civil, à moins que le patrimoine de celui-ci soit confondu avec celui du débiteur principal, ce qui n’est pas le cas » (pt 6) et qu’en conséquence, « le moyen qui postule le contraire n’est donc pas fondé » (pt 7).

La solution repose sur une interprétation littérale de l’article L. 643-11, II, du code de commerce. Aux termes de ce texte, c’est en effet « le débiteur » que le garant solvens peut poursuivre et non son cofidéjusseur (sur cette notion, v. J. Mestre, Les cofidéjusseurs, Dr. et patr., janv. 1998, p. 66 et avr. 1998, p. 64). Il est certes fait exception à ce principe, comme le précisent les hauts magistrats, dans l’hypothèse où le patrimoine de ce dernier se confondrait avec celui du débiteur principal (sur la confusion des patrimoines, v. F. Reille, La notion de confusion des patrimoines, cause d’extension des procédures collectives, préf. P. Pétel, Litec, coll. « Bibliothèque de droit de l’entreprise », t. 74, 2007 ; v. égal. A. Bézert, Les effets de l’extension de la procédure collective pour confusion des patrimoines, préf. P. Pétel, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit des entreprises en difficulté », t. 21, 2021). Mais tel n’était manifestement pas le cas en l’occurrence (on suppose donc que l’extension de la procédure résultait de la fictivité de la personne morale).

La solution est toutefois sévère à l’endroit du garant (qu’il s’agisse de la caution, comme en l’espèce, ou d’un autre garant, personnel ou réel). Le recours de celui-ci à l’égard du débiteur principal est en effet bien souvent illusoire (v. en ce sens P. Le Cannu et D. Robine, op. cit., n° 1290). L’empêcher de l’exercer à l’égard d’un cofidéjusseur peut dès lors paraître injuste. Au demeurant, sur le plan technique, l’argument avancé au soutien du pourvoi n’était pas dénué de pertinence, tant s’en faut. Il était soutenu « qu’indépendamment de la confusion des patrimoines, le caractère accessoire du cautionnement implique que la notion de débiteur au sens de l’article L. 643-11, II, du code de commerce, soit dans le cadre d’une poursuite engagée au terme d’une procédure de liquidation judiciaire, inclue la caution du débiteur principal ; qu’au cas présent, la cour d’appel a déclaré irrecevable la demande de paiement de la CEGC [Compagnie européenne de garanties et cautions] aux motifs qu’à défaut de démontrer la confusion des patrimoines de la société California et de M. R…, ce dernier ne pouvait être considéré comme le débiteur au sens de l’article L. 643-11 du code de commerce ; qu’en ayant exclu cette qualification en dépit du caractère accessoire du cautionnement dont il résulte une unicité de la dette, la cour d’appel a violé les articles L. 643-11 et R. 643-20 du code de commerce et l’article 2306 du code civil » (pt 5). Abstraction faite de la référence au caractère accessoire du cautionnement, qui nous semble contestable, il est en effet possible de soutenir que les cofidéjusseurs sont tenus, aux côtés du débiteur principal, de la même dette (sur l’unicité de la dette en matière de cautionnement, v. J.-D. Pellier, Essai d’une théorie des sûretés personnelles à la lumière de la notion d’obligation. Contribution à l’étude du concept de coobligation, préf. P. Delebecque, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », t. 539, 2012, nos 157 s.). Par conséquent, le paiement de cette dette devrait permettre au solvens d’agir non seulement contre le débiteur principal, mais également contre ses cofidéjusseurs, et ce en dépit de la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif. Un tel recours serait d’ailleurs mesuré puisque l’article 2310 du code civil prévoit, en son alinéa 1er, que, « lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion » (comp. avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés du 18 décembre 2020, art. 2316 : « En cas de pluralité de cautions, celle qui a payé a un recours personnel et un recours subrogatoire contre les autres, chacune pour sa part »).

Règlement Bruxelles I : champ d’application dans le temps et matériel

1° Cet arrêt n’est à l’évidence pas un arrêt fondamental mais il mérite de retenir l’attention car il permet, en premier lieu, de revenir sur les conditions d’application dans le temps du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Ce règlement est, selon les termes de son article 76, entré en vigueur le 1er mars 2002.

Ce principe, d’une grande clarté, n’a toutefois pas supprimé toutes les questions relatives à l’application dans le temps du règlement car certains États ont adhéré à l’Union postérieurement à cette date (v. not. G. Payan [dir.], Espace judiciaire civil européen. Arrêts de la CJUE et commentaires, Bruylant, 2020, p. 683 s.).

La Cour de justice a déjà été saisie de cette question en ce qui...

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Plan de continuité d’activité des juridictions judiciaires pendant la crise sanitaire : bilan sévère de la Cour des comptes

Un « ministère mal préparé », une « situation inédite dans l’histoire de la justice » ou encore une « reprise d’activité difficile ». Le jugement sévère de la Cour des comptes sur la continuité d’activité des juridictions judiciaires pendant la crise de la covid – essentiellement pour la période du premier confinement –, cinglant pour l’administration, n’est pas vraiment une surprise. Ce constat d’échec doit toutefois permettre, espèrent les magistrats financiers, de poser les bases d’une vraie politique de gestion de crise au ministère de la Justice.

Un an après leur saisine par la commission des finances de l’Assemblée nationale, la rue Cambon brosse en effet, dans ce rapport touffu de 163 pages, un état des lieux et suggère plusieurs recommandations pour éviter un nouveau naufrage judiciaire à l’avenir. « Au-delà de ces divers aspects, la principale leçon à retenir de la crise sanitaire du point de vue du fonctionnement de la justice est qu’une interruption de l’activité judiciaire n’est plus concevable », résument-ils.

Préparation aux crises embryonnaire

Mal préparée, la justice a souffert d’un manque flagrant d’anticipation, alors même qu’elle fait partie des activités d’importance vitale, censées justement pouvoir se poursuivre même en cas de crise majeure. « La préparation aux crises était embryonnaire avant la crise sanitaire, remarquent ainsi...

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Demande d’infirmation ou d’annulation dans le dispositif des conclusions : la Cour de cassation persiste et signe… mais n’en dit pas plus

Dans le premier arrêt, un appel avait été formé le 6 juillet 2017, soit avant l’entrée en vigueur de la réforme issue du décret du 6 mai 2017, et dans le second arrêt, l’appel était du 6 mars 2018. Les appels étaient donc tous deux antérieurs au 17 septembre 2020.

Dans les deux affaires, la cour d’appel, au motif que le dispositif des conclusions ne contenait aucune demande d’infirmation du jugement, et faisant application de la nouvelle règle issue de l’arrêt du 17 septembre 2020, a refusé d’examiner les prétentions contenues dans le dispositif des conclusions de l’appelant, et confirmé le jugement.

Les arrêts sont cassés par la Cour de cassation pour laquelle admettre une telle solution aboutirait à priver les parties de leur accès à un procès équitable. Cette nouvelle interprétation des articles 542 et 954 ne peut donc concerner que les appels formés à compter de la date de l’arrêt publié.

Une « nouvelle interprétation » pour l’avenir

Le 17 septembre 2020, la Cour de cassation a opéré une « nouvelle interprétation » des articles 542 et 954, considérant que si l’appelant omet, dans son dispositif, de demander l’infirmation ou l’annulation du jugement dont appel, la cour n’est saisie d’aucune prétention, de sorte qu’elle ne peut alors que confirmer le jugement (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 image, note M. Barba image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet image ; D. avocats 2020. 448 et les obs. image ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et A. Provansal image ; Gaz. Pal. 27 oct. 2020, p. 9, note P. Gerbay ; ibid. 8 déc. 2020, p. 41, note Ansault ; ibid. 26 janv. 2021, p. 79, note N. Hoffschir ; ibid. 26 janv. 2021, p. 82, note Lauvergnat ; Defrénois 2021, n° 3, p. 13, note Mazure).

Il s’agissait d’une solution nouvelle, voire innovante, et il faut être assez imaginatif pour trouver dans les articles 542 et 954 une telle charge procédurale.

La Cour de cassation fait supporter par la partie appelante une nouvelle obligation procédurale à laquelle le législateur n’avait vraisemblablement pas songé lorsqu’il a modifié les articles 542 et 954, avec le décret du 6 mai 2017.

Précédemment, la Cour de cassation avait jugé, dans un arrêt inédit, que « les conclusions d’appelant exigées par l’article 908 du code de procédure civile (sont celles) qui déterminent l’objet du litige », et constaté la caducité de la déclaration d’appel au motif que les conclusions qui « comportaient un dispositif qui ne concluait pas à l’infirmation, totale ou partielle, du jugement déféré (…) ne déterminaient pas l’objet du litige porté devant la cour d’appel » (Civ. 2e, 31 janv. 2019, n° 18-10.983, D. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2019. 180, obs. M. Jean image ; Gaz. Pal. 5 nov. 2019, p. 40, obs. A. Guyonnet).

Il ne nous apparaît pas que l’arrêt du 17 septembre 2020 constitue véritablement un revirement de jurisprudence par rapport à l’arrêt du 31 janvier 2019, lequel continue de s’inscrire, dans une certaine mesure, dans cette jurisprudence concernant la nature des conclusions qui doivent déterminer l’objet du litige (Civ. 2e, 26 juin 1991, JCP 1992. II. 21821, note Estoup ; Cass., avis, 21 janv. 2013, n° 12-00.016 P, RTD civ. 2015. 199, obs. N. Cayrol image ; BICC 1er avr. 2013, p. 8, rapp. de Leiris et obs. Lathoud ; JCP 2013. 135, obs. Gerbay ; Gaz. Pal. 17-19 févr. 2013, p. 10, obs. Travier et Guichard ; ibid. 24-26 févr. 2013, p. 12, obs. Dary et d’Arjuzon ; ibid. 8-9 mars 2013, p. 25, note Pellerin). Ce qui était alors reproché en l’espèce n’était peut-être pas tant l’absence de demande d’infirmation ou d’annulation que l’absence de toutes prétentions.

Lorsque les conclusions ne contiennent aucune prétention, et qu’elles ne sont pas des conclusions au fond, et ce sera le cas si une partie se contente de demander le sursis à statuer par exemple, alors la partie ne satisfait à son obligation de conclure « au fond » dans son délai, et la sanction doit pouvoir être la caducité de la déclaration d’appel s’agissant d’un appelant.

Mais dès lors que les conclusions contiennent des prétentions, et sont véritablement des conclusions au fond, mais que l’appelant a (seulement) omis de demander l’infirmation ou l’annulation, la sanction ne peut qu’être la confirmation du jugement.

De cette manière, les deux arrêts se comprennent davantage, et celui du 31 janvier 2019 demeure d’actualité pour sanctionner la partie n’ayant pas régularisé des conclusions au fond.

Celui du 17 septembre 2020 apporte une nuance, une évolution d’une jurisprudence qui pourrait être trop radicale, en excluant que les conclusions soient regardées comme ne déterminant pas l’objet du...

Action en paiement du solde des travaux et point de départ du délai de prescription

Ayant entrepris la construction d’une maison d’habitation, des maîtres de l’ouvrage consommateurs ont confié à une entreprise des travaux de gros œuvre, lesquels donnèrent lieu à un procès-verbal de réception avec réserves.

L’entreprise de gros œuvre a agi, par acte d’assignation délivré le 24 décembre 2015 à l’encontre des maîtres de l’ouvrage, en paiement d’une facture émise le 31 décembre 2013 correspondant au solde des travaux. Ces derniers lui opposèrent la prescription de son action.

La cour d’appel déclara l’action du professionnel irrecevable comme prescrite au motif que la facture avait été établie près de sept mois après l’exécution de la prestation en méconnaissance des délais d’établissement impartis par les articles L. 441-3 du code de commerce et 289 du code général des impôts, que sa date n’était pas certaine et que le délai de prescription avait commencé à courir le 1er septembre 2013, date à laquelle la facture aurait au plus tard dû être émise.

L’entreprise forma un pourvoi en cassation, soutenant que le point de départ du délai de prescription de son action en paiement ne pouvait commencer à courir qu’au jour de l’établissement de la facture, le 31 décembre 2013.

Dans cet arrêt d’une brillante pédagogie, la Cour de cassation offre deux enseignements : si en principe le délai de prescription court à compter de l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations par le professionnel, par exception l’ancien point de départ du délai au jour de l’établissement de la facture litigieuse retrouve matière à s’appliquer.

L’harmonisation du point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services

1. En l’espèce, la prescription biennale de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation, était applicable en la cause puisque l’action en paiement avait été introduite par un professionnel contre des maîtres de l’ouvrage consommateurs.

À défaut pour un tel article de prévoir un point de départ du délai spécifique, il convient de se référer à l’article 2224 du code civil lequel, au-delà d’édicter un délai de prescription de droit commun, instaure un point de départ de droit commun.

Il en résulte que la prescription biennale du code de la consommation demeure soumise à un point de départ « glissant » au jour où le créancier professionnel a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir.

Le point de départ du délai de prescription faisait l’objet d’une analyse divergente selon qu’il concernait l’action en paiement des prestations de service dans les relations consuméristes ou commerciales.

2. En matière d’actions en paiement introduites par un professionnel contre un consommateur, la jurisprudence constante de la Cour de cassation fixait jusqu’alors le point de départ de la prescription biennale au jour de l’établissement de la facture litigieuse (Civ. 1re, 3 juin 2015, n° 14-10.908, Bull. civ. I, n° 136 ; Dalloz actualité, 23 juin 2015, obs. N. Kilgus ; D. 2015. 1269 image ; ibid. 2016. 617, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RDI 2015. 410, obs. H. Heugas-Darraspen image ; 9 juin 2017, n° 16-12.457 P, Dalloz actualité, 29 juin 2017, obs. N. Kilgus ; D. 2017. 1245 image ; ibid. 1859, chron. S. Canas, C. Barel, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, J. Mouty-Tardieu, R. Le Cotty, C. Roth et S. Gargoullaud image ; ibid. 2559, obs. T. Clay image ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2017. 653, obs. H. Barbier image ; Civ. 3e, 14 févr. 2019, n° 17-31.466, inédit).

3. En matière d’actions en paiement introduites entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants, relevant de la prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du code de commerce, la chambre commerciale de la Cour de cassation retient une analyse contraire : « l’obligation au paiement du client prend naissance au moment où la prestation commandée a été exécutée [de sorte que la société] connaissait, dès l’achèvement de ses prestations, les faits lui permettant d’exercer son action en paiement de leur prix […] peu important la date à laquelle elle avait décidé d’établir sa facture » (Com. 26 févr. 2020, n° 18-25.036 P, D. 2020. 486 image ; AJ contrat 2020. 337, obs. K. Magnier-Merran image ; RTD civ. 2020. 389, obs. H. Barbier image ; CCC 2020. Comm. 83, obs. N. Mathey ; JCP 2020. Comm. 857, note F. Buy ; JCP E 2020. Comm. 1265, obs. A. Bories ; Civ. 3e, 21 nov. 2019, n° 18-22.048, inédit).

4. Afin d’uniformiser le point de départ des délais de prescription des actions en paiement de travaux et services, la Cour de cassation décide dans cet arrêt de fixer la date de la connaissance des faits permettant au professionnel d’exercer son action au jour de « l’achèvement des travaux ou l’exécution des prestations ».

En d’autres termes, la haute juridiction aligne désormais la prescription biennale consumériste sur la prescription quinquennale en matière commerciale.

La solution de la Cour de cassation doit être approuvée en ce qu’elle s’avère conforme à la théorie générale de la prescription extinctive. En effet, une créance se prescrit à compter de l’exigibilité de l’obligation qui lui a donné naissance. Dès lors, le droit de créance d’un professionnel devient exigible à la date d’achèvement des prestations qui lui ont été contractuellement confiées. Ceci explique que la créance correspondant au solde des travaux se prescrit à compter de l’achèvement desdits travaux. Cette analyse a également le mérite d’inciter les professionnels à faire diligence et à établir la facture dans de brefs délais.

La survivance exceptionnelle de l’ancien point de départ

5. Après avoir établi un point de départ de principe, la haute juridiction le dote aussitôt d’un tempérament. En l’espèce, le nouveau point de départ fixé au jour de l’achèvement des prestations aboutissait à faire expirer le délai de prescription de l’action de l’entreprise de gros œuvre.

Or, selon la Cour, « si la jurisprudence nouvelle s’applique de plein droit à tout ce qui a été fait sur la base et sur la foi de la jurisprudence ancienne, il en va différemment si la mise en œuvre de ce principe affecte irrémédiablement la situation des parties ayant agi de bonne foi en se conformant à l’état du droit applicable à la date de leur action ».

L’arrêt, poursuivant son analyse, énonce que le point de départ nouveau avait pour effet de priver le professionnel, qui n’avait pu raisonnablement anticiper une telle modification de la jurisprudence, d’un procès équitable au sens de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, en lui interdisant l’accès au juge.

En d’autres termes, par exception au principe d’application immédiate de la jurisprudence, si le nouveau point de départ d’un délai de prescription a pour effet de rendre l’action du demandeur prescrite, le privant du droit d’accès à un juge, et alors que ce dernier, de bonne foi, ne pouvait pas raisonnablement l’anticiper, l’ancien point de départ du délai de prescription retrouve matière à s’appliquer.

En conséquence, la Cour de cassation décide de prendre en compte la date d’établissement de la facture, le 31 décembre 2013, comme constituant le point de départ du délai de prescription. L’action en paiement de l’entreprise de gros œuvre, introduite par exploit d’huissier du 24 décembre 2015, demeurait de ce fait recevable.

6. Un tel point de départ s’avère néanmoins contestable en ce que le créancier dispose finalement de la maîtrise du déclenchement du cours de la prescription biennale. S’il tarde à émettre sa facture, le point de départ du délai de prescription s’en retrouve conséquemment reporté (en l’espèce, la facture avait été établie par l’entreprise de gros œuvre près de sept mois suivant l’exécution de sa prestation). Or le consommateur n’a pas à pâtir de la carence du professionnel dans l’établissement de la facture. Cette situation s’avère contraire à l’objectif de protection du consommateur poursuivi par le droit de la consommation ainsi qu’à l’esprit de la prescription extinctive laquelle vise à sanctionner l’inertie du créancier qui néglige d’agir dans un délai déterminé.

Ce raisonnement n’est pas celui de la Cour de cassation qui entend faire primer le droit d’accès à un tribunal protégé par la Convention européenne des droits de l’homme – auquel on peut y adjoindre le droit à un recours effectif. Pourtant, la Cour européenne des droits de l’homme estime de longue date que les délais de prescription, eu égard aux buts légitimes qu’ils poursuivent et la marge d’appréciation reconnue aux États quant à la réglementation de l’accès à un tribunal, n’ont pas pour effet de violer l’article 6, § 1, de la Convention européenne (CEDH 22 oct. 1996, Stubbings et a. c. Royaume-Uni, n° 22083/93, § 51, RSC 1997. 464, obs. R. Koering-Joulin image ; ibid. 470, obs. R. Koering-Joulin image ; 11 mars 2014, Howald Moor et a. c. Suisse, n° 52067/10, § 72, D. 2014. 1019 image, note J.-S. Borghetti image ; ibid. 2362, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon image ; Dr. soc. 2015. 719, étude J.-P. Marguénaud et J. Mouly image).

Pour aller plus loin : dans l’hypothèse où le contrat porterait sur une obligation à exécution échelonnée, la prescription se divise et court à l’égard de chacune des échéances successives appelées en cours du chantier à compter de son exigibilité. Le solde du prix se prescrit quant à lui au jour de l’achèvement des prestations.

En cas de procédure à jour fixe, gare aux irrecevabilités

Chacun sait que celui qui souhaite interjeter appel d’un jugement d’orientation doit y procéder selon la procédure à jour fixe dans les quinze jours qui suivent la notification du jugement (CPCE, art. R. 322-19). L’appelant doit alors respecter une procédure en deux temps. Dans un premier, il lui appartient de saisir le premier président de la cour d’appel d’une requête tendant à être autorisé à assigner son adversaire à jour fixe (C. pr. civ., art. 919). Dans un second, il doit assigner son adversaire pour le jour fixé, cette assignation devant comprendre les copies de la requête et de l’ordonnance rendue par le premier président ainsi qu’un exemplaire ou une copie (selon les cas) de la déclaration d’appel (C. pr. civ., art. 920).

En ayant ces quelques notions à l’esprit, il est permis de se plonger dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté. Au cours d’une procédure de saisie immobilière, deux tiers avaient tenté d’intervenir volontairement au jour de l’audience d’orientation, puis au jour de l’audience d’adjudication. À chaque fois, le juge de l’exécution avait déclaré leur demande irrecevable.

Ils n’en restèrent pas là et décidèrent d’interjeter appel du jugement d’orientation. Après que le premier président eut rendu une ordonnance les autorisant à assigner leur adversaire à jour fixe, ils entreprirent de faire signifier l’assignation. Mais la copie de l’ordonnance qui y était jointe présentait quelques discordances avec celle conservée au dossier de la procédure : elle ne comportait aucune signature, la police de caractère de la date de l’ordonnance signée par la présidente était différente de celle apparaissant sur la copie et la date figurant sur l’ordonnance signée par la présidente était manuscrite de la façon suivante « le 04 SEP.2018 » alors que la date figurant sur la copie de l’ordonnance annexée à l’assignation à jour fixe est dactylographiée comme suit « le 4 septembre 2018 ». La cour d’appel a en conséquence jugé que l’acte annexé à l’assignation ne constituait pas une copie de l’ordonnance rendue par le premier président de la cour d’appel et a déclaré l’appel irrecevable.

Loin de se décourager, les deux tiers ont formé deux pourvois en cassation : l’un pour critiquer l’arrêt qui avait déclaré leur appel du jugement d’orientation irrecevable et l’autre dirigé à l’encontre du jugement d’adjudication et du jugement qui, rendu le même jour, avait déclaré leur demande d’intervention irrecevable.

Logiquement, le pourvoi dirigé contre l’arrêt ayant déclaré l’appel du jugement d’orientation irrecevable a été le seul à être reçu. À son soutien, les demandeurs au pourvoi ont bien fait valoir que la cour d’appel n’avait pas suffisamment caractérisé les différences entre la copie signifiée et l’ordonnance conservée au dossier du tribunal et que déclarer leur appel irrecevable pour des différences aussi minimes porterait une atteinte excessive à leur droit au juge. En vain ! Après avoir souligné qu’il résulte des articles R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution et 920 du code de procédure civile qu’il appartient à l’appelant de joindre à son assignation une « copie intègre » de l’ordonnance du premier président l’autorisant à assigner son adversaire à jour fixe, la haute juridiction juge que cette formalité ne procède d’aucun formalisme excessif dès lors qu’elle poursuit un but légitime qui est « d’assurer la célérité et l’efficacité de la procédure d’appel contre un jugement d’orientation rendu en matière de saisie immobilière et le respect du principe de la contradiction, en permettant aux autres parties de prendre connaissance en temps utile des prétentions de l’appelant ainsi que de l’ensemble des pièces de cette procédure accélérée et de vérifier sa régularité ».

Cette décision prend appui sur le fait établi que l’acte annexé aux conclusions des appelants ne constituait pas la copie de l’ordonnance délivrée par le premier président du tribunal. Il n’était pourtant pas si évident de considérer que les appelants avaient commis une erreur et annexé ce qui semblait être un projet de requête. Car l’ordonnance autorisant à assigner à jour fixe est rendue en double exemplaire, ce qu’indique l’article 498 du code de procédure civile lorsqu’il prévoit que « le double de l’ordonnance est conservé au greffe ». Or il n’est pas inconcevable que le contenu de la minute remise à l’appelant diffère sur quelques points – comme l’indication de la date – de l’original conservé au dossier de la procédure. Ce point n’a cependant pas été soulevé devant les juridictions.

En considérant que la copie annexée à l’assignation n’était pas celle de l’ordonnance du premier président, il restait encore à en déterminer les conséquences.

La Cour de cassation, comme la cour d’appel, considère que, faute pour les appelants d’avoir joint une copie de l’ordonnance, l’appel est irrecevable. Le pourvoi ne le contestait pas. Car, décide la Cour de cassation, lorsque le recours à la procédure à jour fixe est imposé par la loi, tout appel qui serait formé selon une forme différente doit être déclaré irrecevable (Civ. 2e, 5 janv. 2017, n° 14-21.908 NP ; 1er sept. 2016, n° 15-11.018 NP ; 16 oct. 2014, n° 13-24.634, Bull. civ. II, n° 217 ; Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2015. 287, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2015. 194, obs. N. Cayrol image). Cela est rationnel. Ce qui l’est moins, en revanche, est que, comme par capillarité, les irrégularités affectant les actes qui émaillent la procédure à jour fixe sont alors sanctionnées par l’irrecevabilité de l’appel. La Cour de cassation en a décidé ainsi lorsque l’appelant ne remet pas sa requête adressée au premier président dans les huit jours de la déclaration d’appel (Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-24.140 NP ; AJDI 2017. 862 image ; 19 mars 2015, nos 14-14.926 et 14-15.150, Bull. civ. II, n° 69 ; Dalloz actualité, 3 avr. 2015, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2015. 742 image ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle image ; RTD civ. 2015. 461, obs. N. Cayrol image), si elle ne contient pas les conclusions au fond et ne vise pas ses pièces justificatives (Civ. 2e, 21 févr. 2019, n° 18-11.469 NP ; 7 avr. 2016, n° 15-11.042, Bull. civ. II, n° 104 ; Dalloz actualité, 6 mai 2015, obs. M. Kebir ; D. 2017. 1388, obs. A. Leborgne image) ou encore lorsque n’est pas jointe à l’assignation adressée à l’intimé une copie de la requête (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-21.833 P, Dalloz actualité, 10 oct. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 1920 image ; ibid. 2019. 1306, obs. A. Leborgne image). En sanctionnant l’omission de l’annexion d’une copie de l’ordonnance à l’assignation par l’irrecevabilité de l’appel, la Cour de cassation s’inscrit dans ce sillon jurisprudentiel. Mais, il faut le dire, c’est vraisemblablement la circonstance que la loi impose le recours à la procédure à jour fixe qui fonde cette solution : l’omission d’une copie de l’ordonnance ou de la requête lorsque le recours à la procédure à jour fixe est décidé par le juge en considération du péril dont fait état l’une des parties serait vraisemblablement appréhendée comme un simple vice de forme (v., pour une assignation à jour fixe devant le tribunal judiciaire, Civ. 3e, 12 oct. 2005, n° 04-18.511, Bull. civ. III, n° 194 ; RTD civ. 2006. 150, obs. R. Perrot image ; v. égal., à propos du non-respect du délai de huit jours pour présenter la requête, Civ. 1re, 23 févr. 1983, n° 81-14.731, Bull. civ. I, n° 74), comme peut l’être l’omission de la copie de l’autorisation délivrée par le juge de l’exécution dans l’acte de dénonciation d’une saisie conservatoire (Civ. 2e, 22 mars 2018, n° 16-23.601, Bull. civ. II, n° 62 ; Dalloz actualité, 10 avr. 2018, obs. G. Payan ; D. 2018. 675 image ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne image ; ibid. 2048, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle image).

La question centrale était dès lors de savoir si déclarer ainsi l’appel irrecevable était conforme au droit à un procès équitable. Le pourvoi soutenait que tel n’était pas le cas en prenant le soin de stigmatiser les divergences minimes entre l’original conservé au dossier de la procédure et la copie annexée à l’assignation. Logiquement, la Cour de cassation a refusé de procéder à un contrôle in concreto et n’a donc pas pris en considération ces données factuelles (A. Martinel, Le contrôle de proportionnalité dans la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de procédure civile, RJA, n° 24, déc. 2020, ENM, p. 60, spéc. p. 64). Cela ne l’a toutefois pas empêché de mener un contrôle in abstracto. À cet égard, chacun sait que le droit à un procès équitable est méconnu lorsque « l’interprétation par trop formaliste de la légalité ordinaire faite par une juridiction empêche, de fait, l’examen au fond du recours exercé par l’intéressé » (CEDH 5 nov. 2015, req. n° 21444/11, Henrioud c. France, Dalloz actualité, 18 nov. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2016. 1245 image, note G. Bolard image ; 29 mars 2011, req. n° 50084/06, RTBF c. Belgique, Dalloz actualité, 15 avr. 2015, obs. S. Lavric ; Légipresse 2011. 332 et les obs. image ; ibid. 558, comm. C. Mas image ; 24 juill. 2008, req. n° 17140/05, Kemp et a. c. Luxembourg). Pour qu’une formalité ne procède pas d’un formalisme excessif, il faut en conséquence qu’elle soit prévisible (CEDH 23 oct. 1996, req. n° 21920/93, Levages prestation services c. France, § 41, AJDA 1997. 977, chron. J.-F. Flauss image ; D. 1997. 209 image, obs. N. Fricero image), qu’elle poursuive un « but légitime » et qu’il existe « un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (CEDH 5 nov. 2015, préc., § 56). Assurément, l’irrecevabilité de l’appel tirée de l’omission d’une copie de l’ordonnance constituait une sanction prévisible pour un professionnel du droit (v. supra). La légitimité de cette formalité n’appelle pas davantage de longs commentaires : la notification de l’ordonnance permet à l’intimé de prendre connaissance des raisons qui ont justifié que l’appelant bénéficie d’une autorisation pour l’assigner à jour fixe (même si cette procédure est imposée par la loi) et participe de la célérité et de l’efficacité de l’appel (on pourrait simplement douter de la nécessité de joindre en outre la requête, mais telle n’était pas la question). En revanche, la proportionnalité entre ces objectifs et la sanction de l’irrecevabilité pouvait être débattue. Car sanctionner le défaut d’annexion d’une simple nullité pour vice de forme pourrait suffire à préserver les droits de la défense : au jour de l’audience, s’il apparaît que l’intimé a subi un grief en raison du défaut d’annexion d’une copie fidèle de l’ordonnance, il lui suffirait de demander la nullité de l’assignation. La Cour de cassation – peut-être en ayant à l’esprit que les actes nuls peuvent néanmoins parfois produire quelques effets – est cependant parvenue à une autre conclusion et a déclaré que le dispositif était conforme au droit à un procès équitable. Cela ne convainc qu’à moitié !

Timbre fiscal : questions pour un champion

Une partie forme appel devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence d’un jugement du tribunal de grande instance. Par arrêt rendu par défaut le 29 juin 2017, la cour d’appel confirme partiellement le jugement et l’intimé forme opposition le 9 août 2017, laquelle est déclarée irrecevable pour non-paiement du timbre fiscal selon arrêt du 23 mai 2019. L’intimé sollicite alors que la cour rapporte sa décision, laquelle, par arrêt du 14 novembre 2019, le déboute de sa demande. Le demandeur au pourvoi présentait deux moyens contre ces arrêts. Le premier articulait deux branches, la première estimant que l’article 1635 bis P du code général des impôts n’imposait pas le règlement du timbre fiscal de 225 € en cas d’opposition ; la seconde reprochant au juge d’appel d’avoir déclaré d’office l’appel irrecevable sans l’avoir invité à s’expliquer sur le défaut de paiement du timbre fiscal. Quant au second moyen, il sollicitait que le second arrêt statuant sur la rétractation soit annulé comme étant la suite du premier arrêt de la cour d’appel encourant la cassation. La deuxième chambre civile répond au premier moyen en rappelant que, par application de l’article 1635 bis P du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014, le droit de 225 € est acquitté par l’avocat postulant pour le compte de son client, soit par voie de timbres mobiles, soit par voie électronique, que « selon l’article 963 du code de procédure civile, lorsque l’appel entre dans le champ d’application de l’article précité, les parties justifient, à peine d’irrecevabilité de l’appel ou des défenses, selon le cas, de l’acquittement du droit prévu à cet article », et que, « lorsqu’en raison de son absence de comparution, l’intimé a été jugé par défaut, il peut former une opposition qui, en application des articles 571, 572, 576 et 577 du code de procédure civile, remet en question devant la cour d’appel l’affaire qui a été tranchée, celle-ci étant alors instruite et jugée selon les règles applicables devant la cour d’appel. La recevabilité des prétentions respectives des parties dans l’instance d’appel qui recommence s’apprécie en fonction de la demande primitive, suivant les règles ordinaires ». L’arrêt dégage in fine la solution suivante : « Il s’ensuit que l’intimé qui forme opposition à l’arrêt rendu par défaut dans une procédure avec représentation obligatoire doit, à peine de l’irrecevabilité de sa défense, acquitter le droit prévu à l’article 1635 bis P du code général des impôts ». Mais la Cour de cassation, cassant et annulant les arrêts, accueille la seconde branche du pourvoi au regard de l’article 16 du code de procédure civile, motif pris qu’en statuant sans avoir invité l’appelant à s’expliquer sur le défaut de justification du paiement du droit et alors qu’il ne résulte pas des productions que le greffe l’ait invité à en justifier ou, à tout le moins, à présenter ses observations, la cour d’appel a violé le texte susvisé. Dès lors, s’agissant du second moyen, la deuxième chambre civile juge classiquement, au visa de l’article 625, alinéa 2, du code de procédure civile, que la cassation entraîne, sans qu’il y ait lieu à une nouvelle décision, l’annulation par voie de conséquence de toute décision qui est la suite, l’application ou l’exécution du jugement cassé ou qui s’y rattache par un lien de dépendance nécessaire et que la cassation de l’arrêt du 23 mai 2019 entraîne l’annulation, par voie de conséquence, de l’arrêt de non-rétractation du 14 novembre 2019.

Commençons par l’évidence, donc par la fin

Comme en témoignent, chaque année, les arrêts de cassation censurant sur ce point les cours d’appel, lorsque le juge relève d’office un moyen de droit, il doit rouvrir les débats et interroger les parties. L’article 16 du code de procédure civile, rythmé par ses trois alinéas, est sans ambiguïté : « Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement. Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu’il a relevés d’office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ». Le respect du contradictoire qui s’impose, aussi, au juge est généralement bien intégré et les cours d’appel ont l’habitude, lorsqu’elles entendent relever d’office un moyen de droit, de solliciter des parties qu’elles présentent leurs observations, mais il faut reconnaître que la problématique du timbre fiscal offre une illustration récurrente de ce qu’il ne faut pas faire. La raison est peut-être à trouver dans le fait qu’un avis du greffe, rappelant l’obligation de paiement, n’est pas toujours émis, que les événements permettant de retracer cette demande ou un règlement ne sont pas toujours appréhendés, tandis que l’irrecevabilité encourue est une fin de non-recevoir qui impose donc à la cour d’interroger les parties sur un défaut de règlement, lequel peut intervenir très tardivement, c’est-à-dire jusqu’à ce que le juge statue. Les cas de dispenses existent et une partie doit pouvoir justifier qu’elle avait déjà payé le timbre fiscal, qu’elle en était dispensée au bénéfice de l’aide juridictionnelle… ou encore parce qu’elle est tout simplement le ministère public !

La Cour de cassation l’avait déjà dit : une cour d’appel ne peut relever d’office le défaut de paiement du timbre fiscal et prononcer l’irrecevabilité de l’appel sans avoir préalablement invité l’appelant à fournir ses explications, le magistrat étant tenu de recueillir les observations des parties quand bien même l’appelant serait représenté par un avocat (Civ. 2e, 3 déc. 2015, n° 14-23.692). L’exigence a même été rappelée, alors que l’appelant n’avait pas été invité à s’expliquer sur l’irrecevabilité pour non-paiement du timbre fiscal, au visa des articles 16 et 963 du code de procédure civile mais surtout de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme (Civ. 2e, 11 mai 2017, nos 16-17.083 et 16-17.084, Dalloz actualité, 13 juin 201, obs. M. Kebir ; JCP 29 mai 2017, obs. R. Laffly). Cette demande d’explication est d’autant plus importante qu’à l’instar des autres fins de non-recevoir, une régularisation est toujours possible, de sorte que l’irrecevabilité est écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue conformément à l’article 126 du code de procédure civile (Soc. 28 mars 2012, n° 11-61.180, Dalloz actualité, 6 avr. 2012, obs. L. Dargent ; D. 2012. 952, communiqué C. cass. image ; ibid. 1765, chron. P. Bailly, E. Wurtz, F. Ducloz, P. Flores, L. Pécaut-Rivolier et A. Contamine image ; Dr. soc. 2012. 531, obs. F. Petit image ; Procédures juin 2012, note R. Perrot). Si les parties ne peuvent s’emparer de l’irrecevabilité, l’article 963 précise bien que « l’irrecevabilité est constatée d’office par le magistrat ou la formation compétents », ce qui regroupe, aux termes de l’article 964, le premier président, le président de la chambre, le conseiller de la mise en état et la formation de jugement. Ainsi, si un conseiller de la mise en état juge irrecevable l’appel pour défaut de paiement du timbre fiscal, il a donc statué par application de l’article 126 précité, ce qui n’autorise plus une régularisation sur déféré contre l’ordonnance qui a constaté l’irrecevabilité de l’appel (Civ. 2e, 16 mai 2019, n° 18-13.434, Dalloz actualité, 3 juin 2019, obs. R. Laffly ; D. 2019. 1111 image), mais pourrait autoriser une régularisation en cours de délibéré, avant l’ordonnance ou l’arrêt à intervenir. La cassation était donc inévitable, tout comme la cassation de l’arrêt du 23 mai 2019 qui avait jugé irrecevable l’appel devait entraîner l’annulation, par voie de conséquence, de l’arrêt de non-rétractation du 14 novembre 2019 qui en était la suite et s’y rattachait bien sûr par un lien de dépendance nécessaire. Et si l’on pouvait s’étonner qu’un arrêt de rétractation ait pu intervenir, c’est que l’article 964 prévoit expressément la possibilité pour la cour rapporter sa décision d’irrecevabilité en cas d’erreur.

Paiement du timbre fiscal, des questions à trancher

La deuxième chambre civile raisonne par application combinée de l’article 1635 bis P du code général des impôts qui rappelle qu’est institué un droit d’un montant de 225 € dû par les parties à l’instance d’appel lorsque la constitution d’avocat est obligatoire devant la cour d’appel et de l’article 963 du code de procédure civile qui précise que lorsque l’appel entre dans le champ d’application de l’article précité, les parties justifient, à peine d’irrecevabilité de l’appel ou des défenses, selon le cas, de l’acquittement du droit prévu à cet article.

Or l’opposition, qui tend à faire rétracter un jugement rendu par défaut, doit être faite, selon l’article 573 du code de procédure civile, dans les formes prévues pour la demande en justice devant la juridiction qui a rendu la décision, l’article 576 ajoutant que l’affaire est instruite et jugée selon les règles applicables devant la juridiction qui a rendu la décision frappée d’opposition. La procédure ordinaire avec représentation obligatoire qui avait été initiée devant la cour d’appel imposait ainsi que l’opposition suive cette même procédure. Or, bien que la Cour de cassation ne le dise pas, l’intimé qui était défaillant n’avait pas, par définition, acquitté le timbre fiscal. Aussi, l’opposition qu’il exerçait lui imposait de le faire avant que le juge statue, non pas à peine d’irrecevabilité de son recours, mais « à peine de l’irrecevabilité de sa défense » comme prend la peine cette fois de le préciser la solution apportée et selon la lettre de l’alinéa 1er de l’article 963. Le demandeur au pourvoi prétendait que cet article n’imposait aucunement le paiement du timbre fiscal sur opposition. Bien sûr, l’article ne le dit pas expressément, mais il dit tout de même : « Il est institué un droit d’un montant de 225 € dû par les parties à l’instance d’appel lorsque la constitution d’avocat est obligatoire devant la cour d’appel. Le droit est acquitté par l’avocat postulant pour le compte de son client par voie électronique. Il n’est pas dû par la partie bénéficiaire de l’aide juridictionnelle ». Alors, si l’opposition n’est pas un appel, elle s’inscrit bien dans une « instance d’appel ». On peut donc en déduire qu’en cas de constitution dans une procédure avec représentation obligatoire par avocat, comme en matière d’opposition, le timbre fiscal est dû. Et il est dû d’autant plus que l’intimé – et c’est peut-être ce qui doit guider les parties pour raisonner – n’avait jamais réglé de timbre fiscal dans une procédure dans laquelle il n’avait pas comparu. C’est pour cette raison que le timbre fiscal n’a pas à être acquitté devant la cour d’appel statuant sur renvoi de cassation car, par définition, les parties l’ont déjà réglé. Le renvoi après cassation n’étant que la poursuite de l’instance d’appel, aucun timbre fiscal n’est dû, et s’il n’y avait pas de représentation obligatoire dans l’instance d’appel, il n’y aura pas plus, a fortiori, de timbre fiscal à régler après régularisation d’une déclaration de saisine. L’autre critère de raisonnement est celui de la représentation obligatoire par avoué qui était imposée dans la procédure en question. En effet, l’article 963 dispose que « l’auteur de l’appel principal en justifie lors de la remise de sa déclaration d’appel et les autres parties lors de la remise de leur acte de constitution par l’apposition de timbres mobiles ou par la remise d’un justificatif lorsque le droit pour l’indemnisation de la profession d’avoué a été acquitté par voie électronique » et l’article 1635 bis P mentionne que « le produit de ce droit est affecté au fonds d’indemnisation de la profession d’avoué près les cours d’appel », ce qui avait guidé le législateur (loi de finances rectificative n° 2009-1674 du 30 décembre 2009) à instaurer un timbre fiscal, d’abord de 150 € puis porté à 225 € depuis le 1er janvier 2015 et jusqu’au 31 décembre 2026, lorsque l’avoué représentait les parties devant la cour d’appel. Ainsi, alors pourtant que, depuis le 1er août 2016, la représentation est obligatoire par avocat ou défenseur syndical devant la chambre sociale de la cour d’appel, dès lors que les avoués n’avaient pas, antérieurement, de monopole de la représentation obligatoire devant la chambre sociale, aucun timbre fiscal n’est dû par les parties. Pourtant, sur appel des décisions prud’homales, les décrets Magendie et du 6 mai 2017 s’appliquent comme devant les autres chambres. Comme pour la procédure sur renvoi après cassation, ce n’est donc pas toujours la représentation obligatoire et la procédure ordinaire qui permettent de connaître l’obligation ou non de payer le timbre fiscal.

Quizz procédural

Aussi, dès lors qu’un élément perturbateur de la procédure viendra se glisser, l’avocat devra se poser la question du règlement du timbre fiscal. Les interrogations sont multiples, mais la réponse, pas nécessairement évidente, est toujours unique. Et pour un quizz, sans choix multiple donc, et quelques questions pour un champion (de la procédure) : quid de plusieurs appels et constitutions contre un même jugement alors qu’une jonction laisse persister les liens d’instance, d’une constitution sur procédure à jour fixe, d’une tierce opposition, d’un recours en révision, d’un appel d’un jugement du pôle social du tribunal judiciaire, d’un recours gracieux d’une ordonnance sur requête, d’un référé-rétractation contre cette même ordonnance, d’un appel en matière fiscale, en matière douanière ou d’expropriation…

Litige en matière d’assurance : compétence dans l’Union européenne

Un accident de la circulation survient en Pologne. La victime cède alors sa créance à l’encontre de l’assureur du responsable, assureur dont le siège est situé au Danemark. Le cessionnaire de cette créance cède lui-même par la suite sa créance. Le second cessionnaire, de droit polonais, ayant saisi une juridiction polonaise de demandes dirigées contre l’assureur, la question de la compétence de cette juridiction se pose, au regard des dispositions du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Les dispositions visées

Ce règlement énonce des règles de compétence spécifiques à la matière des assurances.

Pour la clarté du propos, il est utile de les rappeler :

• Art. 10 : En matière d’assurances, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice notamment de l’article 7, point 5 ;

• Art. 11, § 1 : « L’assureur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait : a) devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile ; b) dans un autre État membre, en cas d’actions intentées par le preneur d’assurance, l’assuré ou un bénéficiaire, devant la juridiction du lieu où le demandeur a son domicile ; ou c) s’il s’agit d’un coassureur, devant la juridiction d’un État membre saisie de l’action formée contre l’apériteur de la coassurance » ;

• Art. 12 : « L’assureur peut, en outre, être attrait devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit s’il s’agit d’assurance de responsabilité ou d’assurance portant sur des immeubles […] » ;

• Art. 13 : « 1. En matière d’assurance de responsabilité, l’assureur peut également être appelé devant la juridiction saisie de l’action de la victime contre l’assuré, si la loi de cette juridiction le permet. 2. Les articles 10, 11 et 12 sont applicables en cas d’action directe intentée par la personne lésée contre l’assureur, lorsque l’action directe est possible. […] ».

Il est également utile de rappeler la teneur de l’article 7, points 2 et 5, dont l’application était en l’espèce discutée. Selon l’article 7, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre que celui de son domicile :

• § 2 : « en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire » ;

• § 5 : « s’il s’agit d’une contestation relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement, devant la juridiction du lieu de leur situation ».

Les difficultés

Au regard de ces différentes dispositions, l’affaire soumise à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) soulevait deux difficultés.

En premier lieu, il s’agissait de déterminer les règles de compétence pertinentes au regard de l’interrogation suivante : sachant que les articles 10 et suivants du règlement visent à protéger le contractant – considéré comme une partie faible – de l’assureur, ces articles ont-ils vocation à s’appliquer lorsque le litige oppose un assureur de responsabilité civile à un professionnel ayant acquis une créance détenue, à l’origine, par la victime ? Ou faut-il faire application des règles de l’article 7 ?

La CJUE répond que l’article 13, § 2, ne s’applique pas dans une telle hypothèse et ne fait pas obstacle à ce que la compétence juridictionnelle soit fondée, le cas échéant, sur l’article 7, § 2, ou sur l’article 7, § 5.

Cette solution se justifie par l’idée qu’aucune protection spéciale ne se justifie dans les rapports entre des professionnels du secteur des assurances (arrêt, pt 40), puisqu’aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à l’autre (CJUE 31 janv. 2018, Hofsoe, aff. C-106/17, pts 39 et 42, Dalloz actualité, 12 févr. 2019, obs. F. Mélin ; D. 2018. 247 image ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; Rev. crit. DIP 2018. 609, note S. Corneloup image ; Procédures 2018. Comm. 108, obs. C. Nourissat). Elle se situe dans la ligne de précédents arrêts, qui ont exclu, en substance, du bénéfice des règles protectrices spécifiques aux contrats d’assurance un organisme de sécurité sociale, cessionnaire légal des droits de la personne directement lésée dans un accident de voiture, engageant une action directe contre l’assureur établi dans un autre État membre, du responsable (CJUE 17 sept. 2009, Vorarlberger Gebietskrankenkasse, aff. C-347/08, pt 43, RTD eur. 2010. 421, chron. M. Douchy-Oudot et E. Guinchard image ; Procédures 2009. Comm. 387, obs. C. Nourissat ; Europe 2009. Comm. 387, obs. L. Idot), ainsi qu’une personne qui exerce une activité professionnelle dans le domaine du recouvrement des créances d’indemnités d’assurance, en qualité de cessionnaire contractuel (CJUE 31 janv. 2018, pt 43, préc.).

La conséquence de cette solution est alors simple : puisque les articles 10 et suivants n’ont pas vocation à s’appliquer en l’absence de partie faible, la compétence du juge doit être déterminée en application de l’article 7 même s’il s’agit d’un litige en matière d’assurance.

En second lieu, l’arrêt admettant l’application de principe de l’article 7, il prend soin de préciser les notions de succursale, d’agence ou d’établissement utilisées par l’article 7, § 5. En l’espèce, l’assureur danois n’opérait pas en effet directement en Pologne mais par le biais d’une société.

Rappelons que la Cour de justice a déjà jugé que l’existence d’une succursale, d’une agence ou d’un établissement suppose un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère et que ce centre doit être pourvu d’une direction et être matériellement équipé de façon à pouvoir négocier avec des tiers qui sont ainsi dispensés de s’adresser directement à la maison mère. La Cour a également précisé un autre critère de définition : le litige doit concerner soit des actes relatifs à l’exploitation d’une succursale, soit des engagements pris par celle-ci au nom de la maison mère, lorsque ces derniers doivent être exécutés dans l’État où cette succursale est située (CJUE 19 juill. 2012, Mahamdia, aff. C-154/11, pt 48, D. 2013. 1503, obs. F. Jault-Seseke image ; RDT 2012. 588, chron. F. Jault-Seseke image ; Rev. crit. DIP 2013. 217, note E. Pataut image ; ibid. 2021. 157, note G. Cuniberti image ; 11 avr. 2019, Ryanair, aff. C-464/18, pt 33, Dalloz actualité, 2 mai 2019, obs. F. Mélin ; D. 2019. 895 image ; RTD com. 2019. 787, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image ; BJS 2019. 28, obs. T. Mastrullo ; JCP 2019. 432, obs. D. Berlin).

Dans l’affaire qui lui était soumise, la CJUE a notamment relevé que l’assureur danois avait mandaté une société polonaise pour liquider le sinistre, que celle-ci disposait d’une existence juridique indépendante, qu’elle était pourvue d’une direction, qu’elle était habilitée à procéder au traitement complet des demandes d’indemnisation et à agir au nom et pour le compte de l’assureur et que ses décisions produisaient des effets juridiques à l’égard de l’assureur, de sorte qu’elle devait être regardée comme étant un centre d’opérations se manifestant d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère (arrêt, pts 54 à 56). La Cour a également retenu que le litige concernait des engagements pris par cette société polonaise au nom de l’assureur danois (arrêt, pt 39).

Au regard de ces éléments, l’arrêt énonce, de manière générale, que l’article 7, § 5, du règlement doit être interprété en ce sens qu’une société qui exerce, dans un État membre, en vertu d’un contrat conclu avec une entreprise d’assurances établie dans un autre État membre, au nom et pour le compte de cette dernière, une activité de liquidation de dommages dans le cadre de l’assurance de responsabilité civile automobile doit être considérée comme étant une succursale, une agence ou tout autre établissement lorsque cette société se manifeste de façon durable vers l’extérieur comme le prolongement de l’entreprise d’assurances et est pourvue d’une direction et est matériellement équipée de façon à pouvoir négocier avec des tiers, de sorte que ceux-ci sont dispensés de s’adresser directement à l’entreprise d’assurances.

L’arrêt du 20 mai 2021 prolonge ainsi la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, en fournissant une nouvelle illustration des critères que le juge doit mettre en œuvre en ce domaine.

La vente d’un lot de copropriété sur adjudication n’est pas une vente comme les autres !

par Yves Rouquetle 4 juin 2021

Civ. 3e, 20 mai 2021, FS-P, n° 20-15.633

Par l’arrêt de censure partielle rapporté, la Haute juridiction précise qui, du copropriétaire saisi ou de l’adjudicataire est redevable de la provision de charges et du coût de l’établissement de l’état daté.

Paiement de la provision sur charges

Au cas particulier, alors que la provision sur charges du 4e trimestre était exigible le 1er octobre et que l’adjudication avait eu lieu le 5, le copropriétaire saisi faisait grief au juge du fond de l’avoir condamné à verser au syndicat une certaine somme au titre d’un arriéré de charges.

Selon lui, si les articles 6-2 du décret du 17 mars 1967 et 14-1 de la...

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Des précisions sur le rescrit fiscal des associations

5 405 « rescrits mécénat » ont été traités par l’administration en 2019. Dans son référé, la cour notait que « le rescrit relève d’une procédure lourde avec une batterie de critères dont certains restent inconnus du public ». Par ailleurs, le rescrit ne constitue pas une autorisation : une association peut émettre des reçus fiscaux sans l’avoir demandé. De plus, il « n’est valable qu’à un moment donné, au vu de la situation de l’association et des pièces communiquées ».

La Cour constate « que l’administration fiscale peut être conduite, dans certains cas, à apprécier le message véhiculé par l’association concomitamment à l’activité qu’elle déploie », citant les organismes politiques, militants, revendicatifs ou religieux. Pour ces associations, la DGFIP s’appuie sur une note interne, non publiée, aux bases juridiques fragiles. Pour la Cour, la note laisse « une large part à l’appréciation, parfois subjective, de l’administration » et est appliquée de façon hétérogène sur le territoire. La Cour demandait la publication de cette note, « afin d’assurer la pleine information du public ». Ce que la DGFIP n’a pas fait.

Face au refus de l’administration, Dalloz actualité a saisi la CADA. La commission nous a donné un avis favorable et la note nous a alors été transmise. Les services fiscaux insistent sur le fait « que cette fiche n’est pas un élément de doctrine publiée mais un outil de travail interne établi par le service juridique en 2008, il y a donc plus de dix ans ». Le Service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal ne formulerait aujourd’hui pas tous les points de la même manière. Par ailleurs, un projet plus général d’actualisation de la doctrine publiée sur le mécénat devrait intervenir l’an prochain.

Une note pour orienter les demandes de rescrit

Comme nous l’indique la DGFIP, le but de la note « n’est pas tant de commenter la loi que d’organiser le traitement des demandes en rappelant que c’est la connaissance de l’activité effective de l’organisme qui permet de nous prononcer sur l’application de l’aide fiscale ».

La note rappelle d’abord que, s’agissant des associations qui diffusent des messages philosophiques, politiques, militants ou religieux, aucune réponse uniforme ne peut être dégagée. Mais elles ne peuvent être écartées sur ce seul fondement. Ainsi, dès lors que l’objet d’une association est culturel, le caractère d’intérêt général ne peut être refusé même si les œuvres présentent un caractère politique ou religieux.

Trois types d’association sont distingués : d’abord les associations véhiculant un message politique (think tank, cercle de réflexion, fondation). « Dès lors que son objet principal n’est pas de prôner l’idéologie politique dont il se réclame, mais de réaliser une activité présentant l’un des caractères visés par le texte, l’examen de l’organisme n’a rien de spécifique », quelle que soit la nature de l’idéologie affichée. Toutefois, « si l’organisme se place régulièrement dans l’illégalité du fait des idées qu’il véhicule (racisme, sexisme) ou des moyens qu’il utilise », le bénéfice du régime du mécénat pourra être écarté. « Les réductions d’impôt instituées par la loi ne peuvent avoir pour effet de permettre à un organisme de les transgresser ». Ne peuvent revêtir un caractère scientifique les travaux d’un organisme dont l’objet est avant tout de servir de tribune politique.

Deuxième type, les associations militantes ou revendicatives, qui ont pour objet de modifier la législation en vigueur sur des sujets particuliers (euthanasie, IVG, OGM, etc.). L’administration doit alors « faire abstraction des objectifs philosophiques politiques ou moraux » de l’organisme. Mais, pour bénéficier du rescrit mécénat, l’association ne peut avoir comme seule activité une action de lobbying, même si cela peut être une activité secondaire. Elle ne peut non plus enfreindre régulièrement la loi. Par ailleurs, elle recommande que les directions saisissent l’administration centrale.

Enfin, la note évoque les « associations religieuses ou sectaires », qui sont à distinguer de celles ayant un objet cultuel. Les associations ici visées exercent en effet une activité autre que cultuelle. Le rejet d’une demande ne peut être motivé du seul fait qu’elles présentent un caractère religieux ou fonctionne au profit de pratiquants. La note cite ainsi l’exemple d’un établissement sous contrat, qui resterait ouvert à des élèves de toute confession. Toutefois, il en ira différemment si l’organisme est réservé aux fidèles d’une religion. Par ailleurs, pour les organismes répertoriés comme sectaires, la saisine des services centraux est vivement recommandée.

[I]La Bergère[/I] de Pissarro rentrera ses moutons aux États-Unis

C’est un combat qui tenait de la croisade depuis trente et un ans. Léone Meyer, 81 ans, souhaitait obtenir la restitution de La Bergère rentrant des moutons, de Camille Pissarro, un tableau impressionniste spolié durant la Seconde Guerre mondiale à sa famille adoptive. Et, en faire don au musée d’Orsay où il est temporairement exposé. Elle a décidé d’y mettre fin mardi alors que le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris devait se prononcer mercredi sur sa demande de restitution et d’exclusive propriété de cette peinture.

« Après tant d’années, je dois constater mon impossibilité à convaincre les différents intervenants auxquels je me suis adressée. J’ai été écoutée, mais jamais entendue. C’est pourquoi j’ai pris la décision de renoncer à tous les droits sur ce tableau. Et même de renoncer à mon titre de propriété […] en faveur de la Fondation de l’université d’Oklahoma », déclare-t-elle dans un communiqué.

Sans doute les deux ordonnances du 17 mai du juge des référés ont-elles pesé dans son choix. En effet, Mme Meyer s’est vue déboutée de sa demande de mise sous séquestre du tableau et de sa requête en opposition d’une injonction antiprocès (anti-suit injonction) prononcée par un juge américain (v. Dalloz actualité, 17 mai 2021).

Sa demande de restitution sur le fondement de l’ordonnance du 21 avril 1945 sur les biens spoliés et l’annulation de l’accord signé en 2016 avec la Fondation de l’université d’Oklahoma avait-elle une chance d’aboutir ? La question restera en suspens.

« Depuis presque dix ans, je me bats pour faire reconnaître le droit à la restitution d’une œuvre d’art spoliée, indépendamment de toute autre considération touchant à son trajet, à son histoire, ou à celle de ses “détenteurs” successifs », poursuit-elle dans ce communiqué.

L’histoire de cette peinture résume les difficultés et écueils auxquels ont été confrontées les familles juives spoliées, ou leurs héritiers, pour récupérer leurs biens. En 2012, Mme Meyer localise le tableau de Pissarro au Fred Jones Jr Museum of Art de l’université d’Oklahoma. Il a été volé en 1941, avec toute la collection familiale, à ses parents par les Allemands. À l’issue de la guerre, La Bergère manque à l’appel.

Elle refait surface chez un marchand d’art en Suisse en 1951. La justice helvétique rejette la demande de restitution. En 1956, elle se trouve aux États-Unis où un couple de collectionneurs, Clara et Aaron Weitzenhoffer, l’achète à un galeriste un an plus tard. En 2000, ils la lèguent, avec d’autres tableaux, au Fred Jones Jr Museum of Art de l’université d’Oklahoma. Pourtant, depuis 1947, ce tableau de Pissarro figure au Répertoire des biens spoliés en France, consultable par tous, en particulier galeristes ou institutions muséales.

En février 2016, Mme Meyer signe un accord avec la Fondation de l’université d’Oklahoma, ratifié par la justice américaine, et exequaturé en France en octobre de la même année. Elle devient propriétaire du tableau mais ne peut le vendre sans l’accord de la partie américaine. Le protocole prévoit une rotation tous les trois ans entre le Fred Jones Jr Museum of Art et une institution muséale française choisie par Mme Meyer. Le musée d’Orsay a décliné la proposition, estimant la mesure trop contraignante.

La volonté de Mme Meyer d’obtenir la restitution de cette peinture familiale pour en faire don au musée d’Orsay ne se réalisera donc pas. « Je me suis battue aussi pour tenter d’offrir ce tableau au musée d’Orsay qui avait accepté de l’exposer pendant cinq ans, et je gardais le secret espoir que la fondation de l’Oklahoma puisse se sentir fière de participer avec moi à ce don, ce qui aurait permis au musée de l’accepter sans réserve », regrette-t-elle.

Selon les termes d’un accord, rendu public mardi, et qui reprend en partie celui de 2016, Mme Meyer « transfère le titre, les intérêts et tous les droits afférents au tableau de Pissarro à la Fondation de l’université de l’Oklahoma », est-il indiqué dans un communiqué commun.

En retour, la Fondation américaine s’engage « à identifier et à transférer la propriété à une institution publique française ou au programme américain Art dans les ambassades, sous réserve de l’accord original des parties de rotation de trois ans pour une exposition publique », selon ce même communiqué. Le musée d’Orsay ayant refusé le principe de la rotation triennale, il est peu probable qu’un autre musée l’accepte.

Jusqu’au 21 juillet, le tableau restera accroché au musée d’Orsay avant de repartir aux États-Unis. D’ici là, une plaque devra rappeler sa provenance, « reconnaissant l’histoire de la famille Meyer ainsi que la bonne foi de la famille Weitzenhoffer et de l’université d’Oklahoma », toujours selon ce communiqué commun.

« La Fondation de l’université d’Oklahoma est désormais le seul propriétaire du tableau. En ce qui concerne Mme Meyer, l’université et ses représentants sont par conséquent libres d’en faire tout usage », a estimé Me Ron Soffer, le conseil de Mme Meyer.

Mercredi, le juge des référés s’est borné à constater dans son ordonnance le désistement des deux parties.

 

Sur l’affaire de La Bergère, Dalloz actualité a également publié :

• Bataille judiciaire franco-américaine autour d’une peinture de Pissarro volée sous l’Occupation, par Pierre-Antoine Souchard le 3 mars 2021

• Le juge des référés refuse la mise sous séquestre d’une peinture de Pissarro volée sous l’Occupation, par Pierre-Antoine Souchard le 17 mai 2021

Conditions de l’exécution forcée de l’acte notarié alsacien-mosellan

Chacun sait qu’en application de l’article L. 111-5, 1°, du code des procédures civiles d’exécution, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, constituent notamment des titres exécutoires les actes établis par un notaire des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin « lorsqu’ils sont dressés au sujet d’une prétention ayant pour objet le paiement d’une somme d’argent déterminée ou la prestation d’une quantité déterminée d’autres choses fongibles ou de valeurs mobilières, et que le débiteur consent dans l’acte à l’exécution forcée immédiate ». De ce texte, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en a déduit un temps qu’il ne suffisait pas que la somme d’argent ou la quantité de la prestation que le créancier entendait recouvrir soit déterminable dans l’acte notarié ; il fallait qu’elle y soit déterminée (v. par ex., Civ. 2e, 22 mars 2018, n° 17-10.635, inédit ; 19 oct. 2017, n° 16-19.675, inédit, AJDI 2018. 54 image ; 19 oct. 2017, n° 16-26.413, inédit ; Civ. 1re, 6 avr. 2016, n° 15-11.077, inédit). Cette lecture a suscité des réactions peu amènes d’une large partie de la doctrine : non seulement elle ne s’imposait pas dans la mesure où le texte exigeait simplement que le montant de la créance soit effectivement déterminé au jour où l’acte a été dressé, mais elle conduisait à dénier toute force exécutoire aux actes notariés dressés par les notaires de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin : en dressant l’acte, le notaire ne peut jamais anticiper si le débiteur n’effectuera pas un paiement partiel de la dette, de sorte que le montant constaté dans l’acte ne peut que rarement être celui que le créancier entend recouvrir en recourant aux voies d’exécution (M. Julienne, Défendre la force exécutoire des actes notariés d’Alsace-Moselle, JCP N 2018. 1129). À pousser la logique jusqu’au bout, il aurait donc été préférable au créancier que le débiteur ne règle aucune part de la dette : en ce cas, le créancier pouvait agir pour recouvrir l’entièreté de ce qui lui était dû (à supposer que ce montant ait été déterminé dans l’acte) ! Le législateur a vraisemblablement entendu ces objections puisque la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 a modifié l’article L. 111-5 du code des procédures civiles d’exécution pour qu’il prévoit désormais que l’acte pouvait permettre l’exécution forcée pourvu qu’il ait pour objet le paiement d’une somme d’argent ou une prestation déterminable. Bien que cette loi ne soit pas applicable aux...

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Retour sur la qualité pour agir du commissaire à l’exécution du plan

De prime abord, la détermination de la qualité pour agir du commissaire à l’exécution du plan semble aisée. Comme son nom l’indique, cet organe est chargé de veiller à l’exécution du plan (C. com., art. L. 626-25, al. 1). Pourtant, là n’est pas sa seule mission. Sur un plan procédural, il peut également poursuivre les actions introduites avant le jugement arrêtant le plan par le mandataire judiciaire ou l’administrateur judiciaire (C. com., art. L. 626-25, al. 3) ou encore, engager des actions tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers (C. com., art. L. 626-25, al. 4). Malgré ces dispositions précises, la détermination de la qualité pour agir du commissaire à l’exécution du plan est délicate en pratique. Les nombreux arrêts portant sur cette thématique en témoignent (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 11e éd., Dalloz Action, 2021-2022, nos 521.311 s.).

L’importance de ce contentieux pourrait s’expliquer de deux façons. D’une part, le domaine des actions tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers est difficile à cerner, et ce, quel que soit l’organe à qui incombe la mise en œuvre de ces actions. D’autre part, cette difficulté est accrue dans un contexte au sein duquel le débiteur est redevenu in bonis. S’il est certain que le commissaire à l’exécution du plan ne le représente pas (Com. 27 mars 2012, n° 10-28.125, Bull. civ. IV, n° 70 ; D. 2012. 942, obs. A. Lienhard image; Procédures 2012/6, comm. 186, note B. Rolland ; Act. proc. coll. 2012/8, comm. 121, note L. Fin-Langer), la frontière peut être fine entre une action que le débiteur peut exercer seul postérieurement au jugement arrêtant le plan et une action tendant à la défense de l’intérêt collectif des créanciers pour laquelle le commissaire à l’exécution du plan a qualité pour agir.

L’arrêt ici rapporté s’inscrit dans cette problématique et permet de revenir sur les contours de la qualité pour agir du commissaire à l’exécution du plan.

En l’espèce, une société cessionnaire, qui reprochait à deux cédants d’avoir commis un dol lors d’une cession de parts sociales qu’ils lui avaient consentie, les a assignés, le 26 décembre 2014, en paiement de dommages-intérêts. Avant que le tribunal ne statue sur cette demande, la société cessionnaire est placée en redressement judiciaire le 4 septembre 2015. Le mandataire judiciaire a été assigné par la société débitrice en intervention forcée et déclaration de jugement commun. Le 16 février 2016, un plan de redressement est arrêté et le mandataire judiciaire devient le commissaire à l’exécution du plan.

La société cessionnaire obtient gain de cause en première instance quant à sa demande de dommages-intérêts, mais est déclarée irrecevable en appel pour défaut de qualité pour agir.

La cour d’appel retient d’abord que le mandataire judiciaire a seul qualité pour agir au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers. Elle souligne ensuite que les sommes recouvrées à l’issue des actions introduites par le mandataire entrent dans le patrimoine du débiteur et doivent, par conséquent, être affectées à l’apurement du passif. Or, l’action introduite par la société cessionnaire, en ce qu’elle tend à l’allocation de dommages-intérêts, tend en outre à la défense de l’intérêt collectif des créanciers. Dès lors, pour les juges d’appel, après l’arrêté du plan, il appartenait au commissaire à son exécution de s’approprier l’action lorsque le mandataire judiciaire, qui devait reprendre l’action engagée par le débiteur, ne l’a pas fait.

La société cessionnaire se pourvoit en cassation et fait notamment valoir que le commissaire à l’exécution du plan, qui ne représente pas le débiteur redevenu in bonis, n’a qualité que pour poursuivre les instances introduites pendant la période d’observation et non les instances qui étaient en cours à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective.

La haute juridiction souscrit à l’argumentation et casse l’arrêt d’appel au visa du troisième alinéa de l’article L. 626-25 du code de commerce. Pour la Cour de cassation, le commissaire à l’exécution du plan n’a pas la qualité pour poursuivre une action exercée par le...

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Règlement des intérêts patrimoniaux des époux : gare aux incombances procédurales

Un couple vécu en concubinage pendant plusieurs années, au cours desquelles l’un d’eux finança l’acquisition d’une maison dont l’autre était propriétaire. Ils se marièrent en 1991 sans établir de contrat de mariage et divorcèrent le 20 janvier 2000. Un procès-verbal de difficulté fut dressé le 9 avril 2000. Le juge commis, constatant la non-conciliation, les renvoya devant le tribunal qui statua par jugement du 6 avril 2010 sur les désaccords persistants. L’acte de partage fut signé quelques mois plus tard, le 24 septembre 2010.

L’affaire semblait donc réglée. Pourtant, cinq ans plus tard, l’ex-époux assigna son ex-épouse afin d’obtenir une indemnité sur le fondement de l’enrichissement sans cause pour le financement de la maison réalisé avant le mariage. Sa demande est jugée irrecevable par les premiers juges comme se heurtant à l’autorité de chose jugée du jugement du 6 avril 2010, décision confirmée par la cour d’appel de Toulouse le 6 août 2019.

Le demandeur succombant forma un pourvoi en cassation. Dans son moyen, il reprochait à la cour d’appel d’avoir violé les articles 1373 et 1374 du code de procédure civile. Selon le premier de ces textes, « en cas de désaccord des copartageants sur le projet d’état liquidatif dressé par le notaire, ce dernier transmet au juge commis un procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties ainsi que le projet d’état liquidatif ». Le juge commis « fait rapport au tribunal des points de désaccord subsistants ». L’article 1374 du code de procédure civile énonce quant à lui un principe de concentration des demandes en matière de partage judiciaire : « Toutes les demandes faites en application de l’article 1373 entre les mêmes parties, qu’elles émanent du demandeur ou du défendeur, ne constituent qu’une seule instance. Toute demande distincte est irrecevable à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé que postérieurement à l’établissement du rapport par le juge commis ».

La première branche du moyen note que la cour d’appel n’avait constaté ni que le notaire commis avait établi un procès-verbal de dires et de difficultés, ni qu’un juge avait été commis et aurait établi un rapport au tribunal sur les points de désaccord subsistant. La seconde branche reproche aux juges du fond d’avoir opposé à l’exposant le fait de s’être abstenu de faire état, tant devant le notaire que devant le tribunal, de la créance objet du litige. En d’autres termes, le moyen démontrait, non sans pertinence, que les conditions de l’irrecevabilité prévue à l’article 1374 du code de procédure civile n’étaient pas réunies.

Le pourvoi est néanmoins rejeté. La première chambre civile énonce d’abord un attendu de principe (§ 5) : « Lorsque la liquidation des intérêts pécuniaires d’époux a été ordonnée par une décision de divorce passée en force de chose jugée, la liquidation à laquelle il est procédé englobe tous les rapports pécuniaires entre les parties, y compris les créances nées avant le mariage. Il appartient dès lors à l’époux qui se prétend créancier de l’autre de faire valoir sa créance contre son conjoint lors de l’établissement des comptes s’y rapportant. ».

Elle étudie ensuite l’arrêt d’appel au regard de ces règles (§ 6). Elle remarque alors que les juges du fond avaient relevé que le jugement avait fait application de l’article 264-1 du code civil alors en vigueur et qu’ils avaient énoncé à bon droit que la liquidation à laquelle il est procédé à la suite du divorce englobe tous les rapports pécuniaires existant entre les époux. Il appartient donc à celui qui se prétend créancier de faire valoir sa créance lors de l’établissement des opérations de comptes et liquidation.

La Cour de cassation reconnaît que les motifs de l’arrêt critiqués par le pourvoi sont erronés. Elle les qualifie cependant de « surabondants ». En d’autres termes, ce ne sont pas tant les règles procédurales du partage judiciaire (C. pr. civ., art. 1373 et 1374) que celles du règlement des intérêts patrimoniaux des époux (C. civ., art. 264-1 anc. ; C. civ., art. 267) qui justifient l’irrecevabilité d’une telle demande.

La solution n’est pas surprenante, mais elle est bienvenue.

Elle n’est pas surprenante car la Cour de cassation s’est engagée depuis longtemps dans un mouvement de « globalisation » des intérêts patrimoniaux des époux, tant sur le fondement des anciens articles 264-1 (Civ. 1re, 28 nov. 2000, n° 98-13.405, Bull. civ. I, n° 306 ; D. 2001. 177 image) et 1351 du code civil (Civ. 1re, 5 avr. 1993, nº 91-10.648, Bull. civ. I, nº 143 ; JCP 1994. I. 3733, nº 24, obs. M. Storck ; JCP N 1994. II, nº 113, note M. Hérail) que sur celui du nouvel article 267 du code civil, issu de l’ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 (Civ. 1re, 30 janv. 2019, n° 18-14.150 F-P+B, Dalloz actualité, 13 mars 2019, obs. R. Laher ; D. 2019. 256 image ; ibid. 2020. 506, obs. M. Douchy-Oudot image ; AJ fam. 2019. 216, obs. J. Casey image ; Dr. fam. 2019, n° 80, obs. S. Torricelli-Chrifi ; RJPF 2019/3, p. 28, note J. Dubarry ; RLDC 2019/171, p. 27, comm. P. Marcou). La Cour confirme ainsi qu’elle retient une perception large de la notion de « liquidation et partage des intérêts patrimoniaux des époux » au sens des articles 264-1 ancien du code civil et 267 du code civil. Ce terme doit s’entendre comme tous les « rapports pécuniaires des époux », ce qui ne se limite pas à la liquidation du régime matrimonial stricto sensu mais englobe toute question patrimoniale entre les mêmes parties. Cette tendance s’inscrit par ailleurs dans un élan processuel profond initié par le célèbre arrêt Cesareo (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, Bull. AP, n° 8 ; D. 2006. 2135, et les obs. image, note L. Weiller image ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud image ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot image).

La solution est bienvenue à deux égards. D’une part, elle permet de confirmer que la source de la créance importe peu. La solution est identique dans tous les cas, que la créance soit fondée sur le droit de l’indivision (Civ. 1re, 30 janv. 2019, préc.) ou l’enrichissement injustifié. Il en va de même d’ailleurs des créances alimentaires (Civ. 1re, 11 déc. 2001, n° 99-21.851, inédit ; Defrénois 2002. 401, G. Champenois), de contribution aux charges du mariage, prestation compensatoire et de dommages et intérêts (Civ. 1re, 14 mai 2014, n° 13-14.087, inédit). Seules comptent l’identité des parties et la nature pécuniaire de la demande.

D’autre part, la formulation utilisée par la Cour permet de lever certaines ambiguïtés et d’apaiser des craintes légitimes. Dans un arrêt rendu le 30 janvier 2019 (préc.), la Cour de cassation avait énoncé qu’« il appartient à l’époux qui se prétend créancier de l’autre de faire valoir sa créance selon les règles applicables à la liquidation de leur régime matrimonial lors de l’établissement des comptes s’y rapportant » (nous soulignons). Cette formule, accusée de brouiller les frontières temporelles du champ d’application des régimes matrimoniaux, laissait craindre que les créances antérieures au mariage ne soient calculées selon les règles applicables à celles nées pendant le mariage. Certains auteurs s’en étaient émus et dénonçaient rétroactivité des effets patrimoniaux du mariage qui « absorberait » le concubinage antérieur, lequel ne serait qu’un « avant-contrat », une sorte de promesse de mariage (J. Dubarry et P. Marcou, obs. et comm. préc.). Ce serait en effet aller bien trop loin dans la création d’un droit commun du couple.

Ces craintes semblent avoir été entendues. Dans cet arrêt rendu le 26 mai 2021, la Cour de cassation ne fait aucune référence aux règles applicables à la liquidation de leur régime matrimonial : l’unification n’est donc que processuelle. En d’autres termes, toutes les créances, qu’elles soient antérieures, concomitantes ou postérieures au mariage, doivent être traitées au cours de la même instance et devant le même juge, mais selon des règles distinctes.

La globalisation a les vertus que l’on sait : simplification, rationalisation, accélération du traitement procédural. Elle n’en présente pas moins quelques inconvénients pour les parties. Elle était à l’origine conçue à destination du juge : elle constitue ainsi une obligation qui lui est faite de déclarer recevable toute demande patrimoniale présentée par les parties et elle justifie la compétence élargie du juge aux affaires familiales (Civ. 1re, 30 janv. 2019, préc.). Elle apparaît aussi désormais comme une charge pesant sur les parties.

Il en résulte une véritable incombance processuelle à leur endroit (sur la notion d’incombance en matière contractuelle, B. Freleteau, Devoir et incombance en matière contractuelle, LGDJ, 2017, t. 576 ; S. Licari, Pour la reconnaissance de la notion d’incombance, RRJ 2002, n° 2 p. 703 ; B. Labbé, L’incombance : un faux concept, RRJ 2005/1, p. 183 ; M. Fontaine, Fertilisation croisées du droit des contrats, in Mélanges J. Ghestin, 2000, p. 347). Faute de faire connaître l’ensemble de ses prétentions patrimoniale au cours de l’instance, chacune des parties s’expose à l’irrecevabilité d’une demande future, ce qui résonne ni plus ni moins comme une déchéance de son droit, à l’image de l’obligation de déclarer une créance dans une procédure collective ou une succession acceptée à concurrence de l’actif net. Cette déchéance substantielle ne dit pourtant pas son nom et se dissimule derrière la présomption processuelle irréfragable bien connue qu’est l’autorité de chose jugée. Il est pourtant assez singulier d’étendre l’autorité de chose jugée d’un jugement à une prétention qui n’a pas été formulée devant le juge… La rationalisation du contentieux de masse a des raisons que la raison ignore.

La divisibilité d’une clause permet d’éviter son éradication totale

La divisibilité d’une clause permet de la sauver de l’éradication à laquelle elle était vouée en raison du caractère abusif de certains de ses termes. Tel est l’enseignement que nous livre la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2021. En l’espèce, suivant acte notarié du 21 mars 2008, une banque a consenti à un couple d’emprunteurs un prêt immobilier dont les conditions générales prévoyaient à l’article 14 que les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles dans un certain nombre de cas et notamment en cas de retard de plus de trente jours dans le paiement d’une échéance en principal, intérêts et accessoires du prêt et que, pour s’en prévaloir, le prêteur en avertirait l’emprunteur par lettre simple. Par la suite, les emprunteurs ont assigné la banque en annulation des commandements de payer aux fins de saisie-vente que celle-ci leur avait délivrés et invoqué le caractère abusif de cette clause au motif que celle-ci prévoit une vingtaine de causes de déchéances du terme dont certaines se rapportent à des causes extérieures au contrat (ce qui est effectivement abusif, v. d’ailleurs, en matière de crédit à la consommation, la récente recommandation n° 21-01 de la Commission des clauses abusives du 10 mai 2021. V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Regard sur la recommandation de la Commission des clauses abusives n° 21-01 relative aux contrats de crédit à la consommation, JCP E, à paraître ; v. égal. S. Bernheim-Desvaux, 43 clauses abusives relevées dans les contrats de crédit à la consommation, CCC, juillet 2021, à paraître), étant observé, au surplus, qu’il n’est pas prévu de mise en demeure préalable. La cour d’appel de Douai, dans un arrêt du 16 mai 2019, rejette cette demande, ce qui motiva un pourvoi en cassation de la part des emprunteurs, mais en vain. La Cour régulatrice, pour rejeter ce pourvoi, rappelle tout d’abord que « La Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que les articles 6 et 7 de la directive 93/13/CEE, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce qu’une clause de déchéance du terme d’un contrat de prêt jugée abusive soit maintenue en partie, moyennant la suppression des éléments qui la rendent abusive, lorsqu’une telle suppression reviendrait à réviser le contenu de ladite clause en affectant sa substance (CJUE 26 mars 2019, Abanca Corporación Bancaria SA, aff. C-70/17, D. 2019. 636 image ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; Bankia SA, aff. C-179/17) » (pt 5). Interprétant cette jurisprudence a contrario, les hauts magistrats considèrent qu’ « Il en résulte que peut être maintenue en partie une clause de déchéance du terme dont seules certaines des causes sont abusives, dès lors qu’en raison de sa divisibilité, la suppression des éléments qui la rendent abusive n’affecte pas sa substance » (pt 6). Puis, il affirment qu’« Après avoir relevé que l’article 14 du contrat de prêt comportait des causes de déchéance du terme pouvant être déclarées abusives car étrangères à l’exécution de ce contrat, la cour d’appel a constaté qu’il prévoyait d’autres causes liées à l’exécution du contrat lui-même qui étaient valables » (pt 7). Ils en concluent que « De ces constatations et énonciations faisant ressortir la divisibilité des causes de déchéance du terme prévues à l’article 14, la cour d’appel a exactement déduit que le caractère non écrit de certaines de ces causes de déchéance n’excluait pas la mise en œuvre de celles valablement stipulées, dès lors que la suppression des éléments qui rendaient la clause litigieuse abusive n’affectait pas sa substance » (pt 8).

La solution est parfaitement justifiée au regard de la jurisprudence européenne que la Cour de cassation prend la peine de citer. Celle-ci répugne en effet à ce que le juge, sous prétexte de contrôler le caractère abusif d’une clause, opère en réalité une réfaction de celle-ci, pouvoir que ne lui octroie nullement la directive du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (v. égal., CJUE 14 juin 2012, aff. C-618/10, D. 2012. 1607 image ; ibid. 2013. 945, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD eur. 2012. 666, obs. C. Aubert de Vincelles image : « L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre (…) qui permet au juge national, lorsqu’il constate la nullité d’une clause abusive dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, de compléter ledit contrat en révisant le contenu de cette clause ». Comp. CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, D. 2014. 1038 image ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles image ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles image : « L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans une situation telle que celle en cause au principal, dans laquelle un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause abusive, cette disposition ne s’oppose pas à une règle de droit national permettant au juge national de remédier à la nullité de cette clause en substituant à celle-ci une disposition de droit national à caractère supplétif »). Le maintien d’une clause partiellement abusive n’est donc possible qu’à la condition que cela n’aboutisse pas à une dénaturation de cette clause qui confinerait à sa réfaction.

Au fond, la solution évoque, au niveau de la clause, la règle prévue par l’article L. 241-1 du Code de la consommation (reflétant au demeurant l’art. 6, § 1, de la dir. de 1993). Ce texte dispose en effet que « Les clauses abusives sont réputées non écrites. Le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans ces clauses. Les dispositions du présent article sont d’ordre public » (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., 2021, Dalloz, coll. « Cours », n° 113). La première chambre civile admet en fait la possibilité de transposer cette logique au sein même de chaque clause : la clause litigieuse reste ainsi applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives si elle peut subsister sans ces dispositions, ce qui n’est possible que si cette clause est divisible. En définitive, la divisibilité d’une clause permet d’éviter son éradication totale !

Pour conclure, l’on observera que cette solution pourrait d’ailleurs inspirer les juges qui auraient à se prononcer sur les conséquences de l’éradication d’une clause sur le fondement de l’article 1171 du code civil.

Moyen relevé d’office et respect du contradictoire en soins sous contrainte

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 26 mai 2021 rappelle l’importance cardinale du principe du contradictoire et son lien avec l’office du juge (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Domat », p. 256, n° 304). C’est au sujet de l’hospitalisation sans consentement que le problème s’est posé mais la difficulté est transposable à toute procédure civile classique. Notons, à titre liminaire, d’ailleurs que l’article R. 3211-7 du code de la santé publique soumet les procédures judiciaires liées aux hospitalisations sous contrainte aux règles du code de procédure civile (pour les moyens de défense, v. Civ. 1re, 12 mai 2021, n° 20-13.307, Dalloz actualité, 19 mai 2021, obs. C. Hélaine, D. 2021. 966 image). Ceci fait de cette matière un laboratoire topique d’étude des règles du droit judiciaire privé. La question du jour porte sur l’entrecroisement entre un moyen de droit relevé d’office par le juge et le débat contradictoire entre les parties dans le cadre d’une procédure orale. La difficulté prend une tournure particulière en matière d’hospitalisation sans consentement puisque le majeur concerné par la mesure n’est bien souvent pas en mesure d’être à l’audience. Les faits sont ici assez classiques : une personne sous curatelle est admise en hospitalisation sous contrainte à la demande d’un tiers sur le fondement de l’article L. 3212-3 du code de la santé publique. Plusieurs programmes de soins ont pu se succéder, avec une période d’hospitalisation complète à compter du 16 octobre 2019, qui a donné lieu à une décision du juge des libertés et de la détention du 25 octobre. Le 14 novembre, alors qu’un programme de soins était en cours depuis dix jours, le directeur de l’établissement décide d’une nouvelle hospitalisation sans consentement. Quatre jours plus tard, le directeur sollicite le renouvellement de la mesure sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique. Problème : de nombreuses irrégularités étaient reprochées par la personne hospitalisée sous contrainte. Cette dernière soulève ainsi ces irrégularités devant le premier président de la cour d’appel de Rouen. Dans une ordonnance en date du 5 décembre 2019, ce dernier décide de soulever d’office le moyen selon lequel « sont irrecevables les moyens tirés de l’irrégularité de la procédure antérieure au 25 octobre 2019, date à laquelle le juge des libertés et de la détention a statué, par une décision définitive ayant autorité de la chose jugée, sur la régularité d’une précédente hospitalisation complète ». Tout ceci paraissait bien exempt de critique mais le moyen relevé d’office n’avait pas été présenté aux parties pour recueillir leurs observations d’autant plus que les deux parties étaient absentes à l’audience. Le majeur protégé se pourvoit en cassation en arguant que tout moyen de droit relevé d’office par le juge doit faire l’objet d’un débat contradictoire entre les parties.

La Cour de cassation casse et annule l’ordonnance entreprise sur le fondement de l’article 16, alinéa 3, du code de procédure civile dans une motivation particulièrement pédagogue où la haute juridiction rappelle l’intérêt de la règle et son incidence en hospitalisation sous contrainte.

Le rappel de la prééminence du contradictoire

La Cour de cassation utilise dans l’arrêt du 26 mai 2021 une motivation particulièrement riche citant un précédent en matière d’office du juge également dans le cadre d’une procédure orale, à savoir dans les litiges portant sur les honoraires d’avocat (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-15.985, Dalloz actualité, 18 nov. 2020, obs. C. Caseau-Roche ; D. 2020. 2124 image ; ibid. 2021. 104, obs. T. Wickers image ; ibid. 543, obs. N. Fricero image). Comme le notent MM. Cadiet et Jeuland, l’obligation faite au magistrat dans l’article 16, alinéa 3, du code de procédure civile s’applique à tous les types de moyens « de fond, de procédure ou d’irrecevabilité ; peu importe qu’ils soient dans l’intérêt privé ou d’ordre public » (L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, coll. « Manuels », 2020, p. 480, n° 511). Voici donc de quoi bien réaffirmer la force du principe du contradictoire dans toute sa splendeur. Tout moyen relevé d’office doit être présenté aux parties afin de recueillir leurs observations. Ici, le moyen en question était particulièrement bien fondé puisqu’il concernait l’autorité de la chose jugée d’une précédente décision. En notant qu’« alors que le curateur de M. L… et le directeur du centre hospitalier n’avaient pas comparu à l’audience et qu’il ne ressort ni de la décision ni des pièces de la procédure que la partie présente ait été, au préalable, invitée à formuler ses observations sur ce moyen relevé d’office » (nous soulignons), la Cour de cassation n’a pas d’autres solutions que de retenir une cassation pour violation de la loi faute de comparution effective de l’intéressé. L’issue aurait été bien différente si le moyen avait été d’une manière ou d’une autre déjà dans la cause (Civ. 2e, 5 juin 2014, n° 13-19.920, Dalloz actualité, 25 juin 2014, obs. M. Kebir ; D. 2014. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle image) puisque, dans ce cadre, le relevé d’office n’en aurait pas vraiment été un, dispensant d’une telle formalité.

Rappelons que l’article 16, alinéa 3, du code de procédure civile qui sert de support au visa de l’arrêt commenté ne s’est pas imposé d’une manière évidente en droit positif. Il a fallu, notamment, attendre une annulation du Conseil d’État (CE 12 oct. 1979, A. Bénabent, Rassemblement des nouveaux avocats de France, D. 1979. 606 ; RTD civ. 1980. 145, obs. J. Normand) de l’article 12, alinéa 3, ancien qui dispensait le juge d’observer le contradictoire quand il statuait en relevant d’office un moyen de pur droit (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », p. 638, n° 889). Le décret n° 81-500 du 12 mai 1981 a, par la suite, donné à l’article 16, alinéa 3, sa rédaction actuelle, laquelle est « de plus en plus largement appliquée » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Domat », p. 259, n° 310). Dans une procédure écrite, la difficulté liée au moyen de droit relevé d’office peut être évacuée par une décision avant dire droit afin de rouvrir les débats et de recueillir les observations des parties par voie de conclusions. Le travail peut également être facilité par le jeu de diverses présomptions comme dans le cadre des procédures sans représentation obligatoire où les moyens sont présumés avoir été débattus contradictoirement à l’audience.

On perçoit toutefois aisément l’idée qui a pu conduire au raisonnement du premier président de l’ordonnance cassée dans l’arrêt commenté. Derrière le moyen relevé d’office, il y avait le respect de l’autorité de la chose jugée et, ce faisant, la volonté d’éviter de détricoter ce qui avait déjà été purgé par des décisions passées n’ayant pas relevé les problèmes soulevés par le majeur interné en cause d’appel seulement. En dépit de ce constat, la Cour de cassation maintient un degré très exigeant dans le respect du contradictoire afin de garantir les droits du majeur protégé. Bien évidemment, tout ceci appelle des remarques dans le contentieux précis de l’hospitalisation sans consentement.

Des conséquences sur la procédure d’hospitalisation sous contrainte

Bien que la solution ne soit pas nouvelle, en ce qu’elle est l’application du droit commun dans la procédure spécifique des soins psychiatriques sous contrainte, il n’en reste pas moins que les juges des libertés et de la détention doivent composer avec des difficultés assez originales, propres à ce contentieux. Nous ne sommes pas dans une procédure classique où les individus peuvent comparaître facilement : par définition, ils sont dans une structure médicale et la voie de recours s’exerce d’une manière bien souvent complexe, dans des délais rapides. Or cette complexité conduit à devoir composer avec les moyens du bord : patient sous médicamentation, contact avec la structure accueillant le majeur hospitalisé, impossibilité des communications avec l’intéressé, truchement d’un isolement ou d’une contention (sur ce point, v. décr. n° 2021-537, 30 avr. 2021, JO 2 mai, Dalloz actualité, 11 mai 2021, obs. C. Hélaine), etc. Il faut bien avouer, en tout état de cause, que les obstacles peuvent être très nombreux pour élaborer une décision à l’abri de toute critique en droit ou en fait. En rappelant l’importance du contradictoire dans les moyens de droit relevés d’office par le juge, la Cour de cassation confirme ce constat malgré l’absence régulière de comparution du principal intéressé. Les soins sous contrainte sont des procédures où le juge doit jouer un rôle d’équilibriste pour parvenir à une solution exempte de défauts. L’art est parfois bien difficile.

Faut-il, pour autant, aménager alors les règles applicables à l’hospitalisation sans consentement ? La réponse est très nuancée, semble-t-il. L’application du code de procédure civile permet de donner un élan protecteur à ces mesures puisqu’elles bénéficient des principes directeurs du droit judiciaire privé. Cet élan se conjugue d’ailleurs avec les dispositions du code de la santé publique qui « multiplient les portes de sortie » (v. Rép. civ., v° Malades mentaux, par D. Truchet, nos 87 s.) de l’individu hospitalisé sans consentement. Mais des aménagements resteraient théoriquement possibles comme, par exemple, passer d’une procédure orale à une procédure purement écrite. Mais, à l’heure actuelle, une telle réforme n’est pas envisagée car elle est elle-même accompagnée de son lot de risques.

En somme, le contradictoire vient à nouveau confirmer l’équilibre délicat entre les droits de l’individu placé en soins sous contrainte et la protection de l’ordre public. Règle essentielle entre les parties, le contradictoire s’impose également au juge qui, une fois les observations des parties recueillies, peut utiliser à toutes fins utiles le moyen de droit relevé d’office pour motiver sa décision. La Cour de cassation continue ainsi la construction d’un régime harmonieux de l’hospitalisation sous contrainte, régime qui ne diffère guère d’une procédure civile très classique.

Quand la sûreté réelle pour autrui se double d’un cautionnement

Il est relativement fréquent qu’une personne affecte l’un de ses biens en garantie de la dette d’autrui (V. à ce sujet J.-J. Ansault, Le cautionnement réel, préf. P. Crocq, Doctorat et Notariat, t. 40, Defrénois, 2010). On sait qu’il s’agit alors d’une pure sûreté réelle pour autrui et non d’un cautionnement, depuis un fameux arrêt rendu par une chambre mixte de la Cour de cassation le 2 décembre 2005 (D. 2006. 729 image, concl. J. Sainte-Rose image ; ibid. 61, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 733, note L. Aynès image ; ibid. 1414, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; ibid. 2855, obs. P. Crocq image ; AJ fam. 2006. 113, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2006. 357, obs. B. Vareille image ; ibid. 594, obs. P. Crocq image ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais image : « Mais attendu qu’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui et n’étant pas dès lors un cautionnement, lequel ne se présume pas, la cour d’appel a exactement retenu que l’article 1415 du code civil n’était pas applicable au nantissement donné par M. X. »), cette dernière n’ayant eu de cesse, depuis lors, de tirer les conséquences de cette analyse (v. en dernier lieu, Com. 25 nov. 2020, n° 19-11.525, D. 2021. 555 image, note D. Robine image ; ibid. 532, point de vue R. Dammann et Keyvan Malavielle image ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille image ; RTD civ. 2021. 183, obs. C. Gijsbers image ; RTD com. 2021. 194, obs. A. Martin-Serf image ; v. égal., Com. 17 juin 2020, n° 19-13.153, D. 2020. 1357 image ; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli image ; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers image ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille image ; RTD civ. 2020. 671, obs. C. Gijsbers image ; RTD com. 2020. 951, obs. A. Martin-Serf image ; v. à ce sujet, D. Robine, Sûreté réelle pour autrui et procédure collective du constituant : le bénéficiaire de la sûreté n’est pas soumis à la discipline collective, D. 2021. 555 image). Il est en revanche plus rare que les parties s’entendent clairement pour conclure un cautionnement venant s’ajouter à la sûreté réelle (v. en ce sens, L. Aynès et P. Crocq, avec le concours d’A. Aynès, Droit des sûretés, 14e éd., LGDJ, 2020, n° 65 : « plus rarement, les parties entendent constituer une sûreté réelle pour autrui et un cautionnement » ; v. cependant, Civ. 1re, 9 nov. 2004, n° 01-17.431, D. 2004. 3135, et les obs. image). Cette figure est pourtant intéressante pour le créancier, dans la mesure où, « si le cautionnement se révèle inefficace pour une cause propre (ex. violation d’une règle de formation ou bénéfice de subrogation), demeurera en principe la sûreté réelle » (L. Aynès et P. Crocq, avec le concours d’A. Aynès, op. cit.). On prêtera donc une attention particulière à un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 2 juin 2021. En l’espèce, une banque avait consenti à deux sociétés des crédits ainsi que diverses facilités de caisse et lignes d’escompte. Le gérant de ces sociétés, ainsi qu’une autre personne, se sont rendus cautions solidaires desdites sociétés et ont affecté hypothécairement en garantie un bien immobilier leur appartenant. Les sociétés débitrices ayant été mises en liquidation judiciaire, la banque a fait délivrer aux garants un commandement de saisie immobilière, puis les a assignés pour l’audience d’orientation. Ceux-ci ont alors élevé plusieurs contestations, notamment en invoquant le manquement de la banque à son obligation d’information annuelle des cautions relative au montant de la dette, prévue par l’article L. 313-22 du code monétaire et financier, et en demandant, en conséquence, que les paiements effectués par la société débitrice principale...

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Délais pour conclure en appel et médiation

Pour la première fois depuis l’entrée en vigueur de l’article 910-2 du code de procédure civile, la Cour de cassation rappelle l’exigence du caractère interruptif des délais pour conclure en cas de médiation. Le 29 juin 2018, un salarié relève appel d’un jugement du conseil des prud’hommes l’ayant débouté de ses demandes relatives à la requalification en contrat de travail du contrat de location non exclusive de véhicule avec chauffeur le liant à son employeur. Constatant que l’appelant n’avait pas remis ses conclusions dans le délai de trois mois de l’article 908 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Versailles, selon ordonnance du 8 novembre 2018, prononce la caducité de la déclaration d’appel, laquelle est confirmée sur déféré par la cour d’appel. Demandeur au pourvoi, l’appelant reprochait à la cour de Versailles d’avoir retenu la sanction de caducité alors que la décision de la cour qui lui avait été notifiée « de retenir son affaire pour faire l’objet d’un envoi en médiation, c’est-à-dire pour ordonner une médiation, interrompait les délais pour conclure ». Rejetant le pourvoi, la deuxième chambre civile apporte la réponse suivante :

« 4. Selon l’article 910-2 du code de procédure civile, la décision d’ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du même code. L’article 131-6 du même code précise que cette décision mentionne l’accord des parties, désigne le médiateur et la durée initiale de sa mission, indique la date à laquelle l’affaire sera rappelée à l’audience, fixe le montant de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur et désigne la ou les parties qui consigneront la provision dans le délai imparti.

5. Ayant relevé que les parties avaient été convoquées à une réunion d’information sur la médiation et qu’il n’était pas démontré qu’elles s’étaient accordées sur la nécessité de poursuivre la médiation à l’issue de cette réunion d’information, c’est à bon droit que la cour d’appel, qui a retenu que seule la décision d’ordonner une médiation interrompait les délais pour conclure, en a déduit que cette simple convocation à une réunion d’information n’avait pu interrompre le délai pour conclure prévu par l’article 908 du code de procédure civile et sanctionné par la caducité de la déclaration d’appel ».

Il est suffisamment rare qu’une question de procédure d’appel posée à la Cour de cassation soit aussi simple que la réponse qu’elle apporte pour ne pas le souligner. À la question, est-ce que la convocation à une réunion d’information à la médiation est interruptive des délais pour conclure, la réponse est bien évidemment non.

Plutôt que de proposer des médiations en cours de procédure, les cours d’appel se sont attelées récemment, avec des impulsions différentes selon les présidents de chambre, à inviter les parties à des réunions d’information afin d’exposer les intérêts de la médiation. Pendant longtemps, la médiation n’était pas interruptive des délais pour conclure en appel, ce qui amenait certaines cours à la proposer aux parties en fin de procédure, une fois l’ensemble des délais pour conclure expirés. Si l’appelant et l’intimé avaient déjà conclu dans leurs délais respectifs, ils avaient aussi largement déclenché les hostilités, et il faut reconnaître que comme promotion de la médiation, de la restauration du dialogue et de la pacification des conflits, il y avait mieux ; sans même évoquer le peu d’écho d’une telle mesure chez des parties qui s’étaient dit tout ce qu’elles avaient à se dire. Sur ce point, la réforme de 2017 de la procédure d’appel apporta un changement de paradigme afin d’envisager la médiation sous un autre angle et, si possible, dès l’ouverture du dossier en appel afin de préserver ses chances d’aboutir. Depuis lors, les parties sont souvent convoquées, de manière plus ou moins coercitive et plus ou moins personnalisée selon les pratiques des chambres, à des réunions de présentation exposant les mérites de la médiation.

Mais, bien évidemment, on aura à l’esprit, lorsque l’on connaît le peu de fantaisie rédactionnelle des articles 901 et suivants du code de procédure civile, que seule l’ordonnance qui désigne le médiateur, et rien d’autre, est interruptive des délais, et des délais pour conclure. Il suffit de lire l’article 910-2, instauré par l’article 22 du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, pour s’en convaincre :

« La décision d’ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure et former appel incident mentionnés aux articles 905-2 et 908 à 910 du même code. L’interruption de ces délais produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur ». Quant à l’article 131-6, il dispose que « la décision qui ordonne une médiation mentionne l’accord des parties, désigne le médiateur et la durée initiale de sa mission et indique la date à laquelle l’affaire sera rappelée à l’audience.

Elle fixe le montant de la provision à valoir sur la rémunération du médiateur à un niveau aussi proche que possible de la rémunération prévisible et désigne la ou les parties qui consigneront la provision dans le délai imparti ; si plusieurs parties sont désignées, la décision indique dans quelle proportion chacune des parties devra consigner.

La décision, à défaut de consignation, est caduque et l’instance se poursuit ».

Il était constant, en l’espèce, qu’aucune ordonnance de médiation n’était intervenue, les parties ayant seulement reçu une convocation à une réunion et la cour d’appel avait bien observé qu’« il n’est pas démontré d’accord des parties sur la nécessité de poursuivre la médiation à l’issue de la réunion d’information du 11 septembre 2018 », élément repris dans sa solution par la Cour de cassation. Cependant, lier le fait que « les parties avaient été convoquées à une réunion d’information sur la médiation » avec le constat « qu’il n’était pas démontré qu’elles s’étaient accordées sur la nécessité de poursuivre la médiation à l’issue de cette réunion d’information » pourrait paraître ambigu, comme si cette dernière assertion pouvait être un cas d’interruption. Car l’on s’empressera d’ajouter qu’un accord des parties à poursuivre une médiation n’est pas plus interruptif qu’une réunion d’information, seule l’ordonnance de médiation étant interruptive selon les termes, clairs, de l’article 910-2, sauf à ce que l’ordonnance elle-même constate cet accord… L’équivoque provient peut-être de là puisque l’article 131-6 mentionne notamment que « la décision qui ordonne une médiation mentionne l’accord des parties ». L’accord des parties et l’ordonnance ici se confondent. En effet, toutes réunions d’information, tentatives de mise en place d’une médiation ou pourparlers transactionnels ne sont bien évidemment pas interruptifs des délais des articles 908 et suivants, prévus à peine de caducité ou d’irrecevabilité. C’est le texte : « La décision d’ordonner une médiation interrompt les délais impartis pour conclure. » Il s’agit bien enfin d’une interruption des délais pour conclure et non d’une suspension, ce qui a encore l’immense mérite de faciliter le calcul des délais, à la différence des conclusions de radiation notifiées par l’intimé qui constituent l’autre apport du décret du 6 mai 2017 (C. pr. civ., art. 524 nouv.) en termes de « pause procédurale » puisque le délai pour conclure est alors suspendu, et encore uniquement pour l’intimé concerné.

On ne pourra pas reprocher, cette fois, à un texte issu des décrets Magendie ou du décret du 6 mai 2017, d’être mal rédigé ou insuffisamment clair – on l’a dit assez souvent – et la réponse de la Cour de cassation ne pouvait être différente tant il n’y avait pas lieu à interprétation. Rien à dire et tout est dit. Mais mesurons immédiatement le propos car, si la première phrase de l’article 910-2 est limpide, la suivante est plus aventureuse : « L’interruption de ces délais produit ses effets jusqu’à l’expiration de la mission du médiateur. » Plus que le point de départ du délai d’interruption, c’est donc la date à laquelle les délais recommenceront à courir qui devrait s’avérer problématique. La date d’expiration de la mission du médiateur pourrait faire débat lorsque l’on sait que la durée initiale de la médiation est de trois mois, renouvelable une fois pour cette même durée, que le médiateur doit établir un constat de l’accord mais aussi qu’il doit informer par écrit le juge « à l’expiration de sa mission » de ce que les parties sont parvenues, ou non, à une solution au conflit qui les oppose, qu’une caducité peut intervenir à défaut de consignation de la provision, que le juge peut mettre fin, à tout moment, à la médiation, à la demande d’une partie, du médiateur, voire d’office si son déroulement est compromis. Si la deuxième chambre civile a rendu un arrêt publié pour dire que seule l’ordonnance était interruptive des délais pour conclure, gageons qu’il pourrait y en avoir un autre pour dire à quelle date, exacte, ils recommencent à courir.

Les garanties de solvabilité pour enchérir : la loi, c’est la loi…

Les décisions de la Cour de cassation relatives à la nullité des enchères (C. pr. ex., art. R. 322-40 à R. 322-49-2) ne sont pas nombreuses ce qui justifie l’intérêt que suscite l’arrêt commenté dans lequel, pour emprunter au titre du film de Christian-Jaque avec Fernandel et Totò (1958), les magistrats du Quai de l’horloge rappellent que la loi, c’est la loi.

À l’occasion de la liquidation judiciaire d’une société, le mandataire judiciaire, dans sa mission de réalisation de l’actif, obtient une ordonnance du juge-commissaire autorisant la vente par adjudication de plusieurs lots d’un ensemble immobilier ainsi qu’une partie d’immeuble à usage industriel (C. com. art. L. 642-18), avec la particularité d’une mise à prix à 16 000 000 €. Lors de l’audience d’adjudication devant le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Lille (le 5 juin 2019), une société s’est portée adjudicataire pour une enchère à 18 500 000 €.
En application des dispositions de l’article R. 322-49 du code des procédures civiles d’exécution : « Les contestations relatives à la validité des enchères sont formées verbalement à l’audience, par ministère d’avocat. Le juge statue sur-le-champ et, le cas échéant, reprend immédiatement les enchères dans les conditions prévues à l’article R. 322-43 ». Le mandataire judiciaire, qui se devait d’être vigilant sur la solvabilité de l’acquéreur, a soulevé la nullité de l’enchère et de l’adjudication en considérant que la garantie produite par la société adjudicataire ne répondait pas aux exigences de l’article R. 322-41 du code...

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Presse : interruption de la prescription par le défendeur à l’action

Estimant qu’un article publié le 15 mars 2017 par M. L. sur son blog et sur son profil Facebook intitulé « La promotion de l’islamiste I. : France 2 récidive » présentait un caractère diffamatoire à son égard, M. I. a assigné celui-ci aux fins d’obtenir la réparation de son préjudice. En cause d’appel, le défendeur à l’action, M. L., a soulevé la prescription mais la cour d’appel (Douai, 9 janv. 2020) a rejeté sa demande. Pour ce faire, elle a retenu que par la notification de ses propres conclusions dans le cadre de son appel, il avait interrompu le cours de la prescription qui n’était dès lors pas acquise.

Dans son pourvoi, M. L. invoquait la violation des articles 6 (droit à un procès équitable) et 10 (droit à la liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme et 65 de la loi sur la liberté de la presse, estimant que l’interruption de la prescription en cours d’instance ne pouvait résulter que d’un acte de procédure émanant du demandeur à l’action et manifestant son intention de continuer cette dernière et que n’était donc pas interruptive la notification de conclusions par...

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Inscription d’un expert : contrôle par le B1 ou le B2 du casier judiciaire ?

L’article 1 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires dispose qu’il est dressé chaque année une liste par cour d’appel sur laquelle sont inscrits les experts désignés tant en matière civile qu’en matière pénale.

L’article 2 du même décret énonce les conditions devant être remplies par toute personne physique souhaitant être inscrite sur cette liste. Il ne faut pas, notamment, avoir été l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs (sur ce, Rép. pr. civ., v° Mesures d’instruction confiées à un technicien – Généralités – Définitions et principes généraux, par M. Redon, spéc. n° 95).

La Cour de cassation est régulièrement saisie de l’appréciation de décisions d’assemblée générale des magistrats du siège de cours d’appel en ce domaine.

Par exemple, un arrêt de la deuxième chambre civile du 27 septembre 2018 (n° 18-60.017) a annulé une décision d’une assemblée générale d’une cour d’appel qui avait refusé l’inscription d’un candidat car il était l’auteur de faits contraires à l’honneur, à la probité et aux bonnes mœurs, sans toutefois avoir précisé quels faits lui étaient reprochés.

Un arrêt de la deuxième chambre du 28 juin 2018 (n°...

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Un projet de loi relatif à l’enfance, entre protection et contrôle

340 000 jeunes sont suivis par l’aide sociale à l’enfance. Pourtant, comme l’avait noté une mission d’information de l’Assemblée, les enfants placés connaissent ensuite d’importantes difficultés. Ainsi 30 % des utilisateurs de services d’hébergement temporaire sont des anciens de l’ASE. La gouvernance est complexe, avec de nombreux dysfonctionnements (jeunes placés en hôtel). L’augmentation du nombre de mineurs non accompagnés ces dernières années (environ 16 000 par an), a également montré les limites du système.

Le projet de loi porté par le secrétaire d’État Adrien Taquet veut répondre à ces différents enjeux. L’avant projet rectifié, qui fait dix-neuf articles et que nous publions aujourd’hui, est actuellement étudié par le Conseil d’État. Il est donc susceptible d’évoluer.

Améliorer la protection de l’enfance

Proposition phare, l’article 3 interdit le placements de mineurs dans des hôtels ou structures touristiques. Un rapport de l’IGAS, éloquent, dénonçait cette situation (v. not. les annexes p. 191 et 213), qui s’est développée ces dernières années. Les départements auraient payé pour 250 millions d’euros de nuitées hôtelières en 2018. 95 % des enfants placés à l’hôtel étaient des mineurs non accompagnés. À titre exceptionnel, en cas d’urgence, le recours à ces structures resterait possible pour une durée de deux mois.

Pour éviter que les nuits d’hôtel soient remplacées par des structures low-costs, l’article 13 prévoit qu’un décret définira les normes et les critères d’encadrement dans les établissements de l’aide sociale à l’enfance. Le gouvernement souhaite également harmoniser le traitement des situations de danger pour les enfants.

Sauf urgence, l’article 2 prévoit qu’un placement ne pourra être ordonné que si les services ont étudié la possibilité d’un accueil par un membre de la famille ou un tiers de confiance. Par ailleurs, pour faciliter la vie quotidienne le juge pourra permettre au gardien de l’enfant d’exercer certains actes déterminés relevant de l’autorité parentale.

L’article 7 permettra au juge des enfants de renvoyer une affaire en matière d’assistance éducative, devant une formation collégiale.

Mineurs non accompagnés : renforcer le contrôle

L’article 16 prévoit le recours obligatoire au fichier d’appui à l’évaluation de la minorité. Le gouvernement veut contraindre les départements à utiliser ce fichier, afin d’éviter que la situation d’une personne soit évaluée successivement par plusieurs départements. Un refus du département entraînera le retrait de la contribution forfaitaire de l’État. De nombreuses associations, ainsi que le Défenseur des droits, ont, à de multiple reprises, contesté ce fichier « tourné vers la gestion des flux migratoires, la lutte contre le nomadisme administratif et la fraude documentaire, au mépris des droits et de l’intérêt supérieur des enfants ». Par ailleurs, la clé de répartition des mineurs non accompagnés entre les départements va être modifiée pour mieux prendre en compte leur situation socio-économique ainsi que leur action en faveur des contrats jeunes majeurs.

Autre disposition répressive : l’article 17 permettra de garder à la disposition de la justice des prévenus présentés devant une juridiction incompétente du fait d’une erreur sur leur âge. La comparution devra avoir lieu dans un délai de vingt-quatre heures, sauf si elle doit intervenir dans un autre tribunal judiciaire : dans ce cas, la personne pourra être retenue jusqu’à cinq jours.

L’article 18 déborde très largement de la question des mineurs, puisqu’il concerne l’identification de toute personne suspectée d’une infraction. Actuellement, le refus de procéder à un relevé signalétique (empreintes digitales, palmaires ou photographies) est un délit pénal. Si la personne est suspectée d’avoir commis une infraction passible d’au moins trois ans de prison, le relevé pourra dorénavant être fait sans son consentement, sur autorisation du procureur.

Appuyer les assistants familiaux et les collectivités

La condition des assistants familiaux, qui accueillent chez eux la moitié des enfants placés, sera améliorée. L’article 9 leur garantira une rémunération mensuelle au moins égale au SMIC. Une rémunération minimale est également prévue si l’employeur public leur confie moins d’enfants que prévu. Par ailleurs, une rémunération sera maintenue en cas de suspension d’agrément (pour quatre mois). Pour mieux suivre les éventuels retraits d’agrément, une base nationale sera créée.

Un nouveau groupement d’intérêt public appuiera l’État et les conseils départementaux dans la définition et la mise en œuvre de la politique d’accès aux origines personnelles, d’adoption nationale et internationale d’accès aux origines personnelles. Il reprend notamment les compétences de l’agence française de l’adoption, du GIP Enfance en danger et de l’observatoire national de l’enfance en danger. Le Conseil national de la protection de l’enfance est refondu.

Actuellement, s’agissant de la PMI, les départements doivent garantir des normes de personnel et d’activité. Cette logique de moyen est remplacée par une logique d’objectifs. La santé maternelle et infantile fera l’objet d’orientations stratégiques annuelles. À noter, au conseil national d’évaluation des normes, les représentants des collectivités ont regretté qu’aucune disposition du pré-projet ne porte sur la santé scolaire et la pédopsychiatrie « exsangue ».

Point de notification, point d’exécution !

En l’espèce, une saisie-attribution est pratiquée contre un débiteur sur le fondement d’un jugement de divorce. Le débiteur sollicitait la nullité de cette saisie aux motifs que le jugement de divorce ne lui avait pas été notifié. La cour d’appel avait rejeté cette demande en relevant que le débiteur ne contestait pas avoir eu connaissance du jugement contradictoire dont il avait interjeté appel avant de se désister de cet appel. Saisie d’un pourvoi du débiteur, la Cour de cassation devait trancher la question de savoir s’il est nécessaire pour le créancier de notifier la décision servant de titre exécutoire à son débiteur lorsqu’il est avéré que le débiteur a eu connaissance du jugement.

La Cour de cassation répond par l’affirmative et casse cette décision au visa de l’article 503 du code de procédure civile : « en se déterminant ainsi, sans rechercher si la décision servant de fondement aux poursuites avait été préalablement notifiée à M. [Z], la cour d’appel a privé sa décision de base légale ». Pour rappel, le texte visé dispose que « les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire. En cas d’exécution au seul vu de la minute, la présentation de celle-ci vaut notification. »

L’arrêt sous commentaire contribue à l’exégèse de cette disposition. Il réaffirme ainsi le rejet de toute équivalence entre la connaissance du jugement et la notification exigée. Il donne également l’occasion de s’interroger, sans répondre, sur l’équivalence entre l’acquiescement au jugement et l’exécution volontaire visée au texte.

Connaissance du jugement et notification

La notification est appréhendée comme un moyen de favoriser la connaissance des actes du procès (C. pr. civ., art. 651 ; v. spéc. S. Jobert, L’organisation de la connaissance des actes du procès civil. Étude sur un modèle en mutation, LGDJ, coll. « Bibl. de droit privé », t. 593, 2019, n° 38). La cour d’appel avait cru pouvoir considérer que comme le débiteur avait bien eu connaissance du jugement, cette connaissance rendait la notification superfétatoire. À quoi bon porter un acte à la connaissance d’une personne qui le connaît déjà ? Le raisonnement semble porter la marque du bon sens, mais il est justement rejeté en droit positif.

L’équivalence entre connaissance et notification est, d’abord, rejetée en procédure civile. Il est usuel que la jurisprudence fasse montre de rigueur dans la sanction de l’omission d’une notification, et ce quand bien même la connaissance de l’acte serait avérée. Tel est le cas pour apprécier si un délai de recours a couru : si le jugement n’est pas signifié, le délai ne court pas, peu important que la partie à qui l’expiration du délai est opposée ait précédemment interjeté appel du jugement en joignant la copie de la décision qui attestait de sa connaissance du jugement (Com. 12 janv. 2010, n° 08-21.032). S’il en va ainsi, c’est, comme l’explique le professeur Sylvain Jobert dans sa thèse de doctorat, essentiellement pour des raisons pratiques : lorsque la partie a connaissance de l’acte sans qu’il soit notifié, « la partie peut de bonne foi considérer qu’aucune conséquence juridique n’est attachée à cette connaissance » ; décider le contraire serait ouvrir la voie à « un contentieux de la connaissance des actes du procès civil particulièrement difficile à résoudre » (S. Jobert, op. cit., nos 904 s.). La position de la Cour de cassation favorise la sécurité juridique en évitant que l’application des règles de procédure ne devienne casuelle et aléatoire. Dès lors que les exigences procédurales sont clairement formulées, qu’elles poursuivent un but légitime, que la sanction qui les assortit n’est pas disproportionnée, les parties peuvent et doivent s’attendre à ce que les règles de procédure soient appliquées (comp. CEDH 25 janv. 2000, n° 38366/97, Miragall Escolano et autres c/ Espagne, § 33, RFDA 2001. 1250,...

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Chronique d’arbitrage : la CEDH, nouveau juge du recours contre les sentences ?

C’est en toute logique que l’on mettra en avant, dans cette chronique, l’arrêt BEG c/ Italie (CEDH 20 mai 2021, n° 5312/11). Naturellement, sa portée ne doit pas être surestimée, mais on pressent immédiatement à la lecture de la décision que la CEDH n’est pas du tout sur la même position que le juge français en matière de notoriété des faits, ce dont on peut se féliciter. On s’en réjouit d’autant plus que la présente livraison nous offre un exemple supplémentaire du caractère totalement délétère de cette exception (Paris, 25 mai 2021, n° 18/20625, BYD Auto). Il n’en demeure pas moins qu’il est inquiétant le recours contre les sentences, déjà trop long devant les juridictions françaises, puisse se poursuivre devant la CEDH. C’est la dimension négative de cette décision.

Pour le reste, il faut d’ores et déjà signaler un arrêt important de la Cour de cassation sur la tierce opposition contre la décision se prononçant sur le recours contre la sentence (Civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-23.996, Central Bank of Libya, D. 2021. 1034 image). Enfin, on invitera le lecteur à la réflexion sur la place des règles de conflit dans le recours (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz ; Paris, 11 mai 2021, n° 18/07442, Cevikler), la cour d’appel de Paris semblant, depuis quelque temps, en avoir réintroduit une pour ce qui concerne les règles applicables à la procédure.

I - Recours et Cour européenne des droits de l’homme

Le droit de l’arbitrage – et plus précisément les recours contre la sentence – est-il en cours de fondamentalisation ? La question est sans doute excessive. Il n’en demeure pas moins que le recours subit des mutations qui peuvent conduire à une profonde évolution – voire dénaturation de celui-ci. Le mouvement est déjà en marche, avec la très remarquée question préjudicielle posée par la cour d’appel de Paris à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) quant à l’interprétation du Traité sur la charte de l’énergie (Paris, 24 sept. 2019, n° 18/14721, Komstroy, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 22, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2020. 816, note C. Fouchard ; JDI 2020. 983, note M. Audit). Ce faisant, le recours devant les juridictions françaises peut donner lieu à de régulières saisines de la Cour de justice, notamment lorsqu’il s’agit de discuter de compétence ou d’ordre public international. Ce mouvement pourrait s’accroître avec la décision BEG c/ Italie (CEDH 20 mai 2021, n° 5312/11, préc.). À cette occasion, la CEDH connaît d’une requête formée contre l’Italie à la suite d’un recours en annulation formé devant les juridictions italiennes.

Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas la première fois que la Cour de justice et la CEDH sont impliquées dans des recours contre la sentence. Rien n’interdit de n’y voir qu’un phénomène cyclique, à la portée réduite. On ne peut néanmoins pas ignorer qu’en ouvrant de telles portes – aussi étroites soient-elles – les parties, dans des litiges dont les enjeux financiers sont considérables, n’hésiteront pas à les enfoncer. La perspective de bénéficier d’un troisième degré de juridiction (cour d’appel – Cour de cassation – CJUE ou CEDH), voire d’un quatrième (une question préjudicielle n’excluant aucunement une requête à la CEDH), bénéficiant d’une surface d’examen plus ou moins large (la CJUE et la CEDH ne pouvant pas – en principe… – connaître de tous les cas d’ouverture) pourrait donner des idées aux parties. On peut évidemment considérer – c’est indiscutable – qu’il s’agit là du jeu normal de la soumission de l’ordre juridique français à ces cours et que la possibilité de les saisir n’est absolument pas nouvelle et constitue même un pilier de notre état de droit. Pour autant, on ne peut pas ignorer que le choix du siège de l’arbitrage – et par conséquent du juge de l’annulation – résulte le plus souvent d’un choix d’opportunité des parties, guidé en particulier par la qualité du droit de l’arbitrage proposé par l’État. La perspective de voir le recours échapper largement au juge français est de nature à conduire les opérateurs du commerce international à revoir leurs choix. Il suffit, pour le comprendre, de constater que dans un arbitrage opposant un État non européen à un investisseur non européen, c’est la Cour de justice ou la CEDH qui pourraient avoir le dernier mot, là où les parties ont désigné le juge français. Il y a donc une difficulté qui mérite, à tout le moins, d’être soulevée.

Reste que, tous ces recours, n’auront pas les mêmes effets. Ainsi, si la Cour de justice peut imposer son interprétation à l’issue d’une question préjudicielle, il en va différemment de la CEDH. Dans l’affaire BEG c/ Italie, la CEDH refuse d’enjoindre à l’Italie de permettre la réouverture de la procédure. Pire, elle constate l’absence de mécanisme équivalent, sans en tirer aucune conséquence. Le justiciable est à la merci d’une législation interne permettant un réexamen. En droit français, le réexamen en matière civile est possible depuis la loi du 18 novembre 2016, mais uniquement, selon l’article L. 452-1 du code de l’organisation judiciaire, « en matière d’état des personnes ». Un succès devant la CEDH n’ouvre pas le droit à un nouvel examen de la sentence. D’un point de vue pécuniaire, le succès est aussi maigre, dès lors que les prétentions financières du requérant sont largement écartées : sa demande d’indemnisation est rejetée, et les frais de procédure devant le juge italien et devant la CEDH sont compensés à hauteur de 35 000 €, là où 355 000 € sont demandés. Seul un préjudice moral – 15 000 € – est décerné à titre de médaille en chocolat. En définitive, il est évident que la victoire devant la CEDH est avant tout symbolique et ne devrait pas, procédure par procédure, entraîner un bouleversement des recours. Ce n’est donc pas tant sur des affaires individuelles qu’à l’échelle des principes que les décisions de la Cour auront un impact déterminant.

C’est en effet sur le contenu des décisions que la CEDH est susceptible d’imposer aux États de faire évoluer leur jurisprudence. Nous ne reviendrons d’ailleurs pas sur le manquement de l’arbitre à son obligation d’indépendance et d’impartialité dans cette affaire, tant il est évident et ne suscite aucun étonnement pour le juriste français. En effet, l’arbitre n’a pas révélé son lien avec l’une des parties au litige. Plus précisément, il a omis de déclarer être conseil et « Vice-Chairman and member of the Board of Directors » de la société ENEL, qui détient 100 % de la société ENELPOWER, partie au litige. Afin de se prononcer sur ces faits, la CEDH met en œuvre un test objectif d’impartialité. Elle énonce que « As to the objective test, it must be determined whether, quite apart from the judge’s conduct, there are ascertainable facts which may raise doubts as to his impartiality. This implies that, in deciding whether in a given case there is a legitimate reason to fear that a particular judge lacks impartiality, the standpoint of the person concerned is important but not decisive. What is decisive is whether this fear can be held to be objectively justified » (§ 130). Pour la CEDH – et il en aurait sans doute été de même pour le juge français – les faits tels que présentés conduisent à douter de l’impartialité de l’arbitre. Rien de bien original de ce point de vue.

En revanche, ce qu’il faudra examiner très attentivement – et l’on dira même qu’il convient d’ores et déjà de s’en emparer – concerne la renonciation. En effet, le refus d’annulation de la sentence par les juridictions italiennes repose avant tout sur un mécanisme de « waiver », équivalent à notre renonciation issue de l’article 1466 du code de procédure civile. Or chacun sait la place que prend aujourd’hui cette règle en droit français. Il y a deux passages qu’il convient de mettre en lumière.

D’abord, la CEDH énonce que « The Court does not agree with the Government’s argument that the fact that the applicant had not challenged the lack of an explicit negative disclosure demonstrates a waiver of its right to have its dispute settled by an independent and impartial tribunal » (§ 138). Une telle motivation pourrait, à terme, avoir un impact colossal. Implicitement, la CEDH admet que le défaut d’indépendance et d’impartialité peut être soulevé devant le juge de l’annulation quand bien même il n’a pas été discuté pendant la procédure, notamment par la voie d’une demande en récusation. Au-delà, il peut imposer d’examiner des griefs relevant de l’article 6, § 1, de la Conv. EDH, notamment la contradiction, quand bien même les parties n’en ont pas fait état dans la procédure. Naturellement, il faudra voir l’impact qu’ont eu les faits d’espèce sur cette formulation – notamment parce que l’arbitre n’a jamais fait de déclaration explicite d’indépendance – mais elle donnera indiscutablement des idées aux praticiens.

Ensuite, la CEDH souligne que « The reasons advanced by the domestic courts […] and the Government are based on a presumption of knowledge which does not rest on any concrete evidence to the effect that the applicant was in fact aware of the professional activities of [the arbitrator]. The Court therefore disagrees with the Government and does not find that facts have been demonstrated from which it could infer the unequivocal waiver of the requirement of impartiality in respect of the arbitrator » (§ 140). Ce passage est beaucoup moins ambigu que le précédent. Il n’y a qu’un pas – que nous franchissons allégrement – pour y voir une potentielle remise en cause de l’exception de notoriété. Qu’est-ce donc que l’exception de notoriété, si ce n’est une présomption de connaissance (et même, en réalité, une présomption d’investigations, ce qui est encore plus fort) d’un fait non révélé ? Qu’est-ce donc que le défaut d’exercice d’une demande en récusation par une partie, si ce n’est un comportement totalement équivoque dès lors qu’il est impossible de déterminer s’il a connaissance du lien litigieux ? Très clairement, la CEDH sape les fondements de l’exception de notoriété telle qu’elle existe en droit français. Pour notre part, nous ne pouvons que saluer une telle solution que nous appelons de nos vœux à longueur de chroniques. Il faut maintenant espérer que les praticiens s’en saisiront et que les juridictions françaises seront sensibles à cette décision de la CEDH.

D’ailleurs, la jurisprudence française offre un exemple presque caricatural des excès de l’exception de notoriété (Paris, 25 mai 2021, n° 18/20625, BYD Auto, préc.), dont on espère que la décision BEG c/ Italie conduira à une remise en cause. En l’espèce, il est reproché à l’arbitre de ne pas avoir révélé être membre du « Beirat » (comité consultatif) de la société mère d’une des partenaires stratégiques d’une partie. Pour le défendeur, l’information est notoire. Comme chaque fois, la notoriété est utilisée pour déterminer le point de départ du délai pour demander la récusation de l’arbitre. L’enjeu tient dans la recevabilité du grief devant le juge de l’annulation. La cour rappelle, au titre de la notoriété, que « seules les informations publiques aisément accessibles que les parties ne pouvaient manquer de consulter avant le début de l’arbitrage, sont de nature à caractériser la notoriété d’une situation susceptible de tempérer le contenu de l’obligation de révélation incombant à l’arbitre ».

Pour juger l’information notoire, la cour se fonde sur le procès-verbal établi par un huissier produit par le défendeur. Celui-ci constate que, après avoir tapé sur Google le nom de l’arbitre et le terme « automobil », il accède en première page à un site internet où il peut consulter un rapport contenant l’information recherchée. Comme l’a prédit Thomas Clay, la googlelisation tient désormais lieu de viatique au régime de l’indépendance de l’arbitre (T. Clay, obs. Civ. 1re, 3 oct. 2019, D. 2019. 2435 image). Pourtant, les lacunes d’une telle solution sont flagrantes.

Premièrement, il faut se rappeler, selon les termes de la cour, que « la notoriété d’une situation devant être appréciée à la date de sa survenance ». Or, sauf à ce que le défendeur ait pris ses dispositions en début d’arbitrage, il est absolument certain que le constat d’huissier a été réalisé une fois le recours en annulation engagé. Autrement dit, la notoriété éventuellement mise en lumière par le constat d’huissier est une notoriété plusieurs années après la révélation par l’arbitre. Comment accepter qu’un tel constat, établi a posteriori, puisse bénéficier d’une quelconque valeur ?

Deuxièmement, la recherche réalisée nécessite d’ajouter, en plus du nom de l’arbitre, le terme « automobil » (sans « e »). Certes, on pourra dire que dans un litige relevant du secteur automobile, il n’y a rien de complexe à cela. En attendant, comment déterminer a priori les mots clés à utiliser pour tomber sur le résultat pertinent ? Où est la limite ? Combien de recherches différentes sont nécessaires ? Ne serait-ce qu’à ce jour, on peut déjà dire qu’il faut accoler le nom de l’arbitre (i) au nom des parties, (ii) au nom des cabinets des conseils, (iii) au nom des conseils, (iv) au nom des filiales/sociétés mères des parties, (v) au nom des tiers intéressés au litige, (vi) à des termes génériques pouvant être associés à l’arbitrage. En réalité, on demande aux parties de rechercher une aiguille dans une botte de foin, sans qu’elles sachent qu’une aiguille s’y trouve.

Troisièmement, nous avons voulu reproduire la recherche mentionnée par l’arrêt. Et c’est presque là que le plus extraordinaire se produit. Le nom de l’arbitre est composé de deux prénoms et d’un nom de famille (par ex. : Jean-Pierre Dupond). Si l’on positionne les guillemets pour les deux prénoms et qu’on ne les utilise pas pour le nom de famille, on trouve effectivement le résultat mentionné par l’huissier (autrement dit, la recherche est : « Jean-Pierre » Dupond + automobil). En revanche, si on réalise la même recherche, mais en faisant figurer les guillemets autour des deux prénoms et du nom (autrement dit, la recherche est : « Jean-Pierre Dupond » + automobil), la recherche ne donne aucun résultat (il en va d’ailleurs de même d’une recherche sans les prénoms de l’arbitre…) ! Voilà à quoi tient la notoriété d’un fait : au positionnement des guillemets, séparant ou nom les prénoms du nom de famille… Dire qu’une telle conception n’est pas sérieuse est un euphémisme.

Quatrièmement, le document auquel on finit par aboutir est rédigé intégralement en allemand ! Autrement dit, il n’y a pas un seul mot compréhensible pour un non-germanophone. Or, comme le fait remarquer le requérant, la langue de l’arbitrage est l’anglais et le droit applicable le néerlandais. Comment, dans ces conditions, considérer que l’information est notoire ?

C’est, encore une fois, un très profond malaise que l’on ressent à la lecture de cette motivation sur la notoriété. Il est décidément incompréhensible que, dix ans après avoir prôné une vision ambitieuse de l’obligation de la révélation, la jurisprudence française ait tant reculé. L’arbitrage est la chose des parties, pas la chose de l’arbitre. Il ne faut pas l’oublier.

Naturellement, les effets d’une telle notoriété sont immédiats : puisque les faits sont notoires au moment de la révélation, le délai pour demander la récusation de l’arbitre est expiré depuis bien longtemps. Faute de demande en récusation, le moyen est irrecevable. Peu importe la gravité des faits… Vite, la CEDH !

II - La clause compromissoire

A - La qualification de clause compromissoire

Il faut bien convenir que le régime de la clause compromissoire est relativement complexe pour le néophyte, d’autant qu’il n’est aucunement intuitif. Toutefois, ce sont souvent les rédacteurs qui ajoutent de la complexité à la complexité. C’est le cas de la clause prévue par la norme NFP 03-001, qui est un cahier type des clauses administratives générales applicable aux travaux de bâtiment faisant l’objet de marchés privés. Autant dire que son utilisation est loin d’être anecdotique. Les rédacteurs de cette norme ont eu la brillante idée d’y inclure une clause originale, qui prévoit que « Pour le règlement des contestations qui peuvent s’élever à l’occasion de l’exécution ou du règlement du marché, les parties contractantes doivent se consulter pour examiner l’opportunité de soumettre leur différend à un arbitrage, ou pour refuser l’arbitrage ». La jurisprudence a déjà eu à connaître à deux reprises d’une clause équivalente (Lyon, 4 juin 2019, n° 19/00698, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Bordeaux, 23 janv. 2020, n° 16/02240, Hôtel Merle, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Dans les deux, elle a écarté les qualifications de clause compromissoire et de clause de conciliation préalable, excluant ainsi toute sanction en cas de non-respect de la clause. Néanmoins, ce n’est pas la solution retenue par la cour d’appel de Dijon (11 mai 2021, n° 19/01580, SCAAB). Cette dernière retient pour cette clause une qualification de clause de conciliation préalable et sanctionne son non-respect par une fin de non-recevoir. À suivre la cour, la consultation prévue par la clause en vue d’un éventuel accord pour recourir à l’arbitrage est une forme de conciliation préalable. Il faut bien admettre que cela revient à en donner une interprétation particulièrement extensive. Surtout, cela conduit à donner une sanction – la fin de non-recevoir – plus élevée que les véritables clauses compromissoires – soumises à une exception de procédure. Il n’est pas certain qu’une telle solution résiste à un pourvoi devant la Cour de cassation.

B - La transmission de la clause compromissoire

La transmission de la clause compromissoire dans les chaînes de contrats constitue l’un des phénomènes les plus discutés du droit de l’arbitrage. Pour l’essentiel, le droit positif, au moins en matière internationale, est posé par l’arrêt ABS qui énonce que « dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu’accessoire du droit d’action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne » (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech image, note S. Bollée image ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke image ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry image ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007. II. 10118, note C. Golhe ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur).

Il est vrai que la solution n’est pas aussi tranchée en matière interne (C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., Lextenso éditions/Montchrestien, coll. « Domat, Droit privé », 2019, n° 210). Dans une affaire soumise à la cour d’appel de Limoges (18 mai 2021, n° 20/00747), la clause compromissoire se trouve dans le contrat entre le premier vendeur et son acquéreur. Néanmoins, le litige oppose le premier acquéreur, devenu vendeur, à son propre acquéreur. Dans ce second contrat, nulle trace d’une clause compromissoire. Pour la cour d’appel, quand bien même elle cite explicitement la jurisprudence ABS, la clause est manifestement inapplicable à un litige opposant seulement les parties au second contrat. Elle va plus loin en expliquant que cette clause n’est applicable qu’au litige entre les parties au premier contrat et également à un litige entre le sous-acquéreur et le vendeur initial. D’apparence convaincant, ce raisonnement constitue en réalité une double erreur d’analyse. D’une part, si tant est qu’elle soit exacte, cette interprétation relève de l’arbitre et non du juge étatique, la clause ne pouvant être considérée comme manifestement inapplicable. D’autre part, la solution est erronée. Comme nous le rappelions dans la précédente chronique, la clause n’est pas transmise ; elle prolifère. Lors de la transmission de l’obligation, la clause compromissoire se divise en deux et lie aussi bien le cédant au cédé que le cessionnaire au cédé (dans le même sens, F.-X. Train, Arbitrage et action directe : à propos de l’arrêt ABS du 27 mars 2007, Cah. arb. 2007, n° 3, p. 6). En conséquence, la cour aurait dû renvoyer le litige aux arbitres.

III - Le juge d’appui

Le juge d’appui est sans doute l’une des innovations les plus importantes du droit français de l’arbitrage. Depuis le décret du 13 janvier 2011, il est expressément visé par le code de procédure civile et ses prérogatives sont encadrées, notamment par les articles 1451 et suivants. Le juge d’appui est également compétent en matière internationale, par renvoi de l’article 1506, 2°, du code de procédure civile et par des dispositions spécifiques de l’article 1505. Pour l’essentiel, le juge d’appui, bon samaritain de l’arbitrage (P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, n° 838) est compétent pour aider à la constitution du tribunal arbitral. Il n’en demeure pas moins que ses prérogatives peuvent dépasser cette seule mission, notamment lorsqu’il connaît des demandes de récusation d’un arbitre ou de la prorogation les délais de l’arbitrage. Partant de ce constat, il n’est pas rare que les parties tentent d’étendre les missions du juge d’appui en le saisissant de difficultés allant au-delà de ce qui est prévu par le code. C’était par exemple le cas dans l’affaire Garoubé, où une partie a saisi le juge d’appui pour contester le retrait par la CCI de certaines de ses demandes à la suite du défaut de paiement de la provision d’arbitrage (pour l’arrêt de Cassation, Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Garoubé, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 18 image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin image ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva). La jurisprudence ne se laisse pas entraîner dans une telle voie. La Cour de cassation avait, à cette occasion, affirmé que le code de procédure civile « n’a pas investi le juge d’appui d’une compétence générale pour trancher tous les litiges survenant au cours de la procédure d’arbitrage, mais a seulement désigné un juge étatique territorialement compétent afin de pourvoir, à titre supplétif, à la constitution d’un tribunal arbitral en cas de risque de déni de justice ».

Cette ligne est à nouveau suivie par le juge d’appui du tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 16 avr. 2021, n° 21/50115, Brompton). Une partie conteste l’exclusion par la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, conformément à son règlement, de neuf des onze défendeurs à l’arbitrage. Pour écarter la demande, le juge rappelle qu’il n’a qu’une compétence subsidiaire par rapport à l’institution. En présence d’une institution choisie par les parties, il convient d’établir une carence de la part de l’institution. Tel n’est pas le cas lorsque, en application de son règlement, l’institution procède à un examen prima facie de la convention d’arbitrage. Ce faisant, le juge confirme que les prérogatives du juge d’appui doivent être limitées à celles prévues par le code et refuse toute interprétation extensive des textes.

Est-ce à dire que la décision est inattaquable ? La réponse est négative. D’une part, l’arrêt Garoubé a rappelé la faculté pour les parties de saisir les juridictions de droit commun d’une action en responsabilité contre la CCI. D’autre part, il nous semble qu’en dépit de la décision de la CCI, les arbitres ne sont pas privés de la faculté de trancher cette question. Du point de vue du juge de l’annulation, il n’y a pas grande différence à ce que la décision d’exclusion des défendeurs ait été prise par la CCI ou par les arbitres. En effet, la cour a déjà annulé des sentences arbitrales pour des faits imputables à l’institution (Paris, 17 nov. 2011, n° 09/24158, Licensing Projects c/ Pirelli, D. 2011. 3023, obs. T. Clay image ; RTD com. 2012. 530, obs. E. Loquin image ; JDI 2012. 41, note X. Boucobza et Y.-M. Serinet ; Cah. arb. 2012. 159, note D. Cohen ; LPA 2012, n° 142, p. 11, obs. M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2012. 392, comm. F.-X. Train ; l’arrêt est cassé sur un autre fondement, v. Civ. 1re, 28 mars 2013, n° 11-27.770, Pirelli c/ Licensing Projects, D. 2013. 929 image ; ibid. 2936, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2013. 746 [1re esp.], note F.-X. Train ; Cah. arb. 2013. 479 [1re espèce], note A. Pinna ; Procédures 2013, n° 189, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2013, n° 181-183, p. 16, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2013. 585, note P. Chevalier et C. Kaplan ; LPA 2014, n° 19, p. 9, obs. M. de Fontmichel). Dès lors, il ne doit pas y avoir de différence, au niveau du recours en annulation, sur une décision d’incompétence prise par l’institution au titre de son règlement ou par l’arbitre. On ne peut, en conséquence, qu’encourager les parties à soumettre à nouveau la demande aux arbitres.

La solution est identique à propos d’une prétention formée contre un des arbitres. Il lui est reproché une faute dans son obligation de révélation, fondant une demande de dommages et intérêts. Le juge énonce que « l’obligation de révélation pesant sur le candidat-arbitre, puis sur l’arbitre, au moment de sa désignation et pendant les opérations arbitrales, se rattache non pas au contrat d’organisation de l’arbitrage, liant les parties à l’institution d’arbitrage et régissant la constitution du tribunal arbitral, mais au contrat d’arbitre liant les parties à l’arbitre. Tout manquement allégué à cette obligation, commis tant au cours de l’exécution du contrat d’arbitre qu’à l’occasion de sa conclusion, ne peut donc donner lieu qu’à une action en responsabilité relevant de la compétence des juridictions de droit commun ». Même si le lien avec le contrat d’organisation de l’arbitrage et le contrat d’arbitre est assez flou, il est certain que l’action engagée est une action en responsabilité relevant des juridictions de droit commun.

IV - Les recours contre la sentence

A - Aspects procéduraux des voies de recours

Les aspects procéduraux du recours contre la sentence sont en train de devenir, dans les dernières années et même les derniers mois, d’une très grande complexité. Il ne s’agit plus seulement d’être spécialiste d’arbitrage pour mener à bien un tel recours. Il faut encore être très pointu en procédure civile. Il en résulte un contentieux excessivement technique, pour lequel une lecture presque quotidienne de la jurisprudence devient nécessaire.

1 - L’indication de la décision attaquée

L’article 901 du code de procédure civile énonce que « La déclaration d’appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l’article 58, et à peine de nullité : […] l’indication de la décision attaquée ». Transposée à l’arbitrage, cette exigence implique seulement d’indiquer – pour le recours en annulation – la sentence arbitrale faisant l’objet d’un recours (pour le recours contre l’ordonnance d’exequatur, c’est l’ordonnance d’exequatur qui doit être mentionnée). En principe, il n’y a rien de complexe à cela.

Pourtant, la situation est parfois plus confuse. C’est le cas notamment lorsque le tribunal arbitral a été saisi d’une requête en interprétation et qu’il a rendu un « addendum » à la sentence finale (Paris, 11 mai 2021, n° 18/06076, Asperbras). La question est alors de savoir si la déclaration d’appel doit faire mention de cette décision, conformément à l’article 901 du code de procédure civile. Pour la cour, la réponse est positive. À défaut d’une telle mention, elle déclare le recours en annulation contre l’addendum irrecevable. La solution nous semble triplement discutable. Premièrement, un addendum n’est pas, au sens strict, une sentence arbitrale. La reddition de la sentence arbitrale a entraîné le dessaisissement des arbitres. La faculté offerte aux arbitres de rectifier une erreur matérielle ou d’interpréter la sentence est entendue restrictivement, et ne peut en aucun cas conduire à modifier le sens de la décision. En conséquence, l’addendum fait corps avec la sentence et le recours exercé contre cette dernière doit s’étendre au premier. Deuxièmement, la sanction prévue à l’article 901 du code de procédure civile est une nullité et non une irrecevabilité. Aussi, on peut douter que la solution retenue par la cour, qui est particulièrement rigoureuse, soit fondée. Troisièmement, cette décision n’est pas opportune, en ce que l’annulation de la sentence doit entraîner, par voie de conséquence, celle de l’addendum. Refuser d’y étendre le recours pose ainsi des soucis d’articulation.

Dans la présente affaire, la question ne se limite d’ailleurs pas à un addendum, mais concerne encore une autre décision, dont la qualification est discutée.

2 - La qualification de sentence

La qualification de sentence d’une décision rendue par un tribunal arbitral est une question classique, résolue (mais mal résolue) depuis longtemps par la jurisprudence Sardisud (Paris, 25 mars 1994, Sté Sardisud c/ Sté Technip, Rev. arb. 1994. 391, note C. Jarrosson). La cour d’appel de Paris y a défini la sentence comme « les actes des arbitres qui tranchent de manière définitive, en tout ou en partie, le litige qui leur a été soumis, que ce soit sur le fond, sur la compétence ou sur un moyen de procédure qui les conduit à mettre fin à l’instance ». Dans l’arrêt Asperbras (Paris, 11 mai 2021, n° 18/06076, préc.), la cour est confrontée à une décision (apparemment qualifiée de sentence intérimaire par les arbitres) qui ordonne « un paiement par provision, assorti d’une astreinte ». Autrement dit, il s’agit d’une décision provisoire.

La jurisprudence relative à la qualification des mesures provisoires en arbitrage est incertaine depuis bien trop longtemps. Deux arrêts paraissent, à cet égard, difficilement conciliables. Le premier, souvent retenu comme constituant l’état du droit positif, est un arrêt Otor (Paris, 7 oct. 2004, Otor c/ Carlyle, D. 2005. 3050, spéc. 3061, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2005, p. 737, note E. Jeuland ; JDI 2005, p. 341, note A. Mourre et P. Pedone ; JCP 2005. II. 10071, note J.-M. Jacquet ; JCP 2005. I. 134, nos 5 et 7, obs. J. Ortscheidt). Dans celui-ci, la cour d’appel de Paris a offert une alternative aux arbitres. Elle a considéré que le recours à une sentence pour exprimer des mesures conservatoires est un « choix de procédure », ouvrant ainsi la possibilité d’adopter une sentence ou une ordonnance de procédure. Toutefois, postérieurement, la Cour de cassation a exclu la qualification de sentence pour une mesure provisoire et conservatoire, sans jamais faire référence à la liberté de choix offerte aux arbitres (Civ. 1re, 12 oct. 2011, n° 09-72.439, Groupe Antoine Tabet c/ République du Congo, D. 2011. 2483 image ; ibid. 3023, obs. T. Clay image ; Procédures 2011. Comm. 369, note L. Weiller ; JCP 2011. 2545, obs. J. Ortscheidt ; Centre français d’arbitrage de réassurance et d’assurance 2011, n° 16, p. 19, obs. J. Barbet ; Rev. arb. 2012. 86, note F.-X. Train ; LPA 2012, n° 142, p. 15, obs. C. Muschner ; Cah. arb. 2012, p. 397, note J. Jourdan-Marques). Fallait-il y voir un revirement par rapport à la jurisprudence Otor ? Nul ne semble être en mesure de le dire. Dès lors, la solution de l’arrêt Asperbras est très intéressante, car elle ne s’inscrit dans aucune des deux solutions. En effet, d’une part, elle retient la qualification de sentence, et est en ce sens en contradiction avec l’arrêt Groupe Antoine Tabet. D’autre part, elle ne fait pas référence au choix des arbitres (même si le tribunal a opté pour la qualification de sentence), mais précise que la décision « tranche, même à titre provisoire, une partie du litige ». En réalisant son propre examen de la qualification, l’arrêt n’adopte pas non plus la solution de l’arrêt Otor.

À titre personnel, nous nous réjouissons d’une telle qualification, pour laquelle nous avons déjà plaidé (J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2017, n° 160, préf. T. Clay, nos 72 s.). On peut néanmoins regretter que cette solution ne se fasse pas par l’intermédiaire de la consécration d’une nouvelle définition de la sentence arbitrale, qui aurait été nécessaire pour justifier cette qualification. En outre, il est quelque peu regrettable que celle-ci se fasse au détriment du recourant, à qui il est reproché de ne pas avoir mentionné cette sentence au titre des décisions attaquées dans sa déclaration d’appel. Il en résulte que son recours est irrecevable.

3 - Les pouvoirs du CME

La question des pouvoirs du conseiller de la mise en état devient une pantalonnade. Il y a plus d’un an, nous avions alerté sur les implications imprévisibles, en matière d’arbitrage, de la création par le décret du 11 décembre 2019 d’un nouvel article 789, 6°, du code de procédure civile (J. Jourdan-Marques, Déflagration dans le recours en annulation, Dalloz actualité, 4 mai 2020). En confiant au juge de la mise en état le pouvoir de trancher les fins de non-recevoir, le décret avait, par voie de conséquence, accru ceux du conseiller de la mise en état. Or, en matière d’arbitrage, les fins de non-recevoir sont légion. Pour tout recours formé après le 1er janvier 2020, il en résultait, croyait-on pouvoir en déduire, une obligation de saisir le CME pour toute fin de non-recevoir dirigée contre un recours ou contre un des moyens. C’est d’ailleurs, en pratique, la voie qui a été immédiatement suivie par les praticiens diligents.

C’était sans compter l’intervention de la Cour de cassation qui, dans un avis (Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006, n° 15008, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly), vient complexifier le régime par le truchement de mesures transitoires. Alors que la question ne lui est pas posée, la Cour énonce que « le conseiller de la mise en état ne peut donc statuer sur les autres fins de non-recevoir qui lui sont soumises ou qu’il relève d’office qu’à compter de cette date [le 1er janvier 2021] ». Autrement dit, quand bien même l’article 789, 6° du code de procédure civile est entré en vigueur le 1er janvier 2020, il n’est applicable au conseiller de la mise en état qu’à compter du 1er janvier 2021. Ainsi, le juge de la mise en état est compétent pour connaître des fins de non-recevoir à compter du 1er janvier 2020, et le conseiller de la mise en état n’est lui compétent qu’à compter du 1er janvier 2021 (sauf, évidemment, pour les irrecevabilités prévues par l’article 914 du code de procédure civile… mais vous aviez suivi !).

Pourquoi une telle distinction ? Tout simplement, selon la Cour de cassation, car le déféré n’est pas ouvert contre ces fins de non-recevoir, dès lors que l’ancienne version de l’article 916 du code de procédure civile ne vise pas les décisions du CME statuant sur une fin de non-recevoir. Il a fallu attendre, pour cela, un décret du 27 novembre 2020, entré en vigueur le 1er janvier 2021, qui a ouvert cette possibilité à l’article 916, alinéa 3, du code de procédure civile. On a ici la révélation, une fois de plus, du complet amateurisme des services de la chancellerie, qui continuent de pondre des décrets à la va-vite sans aucune idée des répercussions pratiques.

Reste que l’avis de la Cour aurait pu être différent. D’une part, il est hautement discutable que l’attribution du pouvoir juridictionnel de trancher les fins de non-recevoir au conseiller de la mise en état soit conditionnée à l’existence d’une voie de recours. Contrairement à ce qu’indique l’avis, rien dans la motivation de la Cour ne permet de l’expliquer. Il suffit de se rappeler que certaines décisions sont rendues en premier et dernier ressort pour constater que l’existence d’un double degré de juridiction est loin d’être un principe cardinal de la procédure civile. D’autre part, on peut se demander s’il n’est pas moins insatisfaisant de proposer une interprétation audacieuse de l’ancienne version de l’article 916 du code de procédure civile, pour ouvrir le déféré avant la révision du texte.

En refusant de suivre une telle voie, les conséquences de l’avis de la Cour ne sont pas négligeables. Pour tous les recours intentés contre des sentences entre le 1er janvier 2020 et le 1er janvier 2021 (et cela vaut aussi en procédure civile classique), il faut appliquer un régime transitoire, qui conduit, malgré l’entrée en vigueur de l’article 789, 6°, du code de procédure civile, à maintenir le statu quo ante pour le conseiller de la mise en état. Autrement dit, pendant cette période, les fins de non-recevoir visées à l’article 914 du code de procédure civile sont de la compétence du CME alors que les autres, notamment les irrecevabilités des griefs, restent de la compétence de la cour.

En revanche, il est beaucoup plus complexe de se prononcer sur le sort des incidents déjà réalisés pendant cette période transitoire. Il faut distinguer plusieurs hypothèses. Cela dit, pour simplifier les choses, on peut dire que ceux qui ont eu tort ont eu raison, et ceux qui ont eu raison ont eu tort.

Premièrement, et c’est la plus simple, on peut saluer la vista de ceux qui n’ont pas saisi le conseiller de la mise en état d’une irrecevabilité dépassant le champ de l’article 914 du code de procédure civile. Dans ce cas, la cour est compétente pour trancher l’incident.

Quid, si le conseiller de la mise en état a été saisi ? Ce sont nos deuxième, troisième et quatrième hypothèses.

Deuxièmement, si le conseiller de la mise en état ne s’est pas encore prononcé, il lui appartient de renvoyer l’incident à la cour, au besoin d’office.

Troisièmement, si, conformément à l’article 789, alinéa 2, du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état a renvoyé la question à la formation de jugement (ce qui est advenu dans certaines affaires), on peut espérer que la Cour de cassation fasse preuve de mansuétude et ne sanctionne pas ce détour procédural.

Quatrièmement, il n’est pas exclu (mais nous avouons ne pas en avoir connaissance) que le conseiller ait dû se prononcer, faute notamment de pouvoir renvoyer à la cour. Dans une telle hypothèse, il a commis un excès de pouvoir. La voie de recours est le déféré-nullité, puisque le déféré est fermé. Encore faut-il que son délai d’exercice soit ouvert ! Il faudra alors savoir si la Cour de cassation est susceptible de se prononcer à l’occasion du pourvoi contre l’arrêt d’appel, alors que la décision a été rendue par un conseiller de la mise en état dépourvu de pouvoir…

Enfin, c’est la cinquième hypothèse, il y aura des cas où le déféré aura été exercé. Toutefois, dans ce cas, le déféré n’est pas recevable. Il faudra donc former un pourvoi contre l’arrêt se prononçant sur ce déféré, la cour n’ayant pas le pouvoir de connaître du déféré !

Bref, voilà un avis qui doit conduire de très nouveaux praticiens ayant actuellement un recours pendant devant la cour à revoir leur procédure et à en tirer les conséquences immédiates, en espérant que des effets irrémédiables ne se soient pas encore réalisés.

En ayant dit cela, nous n’avons même pas parlé du cœur de l’avis. En effet, celui-ci portait, en synthèse, sur la faculté du conseiller de la mise en état à connaître des fins de non-recevoir tranchées (ou pas) en première instance. À cet égard, la Cour énonce que « la détermination par l’article 907 du code de procédure civile des pouvoirs du conseiller de la mise en état par renvoi à ceux du juge de la mise en état ne saurait avoir pour conséquence de méconnaître les effets de l’appel et les règles de compétence définies par la loi. Seule la cour d’appel dispose, à l’exclusion du conseiller de la mise en état, du pouvoir d’infirmer ou d’annuler la décision frappée d’appel, revêtue, dès son prononcé, de l’autorité de la chose jugée. Il en résulte que le conseiller de la mise en état ne peut connaître ni des fins de non-recevoir qui ont été tranchées par le juge de la mise en état, ou par le tribunal, ni de celles qui, bien que n’ayant pas été tranchées en première instance, auraient pour conséquence, si elles étaient accueillies, de remettre en cause ce qui a été jugé au fond par le premier juge ».

L’idée est de ne pas permettre au conseiller de la mise en état de statuer comme juge d’appel. À première vue, cette partie de l’avis n’a que des répercussions très modérées en matière en d’arbitrage, le recours contre la sentence n’étant justement pas un appel. On peut toutefois en envisager deux, à la portée limitée : d’une part, l’avis jouera pleinement en matière d’appel contre la sentence arbitrale interne ; d’autre part, il jouera partiellement en présence d’un appel contre l’ordonnance d’exequatur (par exemple, si l’acte ayant bénéficié de l’exequatur n’est pas une sentence, cette qualification doit être tranchée par la cour et non par le conseiller de la mise en état. En effet, dire que l’acte n’est pas une sentence entraîne nécessairement l’annulation de l’ordonnance d’exequatur. Ce pouvoir incombe exclusivement à la cour. À l’inverse, une question relative à la qualification de sentence dans un recours en annulation entraîne l’irrecevabilité du recours, qui relève dès lors du conseiller de la mise en état).

En définitive, cet avis révèle, une fois de plus, que la modification en apparence anodine d’un texte peut entraîner un effet de dominos. En modifiant les pouvoirs du JME, le décret du 11 décembre 2019 a modifié les pouvoirs du CME. En modifiant les pouvoirs du CME, le décret a considérablement perturbé le fonctionnement du recours en annulation. Tout est lié. À défaut de pilote dans l’avion-chancellerie, c’est aux praticiens d’en subir les conséquences.

4 - La tierce opposition contre l’ordonnance d’exequatur d’une sentence

L’admission de la tierce opposition en matière d’arbitrage international est une question régulièrement débattue dans les dernières années. Contrairement à la matière interne, où la tierce opposition est recevable contre la sentence conformément à l’article 1501 du code de procédure civile, la tierce opposition contre les sentences arbitrales internationales est exclue. L’article 1506 du Code de procédure civile ne renvoie pas à l’article 1501 du même code, excluant toute tierce opposition. Cette solution, déjà retenue par le droit antérieur, est confirmée par la jurisprudence (Civ. 1re, 8 oct. 2009, n° 07-21.990, Association de défense de la bibliothèque polonaise [2 arrêts], Bull. civ. I, n° 201 ; D. 2009. 2959, obs. T. Clay image ; JCP 2010. I. 644, § 6, obs. J. Beguin ; Rép. dr. com., act. nov. 2009, p. 6, obs. X. Delpech). Cette exclusion fait l’objet d’âpres discussions en doctrine (T. Clay, « Liberté, égalité, efficacité » : la devise du nouveau droit français de l’arbitrage. Commentaire article par article [Deuxième partie], JDI 2012. 815, spéc. p. 841 ; J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, op. cit., nos 230 s. et nos 245 s. ; v. égal., mais de façon moins tranchée, C. Seraglini, Les effets de la sentence, Rev. arb. 2013. 705, n°24 ; E. Loquin, Perspective pour une réforme des voies de recours, Rev. arb. 1992. 321, n° 28 ; S. Bollée, Les effets des sentences arbitrales à l’égard des tiers, Rev. arb. 2015. 695, nos 25 s. ; S. Bollée, Les recours et les tiers en matière d’arbitrage, Rev. arb. 2018. 139 ; S. Lemaire, L’opposabilité de la sentence arbitrale aux tiers. Approche critique du droit français, in Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LGDJ, Lextenso éditions, 2015, p. 465, nos 37 s.).

La question est légèrement différente lorsqu’il s’agit de s’interroger sur la recevabilité de la tierce opposition, non pas contre la sentence, mais contre un jugement se prononçant sur la sentence arbitrale. C’est notamment le cas de la tierce opposition formée contre l’ordonnance d’exequatur. Cette problématique est au cœur de la jurisprudence Central Bank of Libya, qui vient de donner lieu à une cassation qui ne passera pas inaperçue (Civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-23.996, Central Bank of Libya).

Une sentence arbitrale a condamné l’État libyen à indemniser des investisseurs, qui ont obtenu l’exequatur de la sentence en France et fait pratiquer des saisies contre la Banque centrale de Libye. Cette dernière a formé une contestation contre cette mesure d’exécution en faisant notamment valoir qu’elle n’a pas été condamnée par la sentence et qu’elle n’est pas une émanation de l’État libyen. Elle a par ailleurs saisi la cour d’appel de Paris d’une tierce opposition contre l’arrêt confirmant l’ordonnance d’exequatur de la sentence arbitrale. L’action a été sèchement déclarée irrecevable par la cour d’appel de Paris : « En premier lieu, il convient de relever que si en matière d’arbitrage interne, la voie de la tierce opposition est ouverte en application de l’article 1501 du code de procédure civile, l’article 1506 du code de procédure civile ne renvoyant pas à ce texte, pour les sentences rendues en France en matière internationale et pour les sentences rendues à l’étranger, celles-ci ne peuvent pas être frappées d’une tierce opposition. En second lieu, comme le soutient la société B-C, le seul recours ouvert contre l’ordonnance d’exequatur d’une sentence rendue à l’étranger est l’appel prévu par l’article 1525 du code de procédure civile, dans les cas d’ouverture énumérés par l’article 1520 du code de procédure civile qui visent la sentence elle-même et non l’ordonnance d’exequatur qui n’est donc en tant que telle, susceptible d’aucun recours. Dès lors, la tierce opposition à l’arrêt d’appel statuant sur la décision qui accorde l’exequatur à une sentence rendue à l’étranger, permettrait si elle était admise, à un tiers à la convention d’arbitrage et à l’instance arbitrale, d’opposer aux parties à cette convention et cette instance, des moyens visant la sentence elle-même alors qu’aucun recours n’est ouvert aux tiers contre la sentence rendue à l’étranger » (Paris, 28 mai 2019, n° 16/21946, Dalloz actualité, 23 juill. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image).

L’arrêt est cassé, au visa des articles 1525, alinéa 1er, et 585 du code de procédure civile. La Cour énonce notamment que « la tierce opposition contre l’arrêt de la cour d’appel ayant accordé l’exequatur constituait une voie de recours de droit commun à l’encontre, non de la sentence arbitrale, mais de la seule décision d’exequatur de la sentence rendue à l’étranger ». Il y a beaucoup à dire sur la décision, que l’on approuve dans son principe, tant nous appelions de nos vœux depuis longtemps l’ouverture d’une telle voie de recours aux tiers (thèse préc.).

D’une part, on notera que, alors qu’elle y est invitée par le pourvoi, la Cour ne juge pas nécessaire de fonder sa cassation sur l’article 6, § 1, de la Conv. EDH. Cette omission n’est pas indifférente. C’est ce fondement qui a été utilisé pour permettre, en matière interne, à une caution solidaire de former une tierce opposition en écartant la règle de représentation mutuelle des coobligés (Com. 5 mai 2015, n° 14-16.644, D. 2015. 1046 image ; ibid. 1810, obs. P. Crocq image ; ibid. 2588, obs. T. Clay image ; Rev. sociétés 2016. 317, note B. Le Bars image ; RTD civ. 2015. 882, obs. H. Barbier image ; ibid. 933, obs. P. Théry image ; RTD com. 2016. 59, obs. E. Loquin image ; JCP 2015, n° 21, p. 981, note J.-B. Perrier ; Lexbase Hebdo 2015, n° 427, note D. Nemtchenko ; JCP E 2015. 2362, note J. Jourdan-Marques ; Procédures 2015. Comm. 264, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2015, n° 263-265, p. 27, note L. Mayer ; JCP 2015. Doctr. 1304, obs. R. Libchaber ; ibid. Doctr. 877, n° 6, obs. J. Ortscheidt ; ibid. Doctr. 1222, obs. P. Simler ; D. 2015. 2588, spéc. p. 2591, obs. T. Clay). Cette fois, la Cour considère qu’elle peut se dispenser de ce fondement, le seul code de procédure civile étant suffisant pour justifier sa solution. Ce choix est explicité par la motivation de la Cour, qui considère qu’il s’agit d’une « voie de recours de droit commun ». Inutile donc, de faire un détour par la CEDH pour fonder une solution qui est assise sur le seul code de procédure civile.

D’autre part, la solution repose principalement sur l’article 585 du code de procédure civile. Celui-ci énonce que « tout jugement est susceptible de tierce opposition si la loi n’en dispose autrement ». Or, force est de constater que l’article 1525 du code de procédure civile retient une formule permissive : « la décision qui statue sur une demande de reconnaissance ou d’exequatur d’une sentence arbitrale rendue à l’étranger est susceptible d’appel ». Il est délicat d’en déduire que la loi « en dispose autrement », conformément à la lettre de l’article 585 du code de procédure civile.

Voilà une solution dont on peut saluer la rectitude juridique. Pour autant, elle soulève plus de questions qu’elle n’en résout. En effet, il ne suffit pas de statuer sur la recevabilité de la tierce opposition contre l’ordonnance d’exequatur pour résoudre toutes les difficultés. Bien au contraire.

Premièrement, on peut s’interroger sur les décisions pouvant, à la suite de cet arrêt, faire l’objet d’une tierce opposition. Évidemment, il faut y inclure l’arrêt d’appel statuant contre l’ordonnance accordant l’exequatur à une sentence rendue à l’étranger, puisque c’est le cas de figure prévu par l’arrêt. En toute logique, on doit encore y inclure l’arrêt d’appel statuant contre l’ordonnance refusant l’exequatur, puisqu’il suit également le régime de l’article 1525, alinéa 1er, du code de procédure civile. On doit également, sans aucun doute, ajouter la tierce opposition contre l’ordonnance d’exequatur elle-même, qu’elle accorde ou refuse l’exequatur. En effet, il est loin d’être acquis qu’un appel soit interjeté. On ne comprendrait pas que le sort des tiers dépende du choix par les parties d’exercer un recours. La tierce opposition doit pouvoir être exercée indépendamment de cette voie de recours qui reste entre les mains des parties. Ces solutions valent pour les sentences étrangères.

En revanche, contre les sentences rendues en France, la situation est autrement plus complexe. Lorsque le juge refuse l’exequatur, l’article 1523 du code de procédure civile retient une formule proche de celle de l’article 1525 : « La décision qui refuse la reconnaissance ou l’exequatur d’une sentence arbitrale internationale rendue en France est susceptible d’appel ». Il n’y a pas de difficultés majeures à étendre la solution retenue par l’arrêt du 26 mai 2021. Cependant, lorsque le juge accorde l’exequatur, l’article 1524, alinéa 1er, du code de procédure civile, est plus tranché : « l’ordonnance qui accorde l’exequatur n’est susceptible d’aucun recours sauf dans le cas prévu au deuxième alinéa de l’article 1522 ». Dès lors, il sera plus délicat de se fonder sur l’article 585 du code de procédure civile pour accueillir le recours. On peine néanmoins à croire que la tierce opposition soit fermée dans cette seule hypothèse : pourquoi exclure la tierce opposition lorsque le juge accorde l’exequatur à une sentence rendue en France et l’admettre lorsque la sentence est rendue à l’étranger ? La solution n’est pas justifiable. Elle l’est d’autant moins que le recours en annulation peut être exercé indépendamment de toute procédure d’exequatur préalable. En toute logique, il faut donc admettre la tierce opposition contre l’ordonnance accordant l’exequatur, mais encore contre l’arrêt d’appel statuant sur le recours en annulation, qu’il soit rendu après une demande d’exequatur préalable ou non. Il faudra, en conséquence, soit forcer la lettre du code de procédure civile, soit appeler l’article 6, § 1, à la rescousse.

Deuxièmement, il faudra s’interroger sur l’intérêt à agir du tiers formant la tierce opposition. Une appréciation stricte de l’intérêt restreint sensiblement les décisions susceptibles de faire l’objet d’un tel recours. En l’espèce, la tierce opposition – même si cela devra être jugé par la cour d’appel de renvoi – sera recevable, car des mesures d’exécution forcée ont été mises en œuvre contre le tiers. Son intérêt à agir ne fait aucun doute. On ne peut ignorer que cette situation a pesé dans l’esprit de la Cour de cassation. Reste à savoir si elle sera la condition indispensable de l’intérêt à agir. On peut imaginer quatre niveaux – au moins – d’exigence quant à l’existence d’un intérêt un agir : (1) le tiers fait l’objet de mesures d’exécution, comme dans la présente affaire ; (2) la sentence a obtenu l’exequatur et peut ultérieurement faire l’objet de mesures d’exécution contre le tiers ; (3) la sentence a obtenu l’exequatur et ne devrait pas faire l’objet de mesures d’exécution contre le tiers ; (4) la sentence n’a pas obtenu l’exequatur. La question est donc de savoir si la seule intégration (ou non) de la sentence dans l’ordre juridique français est susceptible de fonder un intérêt à agir, ou si des mesures d’exécutions (actuelles ou potentielles) sont nécessaires. De la réponse à cette question dépendra, par exemple, la faculté pour un tiers de former une tierce opposition contre un arrêt d’appel annulant une sentence arbitrale. En principe, l’intérêt du tiers devrait être apprécié in concreto et ne pas être automatiquement exclu en fonction du sens de la décision. En revanche, il y aura un véritable enjeu à déterminer les conditions d’une reconnaissance d’un tel intérêt.

Troisièmement, il conviendra encore de déterminer les tiers susceptibles d’exercer une telle voie de recours. En principe, les arbitres en sont toujours exclus (Civ. 2e, 11 janv. 2018, n° 16-24.740, Dalloz actualité, 23 janv. 2018, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2018. 120 image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; JCP 2018. 595, note D. Mouralis ; JCP E 2019, n° 4, p. 29, obs. J. Ortscheidt). Néanmoins, la question se posera de l’appréciation de la restriction prévue à l’article 583 du code, selon laquelle la tierce opposition est ouverte « à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque ». En principe, cette exclusion ne devrait pas être interprétée de façon trop extensive, dans la lignée de l’arrêt du 5 mai 2015 (Com. 5 mai 2015, n° 14-16.644, préc.). Elle pourrait rebondir lorsqu’il s’agira de distinguer un démembrement de l’État d’un organisme public étranger. En effet, faudra-t-il ouvrir la tierce opposition à tous les démembrements de l’État contre lesquels une exécution forcée est envisagée, au risque de nourrir un contentieux artificiel ?

Quatrièmement, et c’est sans doute la question la plus fondamentale : quelle sera la nature du contrôle exercé par le juge saisi de la tierce opposition ? L’article 582, alinéa 2, du code de procédure civile énonce que la tierce opposition « remet en question relativement à son auteur les points jugés qu’elle critique, pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit ». Pour la tierce opposition formée contre l’arrêt d’appel, on peut imaginer que le tiers pourra se prévaloir des griefs prévus par l’article 1520 du code de procédure civile. Mais qu’en est-il si, à défaut de recours en annulation ou contre l’ordonnance d’exequatur, la tierce opposition est formée devant le tribunal judiciaire ? En principe, les prérogatives du juge de l’exequatur sont limitées par l’article 1514 du code de procédure civile, qui énonce que : « Les sentences arbitrales sont reconnues ou exécutées en France si leur existence est établie par celui qui s’en prévaut et si cette reconnaissance ou cette exécution n’est pas manifestement contraire à l’ordre public international ». Dès lors, faudra-t-il limiter le tribunal judiciaire saisi du recours à ces seuls griefs ou faudra-t-il permettre un examen étendu à tous les cas d’ouverture du recours ?

En tout état de cause, si l’examen réalisé, que ce soit par la cour d’appel voire par le tribunal judiciaire à défaut de recours contre l’ordonnance, est équivalent à celui réalisé par le juge du recours contre la sentence, il convient d’admettre que le recours exercé par le tiers ressemblera fortement, non pas à une tierce opposition contre le jugement, mais bien une tierce opposition contre la sentence. C’était justement l’aspect le plus convaincant de l’argumentation de la cour d’appel : « Dès lors, la tierce opposition à l’arrêt d’appel statuant sur la décision qui accorde l’exequatur à une sentence rendue à l’étranger, permettrait si elle était admise, à un tiers à la convention d’arbitrage et à l’instance arbitrale, d’opposer aux parties à cette convention et cette instance, des moyens visant la sentence elle-même alors qu’aucun recours n’est ouvert aux tiers contre la sentence rendue à l’étranger ». À cet égard, la motivation de la Cour de cassation, lorsqu’elle affirme que le recours porte sur l’arrêt d’appel et non la sentence, ressemble plutôt à une pirouette. In fine, sauf à vider ce recours de toute sa substance, c’est bien la sentence, et non l’arrêt d’appel qui sera examiné. Ce faisant, il faut bien admettre qu’il n’y a qu’un pas entre la tierce opposition contre l’arrêt et la tierce opposition contre la sentence. Il est même allégrement franchi en ce qui concerne les effets du recours : si le juge, le cas échéant, accueille favorablement la tierce opposition, c’est non seulement l’arrêt d’appel qui sera inopposable au tiers, mais aussi la sentence elle-même.

D’ailleurs, cette distinction peut donner lieu à des interrogations supplémentaires. Par exemple, on pourra se demander si la décision statuant sur la tierce opposition formée contre l’arrêt rejetant le recours en annulation et accueillie favorablement par le juge est susceptible de circuler internationalement. On en a des maux de tête rien que d’y penser.

En somme, la rigueur juridique de l’arrêt n’est qu’apparente. À vouloir, peut-être par une technique de petits pas, limiter la portée de sa solution à la seule tierce opposition contre les décisions étatiques connaissant des sentences, la Cour de cassation laisse apparaître une quantité vertigineuse de questions. Il aurait sans doute été plus simple (quoique) – et pas nécessairement moins rigoureux juridiquement – d’ouvrir la possibilité pour les tiers de former directement une tierce opposition contre la sentence arbitrale. Il n’en reste pas moins que l’on peut se réjouir d’une solution qui était attendue de longue date.

B - Aspects substantiels du recours

1 - La place des règles de conflit dans le recours

La question du recours aux règles de conflit dans le recours en annulation est une question ancienne et toujours très discutée. En principe, la jurisprudence en fait largement abstraction, lui préférant les règles matérielles. Pourtant, depuis quelque temps, la jurisprudence semble avoir implicitement réintroduit une règle de conflit en matière de procédure. Dans la présente chronique, on assiste à une inflation de l’attendu selon lequel « les parties ayant choisi Paris (France) en tant que siège de l’arbitrage, la loi française est applicable à la procédure » (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, préc. ; Paris, 11 mai 2021, n° 18/07442, Cevikler). Il se trouvait déjà mot pour mot dans des arrêts Grenwich (Paris, 16 févr. 2021, n° 18/16695, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) et TCM (Paris, 3 juin 2020, n° 19/07261, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image) et, dans l’esprit, dans l’arrêt DS Construction (Paris, 23 mars 2021, n° 18/05756, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques).

La formule peut sembler inoffensive. Elle justifie, tantôt de l’application de la règle de la renonciation prévue par l’article 1466 du code de procédure civile, tantôt de l’application de l’obligation de motivation de la sentence, prévue par l’article 1482 du code. Elle n’entraîne aucun résultat dommageable dans l’ensemble de ces affaires, puisque le siège est systématiquement fixé en France. Reste que le juge français ne connaît pas uniquement des sentences rendues en France. Il peut aussi connaître de sentences rendues à l’étranger, dans le cadre d’un contrôle contre l’ordonnance d’exequatur. Dans ces cas, comment faire ? Telle que posée, la règle de conflit est unilatérale : elle désigne la loi française lorsque le siège est fixé en France. Il n’en demeure pas moins qu’elle peut facilement être bilatéralisée : il suffit de dire que la loi applicable à la procédure est la loi du siège de l’arbitrage. Ainsi, dans le cadre d’un recours contre une sentence rendue à l’étranger, le juge français peut être conduit à appliquer à la procédure une loi étrangère. Par exemple, si le siège est fixé à Londres, le juge français applique la loi anglaise à la procédure, notamment pour déterminer les dispositions relatives à la renonciation ou à la motivation.

Une telle solution n’est pas du tout heureuse. Naturellement, on peut commencer par dire, de façon parfaitement dogmatique – et assumée – que la réintroduction d’une règle de conflit en matière d’arbitrage est, par principe, une mauvaise nouvelle. Il faut néanmoins aller au-delà.

D’une part, cette réintroduction est contraire à l’article 1509 du code de procédure civile, qui énonce que « La convention d’arbitrage peut, directement ou par référence à un règlement d’arbitrage ou à des règles de procédure, régler la procédure à suivre dans l’instance arbitrale. Dans le silence de la convention d’arbitrage, le tribunal arbitral règle la procédure autant qu’il est besoin, soit directement, soit par référence à un règlement d’arbitrage ou à des règles de procédure ». La contradiction est flagrante. On ne peut, d’un côté, donner aux parties, et subsidiairement aux arbitres, la possibilité de déterminer les règles de procédure et, de l’autre, mettre en place un facteur de rattachement rigide. On le peut d’autant moins que le choix du siège n’est pas nécessairement réalisé par les parties ou l’arbitre, ce qui vient à tous les priver de la faculté offerte par l’article 1509 au profit d’un tiers (notamment l’institution).

On peut être tenté d’expliciter cette différence de régime par une différence d’objet. Finalement, les règles de procédure au sens de l’article 1509 du code de procédure civile ne seraient pas les mêmes que les règles de procédure au sens de cette jurisprudence. Il faudrait ainsi profiter de la polysémie de la notion de procédure pour y découvrir une différence de régime. Cependant, la distinction est immédiatement douteuse, dès lors que l’on voit mal comment faire le tri entre les règles qui relèvent de la procédure librement choisie par les parties ou l’arbitre et celles qui relèvent de la règle de conflit posée par la cour. On le comprend d’autant moins qu’il s’agit, dans les deux cas, de règles applicables à l’instance devant l’arbitre.

D’autre part, cela implique, de la part du juge, de renoncer à imposer ces règles à des sentences rendues à l’étranger. Il conviendrait alors de découvrir dans le droit étranger une règle équivalente et de l’interpréter à l’aune de la jurisprudence étrangère. Le cumul de ces deux conditions conduit à des solutions tout à fait différentes de celles retenues en droit français. Il y aurait donc une véritable distinction de régime qui se créerait entre les sentences françaises et les sentences étrangères, alors qu’elles sont actuellement assimilées pour l’essentiel. On imagine d’ores et déjà les difficultés auxquelles cela donnera lieu, particulièrement en matière de renonciation. Il suffit de prendre l’exemple – toujours le même – de l’obligation de révélation pour se rendre compte qu’il faut potentiellement livrer une analyse distincte selon que la sentence est rendue en France ou à l’étranger. On prierait presque pour que cela n’arrive pas.

Ceci étant, il est vrai que l’on peine à comprendre, pour les sentences rendues à l’étranger, à quel titre des règles françaises de procédure s’appliquent. La réponse se trouve en partie dans l’article 1510 du code de procédure civile : « Quelle que soit la procédure choisie, le tribunal arbitral garantit l’égalité des parties et respecte le principe de la contradiction ». En dépit de la liberté conférée aux parties et aux arbitres de déterminer les règles de procédure, certains principes doivent être respectés. On comprend donc que le droit français peut s’appliquer au titre de règles de procédure, indépendamment des règles choisies par les parties ou les arbitres. Pour autant, l’application de cette disposition dépend-elle d’une règle de conflit ? La réponse doit être négative : l’égalité des parties et le principe de la contradiction sont des principes que toute sentence – française ou étrangère – doit respecter. Elle s’applique ainsi au titre d’une règle matérielle (on peut éventuellement discuter de la qualification de loi de police, mais la première qualification semble préférable).

On le voit, l’application de règles françaises à la procédure est réalisée au titre d’une règle matérielle. Il en va de même pour les règles sur la motivation et sur la renonciation. Lors du recours contre la sentence arbitrale, la mise en œuvre de ces règles se justifie par leur qualité de règle matérielle du droit français de l’arbitrage. Cela n’interdit pas, d’ailleurs, de reconnaître leur caractère supplétif de volonté. S’agissant de la motivation, la jurisprudence considère de longue date que la sentence non motivée n’est pas, de ce seul fait, contraire à l’ordre public international (Civ. 1re, 22 nov. 1966, Gerstlé, JCP 1968. II. 15318, obs. H. Motulsky ; JDI 1967. 631, note B. Goldman ; Rev. crit. DIP 1967. 372, note P. Francescakis). Le renvoi opéré par l’article 1506, 4°, à l’article 1482 du code de procédure civile est considéré comme ayant un caractère supplétif. Aussi, les parties peuvent convenir de dispenser les arbitres de motiver leur sentence. De même, pour la renonciation, celle-ci est possible de faire l’objet d’aménagements, notamment sous l’influence des règlements d’arbitrage qui posent des délais spécifiques.

Ainsi, plutôt que de raisonner en termes de règle de conflit et de conduire à l’exclusion du droit français pour les sentences étrangères, il semble préférable de retenir une qualification de règle matérielle supplétive de volonté, afin de permettre aux parties d’y déroger.

2 - La compétence

Depuis quelques années, les recours en annulation devant les juridictions françaises contre des sentences d’arbitrage d’investissements se multiplient, conséquence immédiate de la désignation grandissante de Paris comme siège dans la résolution de ces litiges. Il n’a donc pas fallu longtemps pour voir les décisions – et les annulations – se multiplier, au point de générer une certaine inquiétude (J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : où va le contrôle étatique de l’arbitrage international ?, Dalloz actualité, 30 avr. 2021). Poussée par les jurisprudences Abela (Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 09-10.530, Abela, Dalloz actualité, 21 oct. 2010, obs. X. Delpech ; D. 2010. 2442, obs. X. Delpech image ; ibid. 2011. 265, obs. N. Fricero image ; Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; JCP 2010. 1028, note P. Chevalier ; ibid. I. 1286, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011, p. 14, obs. D. Bensaude ; Paris, 12 juill. 1984, Égypte c/ SPP, Rev. arb. 1986. 75 ; JDI 1985. 129, note B. Goldman ; Civ. 1re, 6 janv. 1987, n° 84-17.274, SPP c/ Égypte, Rev. arb. 1987. 469, note P. Leboulanger ; JDI 1987. 638, note B. Goldman) et Schooner (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 image ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller), le recours en annulation glisse progressivement vers un appel. Discutable dans son principe, cette évolution jurisprudentielle l’est encore plus dès lors que l’on constate que la juridiction parisienne ne partage pas la vision extensive des arbitres quant à la compétence.

C’est pourtant un coup d’arrêt – particulièrement bienvenu – à cette fuite en avant que constitue l’arrêt Cengiz (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, préc.). Naturellement, sauf à vouloir entrer en conflit frontal avec la Cour de cassation – sur quoi nous serions le premier à la soutenir – la cour ne peut faire autrement que d’accueillir un moyen non discuté devant le tribunal arbitral. En revanche, pour le reste, la cour pose de nouvelles bornes à son contrôle, afin notamment d’éviter que les parties puissent faire passer des questions de compétence l’intégralité des dispositions d’un TBI.

La première borne posée concerne la corruption. Pour la cour, il ne s’agit pas d’une question de compétence. La question est ancienne et a fait l’objet d’une sentence connue, y répondant positivement (Sentence CCI n° 1110, 1963, Lagergren). Reste que, depuis cette époque, la solution est le plus souvent écartée, en ce que la corruption n’interdit pas au tribunal arbitral de trancher le différend. C’est précisément la solution retenue par la cour d’appel de Paris dans l’arrêt Cengiz. Elle énonce que l’« offre permanente d’arbitre [d’un TBI] est autonome et indépendante de la validité de l’opération qui a donné naissance à l’investissement ou qui la soutient, de sorte que l’acceptation de l’arbitrage qui résulte de la notification de la requête d’arbitrage suffit à justifier la compétence du tribunal arbitral pour statuer sur la licéité de cet investissement et la demande en réparation ». Des faits de corruption ne font aucunement obstacle à la compétence du tribunal arbitral. Naturellement, cette exclusion de la corruption du champ d’application de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile n’interdit pas, ce qu’elle fait depuis longtemps, à la cour de revenir sur le grief sur le fondement de l’article 1520, 5°. Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit bien d’une restriction du cas d’ouverture sur la compétence.

Dans sa motivation sur la corruption, la cour en profite pour poser une seconde borne. Elle souligne que « le juge de l’annulation ne peut, se substituer à l’arbitre pour trancher un litige portant sur la licéité de l’investissement ou du contrat qui concrétise cet investissement, qui ne relève que du seul fond du litige et non de l’appréciation de la compétence du tribunal arbitral ». Sont ainsi exclues les questions de licéité. Qu’est-ce donc, au sens de la cour d’appel, une question de licéité ? Difficile de le savoir d’emblée. En effet, la cour d’appel pose, toujours dans le même arrêt, une troisième borne. Celle-ci concerne les questions de légalité. La cour énonce à ce sujet « qu’une clause de légalité de l’investissement ne peut mettre en cause l’existence de l’investissement que si cette condition de légalité est d’une gravité telle qu’elle emporterait l’incompétence du tribunal arbitral pour connaître du litige lié à celui-ci ». D’une part, la licéité et la légalité semblent devoir être distinguées (ce qui n’est pas évident en droit des investissements). En l’espèce, la corruption relève de la licéité alors que les dispositions internes de la loi libyenne concernent la légalité. D’autre part, elles ne sont pas soumises à un régime parfaitement identique, puisque, en matière de légalité, il n’est pas totalement exclu qu’un contrôle soit réalisé. On voit mal, en première lecture, ce qui justifie une telle distinction, d’autant que les questions de licéité semblent plus graves que celles de légalité. Peut-être que, dans l’esprit de la cour, cela s’explique par le fait que les illicéités « graves » tombent dans le champ de l’ordre public international, ce qui rend inutile un contrôle par la voie de la compétence. Néanmoins, la cour aurait sans doute pu s’en tenir à une exclusion totale, au risque de générer un contentieux parasite.

L’exclusion des questions de licéité ou de légalité de l’investissement dans le cas d’ouverture relatif à la compétence n’avait rien d’évidente, notamment car la question est débattue devant les arbitres (E. Teynier, L’office de l’arbitre d’investissement : le cas particulier de l’investissement illicite, Rev. arb. 2019. 117 ; v. égal. M. Laazouzi et S. Lemaire, Normes de protection de l’environnement : obstacles à la compétence du tribunal arbitral ou au bien-fondé des demandes ?, Rev. arb. 2019. 609 ; E. Gaillard, La corruption saisie par les arbitres du commerce international, Rev. arb. 2019. 805). Elle emporte des conséquences qu’il convient de rappeler. Ce n’est pas équivalent d’y voir une question de compétence de l’arbitre ou de fond. Si l’on y voit une question de compétence, cela conduit, d’une part, au stade arbitral, à exclure l’intervention de l’arbitre sur le différend ; d’autre part, au stade du recours, cela permet au juge étatique de réaliser un contrôle de ce critère, sans être limité dans l’étendue de son contrôle, et même en pouvant connaître de nouveaux moyens, pièces ou preuves (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, préc.). Ainsi, le critère de la licéité de l’investissement ne sera jamais contrôlé, sauf à tomber également sous le coup de l’ordre public international, comme celui de la légalité, sauf à être particulièrement grave. Cette solution est bienvenue. Elle évite la tentation pour les juridictions françaises de devenir le juge d’appel des litiges d’investissements. Ce faisant, la cour fixe de façon anticipée sa jurisprudence et dissuade les futurs plaideurs de s’en prévaloir pour discuter de la compétence du tribunal.

Enfin, la cour d’appel pose une quatrième borne. Elle rejette le moyen du requérant qui tente de soumettre à la discussion sur la compétence la question du respect d’une clause de conciliation préalable. Elle énonce que « le grief tiré du non respect d’une clause préalable de conciliation et notamment de la période de réflexion (« cooling off period ») qu’elle prévoit ne constitue pas une exception d’incompétence, mais une question relative à la recevabilité des demandes, qui n’entre pas dans les cas d’ouverture du recours en annulation énumérés par l’article 1520 du code de procédure civile ». La solution n’est pas vraiment étonnante, dès lors que même l’arrêt d’appel dans l’affaire Rusoro a statué en ce sens (Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi). Ceci étant, un arrêt Keppel a semé le doute sur la question de la qualification de ces clauses (Paris, 1er déc. 2020, n° 19/08691, Qatar c/ Keppel, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). L’arrêt Cengiz signe ainsi, après l’arrêt Rusoro de la Cour de cassation (Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551, Rusoro, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) un retour à l’orthodoxie attendu.

3 - La constitution du tribunal arbitral

La cour d’appel de Paris a encore eu à trancher un moyen relatif au défaut d’indépendance et d’impartialité du tribunal arbitral (Paris, 18 mai 2021, n° 18/10511, Zakhem). Si l’arrêt est de facture assez classique, on doit signaler que le recourant a saisi le conseiller de la mise en état aux fins d’obtenir des mesures d’instruction à l’encontre de l’arbitre. Le conseiller de la mise en état a finalement renvoyé la demande de mesure d’instruction à la cour et elle est rejetée. Pour autant, cette demande est très révélatrice d’un changement de perspective par les parties : puisque certains arbitres, malgré dix années de jurisprudence, refusent toujours de révéler loyalement leurs liens, les parties sont désormais tentées d’avoir recours à des mesures d’investigations plus offensives. Aujourd’hui, il s’agit de demander une mesure d’instruction à un juge ; demain, il s’agira potentiellement de produire des pièces rapportées par un détective privé (v. par ex., dans l’arrêt BYD Auto, où une enquête menée par une entreprise d’intelligence économique est produite, Paris, 25 mai 2021, n° 18/20625) ou un hacker. Il y a là une voie particulièrement dangereuse pour l’arbitrage, qu’il convient d’éviter à tout prix. Le glissement récent de la jurisprudence vers une appréciation stricte du doute raisonnable n’est pas de nature à inciter les arbitres à la transparence. De plus, il n’est pas totalement fantaisiste de considérer que les institutions ont un rôle à jouer. Certes, des institutions comme la CCI, avec sa fameuse « Note aux Parties », incitent lourdement les arbitres à la révélation. On ne peut néanmoins ignorer que ces institutions ont aussi accès à certaines informations à propos des arbitres, notamment quant à leur arbitrage en cours. Elles ne peuvent donc ignorer que certaines révélations des arbitres sont lacunaires. À force de rester silencieuses, elles peuvent s’attendre à ce que les mesures d’instruction finissent par les viser elles, en plus des arbitres. Ce sera alors trop tard pour réagir.

Pour ce qui est du cœur du problème, le requérant invoque un article du GAR pour établir certains faits qui n’ont pas été révélés par l’arbitre. La cour considère que l’arbitre a déjà, dans sa déclaration d’indépendance, apporté des informations sur ces liens, et que l’article du GAR n’aggrave pas significativement les doutes sur l’indépendance de l’arbitre (v. déjà, Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, Tecnimont, D. 2016. 2589, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier image ; Rev. arb. 2017. 234, note E. Loquin ; ibid. 949, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 447, note T. Clay). Il est difficile de se faire un avis factuel sur cette réponse, la révélation reproduite dans l’arrêt étant anonymisée (pour la version dont nous disposons) et le contenu de l’article du GAR n’étant pas mentionné. D’un point de vue juridique, les conséquences sont immédiates : puisque les faits ont été mentionnés dans la déclaration d’indépendance, le point de départ du délai de révélation court à compter de cette date. Il appartient aux parties de réagir, potentiellement après avoir demandé des éclaircissements à l’arbitre. À défaut de l’avoir fait, le délai de récusation est expiré et le moyen est irrecevable. L’article du GAR n’apportant, sur ce point, rien de nouveau, il n’est pas de nature à faire revivre le délai de recours.

4 - La mission de l’arbitre

a - L’ultra petita

On dira simplement un mot d’un arrêt rendu par la formation interne de la 5-16 (Paris, 18 mai 2021, n° 18/28526, Phycomat). Le recours est formé contre une sentence rendue sous l’égide de la Chambre arbitrale internationale de Paris dans un litige sur contrat relatif à la recherche sur du colza. La sentence est annulée pour violation, pour certaines demandes, de sa mission par le tribunal arbitral et, pour d’autres, du principe de la contradiction. En réalité, dans un cas comme dans l’autre, le tribunal arbitral s’est largement dispensé de respecter les demandes des parties. Il a tantôt ajouté à leurs demandes, pour indemniser de nouveaux préjudices, tantôt remplacé des préjudices (incertains) par d’autres (pertes de chance). Dans un cas comme dans l’autre, la sentence ne peut survivre à un passage devant la cour. Ce genre de décision doit tout de même attirer l’attention sur l’importance de ne pas désigner comme arbitres des personnes n’ayant pas une qualification juridique suffisante ou une connaissance avancée de l’arbitrage.

C’est encore une question relative au respect par le tribunal arbitral de sa mission qui est soumise à la cour dans l’affaire Asperbras (Paris, 11 mai 2021, n° 18/06076, préc.). Il est reproché au tribunal arbitral d’avoir statué ultra petita en subordonnant le paiement d’une créance à son exigibilité, alors qu’aucune partie n’a demandé au tribunal de préciser les conditions d’exigibilité de cette créance. Pour rejeter le recours, la cour retient que, si cette prétention n’est pas spécifiquement reprise dans les conclusions, elle figure dans l’acte de mission. Elle constate donc que, dès lors que les parties n’y ont pas renoncé, cette question entre dans la mission du tribunal arbitral. La solution est sécurisante pour les arbitres, en ce qu’elle évite l’annulation de la sentence. Elle peut néanmoins avoir des effets pervers, si elle impose, a contrario, aux arbitres de ne pas se limiter au seul examen des derniers jeux de conclusions et requiert, pour respecter leur mission, de prendre en compte, depuis l’acte de mission, l’ensemble des échanges entre les parties.

b - Les règles de procédure choisies par les parties

Lorsque les parties choisissent des règles procédurales applicables au litige, le respect par le tribunal arbitral de sa mission implique de les respecter. Si une violation de ces règles est susceptible d’entraîner l’annulation de la sentence, c’est toutefois à la condition qu’un grief soit établi et que les parties n’y ont pas renoncé. C’est ce que rappelle la cour (Paris, 11 mai 2021, n° 18/07442, Cevikler, préc.) : « Cependant, cet écart, en ce qu’il porte sur une règle procédurale, ne saurait emporter l’annulation de la sentence que si l’irrégularité procédurale avait été soulevée préalablement devant le tribunal arbitral et s’il est établi qu’il a pu causer à une partie un grief ou qu’il a eu une incidence sur l’issue du litige ». Tel n’est pas le cas, par exemple, si une déclaration de témoin n’a joué aucun rôle dans la décision du tribunal et que les parties ont été entendues contradictoirement.

5 - Le procès équitable

S’il y a bien une faille dans la ventilation des cinq cas d’ouverture du recours en annulation, il s’agit de la prise en compte des différents droits de la défense. En effet, quand bien même l’article 1520, 4°, du code de procédure civile évoque le principe de la contradiction, la jurisprudence l’entend restrictivement, au point parfois de refuser d’y inclure d’autres droits de la défense (Paris, 16 févr. 2021, n° 18/16695, Grenwich, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Pour les parties, il est nécessaire d’invoquer systématiquement les articles 1520, 4° et 5°, pour ratisser large et faire état de tout ce qui peut concerner le procès équitable. L’exigence est presque formelle, puisqu’il suffit de faire mention des deux cas d’ouverture et de développer, ensemble, les différents droits de la défense. L’arrêt Cevikler (Paris, 11 mai 2021, n° 18/07442, préc.) rappelle les griefs qui peuvent être examinés par la cour. Il vise ainsi le principe de la contradiction, qui « permet d’assurer la loyauté des débats et le caractère équitable du procès. Il interdit qu’une décision soit rendue sans que chaque partie ait été en mesure de faire valoir ses prétentions de fait et de droit, de connaître les prétentions de son adversaire et de les discuter ». Il évoque aussi le délai raisonnable, en ce qu’il « incombe aux arbitres de rechercher, au cas par cas, un juste équilibre entre le droit de la partie demanderesse de voir examiner ses prétentions dans un délai raisonnable et le droit de la partie défenderesse d’organiser utilement sa défense ». Enfin, il retient, à propos de l’égalité des armes, qu’elle « représente un élément du procès équitable protégé par l’ordre public international, implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ». Par l’accumulation de ces garanties, on constate à quel point l’article 6, § 1, de la Conv. EDH, en dépit de son inapplicabilité à l’arbitrage, irrigue le contrôle qui est réalisé par le juge. C’est à se demander si, à l’occasion d’une future réforme, il ne faudrait tout simplement pas consacrer un cas d’ouverture idoine au procès équitable. Dans cet arrêt, comme d’ailleurs dans un arrêt Zakhem (Paris, 18 mai 2021, n° 18/10511, préc.), la cour s’interroge sur la compatibilité des calendriers de procédure appliqués devant le tribunal arbitral aux exigences du procès équitable. Dans les deux cas, l’annulation n’est pas encourue.

6 - L’ordre public international

a - Les griefs exclus

La liste des griefs exclus de l’ordre public international peut être régulièrement mise à jour, les parties ne manquant pas de créativité. La tentation est d’autant plus grande depuis que la jurisprudence a ouvert la voie à l’inclusion des lois de police étrangères au sein de l’ordre public international (Paris, 16 janv. 2018, n° 15/21703, MK Group, D. 2018. 1635 image, note M. Audit image ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 2448, obs. T. Clay image ; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2018. 401, note S. Lemaire ; JDI 2018. Comm. 12, note S. Bollée ; ibid. Comm. 13, note E. Gaillard). Depuis, les parties s’engouffrent régulièrement dans cette brèche. C’est le cas dans l’affaire Webcor (Paris, 25 mai 2021, n° 18/18708, Webcor) dans laquelle le requérant tente de faire inclure « l’atteinte à la souveraineté fiscale de la République gabonaise » au sein de l’ordre public international français. C’est toutefois oublier qu’il ne suffit pas que le texte soit une loi de police dans son État d’origine pour le devenir automatiquement en France. La cour le rappelle justement : « la seule méconnaissance d’une loi de police étrangère ne peut conduire en elle-même à l’annulation d’une sentence arbitrale. Elle ne peut y conduire que si cette loi de police étrangère protège une valeur ou un principe dont l’ordre public français lui-même ne saurait souffrir la méconnaissance même dans un contexte international. Ce n’est que dans cette mesure que des lois de police étrangères peuvent être regardées comme relevant de l’ordre public international ». Dès lors, quand bien même les questions fiscales relèvent de la souveraineté d’un État, la violation de ces règles ne porte pas atteinte à l’ordre public international français. La solution est logique.

b - La corruption

La question de la corruption a complètement bouleversé le recours contre les sentences arbitrales internationales. Nous avions laissé les lecteurs de cette chronique il y a quelque temps avec une appréciation très sévère d’un arrêt Sorelec (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image). Si la jurisprudence a, à raison selon l’unanimité des observateurs, abandonné une jurisprudence trop permissive en matière de contrôle de l’ordre public international, elle semblait aboutir à l’excès inverse, en annulant des sentences malgré des preuves limitées. Deux arrêts récents sont de nature à rassurer. Dans l’un, la cour d’appel de Paris annule une sentence arbitrale (Paris, 25 mai 2021, n° 18/18708, Webcor, préc.), dans l’autre, elle rejette le recours dans l’autre (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, préc.). Plus que le sens de la décision, ce qui importe est la motivation. Or, dans les deux cas, elle emporte la conviction.

Aujourd’hui, l’examen de la sentence arbitrale en matière de corruption repose essentiellement sur deux piliers. D’une part, le grief de la corruption peut être invoqué devant le juge étatique, quand bien même il ne l’a pas été devant le tribunal arbitral ; d’autre part, la preuve de la corruption est apportée par un faisceau d’indices graves précis et concordant. Finalement, le débat sur la nature du contrôle, « flagrant, effectif et concret » ou encore « manifeste, effectif et concret » paraît lointain et presque indifférent. Quand bien même la cour y fait référence, encore dans les deux arrêts cités, on peine à lui donner une quelconque substance dans le cadre de son examen.

Premièrement, l’absence de débat sur la corruption devant le tribunal arbitral est parfaitement indifférente pour le juge étatique. La question est tranchée et il est admis que le silence devant le tribunal arbitral n’interdit pas aux parties de soulever le moyen devant le juge (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, préc.). C’est précisément ce qu’il advient dans les deux arrêts. Par une formule identique, ils rappellent que « la défense de la conception française de l’ordre public international implique que le juge étatique chargé du contrôle puisse annuler la sentence dont l’exécution heurte cette conception alors même que le moyen tiré de l’ordre public n’avait pas été invoqué devant les arbitres et que ceux-ci ne l’avaient pas mis dans le débat ». Mieux, dans l’arrêt Webcor, la cour précise, au moment de sceller le sort de la sentence, que « le tribunal arbitral n’avait pas connaissance au jour de la sentence [de ces éléments] ». C’est, pour la cour, une façon habile d’absoudre le tribunal arbitral d’une quelconque responsabilité. En effet, quand bien même le tribunal arbitral doit être vigilant sur ces questions et ne doit pas s’interdire de relever le moyen d’office, il ne pourra jamais suppléer les parties dans la preuve des faits de corruption. Il n’est pas anodin de signaler que le constat de la corruption est hors de portée pour les arbitres.

Reste que, si cette faculté pour les parties d’invoquer la corruption pour la première fois devant le juge de l’annulation est logique, elle soulève tout de même des difficultés. Un déséquilibre procédural est créé entre les deux parties, puisque l’une des parties dispose de deux balles dans son chargeur pour arriver à ses fins. En effet, la partie peut mener, devant le tribunal arbitral, un combat sur le fond des obligations et espérer emporter la conviction de celui-ci. En cas d’échec, elle pourra se tourner vers le juge de l’annulation et invoquer, seulement à ce stade, les faits de corruption. Ainsi, le potentiel débiteur dispose de deux fors – et donc deux chances de succès – pour faire valoir sa cause. Il lui suffit d’une décision favorable sur les deux pour l’emporter. Mieux, elle peut se préserver de l’infamie en essayant de gagner, dans un premier temps, sans se prévaloir de la corruption. À l’inverse, le créancier présumé doit l’emporter dans les deux instances successives. En échouant dans l’une d’entre elles, il perd définitivement le litige. D’un point de vue procédural, l’iniquité est frappante. Certes, elle l’est moins quand on se remémore que les parties sont complices de la corruption. Il n’en demeure pas moins qu’il n’est jamais sain de laisser libre cours à de telles stratégies.

Deuxièmement, les deux arrêts conduisent à l’appréhension du faisceau d’indices présenté par les parties pour établir les faits de corruption. On peut distinguer les deux affaires.

Le cadre de l’affaire Webcor est celui d’un contrat de construction d’un marché à Libreville, au Gabon. Trois contrats ont été signés. Les deux premiers – un contrat-cadre et un bail emphytéotique – l’ont été avec la commune. Le troisième, une convention portant avantages fiscaux et douaniers, l’a été avec l’État. Il est reproché au partenaire contractuel d’avoir financé le voyage de noces du maire de la commune. La réalité du cadeau n’est pas véritablement discutée. En revanche, il est contesté que celui-ci puisse caractériser un indice de corruption. D’une part, il est prétendu qu’il s’agit d’un cadeau « d’usage », postérieur à la conclusion des deux contrats avec la ville. D’autre part, il est soutenu que celui-ci ne peut aucunement avoir permis au bénéficiaire du projet d’obtenir la conclusion d’une convention avec l’État, laquelle est négociée directement avec le gouvernement. La motivation de l’arrêt suit plusieurs points clés. Elle établit d’abord que les trois contrats forment un « ensemble contractuel ». Elle identifie ensuite le rôle du maire, aussi bien dans la conclusion des deux contrats avec la commune que dans celle avec l’État, pour laquelle sa signature est nécessaire. Enfin, elle souligne que des poursuites pour corruption sont en cours contre l’ancien maire de la commune. La motivation est convaincante, en tout cas au regard des faits tels que restitués par la cour. On peut se réjouir que la cour ne se soit pas limitée au seul constat d’un cadeau, mais ait recherché à établir le rôle du maire dans la conclusion des trois contrats. Ainsi présentée, l’annulation semble inévitable.

Dans l’affaire Cengiz, le litige oppose un groupe de construction à l’État libyen et une entité publique de droit libyen dépendant du ministère du logement, en charge des grands projets de construction d’infrastructures et de logements sociaux (HIB). Plusieurs contrats ont été signés entre le groupe de construction et le HIB. Au mois de janvier 2011, l’éclatement de la Révolution libyenne a amené la situation dans le sud du pays à se dégrader, entraînant une détérioration des conditions de sécurité des sites exploités, qui ont fait l’objet d’attaques, et l’interruption des travaux. Finalement, l’opérateur a entamé un arbitrage fondé sur un traité bilatéral d’investissement contre l’État libyen. Après avoir perdu devant le tribunal arbitral, la Libye a formé un recours en annulation devant les juridictions françaises en soulevant un grief relatif à la corruption. Ce qui caractérise l’argumentation de l’État requérant, c’est de ne jamais mettre le doigt sur des faits précis, ce qui est évidemment de nature à affaiblir le raisonnement. Il est néanmoins remarquable de faire le parallèle avec l’arrêt Sorelec, puisque l’on retrouve, dans les deux affaires, des indices équivalents à propos d’un même État. Cette fois, la cour ne s’y laisse pas prendre. Concernant la situation du pays au moment de la révolution, la cour retient que « de tels éléments généraux ne sauraient en soi être des indices suffisants pour caractériser des actes de corruption ». À propos du non-respect de la réglementation libyenne sur les contrats administratifs, il est là encore affirmé que cet élément « ne peut suffire à caractériser les faits de corruption ». De même, les arguments relatifs au prix du contrat sont écartés. Enfin, la prétendue rapidité avec laquelle le contrat a été conclu n’est pas établie. Quand bien même ils sont moins bien étayés en faits, les mêmes indices que dans l’affaire Sorelec ne mènent pas à la même conclusion. De plus, la cour apporte deux précisions intéressantes. En premier lieu, elle déplore que la Libye ne se soit pas prévalue de ces arguments devant le tribunal arbitral. Si l’argument n’est pas décisif, il est intéressant de le voir mentionner au sein de la motivation de la cour. En second lieu, la cour retient qu’aucune poursuite pénale n’a été engagée pour des faits de corruption. Ainsi, pour l’un comme pour l’autre, des arguments qui devraient être indifférents semblent devenir des indices « défavorables ». En définitive, l’arrêt Cengiz donne le sentiment que le rejet du recours est lié à un double phénomène : des indices plus faibles de corruption en fait, mais aussi une appréciation plus sévère de ces indices en droit. Si ce second constat se vérifie, on peut se réjouir de cet accroissement des exigences quant à la caractérisation d’une atteinte à l’ordre public international.

c - La fraude à la loi

En droit de l’arbitrage, la fraude est un grief connu. Le principe fraus omnia corrumpit est considéré comme incluant l’ordre public international depuis plusieurs années (Paris, 20 juin 1996, Sté Paris c/ Sté Razel, Rev. arb. 1996. 657, obs. D. Bureau ; 25 juin 2013, n° 12/01461, Rev. arb. 2014. 120, note A. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2013, n° 270-271, p. 18, obs. D. Bensaude ; LPA 2014, n° 20, p. 20, obs. A. Canonica ; 9 avr. 2009, Cah. arb. 2010. 889 [2e espèce], note E. Loquin ; LPA 2011, n° 38, p. 9 [1re espèce], obs. M. de Boisseson ; D. 2010. 2933, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2009. 436 ; JCP E 2009, n° 50, 2167, § 8, obs. J. Ortscheidt ; 1er juill. 2010, n° 09/10069, Affaire des Frégates de Taïwan, Cah. arb. 2011. 741 [1re esp.], note L.-C. Delanoy ; Rev. arb. 2010. 856, note B. Audit). La doctrine distingue plusieurs types de fraudes : la fraude par l’arbitrage ; la fraude objet de l’arbitrage ; la fraude dans l’arbitrage (J. Pellerin, Le cas de la fraude, in L’ordre public et l’arbitrage, s. la dir. d’E. Loquin et S. Manciaux, LexisNexis, 2014, p. 177, n° 1). La première sert à dissimuler une pratique répréhensible. La deuxième renvoie à l’hypothèse d’un simulacre de procédure dans la manière où l’arbitrage est décidé, organisé et conduit. Enfin, la fraude dans l’arbitrage, ou fraude procédurale, suppose que de faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise.

En revanche, une quatrième hypothèse de fraude était, à notre connaissance, inconnue en droit de l’arbitrage : celle de la fraude à la loi. Elle est pourtant retenue en droit international privé depuis très longtemps, notamment par le fameux arrêt Princesse de Bauffremont (Civ. 18 mars 1878, S. 1878. 1. 193, note Labbé ; D. 1878. 1. 201, concl. Charrins ; Clunet 1878. 505). Elle l’est également en matière de reconnaissance des jugements étrangers, l’arrêt Cornelissen faisant figurer l’absence de fraude à la loi parmi les conditions d’exequatur du jugement (Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082, Cornelissen, D. 2007. 1115, obs. I. Gallmeister image, note L. d’Avout et S. Bollée image ; ibid. 891, chron. P. Chauvin image ; ibid. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2007. 324 image ; Rev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt image ; JDI 2007. 1195, note F.-X. Train). Il n’est donc pas étonnant de voir la cour d’appel consacrer ce principe dans l’arrêt Asperbras (Paris, 11 mai 2021, n° 18/06076, préc.) : « À cet égard, une sentence qui donnerait effet à une opération constitutive d’une fraude à la loi caractérisée violerait l’ordre public international français et encourrait la nullité ».

Sur le fond de l’examen, deux points peuvent être relevés. D’une part, la cour refuse, comme l’y invite le requérant, de faire référence à un quelconque faisceau d’indices « graves, précis et concordants ». Ainsi, le contrôle de la fraude à la loi est distinct de celui utilisé en matière de corruption. Il n’est pas question d’accepter une preuve par faisceau d’indices en cette matière. D’autre part, dans l’examen réalisé, la cour utilise à plusieurs reprises le raisonnement des arbitres. Ce faisant, elle donne le sentiment de faire confiance aux arbitres dans leur appréciation du grief. Même si elle ne se limite pas à reprendre l’argumentation telle que figurant dans la sentence, il n’en demeure pas moins que l’on peut apprécier le fait que la cour considère que le travail des arbitres mérite d’être pris en considération dans l’examen d’une violation de l’ordre public, sans chercher systématiquement à le supplanter par sa propre interprétation.

d - La fraude procédurale

La fraude procédurale est un moyen dont il est régulièrement fait état au stade du recours en annulation dans les dernières années, même si son succès est très modéré (v. not., Paris, 12 avr. 2016, n° 11/20730, Rev. arb. 2016. 641 ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 24, obs. D. Bensaude ; v. égal., Paris, 20 janv. 2015, n° 13/20318, Rev. arb. 2015. Somm. 273 ; 20 déc. 2018, n° 16/25484, Dalloz actualité, 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 35, obs. D. Bensaude ; 22 janv. 2019, n° 17/15605, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; 12 avr. 2016, n° 11/20730, Rev. arb. 2016. 641 ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 24, obs. D. Bensaude ; 28 mai 2019, n° 17/03659, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; 26 nov. 2019, n° 17/17127, Sté nationale des chemins de fer tunisiens [SNCFT], Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; 30 juin 2020, n° 19/09729, Axon, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques).

L’un des aspects centraux de l’examen de la fraude procédurale tient dans l’articulation originale des prérogatives entre l’arbitre et le juge étatique. En effet, il semble que pour la cour d’appel, ce ne soit pas tant la fraude procédurale en elle-même qui soit sanctionnée, mais le fait que la décision du tribunal arbitral ait été surprise par fraude. Or cela change tout. En effet, si le moyen de la fraude procédurale a été examiné par les arbitres, leur décision n’a pas pu être surprise par fraude. Dès lors, le juge du recours se refuse à tout examen du moyen. En revanche, si le moyen n’a pas été présenté aux arbitres, alors leur décision a pu être surprise par fraude. Par conséquent, les juges s’autorisent à examiner le moyen. Cependant, puisque c’est l’impact de la fraude sur la décision qui est recherché, on comprend que la cour ne se limite pas à la preuve d’une fraude procédurale. C’est l’apport de l’arrêt Cevikler (Paris, 11 mai 2021, n° 18/07442, préc.). La cour explique, dans une formule nouvelle à notre connaissance, que « La fraude procédurale ne justifie l’annulation de la sentence que si elle a un effet sur celle-ci c’est-à-dire que si elle a été décisive ». En constatant que les éléments qui lui sont soumis ont été débattus contradictoirement devant le tribunal arbitral et n’ont pas été utilisés par ce dernier au soutien de sa motivation, la cour rejette le moyen.

V - Le contentieux de l’exécution des sentences

Il faut bien admettre que le contentieux de l’exécution des sentences est un domaine encore très insuffisamment exploré (v. toutefois, les actes du colloque sur L’exécution des sentences arbitrales internationales, s. la dir. de M. de Fontmichel et J. Jourdan-Marques, LGDJ, Lextenso éditions, 2017). Il faut bien dire que, de façon générale, les voies d’exécution attirent peu l’attention de la doctrine. Les questions posées peuvent néanmoins être stimulantes, bien que particulièrement complexes. Dans l’affaire Soletanche, dont nous avions fait état dans une précédente chronique (Paris, 15 déc. 2020, n° 18/14864, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques), un contentieux parallèle a émergé sur l’exécution de la sentence (Paris, 28 mai 2021, n° 21/04233). Pour faire simple, dans le recours contre l’ordonnance d’exequatur, le conseiller de la mise en état a ordonné la constitution d’une garantie bancaire par le débiteur de la sentence, dans l’attente du résultat du recours. Le recours a justement été rejeté, mais un pourvoi a été immédiatement formé. Dans la foulée, le créancier a mis en demeure le débiteur de payer sa dette. En réponse, le débiteur a obtenu sur requête du président du tribunal de commerce une interdiction faite au créancier de poursuivre l’exécution de la sentence ainsi qu’une interdiction à la banque d’exécuter la garantie. En complément, le président du tribunal de commerce a ordonné à la banque de verser la somme entre les mains du bâtonnier. Ensuite, une action en référé a été formée devant le tribunal de commerce, sur le fondement de l’article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile, reprenant globalement les mêmes prétentions.

La cour d’appel a à connaître de l’appel contre le référé. Elle constate, dans un premier temps, qu’elle ne dispose pas du pouvoir de suspendre ou d’aménager l’exécution d’un autre arrêt d’appel dans l’attente de l’issue d’un pourvoi en cassation, pas plus que d’aménager l’exécution de la sentence. Elle en conclut que « le créancier muni d’un titre exécutoire, en présence d’un recours non suspensif, est en droit, sauf abus, de poursuivre le recouvrement des sommes dues en vertu de cette décision, sans être privé du bénéfice immédiat de la condamnation prononcée à son profit, l’exécution définitive ne pouvant être écartée ou aménagée en application des règles relatives à l’exécution provisoire ». De même, la cour rejette les allégations concernant une éventuelle atteinte à l’article 6, § 1, de la Conv. EDH. La solution est logique : il y a déjà un juge désigné pour trancher les contestations relatives à l’exécution : il s’agit, soit du premier président, soit du conseiller de la mise en état et, au stade du pourvoi, le premier président de la Cour de cassation.

Un point est tout de même intéressant. Le requérant soutient que l’annulation éventuelle de l’ordonnance d’exequatur ne lui confère pas un titre pour obtenir la répétition des sommes payées si elle doit d’ores et déjà exécuter la sentence. La cour y répond en deux temps. Premièrement, elle souligne que la « sentence arbitrale [est] susceptible d’exécution dans le monde entier, de sorte qu’un éventuel refus d’intégration dans l’ordre juridique français ne remettrait nullement en cause son intégration dans d’autres ordres juridiques et l’exécution de la décision à l’étranger ». Il faut bien avouer que l’argument peine à convaincre. Quand bien même le refus d’exequatur n’empêche pas l’exécution de la sentence dans d’autres ordres juridiques, ce refus d’exequatur interdit à l’ordre juridique français de prêter son concours à cette exécution. On ne peut se satisfaire que l’exécution ait été permise par des mesures réalisées en France. Deuxièmement, la cour ajoute qu’« en cas de décision irrévocable de rejet de l’exequatur en France et de refus de restitution par ACT, Soletanche pourrait solliciter un titre devant le juge du fond, lequel pourrait alors être exécuté à l’étranger, en Jordanie notamment, à défaut de trouver dans l’arrêt de renvoi le titre servant de fondement à la restitution ». En réalité, il n’y a aucune certitude à ce que le juge français soit compétent internationalement pour se prononcer sur le fond du litige. L’affirmation est donc très théorique.

En définitive, c’était une voie tout à fait audacieuse que de tenter de se prévaloir d’un dommage imminent pour obtenir l’arrêt de l’exécution d’une sentence arbitrale bénéficiant de l’exequatur. Elle est vouée à l’échec, dès lors qu’il ne s’agit pas du juge idoine pour connaître de ce genre de demande. Il n’en demeure pas moins que certaines difficultés sont réelles et que la question de l’exécution des sentences arbitrales ne doit pas rester à ce point le trou noir de la réflexion en matière d’arbitrage. Les enjeux sont trop importants pour que l’on ne s’y intéresse pas plus.

VI - L’action en responsabilité contre les conseils

La jurisprudence offre un exemple supplémentaire d’action en responsabilité exercée contre l’ancien conseil (Nîmes, 6 mai 2021, n° 19/03172, Selarl VR). Pour faire simple, en dépit d’une clause compromissoire et d’une saisine déjà réalisée du tribunal arbitral, le conseil n’a pas informé et conseillé son client sur les chances de succès quasi-nulles d’une saisine des juridictions étatiques. Une faute est logiquement retenue contre lui, laquelle ouvre la voie à des indemnisations, non seulement pour les honoraires versés, mais également pour des préjudices annexes. Encore une fois, l’attention des praticiens est attirée sur l’importance de n’engager une procédure devant les juridictions étatiques qu’à condition d’avoir informé le client des risques de se voir renvoyer à l’arbitrage.

VII - Arbitrage et droit de l’Union européenne

On signalera, uniquement pour ceux qui aiment jouer à se faire peur, qu’une autre question préjudicielle concernant l’arbitrage est pendante devant la Cour de justice. Les conclusions de l’avocat général (CJUE, concl. av. gén., 22 avr. 2021, aff. C-109/20, PL Holding) viennent d’être publiées. Elle a été soumise par les juridictions suédoises dans le cadre d’un recours en annulation contre une sentence d’investissements rendue sur le fondement d’un traité intra-UE. L’originalité de l’argumentation tient dans le fait que les juridictions suédoises (de première instance) ont considéré que la compétence du tribunal arbitral ne résulte pas tant du TBI que d’un accord spécifique, lié à l’absence d’objection à la compétence du tribunal arbitral pendant la procédure. Comme systématiquement, c’est l’effroi provoqué par une éventuelle violation du droit de l’Union européenne par le tribunal arbitral qui paralyse toute discussion. Par conséquent, la seule solution proposée par l’avocat général est de permettre aux juridictions étatiques de « procéder à un contrôle complet de la compatibilité de la sentence arbitrale avec le droit de l’Union, si nécessaire après introduction d’une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE ». Autrement dit, l’avocat général propose d’ignorer la Convention de New York. La Convention de quoi ? 

Suite et fin de la saga des prêts libellés en francs suisses ?

La saga des prêts libellés en francs suisses trouvera-t-elle enfin un épilogue heureux pour les consommateurs ? Il est permis de le penser à la suite de l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) le 10 juin 2021 (CJUE 10 juin 2021, aff. C-609/19 ; v. égal. CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, JCP 2021. 689, obs. D. Berlin).

En l’espèce, par acte notarié du 10 mars 2009, un couple d’emprunteurs avait acquis un bien immobilier et souscrit à cet effet auprès de BNP Paribas Personal Finance un contrat de prêt hypothécaire libellé en devise étrangère et dénommé « Helvet Immo ». Ce contrat prévoyait la souscription d’un prêt à un taux de 4,95 %, remboursable, en principe, en 276 échéances fixes, libellé en francs suisses et remboursable en euros, étant précisé qu’au jour de la conclusion dudit contrat, le montant de ce prêt s’élevait à 143 421,53 €, soit à 216 566,51 francs suisses. Ce même contrat prévoyait le remboursement des mensualités à échéances fixes en euros et la conversion de celles-ci en francs suisses afin de contribuer au paiement des intérêts et à l’amortissement du capital, les frais associés au crédit, tels que l’assurance, étant facturés en euros. Il était également prévu que la durée du crédit serait allongée de cinq années, les échéances prévues en euros étant imputées en priorité sur les intérêts lorsque l’évolution des parités augmente le coût du crédit pour l’emprunteur et que si le maintien du montant des règlements en euros ne permettait pas de régler la totalité du solde du compte sur la durée résiduelle initiale majorée de cinq années, le montant des mensualités serait augmenté. À la suite de mensualités impayées, la déchéance du terme a été prononcée et le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Libourne (France) a ordonné, le 16 janvier 2015, la vente forcée du bien immobilier concerné. S’ensuivit un litige ayant conduit le tribunal d’instance de Lagny-sur-Marne à poser aux juges européens une série de questions préjudicielles portant sur le point de savoir si les clauses litigieuses concernaient l’objet principal du contrat et si elles étaient suffisamment claires.

La Cour de Luxembourg considère, en premier lieu, que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat ». Sur ce premier point, la Cour de justice respecte à la lettre les termes de l’article 4, § 2, de la directive de 1993, qui prévoit que « l’appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération, d’une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d’autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » (v. égal. C. consom., art. L. 212-1, al. 3). On sait en effet que seules les clauses litigieuses ne portant pas sur l’objet principal du contrat ou sur l’adéquation entre le prix et la rémunération peuvent en principe faire l’objet d’un contrôle (v. à ce sujet J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, n° 100). Or l’une des difficultés du contentieux des prêts en devises réside précisément dans le fait que les clauses litigieuses portent bien souvent sur l’objet principal du contrat (v. CJUE 20 sept. 2017, aff. C-186/16, D. 2017. 2401 image, note J. Lasserre Capdeville image ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJDI 2018. 208 image, obs. J. Moreau image ; AJ contrat 2017. 484, obs. B. Brignon image ; comp. CJUE 30 avr. 2014, aff. C-26/13, D. 2014. 1038 image ; RTD eur. 2014. 715, obs. C. Aubert de Vincelles image ; ibid. 724, obs. C. Aubert de Vincelles image ; v. égal. Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169, Dalloz actualité, 1er avr. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1033 image, note A. Etienney-de Sainte Marie image ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry image ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki image ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2019. 334, obs. H. Barbier image ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais image ; ibid. 465, obs. D. Legeais image ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau image ; Civ. 1re, 20 févr. 2019, nos 17-31.065 et 17-31.067, Dalloz actualité, 5 mars 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 428 image ; AJDI 2019. 708 image, obs. O. Poindron et J. Moreau image ; Rev. prat. rec. 2020. 23, chron. R. Bouniol image ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais image ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau image ; 12 déc. 2018, n° 17-18.491, RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau image ; 3 mai 2018, n° 17-13.593, Dalloz actualité, 17 mai 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1355 image, note D. Mazeaud image ; ibid. 2106, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki image ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJDI 2018. 871 image, obs. J. Moreau image ; AJ contrat 2018. 284, obs. B. Brignon image ; RTD com. 2018. 432, obs. D. Legeais image ; RTD eur. 2019. 410, obs. A. Jeauneau image ; comp. Civ. 1re, 29 mars 2017, nos 16-13.050 et 15-27.231, Dalloz actualité, 28 avr. 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 1893 image, note C. Kleiner image ; ibid. 1859, chron. S. Canas, C. Barel, V. Le Gall, I. Kloda, S. Vitse, J. Mouty-Tardieu, R. Le Cotty, C. Roth et S. Gargoullaud image ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; ibid. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJDI 2017. 596 image, obs. J. Moreau image ; AJ contrat 2017. 278 image, obs. B. Brignon image ; RTD civ. 2017. 383, obs. H. Barbier image ; RTD com. 2017. 409, obs. D. Legeais image), même si la thèse inverse a été brillamment défendue (G. Cattalano, Prêts en francs suisses : peu d’espoir pour les emprunteurs, Defrénois, 15 nov. 2018, p. 27, considérant que « l’objet principal du contrat est la mise à disposition des fonds et non la manière dont sont calculées et payées les mensualités de remboursement »).

Toutefois, même dans le cas où la clause porte sur l’objet principal du contrat, il y a toujours une place pour un contrôle de l’abus dans l’hypothèse où ladite clause ne serait pas rédigée de manière claire et compréhensible, hypothèse que le texte précité réserve. À cet égard, la Cour de justice de l’Union européenne estime, en second lieu, que « l’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée dudit contrat et l’augmentation du montant des mensualités, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat » (v. déjà CJUE 20 sept. 2018, aff. C-51/17, Dalloz actualité, 26 sept. 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1861 image ; ibid. 2019. 279, obs. M. Mekki image ; ibid. 607, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; AJ contrat 2018. 431, obs. E. Bazin image). Elle considère également que « l’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses ».

Voilà qui apporte un singulier démenti à la jurisprudence de la Cour de cassation (v. les arrêts préc.), qui devrait sans doute désormais évoluer en faveur des consommateurs. Il est vrai que ces derniers avaient obtenu gain de cause sur le terrain pénal l’année dernière, la banque ayant été reconnue coupable à leur égard de pratiques commerciales trompeuses (T. corr. Paris, 13e ch. corr., 26 févr. 2020, n° 12290076010 ; v. à ce sujet G. Cattalano, Nouvel épisode dans l’affaire Helvet Immo : la banque jugée coupable de pratique commerciale trompeuse, RDC n° 2020/3, p. 90). Dès lors, il serait difficilement acceptable qu’ils ne puissent finalement triompher sur le plan civil.

Péremption : pas de force de chose jugée sans une autorité de la chose jugée

À l’occasion d’un litige concernant un bail à construction, un jugement du 19 septembre 2007 prononce la résiliation du bail avec une expulsion sous astreinte. Le jugement, signifié le 1er octobre 2007, n’était pas revêtu de l’exécution provisoire.

Un appel (suspensif) est formé, le 24 septembre 2007, par le preneur.

Au cours de l’instance d’appel, les parties se rapprochent pour trouver un accord et demandent en conséquence un retrait du rôle, qui est ordonné par ordonnance de mise en état du 5 décembre 2008.

Finalement, aucun accord ne sera trouvé et la commune, bailleresse, assigne le preneur le 16 décembre 2016 devant le juge de l’exécution en liquidation de l’astreinte qui aurait couru depuis le 5 décembre 2008.

Parallèlement, la commune se prévaut devant la cour d’appel, toujours saisie de l’appel du jugement du 19 septembre 2007, de la péremption de l’instance pour défaut de diligence.

Le 20 juillet 2017, le juge de l’exécution rejette la demande de liquidation. La commune fait appel de ce jugement devant la cour d’appel.

Le 3 avril 2018, le conseiller de la mise en état constate la péremption de l’instance, celle-ci étant acquise depuis le 5 décembre 2010, aucune diligence n’étant intervenue depuis le retrait du rôle.

Sur appel du jugement du juge de l’exécution, la cour d’appel liquide l’astreinte, retenant que le jugement, non revêtu de l’exécution provisoire, du 19 septembre 2007, qui a ordonné l’astreinte, est « définitif » depuis le 5 décembre 2010, c’est-à-dire dans le délai de deux ans du retrait du rôle.

L’arrêt du 22 février 2019 est cassé, la Cour de cassation estimant quant à elle que la date à laquelle le jugement a eu force de chose jugée ne pouvait être celle à laquelle la péremption était acquise.

Un jugement devenu définitif ?

Pour la cour d’appel, « dès lors que le conseiller de la mise en état a constaté la péremption de l’instance dans sa dernière ordonnance rendue le 3 avril 2018 motif pris qu’aucune partie n’avait accompli des actes de procédure depuis le 5 décembre 2008, date de l’ordonnance de retrait du rôle, il est constant que le jugement du 19 septembre 2007 signifié le 1er octobre 2007 est définitif depuis le 5 décembre 2010 » (Saint-Denis de la Réunion, ch. civ. TGI, 22 févr. 2019, n° 17/01316).

Tout d’abord, le terme « définitif » est inapproprié. Le jugement définitif est, par opposition au jugement provisoire, celui qui tranche le principal (Procédures d’appel, Dalloz, coll. « Delmas express », n° 107). Bien souvent, il est dit à tort qu’un jugement est définitif lorsqu’il est irrévocable, c’est-à-dire qu’il n’est plus susceptible d’un quelconque recours, suspensif ou non (v. aussi Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-15.893 P, Bull. civ. II, n° 352 ; RTD civ. 2004. 775, obs. R. Perrot image). Ici, nous pouvons nous interroger si la cour d’appel le prend au sens de jugement irrévocable ou de jugement ayant force de chose jugée. Quoi qu’il en soit, le terme « définitif » ne signifie ni l’un ni l’autre.

Les juges d’appel considèrent qu’à la date du 5 décembre 2010, le jugement avait force de chose jugée, voire force irrévocable, le point de départ du délai de péremption étant le 5 décembre 2008.

À cet égard, afin qu’il n’y ait pas de méprise, ce n’est pas l’ordonnance de retrait du rôle de l’affaire qui constituait le point de départ du délai de péremption. En effet, l’acte interruptif de péremption doit être une diligence de la partie (Civ. 2e, 6 oct. 2005, n° 03-17.680 P, Bull. civ. II, n° 239 ; 26 juin 1991, n° 90-14.084 P, Bull. civ. II, n° 196 ; 21 janv. 1987, n° 85-12.689 P, Bull. civ. II, n° 20 ; 28 nov. 1984, n° 83-14.230 P, Bull. civ. II, n° 182 ; 5 avr. 1993, n° 91-19.976 P, Bull. civ. II, n° 147), de nature à faire progresser l’affaire (Civ. 2e, 17 mars 1982, n° 79-12.686 P, Bull. civ. II, n° 46 ; 28 juin 2006, n° 04-18.226 P, Bull. civ. II, n° 176 ; D. 2006. 1990 image).

Ce n’est pas l’ordonnance de retrait du rôle mais la demande de retrait du rôle qui constitue la dernière diligence des parties (Civ. 2e, 24 sept. 2015, n° 14-20.299, Bull. civ. II, n° 836 ; 28 juin 2006, n° 04-18.226, Bull. civ. II, n° 176 ; D. 2006. 1990 image). Cette demande de retrait du rôle, à l’instar de la demande en sursis à statuer (Civ. 2e, 17 oct. 2019, n° 18-19.235), est de nature à faire avancer l’affaire, même si l’on peut s’étonner que manifeste une volonté de poursuivre l’instance celui qui en demande la suspension.

Si l’ordonnance de mise en état constatant cette péremption est du 3 avril 2018, cette péremption était acquise à l’issue du délai de deux ans de la demande de retrait du rôle, soit après le 5 décembre 2010. C’est donc, pour la cour d’appel, à cette date que le jugement ayant prononcé l’expulsion sous astreinte était « définitif », ou plus exactement qu’avait pris fin l’effet suspensif de l’appel. C’est la force de chose jugée du jugement.

Force de chose jugée et autorité de chose jugée

On comprend tout l’intérêt, en l’espèce, de déterminer le moment où le jugement passe en force de chose jugée.

En effet, cette force de chose jugée produit des effets, et notamment elle fait échapper le jugement à tout effet suspensif. L’astreinte pouvait commencer à courir.

Notons au passage que cette force de chose jugée permet en outre au jugement d’acquérir la force exécutoire qui suppose, à défaut d’acquiescement, une notification (C. pr. civ., art. 504). C’est cette force exécutoire qui fera courir les intérêts majorés de l’article L. 313-3 du code monétaire et financier, la force de chose jugée n’ayant pas cet effet. Ainsi, les intérêts majorés sur les condamnations de l’arrêt d’appel – lequel arrêt a force de chose jugée dès son prononcé, le pourvoi en cassation n’étant pas suspensif (C. pr. civ., art. 579) sauf exception (C. pr. civ., art. 1086, 1087) – courront deux mois après la signification du titre exécutoire.

En application de l’article 390, la péremption en appel confère la force de chose jugée au jugement dont appel, même en l’absence de notification.

La péremption étant acquise le 5 décembre 2010, la cour d’appel retient en conséquence que c’est à cette date que le jugement du 19 septembre 2007 avait acquis force de chose jugée, et que l’astreinte avait commencé à courir. Dans son assignation de 2016, la commune pouvait donc faire courir l’astreinte à compter du 5 décembre 2010, et demander la liquidation en prenant cette date comme point de départ.

A priori, le raisonnement semblait conforme à l’article 390, la péremption étant constatée, et non prononcée, par le conseiller de la mise en état.

Toutefois, le raisonnement ne convient pas à la Cour de cassation.

En effet, même s’il est exact que la péremption était acquise à l’issue du délai de deux ans de la dernière diligence interruptive, la date à laquelle est constatée la péremption n’est pas sans conséquence.

Pour la Cour de cassation, cette force de chose jugée conférée au jugement ne pouvait être acquise qu’autant que la décision qui constatait la péremption, donnant force de chose jugée, avait elle-même acquis autorité de chose jugée. Et cette autorité de chose jugée, le jugement l’acquiert dès son prononcé, comme le précise l’article 480 du code de procédure civile, mais pas avant.

C’est donc au moment du prononcé de l’ordonnance de mise en état ayant constaté la péremption, soit le 3 avril 2018, que l’article 390 produit ses effets et donne force de chose jugée au jugement. Il était donc demandé au juge de l’exécution de liquider une astreinte qui n’avait pas commencé à courir.

En conséquence, si une partie peut se prévaloir d’une péremption et souhaite conférer au jugement force de chose jugée, il est conseillé de ne pas attendre avant de demander au juge de constater cette péremption. Plus la partie tardera, plus tard le jugement dont appel sera revêtu de cette force de chose jugée, nécessaire préalable à toute exécution, même si le principe de l’exécution provisoire de droit ôtera une partie de l’intérêt de cette force de chose jugée conférée par la péremption.

Il ressort de cet arrêt de cassation qu’il importe peu que cette péremption soit constatée.

Nous pouvons faire le rapprochement avec la caducité, qui est acquise si la partie n’accomplit pas, dans un délai déterminé, la diligence attendue pour consolider l’acte de procédure. Tant qu’un jugement n’a pas constaté cette caducité, pourtant acquise, la partie est irrecevable pour défaut d’intérêt à réitérer un second acte d’appel (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-18.397 NP, D. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; ibid. 555, obs. N. Fricero image ; 27 sept. 2018, n° 17-25.857 NP, D. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; ibid. 555, obs. N. Fricero image ; 11 mai 2017, n° 16-18.464 P, Bull. civ. II, n° 94 ; Dalloz actualité, 7 juin 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 1053 image). Et, lorsque le jugement qui constate la caducité a autorité de la chose jugée, alors l’article 911-1 trouve à s’appliquer pour sanctionner par l’irrecevabilité la partie ayant essuyé une caducité de son appel.

Même s’il s’agit de constater un état existant, ce n’est que le jugement constatant cet état qui aura autorité de chose jugée et qui produira les effets attachés à ce constat.

Avec un raisonnement similaire, il a aussi été considéré que les effets du commandement de payer visant la clause résolutoire, dont l’acquisition doit être constatée, sont suspendus par l’effet du jugement ouvrant la liquidation judiciaire du locataire dès lors qu’aucune décision passée en force de chose jugée n’a constaté l’acquisition de cette clause avant la liquidation (Civ. 3e, 9 janv. 2008, n° 06-21.499, Bull. civ. III, n° 1 ; Dalloz actualité, 21 janv. 2008, obs. A. Lienhard ; D. 2008. 291, et les obs. image ; AJDI 2008. 288 image, obs. M.-P. Dumont-Lefrand image ; RTD com. 2009. 81, obs. F. Kendérian image).

Cet arrêt de cassation aura été l’occasion de s’attarder un instant sur quelques notions procédurales proches mais distinctes, parfois confondues, que sont le jugement définitif, provisoire ou irrévocable, l’autorité de chose jugée, la force de chose jugée et la force exécutoire. Est définitif le jugement qui n’est pas provisoire et tranche le principal. A force exécutoire le jugement qui est déjà revêtu de la force de chose jugée, lequel doit lui-même avoir autorité de chose jugée. Et le stade ultime du jugement sera la force irrévocable de la chose jugée. Ces rappels sont toujours opportuns.

La langue d’un testament olographe doit être maîtrisée par son auteur

S’il est légitime de rechercher les avantages d’un testament « conseillé », sans les inconvénients supposés du testament « notarié », il faut bien garder à l’esprit qu’en ayant recours à la forme « olographe » avec l’intention de singer la forme « authentique », on court le risque d’en faire une sorte d’ersatz, qui n’est d’ailleurs pas sans danger pour celui qui le conseille (v. B. Beignier et A. Tani, Le notaire et le testament olographe. Modèle fourni et conservation assurée. Possible responsabilité ? Prudence…, Dr. fam. 2018. Étude 12). Bien qu’on loue fréquemment le testament olographe pour sa simplicité et sa gratuité, il ne peut jamais égaler complètement les avantages d’un testament authentique, si injustement délaissé pour son coût (mais n’est-ce pas le prix de la qualité ?) et sa lourdeur (laquelle n’est pas insurmontable). En la cause, l’utilisation d’un testament authentique aurait permis d’éviter bien des déconvenues.

Quelques mois après son installation en France, un Allemand qui ne comprenait pas le français rédigea dans cette langue un testament olographe pour instituer sa sœur légataire universelle ; le tout en prenant soin de respecter les prescriptions de l’article 970 du code civil (écrit, date et signature). Pour pallier sa mauvaise maîtrise de la langue de Molière, il fut jugé utile (sur les conseils de qui ? L’arrêt ne le précise pas, mais on peut imaginer que le testateur, parfaitement étranger aux subtilités du droit français, n’a pas agi de la sorte tout seul…) de mettre à sa disposition un autre écrit, daté du même jour, rédigé cette fois en allemand, et intitulé « traduction du testament ». À son décès, ses trois enfants héritiers réservataires contestaient la validité de l’acte, obligeant sa sœur à les assigner en délivrance du legs universel et en ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage.

Le testament rédigé dans une langue que ne maîtrise pas le testateur est-il valable, quand bien même il respecterait les prévisions de l’article 970 du code civil ?

La cour d’appel saisie de l’affaire (Chambéry, 25 juin 2019) avait cru pouvoir déclarer valable le testament litigieux en ce qu’il était écrit, daté et signé de la main du testateur. Au contraire, les héritiers réservataires estimaient à l’appui de leur pourvoi qu’il ne pouvait point en être ainsi puisque le testateur ne maîtrisait pas la langue dans laquelle le testament avait été rédigé. La censure de cette décision paraissait difficilement évitable : l’arrêt d’appel avait probablement accordé trop d’importance au second document faisant office de traduction du testament. Premièrement, les juges chambériens l’utilisèrent pour dépasser le fait que le testateur ne parlait pas le français en retenant que, bien que ce second document ne fût pas de sa main, il lui avait été présenté « pour comprendre le sens du testament ». Deuxièmement, ils s’en servirent pour minimiser les approximations de la traduction liées aux absences d’équivalents linguistiques en affirmant que « les expressions quotité disponible et patrimoine disponible employées ont le même sens, de sorte que les deux écrits ne s’opposent pas, le premier étant simplement plus complet et juridique, sans contredire le second ». L’arrêt d’appel allait même jusqu’à considérer que la seule différence relative à la désignation de la sœur comme exécuteur testamentaire au lieu de légataire universel « n’a pas d’incidence sur l’étendue des droits dévolus à cette dernière » pour mieux en déduire que « le consentement [du testateur] n’a point été vicié ». La Cour de cassation semble s’être bien moins intéressée à ce document auquel il ne fallait à l’évidence pas prêter trop de valeur juridique.

Dans sa réponse, la Cour de cassation s’emploie à rappeler au visa de l’article 970 du code civil que « le testament olographe ne sera point valable s’il n’est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur : il n’est assujetti à aucune autre forme », pour en conclure que, sitôt que le testateur « avait rédigé le testament dans une langue qu’il ne comprenait pas, […] l’acte ne pouvait être considéré comme l’expression de sa volonté ».

Cette solution invite à formuler au moins deux remarques :

• d’abord, on peut constater que l’arrêt ne fait pas particulièrement état de la résolution d’un quelconque conflit de lois que la présence d’un élément d’extranéité aurait pourtant pu justifier : ainsi, la portée de cette décision est davantage à rechercher dans le droit civil que sous l’angle du droit international privé ;

• ensuite, on pourrait se dire qu’il s’agissait moins ici d’une question de forme que d’un problème de fond. Or il ne faut pas oublier qu’en matière de testament (comme ailleurs), les deux sont étroitement liés puisque la forme est souvent au service du fond, en ce qu’elle participe de la protection de la volonté libérale. Tel était d’ailleurs l’argumentation que faisait justement valoir le pourvoi : « la forme a pour objet de s’assurer que le testament est l’expression authentique de la volonté personnelle de son auteur ».

Si l’élaboration d’un testament olographe est des plus aisées et si la jurisprudence fait désormais montre de souplesse dans l’appréciation de ses conditions (D. Guével, « Remarques sur l’évolution des conditions de forme des testaments olographes (Dix ans de jurisprudences de la Cour de cassation) », in Ruptures, mouvements et continuité du droit. Autour de Michelle Gobert, Economica, 2004, p. 449), il ne faut pas perdre de vue que ces règles de forme ont pour vocation d’assurer l’intégrité du consentement de celui qui dispose pour le temps où il ne sera plus (M. Nicod, Le formalisme en droit des libéralités, La Baule : Imprimerie La Mouette, coll. « Doctorat et Notariat », 2000). On retrouve là ce qui fonde la préférence aujourd’hui donnée à un formalisme « raisonné » et « protecteur », dont le non-respect ne peut pas entraîner une sanction absolue et automatique ; attestant de ce que, très tôt, Josserand avait décrit comme une « désolennisation du testament » (DH 1932. Chron. 73). C’est cette primauté d’un formalisme « de bon sens » sur un formalisme « au pied de la lettre » qui rejaillit dans l’appréciation moderne de chacune des conditions de forme du testament olographe :

1. La signature : celle-ci est comme on le sait très libre (paraphe, nom et prénom, initiales, surnom, etc.), pourvu qu’elle soit nécessairement apposée « à la suite de l’acte » (Civ. 1re, 17 juin 2009, n° 08-12.896, D. 2009. 2058, chron. P. Chauvin, N. Auroy et C. Creton image ; ibid. 2508, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; 22 mars 2005, n° 03-19.907, AJ fam. 2005. 366 image) et « postérieurement à sa rédaction » (Civ. 1re, 24 févr. 1998, n° 96-12.336, Dr. fam. 1998. Comm. 144, note B. Beignier), afin d’attester de l’identité de l’auteur et de marquer son approbation personnelle et définitive du contenu ainsi que sa volonté de s’en approprier les termes (ce faisant, peu importe s’il ne s’agisse pas de la signature habituelle, v. Civ. 1re, 22 juin 2004, n° 01-14.031, D. 2004. 2953 image, note M. Nicod image ; AJ fam. 2004. 405, obs. F. Bicheron image ; RTD civ. 2005. 397, obs. J. Mestre et B. Fages image ; JCP 2005. I. 187, obs. R. Le Guidec ; RJPF 2004. 51, obs. J. Casey).

2. La date : elle a pour fonction de vérifier que le testateur était sain d’esprit au moment de la rédaction de l’acte et de permettre de l’articuler avec un éventuel testament contradictoire, de sorte que la jurisprudence admet depuis longtemps que l’on puisse reconstituer une date incomplète ou absente, voire restituer la date véritable lorsque celle-ci était erronée (sur tout ceci, v. les nombreuses références sous C. civ., art. 970).

3. L’écriture : elle se révèle elle aussi assez largement entendue (quant au support, aux moyens d’écriture, aux formules employées, etc.) ; elle doit simplement être manuscrite, et non dactylographiée (ce qui exclut au demeurant le texto, v. TGI Metz, 17 août 2018, n° 17/01794, AJ fam. 2018. 484, obs. I. Corpart image), pour témoigner de la parfaite compréhension du testateur quant à ce qu’il rédige. C’est au fond l’idée qui guide tous les textes exigeant en droit positif l’apposition de mentions manuscrites, notamment en matière de cautionnement : écrire quelque chose de sa main, pour mieux en prendre conscience, s’en approprier les termes et en mesurer la portée.

C’est donc sans ajouter une règle de forme supplémentaire à l’article 970 du code civil – lequel, comme le rappelle opportunément la Cour de cassation, n’est assujetti « à aucune autre forme » – qu’il fallait retenir ici que le testament rédigé dans une langue que son auteur ne comprenait pas ne pouvait en aucune manière constituer l’expression de sa volonté (v. déjà, Paris, 3 mai 2002, n° 2000/20421). Écrire dans une langue qui échappe au scripteur n’est point écrire au sens du formalisme testamentaire ; comme d’ailleurs écrire un texte dont le sens le dépasse par sa trop grande technicité par exemple n’est pas davantage écrire.

C’est au demeurant ce qui explique l’état d’une jurisprudence, aussi constante qu’ancienne, sur la question de la rédaction d’un testament à partir d’un modèle proposé par un tiers ou, comme c’est de plus en plus souvent le cas, chiné sur internet (avec plus ou moins de profit selon les sites consultés). Si l’on admet qu’un testament soit rédigé sur la base d’un modèle (Lyon, 25 mars 1975, D. 1978. 263, obs. B. Dufour ; 4 mars 1970), c’est à la condition stricte que le testateur ait parfaitement conscience de ce qu’il écrit. A contrario est assurément nul le testament élaboré à partir d’un modèle recopié servilement, car il n’est pas l’œuvre intellectuelle de son scripteur et ne peut faire état d’un quelconque animus testandi (nullité du testament d’un illettré surlignant au stylo un texte préécrit par un autre au crayon de papier, v. Civ. 1re, 9 janv. 2008, n° 07-10.599, AJ fam. 2008. 81, obs. L. Pécaut-Rivolier image).

À la différence du testament authentique (acte public) qui doit nécessairement être rédigé dans la langue officielle de la République (Constit., art. 2), rien n’interdit en droit français qu’un testament olographe (acte privé) soit rédigé dans une autre langue, pourvu que le testateur la comprenne. Le testament étant le message que le mort adresse aux vivants (C. Bahurel, Les volontés des morts : vouloir pour le temps où l’on ne sera plus, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 2014, t. 557, préf. M. Grimaldi), comment celui-ci pourrait-il s’exprimer d’outre-tombe, dans une langue qu’il ne parlait pas lorsque la vie l’habitait encore ? La langue du « testament olographe » ne peut être que celle que son auteur comprend… C’est toute la différence avec le testament authentique qui est rédigé par le notaire, et donc dans la langue dans laquelle il officie (nécessairement le français), sous la dictée du testateur, lequel peut très bien ne pas parler la même langue que lui. Dans cette situation, l’article 972 du code civil prévoit que la dictée et la lecture seront accomplies par un interprète qui veillera à l’exactitude de la traduction ou par le notaire si lui-même et, selon les cas, l’autre notaire ou les témoins parlent cette autre langue. Tel est d’ailleurs le modus operandi qui aurait mérité d’être privilégié dans cette affaire : le recours à un notaire pour rédiger un testament par acte authentique aurait très facilement permis d’anticiper toutes contestations au moment du décès. Si le français est la langue officielle de la République (expliquant, sans interdire la promotion des langues régionales, qu’elle ne puisse pas être marginalisée, v. Cons. const. 21 mai 2021, n° 2021-818 DC, Dalloz actualité, 26 mai 2021, obs. S. Sydoryk ; JCP A 2021, n° 24, 2195, obs. S. Hul), il n’y a évidemment pas d’incompatibilité de principe entre le droit français et les langues régionales ou étrangères…

Déchéance du terme et mise en demeure préalable : vers de nouvelles précisions

L’arrêt commenté aujourd’hui exigera une certaine attention dans les mois à venir, renvoi préjudiciel oblige. Le point central de la discussion touche aux clauses abusives dont on sait que le cœur de la réglementation européenne a été la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, notamment ses articles 3 et 4 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, n° 167, p. 184). En droit français, l’article L. 132-1 devenu L. 212-1 du code de la consommation dispose que, « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 juin 2021 a pour objectif d’unifier la jurisprudence française sur les clauses de déchéance du terme dont on sait qu’elles peuvent être des clauses abusives lorsqu’elles sont mal rédigées dans des prêts immobiliers. L’objectif de ce renvoi préjudiciel sur le fondement de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) est donc de clarifier la réglementation applicable. Un bref rappel des faits est important pour comprendre tout l’enjeu de ce renvoi devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Un établissement bancaire consent par acte notarié du 17 mai 2006 un emprunt de 209 109 € remboursable sur vingt ans à une personne physique afin que ce dernier puisse acquérir un immeuble. Le contrat prévoyait des « conditions générales » dans lesquelles un article 16-1 précisait que « les sommes dues seraient de plein droit et immédiatement exigibles, sans formalité ni mise en demeure, dans le cas d’un retard de plus de trente jours dans le paiement d’un terme en principal, intérêts ou accessoires » (nous soulignons). L’échéance exigible au 10 décembre 2012 (904,50 €) n’est pas réglée, pas plus que la suivante de janvier 2013. L’établissement bancaire prononce alors la déchéance du terme le 29 janvier 2013 sans mise en demeure préalable conformément à l’article 16-1 précité du contrat. La banque fait ensuite procéder à une saisie-vente chez l’emprunteur une année plus tard. L’emprunteur saisit alors le juge de l’exécution en octobre 2015 en annulation de la procédure soutenant que le procès-verbal de saisie-vente comportait des irrégularités.

Après un premier arrêt de la Cour de cassation portant sur le point de départ du délai biennal de prescription de l’article L. 137-2, devenu L. 218-2 du code de la consommation (Civ. 1re, 26 sept. 2018, n° 17-21.533, AJDI 2019. 379 image, obs. J. Moreau image), l’affaire revient devant la cour d’appel de Versailles. À ce stade, s’ouvre à nouveau le débat du caractère abusif ou non de ladite clause prévoyant l’absence d’une mise en demeure préalable. La cour d’appel refuse de considérer la clause comme abusive si bien que l’emprunteur décide de se pourvoir en cassation en confrontant la jurisprudence française à une décision de la CJUE sur la déchéance du terme, le fameux arrêt Banco Primus (CJUE 26 janv. 2017, aff. C-421/14, D. 2018. 583, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJDI 2017. 525 image, obs. M. Moreau, J. Moreau et O. Poindron image). La dispense de mise en demeure décidée conventionnellement serait, pour le plaideur, une clause abusive dans le contrat litigieux eu égard aux critères dégagés par cet arrêt.

La Cour de cassation décide de surseoir à statuer afin de poser plusieurs questions à la Cour de justice de l’Union européenne. Pour faciliter la lecture, nous reproduisons ci-dessous les cinq questions posées à la CJUE :

1. Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent, dans les contrats conclus avec les consommateurs, à une dispense conventionnelle de mise en demeure, même si elle est prévue de manière expresse et non équivoque au contrat ?

2. L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), doit-il être interprété en ce sens qu’un retard de plus de trente jours dans le paiement d’un seul terme en principal, intérêts ou accessoires peut caractériser une inexécution suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt et de l’équilibre global des relations contractuelles ?

3. Les articles 3, paragraphe 1, et 4 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une clause prévoyant que la déchéance du terme peut être prononcée en cas de retard de paiement de plus de trente jours lorsque le droit national, qui impose l’envoi d’une mise en demeure préalable au prononcé de la déchéance du terme, admet qu’il y soit dérogé par les parties en exigeant alors le respect d’un préavis raisonnable ?

4. Les quatre critères dégagés par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt du 26 janvier 2017, Banco Primus (C-421/14), pour l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée sont-ils cumulatifs ou alternatifs ?

5. Si ces critères sont cumulatifs, le caractère abusif de la clause peut-il néanmoins être exclu au regard de l’importance relative de tel ou tel critère ?

Les données du problème : la déchéance du terme et la mise en demeure

La Cour de cassation commence par distinguer le cadre européen du cadre interne concernant la législation des clauses abusives (nos 5 à 7 de l’arrêt). Il faut louer l’effort de pédagogie déployé ici par la haute juridiction qui entend continuer son œuvre de motivation « enrichie » des arrêts, notamment lorsqu’ils risquent de précéder un important revirement de jurisprudence en fonction de la réponse de la CJUE au renvoi préjudiciel.

Le point névralgique repose sur l’article 16-1 du contrat litigieux dispensant de mise en demeure l’établissement bancaire pour prononcer la déchéance du terme dès le premier impayé en trente jours. On sait qu’eu égard aux articles 1134, 1147 et 1184 anciens – alors applicables à la cause car antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 –, la mise en demeure est un processus étape pour la mise en jeu, par exemple, de la résolution du contrat. Ce mécanisme a pour principale fonction de permettre l’exécution du contrat par le débiteur défaillant (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, p. 866, n° 805). C’est un sursaut d’exécution provoqué par le spectre d’une sanction. Or, ici, la déchéance du terme pouvait être prononcée avant même toute possibilité de régularisation impulsée par une mise en demeure. C’est ici que l’emprunteur s’arc-boute en postulant que l’article 16-1 de la convention est une clause abusive. Le raisonnement peut tout à fait séduire car ladite clause peut créer un déséquilibre significatif entre le consommateur et son cocontractant professionnel.

La jurisprudence de la Cour de cassation permet toutefois de contractualiser la mise en demeure et la haute juridiction entend bien le rappeler dans l’arrêt commenté au n° 9 (Civ. 1re, 3 févr. 2004, n° 01-02.020, Bull. civ. I, n° 27 ; 3 juin 2015, n° 14-15.655, Bull. civ. I, n° 131 ; D. 2015. 1677 image, note G. Poissonnier image ; RTD civ. 2015. 875, obs. H. Barbier image ; 22 juin 2017, n° 16-18.418, Bull. civ. I, n° 151 ; D. 2017. 1356 image ; AJDI 2017. 859 image, obs. L. Lang, J. Moreau et O. Poindron image ; AJ contrat 2017. 386, obs. J. Lasserre Capdeville image). La solution admise par le droit français reste centrée sur une certaine liberté contractuelle puisque les parties peuvent renoncer à la mise en demeure préalable à la condition que le consommateur comprenne l’enjeu de la clause laquelle doit être claire, expresse et non équivoque, d’une part, et permettant, d’autre part, d’informer le consommateur des conséquences que peut avoir l’inexécution de ses obligations. Mais il faut bien avouer que l’exception que constitue cette possibilité tend à devenir le principe dans ce type de contrats où la mise en demeure peut être un frein pour l’exigibilité du solde restant dû d’un débiteur défaillant peut-être définitivement.

La Cour de justice a pu s’intéresser aux clauses de déchéance du terme à travers l’arrêt du 26 janvier 2017 Banco Primus SA, précité. Dans cet arrêt, la CJUE a pu avancer, au numéro 67, quatre critères pour vérifier le caractère éventuellement abusif des clauses de déchéance du terme. En voici un bref résumé :

1. La mise en jeu de la déchéance du terme dépend de l’inexécution d’une obligation présentant un caractère essentiel dans le rapport contractuel.

2. L’inexécution en elle-même doit présenter un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt.

3. La faculté déroge au droit commun des contrats en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques.

4. Le droit national prévoit des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier à l’exigibilité du prêt.

Or la question de la renonciation à la mise en demeure préalable à la déchéance du terme vient questionner cette jurisprudence. L’intérêt du renvoi préjudiciel apparaît alors très nettement.

Les solutions au problème : l’intérêt du sursis à statuer

Le sursis à statuer repose donc sur une certaine volonté d’harmonisation les jurisprudences (n° 18 de l’arrêt commenté) entre la Cour de cassation et la Cour de justice de l’Union européenne. Deux grandes difficultés apparaissent alors pour cette unification.

D’une part, la première difficulté tient à la contractualisation même de la mise en demeure, laquelle est un des éléments permettant au débiteur de s’exécuter non spontanément mais sous la menace des mécanismes de l’inexécution dont la déchéance du terme n’est qu’une variété. C’est ainsi la première des questions posées à la Cour de justice, peut-être d’ailleurs la plus originale et la plus importante des cinq. L’arrêt Banco Primus ne s’était pas positionné précisément sur ce point. La réponse semble très nuancée. Nous ne nous risquerons pas à proposer une ébauche de solution. Toutefois, on voit mal comment les parties ne pourraient pas renoncer à un mécanisme protecteur si le consommateur comprend le risque de procéder ainsi ; d’autant plus s’il retire de ce sacrifice un avantage particulier. Plus que la réponse, il faudra sonder sa teneur pour réadapter une pratique qui n’hésite pas à se passer des mises en demeure par le recours de ces clauses de renoncement dont l’article 16-1 du contrat litigieux n’est qu’un exemple parmi d’autres.

D’autre part, la seconde difficulté consiste à mieux comprendre la jurisprudence Banco Primus et ces critères précités. Les quatre critères dégagés dans cet arrêt sont-ils cumulatifs ou alternatifs ? Il s’agit d’une vraie question de méthodologie pour que le juge national puisse vérifier dans les clauses de déchéance du terme si une difficulté supplémentaire vient interférer et rendre la clause abusive. Un critère pourrait être plus important qu’un autre si ceux-ci sont simplement alternatifs. C’est ici que l’on peut raisonner factuellement sur la gravité de l’inexécution, à savoir seulement deux échéances avant la déchéance du terme par l’établissement bancaire sans mise en demeure préalable. Le critère de gravité pourrait donc être étayé.

Aux réponses qu’apportera la Cour de justice viendront se poser de nouvelles interrogations eu égard à l’introduction en droit commun des contrats du déséquilibre significatif à travers l’article 1171 nouveau du code civil (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations. Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 2e éd., Dalloz, 2018, p. 385, nos 440 s.). Il faudra alors composer probablement avec une double partition, celle du droit commun et celle du droit spécial, c’est-à-dire le droit de la consommation. Voici donc bien des choses à suivre en perspective : d’une part, la réponse donnée à ce renvoi préjudiciel et, d’autre part, ses effets possibles sur la jurisprudence en droit commun des contrats.

L’homologation d’une convention de divorce et le droit de changer d’avis

« Il n’y a aucun mal à changer d’avis, pourvu que ce soit dans le bon sens », disait Winston Churchill. La première chambre civile de la Cour de cassation fait montre de la même bienveillance dans cet arrêt rendu le 9 juin 2021 en matière de règlement des intérêts patrimoniaux des jeunes divorcés.

Deux époux qui s’étaient mariés en 2003 sans contrat de mariage envisageaient de divorcer et avaient formalisé leur entente sur la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux dans un acte notarié le 7 mai 2016. Alors que l’instance en divorce touchait au but, l’épouse prit conscience, à la faveur d’un changement de conseil, que la convention ne préservait pas suffisamment ses intérêts. La convention en effet n’était pas exempte de critiques : la date de la jouissance divise retenue dans l’acte était trop éloignée du partage et la privait d’une partie de l’indemnité d’occupation ; le compte d’indivision intégrait les dépenses de la vie courante exposées par son mari ; l’actif de communauté était incomplet, etc.

Ainsi revenue à bonne raison juridique, l’épouse tenta de conclure à la non-homologation de l’acte notarié mais ses dernières conclusions furent jugées irrecevables car signifiées postérieurement à l’ordonnance de clôture. Un jugement du 21 juillet 2017 prononça le divorce et homologua l’acte authentique.

L’épouse interjeta appel et, dans un arrêt du 11 octobre 2018, la cour d’appel de Versailles dit n’y avoir pas lieu à homologation de l’acte notarié du 7 mai 2016 et ordonna la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des parties. L’ex-époux intimé, contrarié par ce revirement de situation, forma un pourvoi en cassation. Dans son moyen unique, il contesta, en vain, la recevabilité et le bien-fondé de l’appel.

La recevabilité de l’appel

Dans la première branche du moyen, le demandeur contestait la recevabilité de l’appel. L’argument semblait imparable : les premiers juges ayant fait droit aux demandes de l’épouse, celle-ci n’avait aucun intérêt à interjeter appel. La cour d’appel aurait ainsi violé les articles 31, 122 et 546 du code de procédure civile (§ 4).

Il est vrai que formellement l’appelante avait obtenu gain de cause, mais sur des demandes adressées avant qu’elle ne change d’avis. La première chambre prit vite la mesure de ce paradoxe et tenta de trouver le moyen de justifier la recevabilité de l’appel. Elle chercha d’abord à privilégier une appréciation globale de l’intérêt à agir et sollicita en ces termes l’avis de la deuxième chambre civile : « Dans le cas d’un appel formé avant le 1er septembre 2017, date d’entrée en vigueur du [décret n° 2017-891 du 6 mai 2017], et limité à certains chefs du jugement critiqué, l’un d’entre eux étant conforme aux prétentions de première instance de l’appelant, les autres ne lui ayant pas donné entière satisfaction, l’intérêt à agir de la partie qui a formé appel doit-il être apprécié globalement, à l’instar de ce qui a été jugé en présence d’un appel général ou séparément chaque chef de jugement critiqué ? » (Civ. 2e, 4 févr. 2021, n° 19-10.550, D. 2021. 1133 image).

La deuxième chambre civile répondit qu’« il résulte de la combinaison des articles 32, 122 et 546, alinéa 1, du code de procédure civile que l’intérêt à interjeter appel a pour mesure la succombance, qui réside dans le fait de ne pas avoir obtenu satisfaction sur un ou plusieurs chefs de demande présentés en première instance ». Dès lors, « la recevabilité de l’appel limité doit être appréciée en fonction de l’intérêt à interjeter appel pour chacun des chefs de jugement attaqués ». Ainsi, « en cas d’appel limité en application de l’article 562 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, sauf indivisibilité de l’objet du litige, l’appel ne défère à la cour d’appel que la connaissance des chefs du jugement attaqué, à l’égard desquels l’appel a été déclaré recevable, et de ceux qui en dépendent » (Civ. 2e, 4 févr. 2021, préc.).

La première chambre civile ne pouvait donc compter sur une appréciation globale de l’intérêt à agir. Elle semblait contrainte de suivre l’avis de la deuxième chambre civile et de constater que, l’appelante qui ne succombait pas étant dépourvue d’intérêt à agir, son appel était irrecevable. Tel est de prime abord la direction prise dans cet arrêt du 9 juin 2021 qui reprend in extenso les motifs de l’avis du 4 février 2021 (§ 5, 6 et 7).

Le salut vint de l’article 954 du code de procédure civile. Selon ce texte, la cour d’appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Or, en l’espèce, l’intimé n’avait pas saisi la cour d’appel d’une fin de non-recevoir dans le dispositif de ses conclusions. La cour d’appel n’ayant jamais statué sur la recevabilité de l’appel (§ 9), le moyen ne peut être accueilli (§ 10). En d’autres termes, malgré l’absence d’intérêt à agir, la recevabilité de l’appel ne pouvait (plus) être contestée devant la Cour de cassation.

Le bien-fondé de l’appel

La cinquième branche du moyen contestait le bien-fondé de l’appel. Le demandeur au pourvoi reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir refusé d’homologuer la convention « sans rechercher ni expliquer en quoi l’équilibre entre les intérêts des parties n’y était pas préservé » (§ 11).

Il est vrai que la motivation de la cour d’appel de Versailles paraissait assez légère puisqu’elle s’était bornée à reprendre les moyens des parties pour affirmer que les éléments qu’ils contiennent « sont de nature à affecter l’équilibre de la convention et les intérêts des parties » (§ 11). Le demandeur n’hésita pas à enfoncer le clou, rappelant que la convention de liquidation et partage avait été négociée avec l’assistance d’un avocat et signée devant notaire. Il en résulterait une violation de l’article 268 du code civil selon lequel « les époux peuvent, pendant l’instance, soumettre à l’homologation du juge des conventions réglant tout ou partie des conséquences du divorce. Le juge, après avoir vérifié que les intérêts de chacun des époux et des enfants sont préservés, homologue les conventions en prononçant le divorce ».

Le pourvoi est pourtant rejeté. La Cour de cassation rappelle dans un attendu de principe l’interprétation qu’elle réalise désormais de l’article 268 du code civil : « le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens » (§ 12). L’appelante faisant ici valoir que l’acte ne préservait pas suffisamment ses intérêts, « ledit acte ne reflète plus la commune intention des intéressés » (§ 13).

Une telle interprétation est à la fois contraignante et souple. Elle est contraignante pour le juge de l’homologation auquel il est fait interdiction de prononcer l’homologation en l’absence de concordance des conclusions. Elle est souple pour les parties puisqu’il leur suffit de changer d’avis et de solliciter le rejet de la demande d’homologation pour faire obstacle à la convention qu’ils ont pourtant négociée et signée.

Mieux : les raisons de ce revirement importent peu et la partie qui change d’avis n’a pas à se justifier. La Cour de cassation l’affirme très clairement : les seuls motifs tenant à la présence de conclusions discordantes suffisent à justifier le refus d’homologation, abstraction faite des autres motifs, qui paraissent surabondants (§ 14). En d’autres termes, le juge doit procéder successivement à deux vérifications : d’abord s’assurer que les conclusions des parties sont concordantes, ensuite et seulement si tel est bien le cas, contrôler que la convention préserve suffisamment les intérêts des parties. Bref, il suffit aux parties de changer d’avis.

Cette lecture de l’article 268 du code civil avait déjà été énoncée en principe par un arrêt rendu le 12 février 2020, selon lequel la demande d’homologation d’une convention réglant tout ou partie des conséquences du divorce présenté par un époux seul est recevable mais il appartient au juge de tirer les conséquences de l’absence d’accord de l’autre époux sur cette demande (Civ. 1re, 12 févr. 2020, n° 19-10.088, Dalloz actualité, 3 mars 2020, obs. A. Bolze ; D. 2020. 389 image ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry image ; ibid. 2021. 499, obs. M. Douchy-Oudot image ; AJ fam. 2020. 307, obs. J. Casey image ; RTD civ. 2020. 353, obs. A.-M. Leroyer image ; Gaz. Pal. 28 juill. 2020, n° 383h7, p. 70, obs. M. Bruggeman ; Dr. fam. 2020, n° 68, note A. Boulanger ; LEFP avr. 2020, p. 5, obs. J.-J. Lemouland ; ibid. mars 2020, p. 5, note L. Mauger-Vielpeau). La Cour énonçait alors déjà en attendu de principe que « le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens ».

La nécessité de conclusions concordantes est donc le corollaire de la recevabilité d’une demande d’homologation présentée par un seul époux. Dans l’arrêt du 12 février 2020, cette condition apparaissait donc dans une dimension processuelle : peu importe qu’un seul époux sollicite l’homologation si l’autre conclut dans le même sens. Le dépôt d’une conclusion concordante apparaissait alors comme nécessaire pour s’assurer d’une manifestation procédurale suffisante, afin d’être certain que celui qui n’a pas pris l’initiative de l’homologation ne s’est pas totalement désintéressé de la question. Le présent arrêt confirme que la concordance est aussi et surtout une condition substantielle : le consentement des parties doit perdurer après la signature de l’acte, jusqu’au jour où le juge statue (comme en matière de changement de régime matrimonial, v. Civ. 1re, 14 avr. 2010, n° 09-11.218, Bull. civ. I, n° 97 ; D. 2010. 1087 image ; ibid. 2011. 1107, obs. M. Douchy-Oudot image). L’homologation est donc « un véritable élément de formation de la convention » (Y. Puyo, Étude comparative des conventions de divorce, Dr. fam. 2015. Étude 19, spéc. n° 6).

Il en résulte un véritable droit de changer d’avis et une préservation renforcée des intérêts des ex-époux. On ne peut s’empêcher d’y voir aussi une méfiance à l’égard du règlement conventionnel des effets du divorce, au risque d’obliger les parties et le juge à tout reprendre à zéro. Où l’on voit aussi que, pour assurer l’équilibre du contenu conventionnel, le consentement des parties, les conseils des avocats et l’intervention du notaire ne suffisent pas : le juge a le dernier mot et il est parfois impossible de faire entrer une situation contentieuse dans le moule de la matière gracieuse. L’article 268 du code civil est bien un « garde-fou contre le “tout conventionnel” en matière de divorce », d’autant plus nécessaire que « le droit de la famille est, par nature, un droit de personnes inégales, fragiles, où la violence latente est réelle, ce qui impose de conserver un point d’équilibre entre liberté et contrôle judiciaire » (J. Casey, obs. préc.). À l’heure où le législateur accélère la déjudiciarisation, la Cour de cassation utilise le frein moteur.

Produit défectueux : conditions de l’exonération par la faute de la victime

La directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, prévoit que le « producteur est responsable du dommage causé par le défaut de son produit » (art. 1) et précise qu’un « produit est défectueux lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment a) de la présentation du produit ; b) de l’usage du produit qui peut être raisonnablement attendu » (art. 6).

Cette directive, entrée en vigueur le 30 juillet 1985, a été transposée en droit interne par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (C. civ., art. 1386-1 à 1386-18, devenus 1245 à 1245-17).

Le dispositif mis en place transcende la distinction entre responsabilité contractuelle et responsabilité délictuelle et s’impose, de la même façon, aux juges judiciaire et administratif. Il s’agit d’une responsabilité objective qui ne repose pas sur la faute mais sur le défaut du produit. Elle incombe au fabricant du produit ou à l’importateur et, subsidiairement, au fournisseur s’il n’indique pas l’identité du producteur ou si ce dernier est introuvable (C. civ., art. 1245-5 et 1245-6).

La victime peut agir directement contre le producteur, sans qu’elle ait besoin de passer par une hypothétique chaîne de contrats ni besoin de démontrer une faute de celui-ci. En revanche, elle est tenue de prouver l’existence d’un dommage causé par un produit, le défaut dudit produit et le lien de causalité entre ce défaut et le dommage (C. civ., art. 1245-8). Par facilité pour la victime, les présomptions sont admises, à la condition qu’elles soient graves, précises et concordantes.

Néanmoins, le législateur a prévu un certain nombre de causes d’exonération au bénéfice du producteur. À ce titre, l’article 1386-13, devenu 1245-12 du code civil précise que « la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d’une personne dont la victime est responsable ».

L’article 1245-12 du code civil n’a pas été repris par le projet de réforme de la responsabilité civile du 13 mars 2017. Il n’est fait aucune référence à la faute exonératoire de la victime. Toutefois, il est précisé que l’article 1254 – qui, en droit commun, limite cet effet exonératoire en cas de dommage corporel à la faute lourde – n’est pas applicable en la matière.

C’est précisément sur l’effet exonératoire de la faute de la victime sur la responsabilité du producteur qu’était invitée à se prononcer la Cour de cassation dans un arrêt du 2 juin 2021.

Le 26 février 2012, un incendie a détruit la maison d’habitation d’un couple de propriétaires. Par acte du 31 décembre 2014, après avoir obtenu en référé la désignation d’un expert judiciaire pour déterminer les causes du sinistre, les victimes de l’incendie et leur assureur ont assigné en responsabilité et en indemnisation la société ERDF, devenue la société Enedis. Cette dernière a été déclarée responsable de cet incendie sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux.

Pour autant, la réparation accordée aux victimes n’a pas été intégrale dans la mesure où les juges du fond ont retenu une faute de leur part qui aurait contribué au dommage. Les propriétaires avaient installé un « réenclencheur » dans les locaux sinistrés, ce qui aurait aggravé le sinistre sans pour autant qu’il soit à l’origine de l’incendie.

Les victimes se sont pourvues en cassation, reprochant à la cour d’appel d’avoir retenu une faute de leur part qui limitait la responsabilité du producteur à 60 % des dommages alors « qu’une circonstance ayant pu aggraver un dommage à la faveur d’un incendie n’en constitue pas pour autant la cause, seul l’événement ayant déclenché l’incendie étant à l’origine première et déterminante des entiers dommages ». Les juges du fond auraient violé l’article 1245-12 du Code civil.

Le pourvoi interroge alors la faute exonératoire de la victime en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. Il invite concrètement à se prononcer sur l’appréciation du lien de causalité entre cette faute et la survenance du dommage.

Au visa de l’article 1386-13, devenu 1245-12 du Code civil, la deuxième chambre civile casse l’arrêt d’appel.

Elle rappelle que, selon ce texte, la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime. En matière de responsabilité du fait des produits défectueux, l’incidence de la faute de la victime sur l’étendue du droit à réparation est la même qu’en droit commun de la responsabilité. Si la faute a contribué à la réalisation du dommage, la victime doit supporter une partie de ce dommage. 

Pour réduire la responsabilité de la société Enedis à hauteur de 60 % du dommage, après avoir retenu que l’élément déclencheur de l’incendie était une surtension survenue sur le réseau électrique imputable à celle-ci, l’arrêt d’appel relève, en se fondant sur le rapport d’expertise, que le couple propriétaire a commis une faute en faisant installer sur son réseau privatif un réenclencheur ne répondant pas aux normes et considéré comme dangereux, dont la présence a été un facteur « aggravant » du sinistre.

En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations que la faute imputée aux propriétaires de l’habitation n’avait pas causé le dommage et l’avait seulement aggravé, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Autrement dit, selon la Cour de cassation, la faute de la victime n’a d’incidence sur le droit à réparation que si elle a contribué effectivement à causer le dommage, qu’elle a participé à sa survenance. Dans le cas où elle a aggravé le dommage une fois celui-ci survenu par le biais d’une autre cause, en l’occurrence un produit défectueux, elle est indifférente.

En l’espèce, une surtension survenue sur le réseau électrique a rendu l’électricité impropre à son utilisation normale. L’électricité livrée par la société Enedis était donc défectueuse.

Le dommage dont les demandeurs sollicitent la réparation a été intégralement causé par l’incendie de l’immeuble qu’ils occupaient. C’est donc la défectuosité de l’« électricité » livrée par la société Enedis qui est à l’origine de l’incendie puisque, sans elle, il n’y aurait pas eu d’incendie.

La faute imputée aux victimes, consistant en l’installation d’un dispositif non conforme sur le réseau privé, n’a pas été à l’origine de l’incendie. Sans elle, l’incendie se serait produit de la même façon. Elle a simplement aggravé ses conséquences a posteriori, ce qui ne serait pas arrivé sans le problème d’électricité initial. Il y a bien une faute de la victime mais dépourvue de lien de causalité avec la survenance du dommage. 

Contrairement à l’avis des juges d’appel, un rôle aggravant n’est pas un rôle causal pour la Cour de cassation. 

La question est intéressante notamment parce qu’elle invite à se replonger dans les affres de la causalité (P. Esmein, Le nez de Cléopâtre ou les affres de la causalité, D. 1964. Chron. 805). L’appréciation du lien causal entre la faute de la victime et la réalisation du dommage est une question complexe, comme toute question en matière de causalité.

On le sait, deux théories causalistes, lesquelles n’ont pas manqué d’animer la doctrine, sont appliquées par le juge judiciaire et le juge administratif sans qu’aucune n’ait été érigée en principe : l’équivalence des conditions et la causalité adéquate.

L’équivalence des conditions invite à retenir toute cause à l’origine de l’intégralité du dommage. Tous les événements sans lesquels le dommage ne se serait pas produit sont considérés comme en étant la cause. Le juge ne hiérarchise pas les événements.

Au contraire, la théorie de la causalité adéquate implique l’identification de la cause qui a provoqué le dommage parce qu’elle le portait normalement en elle. Il s’agit là de ne retenir que la ou les causes efficientes du dommage. Le juge doit donc opérer un tri plus important que lorsqu’il est fait application de la théorie de l’équivalence des conditions.

Quelle que soit la théorie appliquée, qu’il est d’ailleurs difficile d’identifier expressément dans les décisions judiciaires, le rapport de causalité doit être certain et direct. Les juges du fond disposent d’un grand pouvoir d’appréciation, notamment en matière de preuves. Cependant, en tant que notion juridique, le lien de causalité est soumis au contrôle de la Cour de cassation (Civ. 2e, 16 déc. 1970, n° 69-13.893, Bull. civ. II, n° 348 ; 9 juill. 1997, n° 95-20.799).

La faute de la victime, pour être une cause d’exonération, doit être une véritable faute et non un simple fait et doit être rattachée au dommage par un lien de causalité. Autrement dit, même si la victime n’engage pas sa responsabilité envers elle-même, il incombe tout de même au défendeur de prouver les conditions classiques de la responsabilité pour faute pour obtenir une exonération partielle ou totale (sur la faute de la victime et ses conséquences sur le droit à réparation v. J. Moreau, L’influence de la situation et du comportement de la victime sur la responsabilité administrative, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 1957 ; C. Lapoyade-Deschamps, La responsabilité de la victime, thèse, Bordeaux, 1977 ; A. Dumery, La faute de la victime en droit de la responsabilité civile, préf. R. Bout, L’Harmattan, coll. « Droit, Société et Risque », 2011 ; J. Fossereau, L’incidence de la faute de la victime, RTD civ. 1963. 7 ; F. Chabas, Fait ou faute de la victime ?, D. 1973. Chron. 207 ; M. Eloi, C. de Jacobet de Nombel, M. Rayssac et J. Sourd, « La faute de la victime dans la responsabilité extra-contractuelle », in Mélanges C. Lapoyade-Deschamps, PU Bordeaux, 2003, p. 47).

En pratique, la faute de la victime est souvent constituée par la méconnaissance des mises en garde formulées par le producteur (Civ. 1re, 11 juin 2008, n° 08-17.313, RCA sept. 2009. Comm. 254) à condition qu’elle ait bien eu accès aux documents contenant les avertissements (Civ. 1re, 21 juin 2005, D. 2005. IR 1663). Toutefois, il arrive fréquemment que le caractère exonératoire ne soit pas retenu par le juge, soit que la faute de la victime ne soit pas caractérisée (Civ. 1re, 7 nov. 2006, n° 05-11.604, Bull. civ. I, n° 467 ; D. 2006. 2950 image ; RDI 2007. 94, obs. P. Malinvaud image ; RTD civ. 2007. 139, obs. P. Jourdain image ; RTD com. 2007. 438, obs. B. Bouloc image ; 4 févr. 2015, n° 13-19.781, Bull. civ. I, n° 31 ; D. 2015. 375 image ; 24 sept. 2009, n° 08-16.569), soit que le lien de causalité entre la faute et le dommage ne soit pas démontré (Civ. 1re, 21 oct. 2020, n° 19-18.689, Dalloz actualité, 25 nov. 2020, obs. A. Hacene-Kebir ; D. 2020. 2064 image ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; ibid. 1004, obs. G. Leray et V. Monteillet image ; RTD civ. 2021. 155, obs. P. Jourdain image).

En l’espèce, il apparaît que, pour les juges d’appel, un simple rôle aggravant peut s’analyser en un véritable rôle causal puisque tout en constatant l’aggravation du dommage par la faute de la victime, ils ont retenu malgré tout, son caractère exonératoire au profit du producteur.

Pourtant, à bien y regarder, la position de la Cour de cassation semble nettement plus conforme aux règles en la matière. Elle s’inscrit dans le sens des dispositions de l’article 1245-12 du code civil qui imposent, pour que le caractère exonératoire de la faute de la victime puisse être retenu, une conception plutôt stricte du lien de causalité entre cette faute et le dommage.

Cette exigence se retrouve dans les finalités de la directive du 25 juillet 1985 dont l’objectif est de renforcer la protection des victimes de ces produits au sein de l’Union européenne en mettant à la charge du producteur une responsabilité de plein droit détachée de l’idée de faute.

Cette conception stricte du lien de causalité se trouve également dans la rédaction même de l’article 1245-12 qui dispose explicitement que « la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ». L’adverbe « conjointement » renvoie à la simultanéité. En ce sens, la défectuosité du produit et la faute de la victime doivent avoir l’une comme l’autre provoqué le dommage. Ce qui signifie, en l’occurrence, que défectuosité et faute devraient être à l’origine de l’incendie.

Or les constatations de la cour d’appel établissent le contraire en ce que la défectuosité de l’électricité est la seule cause de l’incendie, dont la faute de la victime a seulement aggravé les conséquences. Même sans cette faute, le dommage se serait réalisé.

Il n’est donc pas établi que la faute de la victime a été la cause efficiente du dommage au même titre que la défectuosité du produit. Par conséquent, elle ne peut avoir d’effet exonératoire sur la responsabilité du producteur. 

Une partie de la doctrine regrette d’ailleurs l’introduction dans le dispositif du caractère exonératoire de la faute de la victime dont l’effet est le même qu’en droit commun malgré la spécificité du régime (v. J. Julien, « Causes exonératoires », in Droits de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021- 2022, n° 2144.111 ; P. Le Tourneau, Droits de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, 2021-2022, n° 0112.14). Il y aurait là un paradoxe. Le maintien de l’effet exonératoire de la faute dans certains régimes de responsabilités objectives montre la difficulté à se détacher totalement de la faute et de la conception morale qui l’accompagne en droit de la réparation, en dépit du fort mouvement d’objectivation en la matière.

La panne… Contribution à la définition de la cause étrangère

Après une période « foisonnante » en matière de communication par voie électronique (CPVE), la jurisprudence est plus calme, mais pas inexistante – ainsi qu’en atteste l’arrêt rendu le 10 juin 2021 par la deuxième chambre civile. Sans être révolutionnaire – il n’est d’ailleurs destiné qu’à une « modeste » diffusion –, il contribue à la construction jurisprudentielle relative à la cause étrangère : la panne (informatique) n’est pas seulement un « coup » ni le « coup de grâce » d’une procédure particulièrement longue est tortueuse… mais bien un obstacle à la CPVE (sur la CPVE, v. C. Bléry, Droit et pratique de la procédure civile, Droits interne et de l’Union européenne 2021/2022, 10e éd., S. Guinchard [dir.], Dalloz Action, 2020, nos 273 s. ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, nov. 2018 [actu. déc. 2019] ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, 4e éd., LexisNexis, 2018, nos 485 s. ; M. Dochy, La dématérialisation des actes du procès civil, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèses », 2021).

C’est un bail à usage commercial qui est l’origine du litige et du procès, émaillé de pas moins de deux pourvois, deux cassations et deux renvois… C’est la saisine de la seconde cour d’appel de renvoi qui fait difficulté. Le bailleur a en effet remis sa déclaration de saisine sur support papier, le 22 mars 2018, en raison d’une cause étrangère.

La cour d’appel déclare cet acte irrecevable, faute que soit établie l’impossibilité, pour l’avocat du bailleur, d’avoir accès au réseau « professionnel » [privé] virtuel des avocats : en effet, « il n’est fait état d’aucune panne affectant sa clé RPVA, laquelle pouvait être utilisée sur tout autre poste informatique disposant d’un accès internet, notamment à l’ordre des avocats ou dans un cabinet d’un de ses confrères qu’il ne prétend pas même avoir sollicités ». Dans le même temps, la cour d’appel constate de la justification par l’avocat du bailleur, de l’intervention d’une société d’informatique « Xtronique Micro Sud » « durant trois jours, du 19 au 23 mars 2018, aux fins de rechercher la panne touchant son matériel informatique, laquelle rendait impossible la navigation sur internet et avait pour origine la défectuosité du câble RJ 11 de la Livebox ».

Le bailleur se pourvoit, invoquant la violation de l’article 930-1 du code de procédure civile par la cour d’appel, ensemble l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme : bien qu’une cause étrangère faisant obstacle au dépôt de la déclaration d’appel par voie électronique indépendante de la volonté ou du fait du conseil de l’exposante ait été constatée, la cour d’appel n’a pas admis le retour au papier…

La Cour de cassation casse au visa du seul article 930-1 du code de procédure civile, en rappelant sa teneur (v. chapô). La cour d’appel a violé le texte en refusant d’admettre l’existence d’une cause étrangère alors qu’elle a constaté l’intervention d’un informaticien pendant trois jours au cabinet de l’avocat.

Dans notre arrêt, l’avocat du bailleur devait remettre sa déclaration de saisine par voie électronique. En effet, la Cour de cassation a estimé que certaines transmissions, non visées par l’arrêté technique du 30 mars 2011 – alors en vigueur –, pris pour l’application de l’article 930-1, dans la procédure d’appel lorsque la représentation est obligatoire, devaient être accomplies par voie électronique : il en est ainsi, justement, de la saisine de la cour par voie électronique en cas de renvoi après cassation (Civ. 2e, 1er déc. 2016, n° 15-25.972 P, Dalloz actualité, 14 déc. 2016, obs. C. Bléry ; D. 2016. 2523 image ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero image ; D. avocats 2017. 28, obs. C. Lhermitte image ; 17 mai 2018, n° 17-15.319 NP).

Notons qu’il en serait de même aujourd’hui avec l’arrêté du 20 mai 2020 (Dalloz actualité, 2 juin 2020), qui a abrogé l’arrêté de 2011 (ainsi que celui du 5 mai 2010 pour les procédures sans représentation obligatoire), a fortiori – le nouvel arrêté étant mieux rédigé et général.

Or l’avocat n’a pas fait usage du réseau privé virtuel des avocats (RPVA), mais a remis au greffe sa déclaration sur support papier… remède à un dysfonctionnement qu’il invoquait : la cause étrangère.

Rappelons (v. Dalloz Action préc., n° 273.122 et les réf.) que la notion de cause étrangère en matière de communication par voie électronique a été créée par le décret n° 2009-1524 du 9 décembre 2009. Ce décret l’a, d’une part, inséré à l’article 748-7 du code de procédure civile, qui a complété le régime général de la communication par voie électronique issu du décret n° 2005-1678 du 28 décembre 2005, d’autre part à l’article 930-1, pour les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel. Les deux envisagent un dysfonctionnement de la communication par voie électronique et un remède. Celui de l’article 748-7 est la prorogation du délai au premier jour ouvrable suivant. Celui de l’article 930-1 est le retour au papier : l’acte est remis sur un tel support ou, par permission du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, adressé par LRAR.

Remarquons au passage que l’article 850 du code de procédure civile, issu du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, prévoit le même remède en procédure écrite ordinaire et à jour fixe devant les tribunaux judiciaires depuis le 1er janvier 2020 : la CPVE est obligatoire, sauf pour les requêtes de l’article 840 ; le texte fait d’ailleurs suite à l’article 796-1, II, issu du décret n° 2017-892 du 6 mai 2017, applicable du 1er septembre 2019 au 31 décembre 2019 devant les tribunaux de grande instance, lorsque la communication par voie électronique y est devenue obligatoire.

Rappelons aussi que, pour heureuse que soit la prévision de la cause étrangère, elle ne résout pas toutes les difficultés, car le code est muet sur le contenu de la notion (v. S. Grayot-Dirx, La cause étrangère et l’usage des nouvelles technologies dans le procès civil, Procédures 2013. Étude 2 ; J.-L. Gallet et E. de Leiris, op. cit., nos 503 s. ; P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès en appel, LexisNexis, 2020, nos 789 s.). La Cour de cassation a nécessairement eu à se prononcer sur la cause étrangère – ce qu’elle est ou ce qu’elle n’est pas –, le plus souvent au visa de l’article 930-1, comme dans l’arrêt du 10 juin 2021 : ainsi, notamment :

• la deuxième chambre civile a jugé que le retard dans l’installation du raccordement du cabinet de l’avocat au RPVA, par la faute de e-barreau, est constitutif d’une telle cause (Civ. 2e, 15 mai 2014, n° 13-16.132 NP). De même, la territorialité dématérialisée technique du RPVA est une cause étrangère (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-18.698 NP, Gaz. Pal. 27 nov. 2018, p. 73, obs. C. Bléry ; 6 sept. 2018, n° 17-18.728 NP, Gaz. Pal. 27 nov. 2018, p. 75, obs. V. Orif) : actuellement, le RPVA permet seulement aux avocats du ressort d’une cour d’appel de remettre des actes par voie électronique à son greffe, de telle sorte qu’un avocat extérieur ne peut utiliser le RPVA pour ce faire alors même qu’il n’y a pas de territorialité de la postulation en matière prud’homale (Cass., avis, 5 mai 2017, n° 17-70.005 P, Dallloz actualité, 9 mai 2017, art. A. Portmann ; ibid. 10 mai 2017, obs. C. Bléry). Le « poids des fichiers » est également une cause étrangère (Civ. 2e, 16 nov. 2017, n° 16-24.864 P, Dalloz actualité, 22 nov. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2018. 52 image, note C. Bléry image ; ibid. 692, obs. N. Fricero image ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle image ; AJ fam. 2017. 618, obs. M. Jean image ; D. avocats 2018. 32, chron. C. Lhermitte image ; Dalloz IP/IT 2018. 196, obs. L. de Gaulle et V. Ruffa image) : comme « aucune disposition n’impose aux parties de limiter la taille de leurs envois à la juridiction ou de transmettre un acte de procédure en plusieurs envois scindés », l’avocat peut remettre des actes trop lourds sur support papier…

• la même chambre a en revanche refusé – à juste titre – de voir dans la distraction de l’avocat une telle cause étrangère (Civ. 2e, 13 nov. 2014, n° 13-25.035 NP, Gaz. Pal. 8-10 mars 2015, p. 19, note C. Bléry : l’avocat avait bien préparé la déclaration d’appel mais ne l’a jamais envoyée, ce que révélait une page extraite du RPVA…). Il en est de même du défaut de raccordement, visiblement non sollicité (Civ. 2e, 5 janv. 2017, n° 15-28.847 NP, Procédures 2017. Comm. 56, obs. H. Croze). Ne constituent pas non plus une cause étrangère des courriels du greffe concernant des procédures différentes, disant de recourir à la voie papier et alors que les plaideurs ne démontraient pas avoir tenté de saisir la cour d’appel par voie électronique (Civ. 2e, 17 mai 2018, n° 17-15.319 NP, Gaz. Pal. 31 juill. 2020, p. 69, obs. C. Bléry) : ce qui est très sévère pour les avocats qui doivent suivre l’actualité « technique » des « tuyaux » au sein du ressort de leur cour d’appel. Ou encore, la simple omission d’une diligence n’est pas une cause étrangère (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-20.930 P, Dalloz actualité, 3 oct. 2018, obs. C. Bléry : D. 2018. 1919 image ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; le défaut de restitution de la requête aux fins d’autorisation d’assigner à jour fixe par l’huissier instrumentaire n’est pas une telle cause permettant valablement à l’avocat de remettre l’assignation au greffe sur support papier sans les documents visés à l’article 920 du code de procédure civile, dans le cas d’un jour fixe imposé)…

L’arrêt du 10 juin 2021 vient donc fournir un nouvel exemple de cause étrangère. Il s’inscrit dans le courant plutôt bienveillant de la jurisprudence en matière de CPVE – ce dont on ne se plaindra évidemment pas ! Déjà en 2017, la deuxième chambre civile avait pris soin de distinguer la cause étrangère de la force majeure – cassant l’arrêt de la cour d’appel qui avait assimilé les deux notions – alors que, « si le pouvoir réglementaire avait voulu parler de force majeure, il n’aurait pas mentionné la cause étrangère, plus restrictive » (C. Bléry, notes préc. ; en ce sens, v. aussi, S. Grayot-Dirx, art. préc. n° 14 ; Rép. pr. civ., v° Communication électronique, par E. de Leiris, n° 68). Pourtant, « la question pouvait se poser de savoir si l’impossibilité de remettre les conclusions par voie électronique était bien extérieure à l’avocat. La cour d’appel estimait que non puisqu’il aurait dû les scinder en plusieurs fichiers. La deuxième chambre civile a au contraire considéré que cette obligation ajoutait aux dispositions applicables à la CPVE » (C. Bléry, notes préc.).

Dans notre affaire, la question pouvait tout autant se poser : la panne informatique – récurrente – de l’avocat lui était-elle bien extérieure ? Il lui était impossible de « naviguer sur internet » et c’était le câble de sa Livebox qui s’était avéré défectueux. La cour d’appel précisait (v. moyen annexé) : « le 23 mars 2018, lorsque la panne a été levée aux premières heures de la matinée, il n’existait aucun obstacle à l’utilisation de son propre poste informatique pour assurer la communication électronique de la déclaration de saisine.

D’autre part, la crainte qu’il mentionne, et qui s’analyse comme une préoccupation, ne caractérise pas une impossibilité d’assurer la transmission par voie électronique de la déclaration de saisine.

En effet, il n’est pas établi qu’il a été dans l’impossibilité d’avoir accès au réseau professionnel virtuel des avocats, alors qu’il ne fait état d’aucune panne affectant sa clé RPVA laquelle pouvait être utilisée sur tout autre poste informatique disposant d’un accès internet, notamment à l’ordre des avocats ou dans un cabinet d’un de ses confrères qu’il ne prétend pas même avoir sollicités.

Dans ces conditions, il ne peut être retenu que la déclaration de saisine remise au greffe sur support papier le 22 mars 2018 par le conseil de la SCI Kalam l’a été pour une cause qui [leur] était étrangère ne permettant pas la transmission par voie électronique. »

Certes, « la panne » n’était pas totalement extérieure à l’avocat : celle-ci était au contraire due à un problème de matériel utilisé par l’avocat (le câble) et non à un dysfonctionnement des tuyaux du fournisseur internet (un tiers) – il est vrai que le câble ne lui était peut-être que prêté ou loué avec la box (selon son abonnement). La Cour de cassation retient cependant que l’avocat avait fait intervenir un informaticien pour rechercher les causes de l’impossibilité de se connecter à l’internet – informaticien qui a eu besoin de trois jours pour trouver la cause de la panne… Alors, certes, l’avocat aurait pu solliciter un confrère pendant la durée de la panne, celle-ci a peut-être été détectée tôt le dernier jour du délai (détectée mais pas forcément réparée par le remplacement du câble défectueux…). En toute rigueur, la cour d’appel n’avait pas tort, mais l’appréciation de la Cour de cassation nous semble plus appropriée : l’avocat n’est pas informaticien et, dès lors qu’il justifie de difficultés techniques réelles et prouvées, il ne doit pas être soumis à des exigences excessives.

Cependant, il faut une nouvelle fois (Dalloz actualité, 31 août 2020 ; ibid. 27 nov. 2020, obs. C. Bléry) conclure de manière mitigée et appelant à la prudence : il est permis de se réjouir de la souplesse de la Cour de cassation ou de sa tolérance envers certains « péchés véniels » dans certains arrêts ; « l’ennui est que toute la construction de la Cour de cassation relative à la CPVE est loin d’être aussi tolérante et que les avocats ont toujours au-dessus de leur tête une sorte d’épée de Damoclès […] : la Cour de cassation sera-t-elle tolérante ou pas ? » (Dallloz actualité, 27 nov. 2020, préc.). En matière de cause étrangère, la Cour de cassation semble plus tolérante que les cours d’appel – les arrêts du 16 novembre 2017 et celui du 10 juin 2021 en attestent. Ce dernier, en particulier, rassure : la crainte était que, « dès lors que la communication électronique semble maîtrisée et stabilisée, les exigences quant à la démonstration de la cause étrangère [puissent] s’avérer plus strictes » (P. Gerbay et N. Gerbay, op. cit., nos 800) ; la crainte semble sans fondement. Il appartient toutefois à l’avocat de bien justifier le retour au papier s’il estime être confronté à une cause étrangère : la panne informatique ou de l’internet sera alors jugée extérieure à lui… En outre, et de manière générale, « l’avocat doit se prémunir contre les risques normaux susceptibles d’affecter la communication électronique » (J.-L. Gallet et E. de Leiris, op. cit., n° 504) : on aurait pu dire que l’avocat doit se conduire en « bon père de famille » en matière de CPVE (ente autres).

Construction : le délai de l’article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion

« Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. » À la lecture de l’arrêt rapporté, il y a tout lieu de se demander si la Cour de cassation n’a pas souhaité trouver une illustration juridique à la triste plaisanterie d’Henri Queuille.

En l’espèce, deux propriétaires avaient confié en 2003 des travaux de réfection d’une terrasse à la société M3 construction. Des désordres étaient toutefois apparus en 2011, lesquels se manifestaient par un écoulement d’eau de ruissellement à partir de la terrasse sur les enduits inférieurs.

Les maîtres d’ouvrage ont alors contacté l’entreprise qui, au gré d’un protocole d’accord signé en 2011, a accepté de procéder aux travaux de reprise nécessaires à la réparation du désordre. Si l’entreprise s’est exécutée, les travaux qu’elle a réalisés n’ont toutefois pas suffi à résorber le problème. Les désordres sont réapparus à compter de 2014, obligeant les demandeurs à assigner l’entreprise en référé expertise.

Sur la foi du rapport déposé en 2015, les requérants ont logiquement assigné la société M3 construction par acte extrajudiciaire du 6 juin 2016 avant que cette dernière n’appelle à la cause la société AXA, son assureur.

Le tribunal d’instance, puis la cour d’appel de Toulouse ont condamné l’entreprise à réparation, considérant également que l’assureur lui devait sa garantie. Ce faisant, les juges du fond rejetaient la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action soulevée devant eux : certes, l’action en responsabilité contractuelle intentée contre l’entreprise et son assureur avait été introduite plus de dix années après la réception des travaux, mais le délai d’action avait été interrompu par la reconnaissance de responsabilité de l’entreprise intervenue en 2011, reconnaissance faisant naître un nouveau délai de même durée.

La Cour de cassation était donc interrogée sur une question inédite : la reconnaissance de responsabilité du débiteur est-elle de nature à interrompre le délai décennal de l’article 1792-4-3 du code civil ?

Les magistrats du quai de l’Horloge répondent par la négative, cela à la faveur d’une jurisprudence innovante dont les conséquences, plus ou moins certaines, pourraient néanmoins s’avérer importantes.

L’innovation

La Cour de cassation profite de cet arrêt pour prendre position sur un débat doctrinal bien connu : celui de la nature du délai décennal posé à l’article 1792-4-3 du code civil.

Il est aujourd’hui acquis que les garanties légales offertes au maître d’ouvrage constituent des délais de forclusion, qu’il s’agisse de la responsabilité décennale, de la garantie biennale ou de la garantie de parfait achèvement. Une telle qualification est également retenue s’agissant de la garantie des vices et défauts de conformité apparents dont est débiteur le vendeur en l’état futur d’achèvement. Toutefois, la Cour n’avait jamais encore été invitée à déterminer la nature du délai dans lequel sont enfermées les actions en responsabilité du maître d’ouvrage à l’encontre des constructeurs ou de leurs sous-traitants lorsque cette action ne relève pas des garanties légales, notamment en cas de mise en jeu de la responsabilité contractuelle du constructeur au titre de désordres dits « intermédiaires » (considérant que l’art. 1792-4-3 C. civ. n’est applicable qu’aux actions du maître d’ouvrage si bien que les recours entre constructeurs restent soumis au droit commun de l’art. 2224, v. Civ. 3e, 16 janv. 2020, n° 18-25.915, Dalloz actualité, 10 févr. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 466 image, note N. Rias image ; RDI 2020. 120, étude C. Charbonneau image).

Dès après l’adoption de la loi de 2008, deux thèses s’étaient opposées : certains devaient considérer que l’action en responsabilité contractuelle avant réception étant enfermée dans le délai de prescription de droit commun de l’article 2224 du code civil, il n’était pas de raison valable que le délai applicable à l’action en responsabilité contractuelle post-réception soit qualifié de délai de forclusion. À l’inverse, d’autres ne manquaient pas de relever que l’article 1792-4-3 du même code a été inséré à l’occasion de la réforme de 2008 pour aligner le régime de cette action sur celui de la garantie décennale… or, une telle garantie étant enfermée dans un délai de forclusion, il y avait lieu de considérer une telle qualification comme évidente.

Entre ces deux thèses, la Cour de cassation opère donc un choix assumé, « en alignant, quant à la durée et au point de départ du délai, le régime de responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs sur celui de la garantie décennale, dont le délai est un délai d’épreuve (Civ. 3e, 12 nov. 2020, n° 19-22.376 P, Dalloz actualité, 23 déc. 2020, obs. C. Dreveau ; D. 2020. 2290 image ; RDI 2021. 164, obs. M. Faure-Abbad image), le législateur a entendu harmoniser ces deux régimes de responsabilité. Il en résulte que le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l’article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion ».

Au-delà de ce choix dont il faudra, plus tard, apprécier l’opportunité, on relèvera la tristesse de constater qu’après des siècles de rationalisation et de simplification, il existe encore des distinctions juridiques auxquelles nul n’est en mesure d’apporter la moindre justification. La motivation de la Cour de cassation, fondée sur une analogie de circonstance, témoigne de l’absence de consistance de cette distinction maintes fois décriée entre les délais de prescription, d’une part, et les délais de forclusion, d’autre part. Le débat est ancien. Tout a sans doute déjà été dit. La prescription et la forclusion ne sont pas deux notions distinctes justifiant l’application de régimes juridiques différenciés, mais bien plutôt deux alibis permettant au législateur ou au juge de choisir de manière discrétionnaire un régime de computation des délais plus ou moins rigoureux.

Le rapport Catala avait préconisé, par principe, la suppression de cette distinction. On sait ce qu’il est advenu de cette proposition : le législateur a fait tout l’inverse, gravant dans le marbre de l’article 2220 du code civil une distinction pourtant contre-intuitive.

La Cour de cassation avait donc ici les coudées franches pour qualifier le délai de l’action en responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage contre le constructeur. C’est chose faite : il s’agit d’un délai de forclusion. Il reste à apprécier les conséquences de cette qualification.

Les implications

La qualification retenue par la Cour de cassation emporte une conséquence immédiate dont, ici, les maîtres d’ouvrage subiront de plein fouet les conséquences : l’absence de suspension et d’interruption du délai. Mais au-delà, cette qualification pourrait également emporter d’autres effets, plus latents, plus profonds et, ce faisant, plus dévastateurs.

Les conséquences immédiates

La conséquence immédiate de la qualification retenue pas la Cour de cassation est bien connue : le délai de l’article 1792-4-3 du code civil échappe à toutes les causes de report du point de départ, de suspension ou d’interruption du délai de prescription posées aux articles 2233 à 2246 du même code.

En effet, les règles régissant la suspension et l’interruption sont prescrites par les dispositions du titre XX du code civil, dispositions qui, « sauf dispositions contraires prévues par la loi », ne régissent pas les délais de forclusion (C. civ., art. 2220).

Dans l’affaire en cause, les demandeurs font directement les frais de cette nouvelle qualification : si le protocole d’accord signé en 2011 constitue une reconnaissance de responsabilité de la part du débiteur, il reste que cette reconnaissance est insusceptible d’interrompre le délai de forclusion décennal applicable à l’action en responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage contre l’entreprise. En agissant pour la première fois en justice en 2014, alors que la réception des travaux datait de 2003, les maîtres d’ouvrage ont fait preuve d’une inertie dont ils doivent payer les conséquences.

Une autre illustration des conséquences de cette qualification peut être avancée : en cas de référé expertise, l’assignation aura un effet interruptif du délai de forclusion. Toutefois, un nouveau délai recommencera à courir à compter de l’ordonnance désignant l’expert sans que ce délai soit suspendu durant les opérations d’expertise. Les avocats n’oublieront donc pas d’assigner au fond et de demander le sursis à statuer, les diligences accomplies dans le cadre de l’expertise ordonnée en référé n’étant pas de nature à interrompre le délai de péremption de l’instance au fond (Civ. 2e, 11 avr. 2019, n° 18-14.223, Dalloz actualité, 7 mai 2019, obs. A. Bolze ; D. 2019. 823 image ; ibid. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2020. 460, obs. N. Cayrol image). Certes, la durée du délai devrait généralement éviter toute mauvaise surprise, mais il arrive aussi, parfois, que l’expertise s’éternise…

Les interrogations légitimes

Si l’arrêt commenté témoigne d’une rigueur juridique incritiquable, il reste que la solution posée n’est pas sans inconvénient.

On remarquera, par exemple, que la méconnaissance de tout effet interruptif à une reconnaissance de responsabilité est de nature à inciter naturellement au contentieux. En effet, le maître d’ouvrage dont le délai d’action arrive à échéance se gardera d’accepter une reprise volontaire de l’entreprise et préservera ses droits en assignant cette dernière en référé expertise, quitte à « protocoler » durant ou après l’achèvement de la mission de l’expert.

Cette situation est aussi paradoxale qu’elle est symptomatique d’un droit désincarné, attaché à la rigueur textuelle plutôt qu’au sentiment de justice.

La justice, justement, ne serait-elle pas d’accorder le bénéfice d’agir à celui qui, attachant une certaine valeur à l’engagement pris par son débiteur, ne croit pas nécessaire d’agir contre lui en justice pour préserver ses droits ?

D’ailleurs, indépendamment de savoir si l’entreprise a reconnu sa responsabilité et, ce faisant, interrompu le délai d’action courant contre elle, l’engagement de réparer qu’elle a formalisé par la rédaction du protocole ne devrait-il pas donner lieu à exécution forcée dans les conditions du droit commun ?

On sait que la Cour de cassation a succombé à l’argument, mais dans un arrêt de 2003 (Civ. 3e, 29 oct. 2003, n° 00-21.597, D. 2003. 2802 image ; RDI 2004. 57, obs. P. Dessuet image) antérieur à la réforme de la prescription.

Mais les juridictions du fond sont encore séduites par l’argument, quand bien même pourrait-il venir contrarier la volonté du législateur de 2008 de mettre fin à toute interversion des prescriptions (pour une illustration postérieure à la réforme, v. Paris, pôle 4, ch. 6, 2 juin 2017, n° 15/18711).

Sans doute est-ce là une marque de la justice quotidienne qui, au-delà de la rigueur des textes, cherche toujours à rappeler qu’en droit, les promesses doivent engager aussi ceux qui les formulent.

Des effets de la rétroactivité à la suite d’une annulation d’exclusion

Le contentieux des professions médicales et paramédicales ne peut occulter les difficultés qui peuvent se poser lors de la formation des futurs professionnels de santé. Comme partout, il arrive que certains candidats ayant passé avec succès les étapes pour intégrer une formation sélective fassent l’objet d’une procédure disciplinaire pouvant aboutir à leur éventuelle exclusion. Mais ici comme ailleurs, ces procédures obéissent à des règles qui conduisent parfois à l’irrégularité de la sanction prononcée et, ce faisant, à l’annulation de l’exclusion. C’est précisément dans cette optique que se situe l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 16 juin 2021 lequel s’intéresse à la formation des infirmiers. Rappelons rapidement les faits pour mieux comprendre la solution.

Une personne est admise à l’Institut de formation en soins infirmiers de Montreuil-sous-Bois administré par la Fondation Œuvre de la Croix Saint-Simon. L’étudiante suit la formation à partir de 2009 jusqu’en troisième année. La directrice de l’institut la convoque en mai 2012 et lui indique qu’un conseil de discipline se réunira le 25 mai 2012. L’étudiante régulièrement convoquée par lettre recommandée est exclue à la suite de ce conseil...

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Application dans le temps de la loi Pinel (charges) et fixation judiciaire du loyer

Le statut des baux commerciaux issu du décret du 30 septembre 1953, aujourd’hui codifié aux articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, a pour finalité de protéger le locataire dans son activité. Afin de renforcer cette protection, les dispositions essentielles du statut sont d’ordre public. Ces dispositions impératives sont visées aux articles L. 145-15, L. 145-16 et L. 145-45 du code de commerce. Néanmoins, dans l’intérêt du locataire, la Cour de cassation a parfois étendu l’ordre public à certaines dispositions du statut non visées par les articles sus-évoqués (v. not. Cass., ass. plén., 17 mai 2002, n° 00-11.664, D. 2003. 333 image, note S. Becqué-Ickowicz image ; ibid. 2002. 2053, obs. Y. Rouquet image ; AJDI 2002. 525 image, obs. J.-P. Blatter image ; RTD civ. 2003. 85, obs. J. Mestre et B. Fages image). Toujours dans un souci d’accroître la protection du locataire, notamment au regard des évolutions du commerce, le statut des baux commerciaux a connu quelques modifications. La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, aux commerces et aux très petites entreprises, dite « loi Pinel », est venue le compléter, dans le dessein de mieux réguler les rapports locatifs entre bailleur et locataire, en y intégrant entre autres de nouvelles dispositions impératives.

À l’exception de ces dispositions impératives, la liberté contractuelle est très présente dans la conclusion d’un bail commercial, particulièrement dans la fixation du loyer. En effet, les baux commerciaux restent l’effet de la volonté des parties, qui fixent elles-mêmes et librement le contenu ainsi que les limites de leurs engagements, même si le statut reste, tout au moins en partie, régulateur de cette liberté contractuelle dont il jugule les excès ou contrarie l’expression (V. Delaporte, La liberté contractuelle et le statut des baux commerciaux, JCP N 1978. I. 169).

L’arrêt rapporté est l’occasion de revenir sur le contenu d’un bail commercial réunissant dispositions impératives et stipulations contractuelles.

Une société civile immobilière (SCI), propriétaire d’un local situé dans un centre commercial donné à bail, a signifié à son locataire un congé avec offre de renouvellement à effet du 1er avril 2014.

Le locataire a accepté le principe du renouvellement du bail, mais a contesté le montant du loyer proposé.

La bailleresse a saisi le juge des loyers en fixation judiciaire du loyer minimum garanti.

La cour d’appel de Paris a retenu dans un arrêt du 27 novembre 2019 que la clause du bail commercial, selon laquelle « les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé, sera fixé d’un commun accord entre elles » et, « à défaut d’accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative », n’instaurait pas de procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge susceptible de faire l’objet d’une fin de non-recevoir. En effet, les juges du fond ont constaté que la clause se bornait à préciser que le montant du loyer de renouvellement sera fixé judiciairement en l’absence d’accord amiable entre les parties.

Les juges d’appel ont retenu également que « les dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce, dans leur rédaction résultant de l’article 6 du décret du 3 novembre 2014, sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter de la publication dudit décret, soit le 5 novembre 2014 » et qu’en conséquence, les dispositions impératives issues de la loi Pinel relatives à la répartition des charges « ne s’appliquent pas à un bail renouvelé à compter du 1er avril 2014 ».

Le locataire s’est pourvu en cassation reprochant à la cour d’appel de Paris, dans le premier moyen, d’avoir rejeté la fin de non-recevoir qu’elle a soulevée tenant au non-respect de l’obligation faite par les dispositions de l’article 35 du bail relatif au renouvellement du contrat de bail de rechercher une solution amiable préalable. En effet, l’auteur du pourvoi soutenait que l’article 35 du bail stipulait expressément que les parties devaient rechercher un accord amiable avant la saisine du juge et que l’échange des mémoires intervenus avant la saisine du juge, lequel s’inscrit dans la procédure légale de fixation des loyers, ne constituait aucunement la phase de négociation amiable préalable visée par ladite clause.

La locataire reprochait également à la cour d’appel, dans un troisième moyen, d’avoir rejeté sa demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à la loi du 18 juin 2014, dite « loi Pinel ». Le locataire soutenait que la loi Pinel « est applicable aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 » ; et que le bail ne pouvait être considéré comme renouvelé avant que le loyer ne fût définitivement fixé par les parties ou par le juge. En conséquence, selon l’auteur du pourvoi, les dispositions relatives à la répartition des charges et au coût des travaux issues de la loi Pinel étaient applicables, de sorte que les clauses du bail, contraires à ladite loi, devaient être réputées non écrites.

Pourtant, la troisième chambre civile de la Cour de cassation, dans l’arrêt du 17 juin 2021, rejette le pourvoi du locataire.

Sur la fin de non-recevoir

La Cour de cassation constate que la cour d’appel a retenu, « sans dénaturation, que l’article 35 du bail commercial, selon lequel “les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé, sera fixé d’un commun accord entre elles” et, “à défaut accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative”, se borne à préciser que le montant du loyer de renouvellement sera fixé judiciairement en l’absence d’accord amiable entre les parties, sans instaurer une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge ».

En matière de renouvellement de bail commercial, le principe du renouvellement et la fixation du loyer du bail renouvelé sont dissociés (Civ. 3e, 20 mai 1992, n° 90-20.291, Rev. loyers 1992. 325, note S. Duplan-Miellet ; 15 mai 1996, Loyers et copr. 1996, n° 96, obs. C. Denizot), de façon telle que l’acceptation peut ne porter que sur le principe du renouvellement (comme en témoigne l’arrêt rapporté), et non sur le montant du nouveau loyer qui pourra être fixé ultérieurement à l’amiable (v. not. C. com., art. L. 145-11) ou, à défaut d’accord, par la voie judiciaire (Civ. 3e, 15 avr. 2021, n° 19-24.231, Dalloz actualité, 7 mai 2021, obs. S. Andjechaïri-Tribillac ; D. 2021. 798 image), ce que prescrivent en l’espèce les stipulations du bail commercial.

Par principe, l’action en fixation du loyer renouvelé ne peut être introduite qu’en l’absence d’accord des parties sur le montant du loyer renouvellement, comme le précisent les dispositions de l’article L. 145-33 du code de commerce. Néanmoins, il n’est pas interdit aux parties d’établir conventionnellement les modalités de fixation du loyer du bail renouvelé (l’article L. 145-33 n’étant pas d’ordre public), comme en l’espèce, voire d’insérer à cet égard une clause de conciliation préalable, par laquelle les parties ont une obligation de moyens de parvenir à résoudre à l’amiable leur différend, reconnue comme étant valide par la Cour de cassation (Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423, D. 2003. 1386, et les obs. image, note P. Ancel et M. Cottin image ; ibid. 2480, obs. T. Clay image ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller image ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages image ; ibid. 349, obs. R. Perrot image). Dans l’arrêt rapporté, le loyer de renouvellement est binaire. La convention des parties énonce que le loyer de renouvellement se compose de deux composantes : un loyer de base égal à la valeur locative du local considéré à la date d’effet du renouvellement du bail et un loyer variable complémentaire fixé au taux convenu aux conditions particulières du bail.

S’agissant du loyer de base, la clause du bail stipule que « les parties conviennent que le montant du loyer de base du bail ainsi renouvelé sera fixé d’un commun accord entre elles » et, « à défaut accord amiable, les parties décident dès à présent de demander au juge compétent de fixer le loyer de base en fonction de la valeur locative ». Il ressort explicitement des termes de la clause que les parties sont convenues que le montant du loyer de base du bail renouvelé devait, dans un premier temps, être fixé d’un commun accord entre les parties ; et que ce n’était qu’à défaut d’accord amiable que le montant du loyer de renouvellement serait fixé judiciairement.

La clause, parfaitement claire et précise, n’instaure aucune procédure de conciliation obligatoire préalable dont le non-respect caractériserait une fin de non-recevoir (C. pr. civ., art. 122 ; Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, préc.). La haute juridiction a très justement constaté qu’il n’était pas permis de considérer que la référence dans le bail d’une fixation amiable du loyer de base du bail renouvelé à la valeur locative exigeait le recours à un mode alternatif de règlement des différends avant la saisine du juge. En effet, selon les termes du bail, les parties n’ont pas contractuellement décidé de faire appel à un tiers pour tenter de régler leur différend. Il est vrai qu’en ce sens la troisième chambre civile de la Cour de cassation avait jugé qu’instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la violation constituait dès lors une fin de non-recevoir, la clause qui stipule que « pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction » (Civ. 3e, 19 mai 2016, n° 15-14.464, Dalloz actualité, 3 juin 2016, obs. M. Kebir ; D. 2016. 2377 image, note V. Mazeaud image ; ibid. 2589, obs. T. Clay image ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki image ; ibid. 422, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2016. 621, obs. H. Barbier image). La chambre commerciale, plus sévère, avait jugé, quant à elle, que la clause, selon laquelle, « en cas de litige, les parties s’engagent à trouver un accord amiable avec l’arbitrage de la FEDIMAG. À défaut d’accord amiable, compétence est attribuée au tribunal de commerce de Bobigny nonobstant pluralité de parties », instituait une procédure de conciliation obligatoire et préalable dont le défaut de mise en œuvre constituait une fin de non-recevoir (Com. 30 mai 2018, nos 16-26.403 et 16-27.691, Dalloz actualité, 20 juin 201, obs. M. Kebir ; D. 2018. 1212 image ; AJ contrat 2018. 338, obs. N. Dissaux image ; RTD civ. 2018. 642, obs. H. Barbier image ; Gaz. Pal. 31 juill. 2018, n° 319, p. 52, obs. S. Amrani-Mekki).

Il ressort donc de l’ensemble des décisions rendues en la matière que la qualification de la clause de conciliation obligatoire et préalable repose notamment sur la désignation d’un tiers habilité par les parties à rechercher une solution amiable au différend qui les oppose (V. Mazeaud, art. préc.) ou au moins, selon la chambre commerciale, sur des modalités de désignation prévues (Com. 30 mai 2018, préc. ; 19 juin 2019, n° 17-28.804, D. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2019. 578, obs. H. Barbier image). Néanmoins, la clause qui prévoit le recours préalable à un conciliateur ne doit pas être « rédigée de manière elliptique, en des termes très généraux au risque d’être qualifiée de “clause de style” n’instituant pas une procédure de conciliation préalable et obligatoire » (Civ. 3e, 11 juill. 2019, n° 18-13.460, D. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; AJDI 2019. 919 image).

Dans l’arrêt sous étude, l’article 35 du bail ne peut recevoir la qualification de « clause de conciliation préalable et obligatoire ». En effet, les stipulations du bail ne prévoient pas d’obligation pour les parties de trouver une solution amiable, en se faisant aider par un tiers désigné, avant toute saisine du juge. La clause incitait seulement les parties à un arrangement amiable.

Cependant, il faut admettre que les évolutions en matière de règlement des conflits tendent à l’instauration d’un préalable avant toute saisine du juge. À cet égard, la loi exige de plus en plus des parties qu’elles aient recours à un mode alternatif de règlement des litiges avant de saisir le tribunal ou le juge pour régler leur différend (v. par ex. C. pr. civ., art. 750-1, qui impose une tentative obligatoire de règlement amiable pour les litiges inférieurs à 5 000 € à peine d’irrecevabilité).

Si le rejet de la fin de non-recevoir soulevée par le locataire doit être approuvé en l’espèce, il est cependant permis de penser que la solution aurait été différente si la cour régulatrice avait retenu que la clause du bail devait s’interpréter comme une obligation des parties de recourir à une procédure de conciliation obligatoire. Dans cette hypothèse, le non-respect d’un préalable avant la saisine du juge aurait caractérisé une fin de non-recevoir et la saisine du juge aurait été irrecevable. Les parties auraient alors été contraintes de recourir à une procédure de conciliation obligatoire préalable avant de saisir à nouveau le juge, sous réserve d’une éventuelle prescription.

Il faut donc se montrer particulièrement attentif à l’existence d’une clause relative aux modalités de fixation amiable du loyer du bail renouvelé.

Quoi qu’il en soit, afin de préserver les relations entre bailleur et locataire, il reste préférable pour les parties de tenter une négociation préalable avant toute saisine du juge, et ce même en l’absence de clause de conciliation obligatoire et préalable stipulée dans le bail.

Sur l’application des dispositions de la loi dite « Pinel » au bail renouvelé

Avant la loi Pinel du 18 juin 2014, la répartition des charges et travaux était librement déterminée par les parties dans le contrat de bail, en ce qu’aucun texte ne prévoyait la façon dont les charges, travaux, impôts, taxes et redevances devaient être répartis entre les parties à un bail commercial. Dans un souci de protection du locataire, la loi Pinel a réglementé le domaine des charges locatives et du coût des travaux. Pour ce faire, elle a inséré un nouvel article L. 145-40-2 dans le code de commerce, lequel est d’ordre public. Selon cet article, « tout contrat de location comporte un inventaire précis et limitatif des catégories de charges, impôt, taxes et redevances liés à ce bail, comportant l’indication de leur répartition entre le bailleur et le locataire ». Le décret d’application du 3 novembre 2014 est venu compléter les dispositions de l’article L. 145-40-2 en créant les articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce, lesquels précisent la liste des charges, travaux, impôts, taxes et redevances qui ne peuvent plus être imputés au locataire.

Mais l’application dans le temps de la loi Pinel a suscité de vives interrogations. En effet, certaines dispositions de cette loi étaient applicables immédiatement au 20 juin 2014, date de son entrée en vigueur (par ex. C. com., art. L. 145-40-1), d’autres sont applicables aux baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 (par ex. C. com., art. L. 145-40-2), d’autres encore ne sont applicables qu’aux baux conclus ou renouvelés à compter de la publication du décret du 3 novembre 2014 au journal officiel, soit le 5 novembre 2014. Les dispositions relatives aux charges, travaux, impôts, taxes et redevances font partie de ces dispositions applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014. Il en résulte dès lors que les baux conclus avant cette date et non encore renouvelés sont soumis à l’ancien régime selon lequel le bailleur est en droit de demander le règlement d’une charge imputable au locataire par une clause expresse du bail commercial.

Dans la mesure où les dispositions de la loi Pinel n’ont pas vocation à s’appliquer aux baux conclus ou renouvelés antérieurement à leur entrée en vigueur, il était important que la Cour de cassation identifie les règles issues du dispositif Pinel sur lesquelles portent le litige afin qu’elle puisse rappeler la date d’entrée en vigueur de ces dispositions et statuer sur la demande du locataire tendant à voir déclarer non écrites les clauses du bail contraires à la loi.

Après avoir identifié que les dispositions contestées étaient celles relatives à la répartition des charges et du coût des travaux, la Cour de cassation a très justement rappelé que les dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce sont applicables aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 5 novembre 2014, et non comme l’a soutenu le locataire aux contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre.

Dans un bail renouvelé, la date à prendre en compte est la date d’effet du bail renouvelé (C. com., art. L. 145-12) et non la date de signature du bail renouvelé (J.-P. Blatter, Persiste et signe, AJDI 2015. 477 image), lequel souvent peut être signé plusieurs mois après la date de renouvellement mais prend effet rétroactivement, ou la date de fixation définitive du loyer comme semblait le soutenir le locataire, dans la mesure où le nouveau loyer fixé par le juge prendra effet, rétroactivement, à la date d’effet du renouvellement du bail (en ce sens, v. C. com., art. L. 145-57).

Dans l’arrêt du 17 juin 2021 rapporté, le bail a été renouvelé à compter du 1er avril 2014, date qui n’a pas été contestée par les parties. La haute juridiction constate dès lors que la date d’effet du contrat renouvelé est antérieure à l’entrée en vigueur des dispositions des articles R. 145-35 à R. 145-37 du code de commerce issues de loi du 18 juin 2014, de sorte que les dispositions créées par la loi Pinel et son décret d’application n’ont pas vocation à s’appliquer, et ce même si une procédure de fixation du montant du loyer renouvelé est en cours. La cour d’appel a donc exactement déduit que la demande tendant à voir déclarer non écrites les clauses de transfert de charges et travaux contraires à l’article L. 145-40-2 du code de commerce doit être rejetée.

Action collective (égale) Invention collective

Quand on parle de trésor, le lecteur est immédiatement transporté dans de grandes aventures et de vives urgences où les protagonistes affrontent mille périls et reviennent couverts d’or après maintes recherches. Se succèdent alors les images de pirates et de corsaires, celles qu’Hergé a croqué dans Le Trésor de Rackham le rouge (Casterman, 1945), de trésors qui permettent de nourrir des vengeances comme dans Le Comte de Monte Cristo, de chasseurs de trésor comme Indiana Jones ou Sydney Fox ou plus près de nous, du mythe du trésor caché de l’abbé Saunière à Rennes-le-Château (Aude). Mais il n’y a pas que la littérature, le cinéma et l’histoire qui ont à connaître de trésors. Le code civil connaît aussi des trésors ! Ainsi, l’article 716, alinéa 2, définit le trésor comme « toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard ». Et le texte, dans son premier alinéa, de prévoir que « la propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds ». Certes, nous sommes loin des belles images d’aventure mais c’est de cette découverte – invention – de trésor dont il est question dans l’affaire soumise à la Cour de cassation.

Dans cette affaire, il est donc question de trésor et plus précisément de détermination de son inventeur. Le 21 juillet 2015, au cours de travaux de rénovation immobilière réalisés par une société de rénovation sur un site appartenant au groupement foncier et rural du domaine de Failly (le propriétaire du site), trente-quatre lingots d’or ont été découverts fortuitement. Une semaine plus tard, un accord intitulé « accord transactionnel » est conclu et organise le partage des trente-quatre lingots entre le propriétaire du site obtenant dix-neuf lingots, messieurs T…, N… et Q…, salariés de la société qui effectuaient les travaux, en qualité de coinventeurs, 30,86 % chacun du prix de vente des quinze autres lingots et messieurs S…, Z… et J… respectivement en leur qualité d’employeur, directeur technique et chef d’équipe, chacun un tiers des 7,41 % restants. Cet accord a fait l’objet d’un enregistrement auprès de l’administration fiscale le 5 août 2015. Le 16 septembre 2015, la vente des lingots intervient pour un montant total, hors commission et droits fixes et de partage, de 1 002 376 €. Tenant compte des termes de l’accord transactionnel, le partage est opéré le 3 novembre 2015. C’est alors que monsieur Q…, invoquant qu’il était le seul coinventeur du trésor avec monsieur T…, conteste l’accord. Monsieur Q… assigne en paiement les cosignataires de l’accord. Il soutient à l’appui de sa demande que l’accord transactionnel ne remplissait pas les conditions de l’article 2044 du code civil et qu’en l’absence de concessions réciproques, l’accord devait être écarté au profit des règles de l’article 716 du code civil. Dans le cadre du litige, monsieur T… a sollicité reconventionnellement la nullité de l’accord et le paiement de différentes sommes en soutenant être le seul inventeur du trésor.

Au fond, deux points posaient problème dans cette affaire du trésor. La première visait l’accord transactionnel conclu entre les différents opérateurs de l’affaire. Cet accord aboutissant à une répartition surprenante au vu de l’article 716 du code civil et dont deux des inventeurs visés par elle ont remis la validité en question, ayant le sentiment d’avoir été abusés. La seconde portait sur la question de déterminer qui, parmi les ouvriers, pouvait prétendre au statut d’inventeur du trésor avec le propriétaire du site. La cour d’appel (Orléans, 1er juill. 2019, n° 17/03292) décide alors de déclarer l’accord transactionnel nul et que le trésor, en vertu de l’article 716 du code civil, serait attribué pour moitié au propriétaire du site et pour moitié à celui des ouvriers qui avait découvert le trésor, à savoir monsieur T… (alias La Pelle). Elle souligne que monsieur T… n’avait fait appel à monsieur Q… (alias La Pioche) que pour l’aider à perforer la dalle et à monsieur N… (alias Le Seau) que pour extraire les gravats. Se focalisant sur l’occulis, et sensible à l’argumentaire de l’avocat de monsieur T…, selon lequel le texte ne prévoit pas la possibilité d’une invention collective, la cour d’appel condamne le propriétaire du site et les autres bénéficiaires du pacte de transaction à restituer des sommes à monsieur T… considéré comme seul coinventeur et bénéficiant de la moitié du prix des lingots. Au vu des sommes en jeu, il n’est pas surprenant que le propriétaire du site comme les autres protagonistes aient formé un pourvoi contre la décision.

C’est à la première chambre civile de la Cour de cassation qu’est donc échue la tâche de trancher les débats, tant sur l’annulation de l’accord transactionnel que sur l’exclusivité de la qualification d’inventeur du trésor au profit de monsieur T…. La haute juridiction accueille partiellement le pourvoi – formé par monsieur Q… – et censure la décision de la cour d’appel mais uniquement sur la question de la pluralité d’inventeurs considérant que les juges du fond avaient retenu à bon droit la nullité de l’accord transactionnel.

La Cour de cassation est alors invitée à se prononcer sur la validité de l’accord transactionnel, en premier lieu. Les requérants (messieurs J…, S…, Z…, le propriétaire du site et monsieur N…) considèrent que la cour d’appel ne pouvait pas relever d’office la nullité de l’accord transactionnel et les condamner à verser différentes sommes à monsieur T…. Pour aboutir à cette solution, la cour d’appel avait considéré que la stipulation contenue dans l’accord transactionnel « selon laquelle celui-ci avait été conclu, “après information complète sur les faits, les lois règlements, et jurisprudence et après discussions et concessions réciproques” », constituait une formulation dont la portée était trop générale, voire inexacte, et ne permettait pas de s’assurer de la qualité du consentement de l’inventeur du trésor (notons qu’en l’espèce, le propriétaire du site, lequel était avocat par ailleurs et qui s’était réservé la moitié du trésor plus deux lingots « pour l’organisation », était l’auteur de l’acte litigieux). Elle avait, en outre, relevé que l’acte que les parties avaient elles-mêmes qualifié d’accord transactionnel ne contenait aucune concession réciproque et que la renonciation au bénéfice des dispositions de l’article 716, alinéa 1er, du code civil par l’inventeur ne semblait pas satisfaire aux exigences d’un consentement libre et éclairé. Face à ces deux points, les requérants considéraient que la cour d’appel avait outrepassé sa mission en relevant d’office la nullité du contrat pour vice du consentement en dehors de toute demande en ce sens et de preuve d’un tel vice. Ils invoquent également que l’exigence de concessions réciproques dans une transaction constituait un élément de qualification et non une condition de sa validité. L’argumentaire pourtant abondant n’emporte pourtant pas l’adhésion de la première chambre civile. Dans sa réponse, la Cour de cassation relève que la cour d’appel avait « énoncé à bon droit, par motifs propres et adoptés, qu’il peut être dérogé par convention aux dispositions de l’article 716 du code civil relatives à la propriété du trésor, mais que la validité d’une transaction est conditionnée par l’existence de concessions réciproques » (§ 7). Elle souligne que les juges du fond avaient mis en évidence que l’accord conclu constituait une transaction et que celle-ci ne contenait pas de concessions réciproques. En effet, l’ouvrier par cet accord a renoncé à une grande partie de la valeur marchande du trésor qu’il avait découvert, et ce sans contrepartie puisque le propriétaire du site se trouvait mieux loti que par le jeu de l’article 716 et les autres parties bénéficiaient d’une part quand elles ne pouvaient prétendre à rien en vertu du texte précité. Aussi, la première chambre civile rejette le pourvoi considérant qu’il ne peut être reconnu à cet accord transactionnel de force obligatoire, conformément à l’article 2052 du code civil. L’accord transactionnel annulé, c’est alors l’article 716 du code civil qui trouve à s’appliquer. Encore faut-il savoir entre quels protagonistes !

C’est donc sur la détermination de l’auteur de l’invention que la Cour de cassation se prononce, en second lieu. Monsieur Q… (alias La Pioche) fait alors grief à la cour d’appel de lui nier sa qualité de coinventeur du trésor avec monsieur T… et donc de le condamner au même titre que les autres à lui reverser les sommes qu’il a perçues à la suite de la vente des lingots. Le requérant souligne que lorsque la découverte du trésor procède directement d’une action collective de plusieurs ouvriers, l’article 716 du code civil permet que chacun d’eux puisse être qualifié d’inventeur. Or la cour d’appel avait pour sa part considéré que « l’article 716 figure dans les dispositions générales du livre III de ce code relatif aux différentes manières dont on acquiert la propriété et que, de la même manière que le [groupement foncier] tient ses droits sur ce bien meuble incorporé au fonds dont il est propriétaire par accession, l’inventeur doit être qualifié de tel lorsqu’il a permis à ce bien d’en être dissocié et par conséquent, rendu visible en donnant naissance, ce faisant, à ce droit d’accession ». Elle avait donc retenu pour identifier l’inventeur du trésor la théorie de l’occulis selon laquelle l’inventeur est celui qui découvre le trésor est « celui qui le premier a fait apparaître le trésor, l’a rendu visible, et non pas nécessairement celui qui, le premier, a vu le trésor ou l’a concrètement appréhendé […]. Pour être inventeur, il n’est donc pas nécessaire d’avoir appréhendé concrètement le trésor, ni même de savoir que l’objet mis au jour en était un » (Rép. civ., v° Trésor, par P. Berchon, nos 68 s.). D’ailleurs, dans une ancienne affaire où les faits étaient assez similaires, un tribunal civil avait refusé la qualité de coinventeurs à des ouvriers qui y prétendaient au motif que les travaux étaient faits en commun (T. civ. Villefranche-sur-Saône, 11 févr. 1954, D. 1954. Somm. 60 ; Gaz. Pal. 1954. 1. 401).

La Cour de cassation opère une lecture différente du texte. La première chambre civile rappelle d’abord que selon l’article 714 du code civil, « le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard et s’il est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds » (§ 11). Mais elle continue en expliquant qu’il résulte de ce texte que « l’inventeur d’un trésor s’entend de celui ou de ceux qui, par le pur effet du hasard, mettent le trésor à découvert en le rendant visible et que, lorsque la découverte du trésor procède directement d’une action de plusieurs personnes, chacune d’elles doit être qualifiée d’inventeur » (§ 12). La haute juridiction met alors en avant que pour retenir que monsieur T… était l’unique inventeur du trésor, alors qu’il avait fait appel à monsieur Q… pour perforer la dalle derrière laquelle se trouvait le trésor, la cour d’appel avait considéré que l’article 716 du code civil excluait la possibilité d’une pluralité d’inventeurs. Cette lecture restrictive de la lettre de l’article 716 conduit alors la première chambre civile à censurer la décision rendue par la cour d’appel pour violation du texte et à renvoyer l’affaire devant une autre cour d’appel. Ainsi, la Cour de cassation nous offre une lecture de l’article 716 du code civil que les auteurs de l’exégèse, tel Demolombe abondamment cité par l’avocat de monsieur T… devant la cour d’appel, n’avaient pas crue possible. Cependant, une telle interprétation nous semble répondre à une certaine idée de la justice. Les opportunistes mis hors-jeu de l’attribution du trésor avec la nullité de l’accord transactionnel, il restait à statuer pour ne pas léser celui des ouvriers qui, par son concours actif et nécessaire, a permis de découvrir le trésor. Si l’union fait la force, l’union fait également la qualité de coinventeurs !

L’étendue des mesures d’instruction préventives et la compétence du juge pour les ordonner

Les mesures d’instruction préventives, ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, continuent de générer un contentieux abondant, comme en témoigne l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 10 juin 2021.

Parce qu’elle se plaignait de faits de concurrence déloyale et de dénigrement sur internet, une société a saisi le président du tribunal de commerce de Lyon afin que celui-ci ordonne des mesures d’instruction qui devaient se dérouler au siège social de diverses sociétés. Mais le requérant n’a pas choisi la simplicité et, plutôt que de rédiger une unique requête visant l’ensemble des sociétés dans les locaux desquelles les mesures d’instruction devaient être exécutées, a déposé pas moins de sept requêtes. Le président du tribunal de commerce a fait droit à ces requêtes en rendant non pas sept mais deux ordonnances aux termes desquelles il a pris le soin de préciser que l’huissier de justice désigné serait constitué séquestre des documents appréhendés et qu’il ne pourrait être mis fin au séquestre qu’après le prononcé d’une décision contradictoire. Les mesures d’instruction ayant été exécutées, a été exercé un référé rétractation qui a été rejeté par le président du tribunal de commerce, puis par la cour d’appel, d’où un pourvoi en cassation qui a soulevé plusieurs difficultés.

La compétence territoriale pour ordonner une mesure d’instruction sur requête

La première difficulté concernait la compétence territoriale du président du tribunal de commerce pour statuer sur l’intégralité des requêtes alors que certaines des sociétés n’étaient pas domiciliées dans le ressort du tribunal auquel il appartenait.

Opportunément, le pourvoi soulignait qu’avaient été introduites plusieurs instances distinctes et autant de procédures, de sorte que la compétence territoriale du juge devait être appréciée au regard de chacune des sociétés visées. Cette analyse pouvait se trouver renforcée par l’article 42 du code de procédure civile : si, en cas de pluralité de défendeurs, le demandeur saisit à son choix la juridiction où demeure l’un d’eux, rien ne paraît lui interdire de morceler le contentieux en introduisant l’instance devant plusieurs juridictions, quitte à ce que les instances ainsi ouvertes soient ultérieurement réunies.

Cette argumentation est cependant écartée par la Cour de cassation qui porte le regard sur le contenu des actes de procédure. Parce qu’il s’agissait de « requêtes identiques », le juge était compétent pour en connaître dès lors que trois conditions étaient réunies : l’une des sociétés visées dans les différentes requêtes devait être domiciliée dans le ressort du tribunal, les mesures sollicitées devaient être destinées à conserver ou à établir la preuve de faits similaires dont aurait pu dépendre la solution d’un même litige et la juridiction à laquelle appartenait le juge devait être susceptible de connaître l’instance au fond.

Que la Cour de cassation ait exigé que les mesures d’instruction soient destinées à établir la preuve de faits similaires dont aurait pu dépendre la solution d’un même litige paraît parfaitement fondé. Il s’agit de vérifier l’existence d’un lien entre les mesures d’instruction ou leur « connexité » pour reprendre le terme employé dans un précédent arrêt (Civ. 2e, 5 mai 2011, n° 10-20.435, Bull. civ. II, n° 104 ; Dalloz actualité, 8 juin 2011, obs. C. Tahri ; ).

En revanche, qu’il soit nécessaire que l’une des sociétés soit domiciliée dans le ressort du tribunal auquel appartient le juge des requêtes saisi et que ce tribunal soit susceptible de connaître du fond du litige soulève davantage de difficultés. Certes, dans un arrêt, la Cour de cassation avait déjà pu juger que « le président d’un tribunal de commerce saisi, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de requêtes tendant à ce que soient ordonnées des mesures devant être exécutées dans le ressort de plusieurs tribunaux, n’est compétent pour ordonner les mesures sollicitées qu’à la double condition que l’une d’entre elles doive être exécutée dans le ressort de ce tribunal et que celui-ci soit compétent pour connaître de l’éventuelle instance au fond » (Com. 14 févr. 2012, n° 10-25.665 NP ; v. impl. Civ. 2e, 5 mai 2011, n° 10-20.435, préc. ; 30 avr. 2009, n° 08-15.421, Bull. civ. II, n° 105 ; D. 2009. 2321 image, note S. Pierre-Maurice image ; ibid. 2714, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur image). Mais des arrêts plus récents avaient laissé entendre que ces conditions n’étaient pas cumulatives, mais bien alternatives, de sorte que « le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur le troisième de ces textes est le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées » (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-14.849 P, D. 2020. 2122 image ; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. O. Cousin, F. Kieffer et Rudy Laher image ; 2 juill. 2020, n° 19-21.012 P, Dalloz actualité, 15 sept. 2020, obs. M. Kebir ; D. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; Com. 13 sept. 2017, n° 16-12.196, Bull. civ. IV, n° 113 ; Dalloz actualité, 20 sept. 2017, obs. L. Dargent ; D. 2017. 1767 image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; AJ contrat 2017. 540, obs. E. Duminy image ; Rev. sociétés 2018. 19, note J. Heinich image ; Civ. 2e, 15 oct. 2015, nos 14-17.564 et 14-25.654, Bull. civ. II, n° 233 ; Dalloz actualité, 30 oct. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 2133 image ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero image ; ibid. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati image ; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image). Cette dernière solution était d’ailleurs pleinement justifiée : lorsque les mesures ne doivent pas être exécutées au lieu où demeure le défendeur potentiel (par exemple chez un tiers), il est possible que le juge appartenant au tribunal appelé à connaître du fond ne soit pas le même que celui attaché au tribunal dans le ressort duquel les mesures doivent être exécutées.

L’arrêt commenté semble donc opérer une volte-face ! Pour éviter d’y voir la source d’une nouvelle querelle quant à la compétence territoriale du juge en matière de requêtes, il est tentant de s’attacher à la circonstance particulière qu’avaient été déposées plusieurs « requêtes identiques » visant plusieurs sociétés qui n’étaient pas domiciliées dans le ressort du même tribunal. À dire vrai, cela n’aurait pourtant rien dû changer à l’affaire. Car le seul constat que le tribunal fût susceptible de connaître du fond du litige aurait dû permettre au juge de statuer sur l’ensemble des requêtes. L’arrêt commenté est donc la source de nouvelles incertitudes.

L’étendue des mesures pouvant être ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile

La seconde question portait sur l’étendue des mesures qui peuvent être ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Chacun sait que l’article 145 du code de procédure civile est un peu elliptique : il se borne à souligner que le juge ne peut ordonner que les mesures d’instruction « légalement admissibles » sans davantage en circonscrire l’étendue.

La Cour de cassation dans le présent arrêt rappelle que l’étendue des mesures d’instruction est enfermée entre deux bornes. En premier lieu, parce que les mesures d’instruction ne doivent pas tourner à la « perquisition » (R. Perrot, obs. ss Civ. 2e, 16 mai 2012, RTD civ. 2012. 769 image), les seules mesures légalement admissibles sont celles qui sont « circonscrites dans le temps et dans leur objet ». Cela n’a rien d’une nouveauté (Civ. 2e, 21 mars 2019, n° 18-14.705 NP, D. 2019. 2374, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra (CDEDEA n° 4216) image ; 11 mai 2017, n° 16-16.966 NP ; 6 janv. 2011, n° 09-72.841 NP). Cela étant dit, il ne faut pas croire qu’il suffit que les mesures d’instruction soient circonscrites pour être légalement admissibles ; encore faut-il qu’elles le soient « suffisamment ». En second lieu, les mesures d’instruction ordonnées doivent être « proportionnées à l’objectif poursuivi » (v. déjà Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-14.309 P, Dalloz actualité, 14 avr. 2021, obs. T. Goujon-Bethan ; ).

Ces deux bornes étant fixées, la Cour de cassation en déduit la conduite que doit tenir le juge : il lui appartient de « vérifier si la mesure ordonnée était nécessaire à l’exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence » (v. déjà Civ. 2e, 25 mars 2021, préc.). En somme, le temps et l’objet de la mesure doivent être appréciés au regard de la nécessité de ne pas porter une atteinte excessive aux droits d’autrui.

Dans la présente affaire, la cour d’appel avait bien relevé que les mesures d’instruction ne ciblaient ni des documents personnels ni des documents couverts par un secret d’ordre professionnel ou médical et que les fichiers qui devaient être appréhendés étaient identifiés au moyen de mots-clés. Ce faisant, les mesures d’instruction étaient effectivement circonscrites. Cependant, et c’est ce qui est relevé par la Cour de cassation, les mots-clés étaient constitués de « termes génériques » ainsi que des prénoms, noms et appellations des personnes contre lesquelles les mesures d’instruction avaient été sollicitées. Il était donc à craindre que l’exécution des mesures conduise à appréhender bien d’autres fichiers que ceux nécessaires à la preuve des faits de concurrence déloyale et de dénigrement et, plus particulièrement, des documents couverts par le secret des affaires. C’est la raison pour laquelle la Cour de cassation censure l’arrêt pour défaut de base légale : la cour d’appel aurait dû rechercher si les mesures d’instruction étaient « suffisamment » circonscrites et si « l’atteinte portée au secret des affaires était limitée aux nécessités de la recherche des preuves en lien avec le litige et n’était pas disproportionnée au regard du but poursuivi ».

La cour d’appel de renvoi devra rechercher si des mesures d’instruction dont l’objet aurait été davantage restreint et le temps plus limité n’auraient pas été suffisantes pour assurer l’exercice du droit à la preuve. Deux éléments plaident en faveur d’une réponse affirmative. D’une part, les mesures ne paraissaient pas cibler les seuls documents établis concomitamment aux faits de dénigrement ou de concurrence déloyale. D’autre part, les mots-clés utilisés étaient « génériques » (Google, accord, entente, salarié, avis, Linkedin) : peut-être que l’ajout du nom de la société victime des faits de dénigrement et de concurrence déloyale aurait permis de circonscrire davantage la mesure sans lui faire perdre toute son efficacité. En revanche, il faut noter que l’huissier devait demeurer séquestre des documents saisis jusqu’à ce qu’intervienne une décision de justice contradictoire. Cela n’est pas très différent du mécanisme de placement sous séquestre provisoire institué par le décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018 (qui n’était pas encore entré en vigueur dans la présente affaire). De la sorte, il est permis de se demander si la mission de l’huissier de justice n’était pas d’opérer un premier tri avant qu’il soit discuté des éléments devant effectivement être remis à la société requérante, ce qui tempérait l’atteinte au secret des affaires et, plus largement, aux droits des sociétés visées par les requêtes (rappr. Com. 17 janv. 2018, n° 15-29.114 NP).

La conciliation du droit à la preuve et du secret des affaires

Dans quelle mesure le droit à la preuve, qui est exercé au travers des mesures d’instruction ordonnées sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, peut-il porter atteinte au secret des affaires ?

Cette dernière question n’appelle pas de réponse tranchée. Certes, il est acquis que le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle au prononcé d’une mesure d’instruction préventive (Com. 18 oct. 2017, nos 16-15.891 et 16-15.903 NP ; Civ. 2e, 23 juin 2016, n° 15-19.671, Bull. civ. II, n° 170 ; Dalloz actualité, 8 juill. 2016, obs. M. Kebir ; RTD civ. 2017. 482, obs. N. Cayrol image ; ibid. 487, obs. N. Cayrol image ; Com. 19 mars 2013, n° 12-13.880 NP ; Civ. 2e, 7 janv. 1999, n° 95-21.934, Bull. civ. II, n° 4 ; D. 1999. 34 image), à l’instar du respect de la vie personnelle (Soc. 7 déc. 2016, n° 14-28.391 ; 19 déc. 2012, n° 10-20.526 et 10-20.528, Bull. civ. V, n° 341 ; Dalloz actualité, 18 janv. 2013, obs. M. Peyronnet ; D. 2013. 92 image ; ibid. 1026, obs. P. Lokiec et J. Porta image ; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon image ; 23 mai 2017, n° 05-17.818, Bull. civ. V, n° 84 ; D. 2007. 1590 image, obs. A. Fabre image ; Dr. soc. 2007. 951, chron. J.-E. Ray image ; RTD civ. 2007. 637, obs. R. Perrot image) ; il en découle que le juge ne saurait rejeter la demande de mesure d’instruction en se bornant à constater qu’elle se heurte au secret des affaires.

Pour autant, le droit à la preuve n’accorde pas un blanc-seing à celui qui prétend l’exercer. La Cour européenne des droits de l’homme a esquissé les principes applicables en la matière lorsqu’il a été argué devant elle qu’un juge s’était fondé sur des éléments portant atteinte à la vie privée. Et elle a raisonné en s’appuyant sur la lettre de l’article 8, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme dont chacun sait qu’elle autorise des ingérences dans le droit dû au respect de la vie privée : elle a ainsi jugé que l’exercice du droit à la preuve, en ce qu’il tend à la protection des droits et libertés d’autrui, poursuit un but légitime permettant de porter atteinte au respect dû à la vie privée ; mais encore faut-il que l’atteinte qui en résulte soit proportionnée au but poursuivi et, partant, nécessaire (CEDH 10 oct. 2006, L.L. c. France, req. n° 7508/02, § 46, D. 2006. 2692 image ; RTD civ. 2007. 95, obs. J. Hauser image).

C’est une méthode analogue qu’utilise la Cour de cassation pour concilier le droit à la preuve avec un certain nombre de droits au secret (Civ. 2e, 25 mars 2021, n° 20-14.309, préc. ; Com. 15 mai 2019, n° 18-10.491 P, Dalloz actualité, 17 juin 2019, obs. M. Kebir ; D. 2019. 1595 image, note H. Michelin-Brachet image ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; ibid. 2020. 170, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; Soc. 16 nov. 2016, n° 15-17.163 NP ; Civ. 1re, 25 févr. 2016, n° 15-12.403, Bull. civ. I, n° 48 ; Dalloz actualité, 14 mars 2016, obs. N. Kilgus ; D. 2016. 884 image, note J.-C. Saint-Pau image ; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès image ; AJ pénal 2016. 326, obs. D. Aubert image ; RTD civ. 2016. 320, obs. J. Hauser image ; ibid. 371, obs. H. Barbier image). Dans l’arrêt commenté, elle en fait application pour concilier le droit à la preuve et le secret des affaires : « si le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile, c’est à la condition que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime, sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées, et ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi ». Sur ce point encore, l’arrêt rendu par la cour d’appel est censuré pour défaut de base légale. Certes, elle avait bien affirmé qu’il n’y avait aucune atteinte disproportionnée au secret des affaires ; mais elle ne l’avait pas véritablement justifié, sinon en soulignant que les documents couverts par le secret professionnel n’étaient pas visés par la mesure d’instruction ! C’était trop peu et une recherche plus approfondie s’imposait.

Le projet de loi Bioéthique achève péniblement son parcours

Faute d’avancée possible avec l’Assemblée, le Sénat a même adopté une question préalable pour la dernière lecture du projet de loi de bioéthique, ce qui revient à rejeter le texte en abrégeant les débats. La clause de revoyure n’a pas échappé aux dissensions. Depuis 2004, les lois bioéthiques sont révisées tous les sept ans.

Durant les débats, la clause a été ramenée à cinq ans avant de repasser à… sept ans. La mesure phare du texte, la procréation médicalement assistée (PMA) pour toutes les femmes, a éclipsé le reste du texte. Les sénateurs s’y sont eux-mêmes perdus. Alors qu’en premier lecture, ils avaient adopté la PMA pour toutes mais en limitant son remboursement par la sécurité sociale aux seuls cas d’infertilité. En seconde lecture, après des tensions autour de la PMA post-mortem, ils ont finalement rejeté...

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Règlement Bruxelles I [I]bis[/I] : matière civile et litige transfrontière

Une ressortissante bulgare domiciliée à Sofia fournit, en qualité de prestataire, des services liés à l’activité, en Espagne, du consulat général de Bulgarie à Valence, les prestations concernant la réception de documents dans des dossiers ouverts au consulat par des ressortissants bulgares ainsi que la gestion de ces dossiers.

Elle saisit une juridiction bulgare en vue d’obtenir la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail, en application du droit bulgare.

La compétence de cette juridiction est toutefois contestée. La Cour de justice est alors saisie d’une question préjudicielle relative à la mise en œuvre du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Cette question comporte deux aspects.

En premier lieu, elle conduit à déterminer si le règlement est bien applicable, alors qu’il s’applique en matière civile et commerciale et non aux actes commis dans l’exercice de la puissance publique (art. 1)....

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Retour sur le caractère effectif, proportionné et dissuasif des sanctions en matière de crédit à la consommation

On connaît le célèbre triptyque auquel doivent bien souvent satisfaire les sanctions du droit de la consommation au regard de l’Union européenne : celles-ci doivent être effectives, proportionnées et dissuasives (v. à ce sujet, M. Leroux-Campello et C. Dubois in D. Fenouillet [dir.], Droit de la consommation. Droit interne et européen, Dalloz Action, 2020, n° 423.264). Le droit du crédit à la consommation n’échappe pas à cette exigence, l’article 23 de la directive 2008/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2008 concernant les contrats de crédit aux consommateurs prévoyant à cet égard que « Les États membres définissent le régime de sanctions applicables en cas de violation des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive, et prennent toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte qu’elles soient appliquées. Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives ». Mais l’appréciation de ce triple caractère doit-elle être faite à la lumière de la disposition spécifiquement adoptée afin de transposer cette directive ou faut-il prendre en considération l’ensemble des sanctions du droit national ? C’est à cette question qu’a répondu la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt du 10 juin 2021 (CJUE 10 juin 2021, aff. C‑303/20, JCP 2021. 689, obs. D. Berlin).

Dans le cadre d’un litige relatif à un crédit à la consommation souscrit en Pologne, l’emprunteur reprochait au professionnel de ne pas avoir, avant la conclusion du contrat, vérifié sa situation patrimoniale, dans la mesure où, au cours de l’entretien préalable à la conclusion dudit contrat, aucune question n’avait été posée au sujet de cette situation, pas plus qu’en ce qui concerne le montant des revenus et des dettes de son ménage. Le tribunal d’arrondissement d’Opatów, en Pologne, a considéré que le droit polonais en vigueur ne garantissait pas le respect...

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L’assureur, le procès et le principe de la contradiction

« Le principe du contradictoire est l’âme du procès au point qu’il est dit de droit processuel. Il est, par essence, commun à toutes les procédures » (L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani-Mekki, Théorie du procès, 2e éd., PUF, 2013, n° 173). Ce principe ne s’impose pas qu’aux relations entre les parties au procès. Comme le rappelle l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 17 juin 2021 (n° 19-22.710), il s’applique également au juge lorsqu’il entend relever d’office un moyen de droit (J. Landel, Le non-respect du principe de contradiction : encore un arrêt sanctionné, Éd. législatives, 18 juin 2021).

En l’espèce, des époux s’absentent de leur domicile du 14 au 16 février 2015. Profitant de leur absence, des cambrioleurs visitent leur maison d’habitation et forcent leur coffre-fort. Le couple avait souscrit un contrat d’assurance contre le vol auprès de la compagnie Groupama (ci-après l’assureur). Cette dernière refuse cependant de prendre en charge le sinistre. Elle considère que les assurés n’avaient pas mis en œuvre les moyens de protection prescrits en cas d’absence de plus de 24 heures : les volets et persiennes n’avaient pas été fermés, facilitant ainsi l’entrée des voleurs, lesquels avaient pu se contenter de briser la porte-fenêtre du premier étage (sur la distinction des clauses de condition de garantie et d’exclusion de garantie, v. A. Cayol, Le principe de détermination conventionnelle des garanties, in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 118).

Les époux assignent donc l’assureur en réparation de leurs préjudices. Par un arrêt du 3 juillet 2019, la cour d’appel de Rennes le condamne à prendre en charge, dans le cadre de sa garantie vol, le préjudice subi par les époux (Rennes, 3 juill. 2019), aux motifs que les conditions générales de la police d’assurance précisaient que « ne sont pas garantis les vols ou détériorations survenus alors que les mesures de prévention n’ont pas été observées, sauf en cas de force majeure ou si le non-respect de ces mesures n’a pu avoir d’incidence sur la réalisation des dommages ». Or, les juges du fond retiennent que, « au regard de la détermination du ou des auteurs du cambriolage, caractérisée par le mode opératoire, dont le forcement du...

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Ordonnances sur requête et nécessité de déroger au principe du contradictoire

Comment celui qui sollicite du juge que soit ordonnée une mesure sur requête doit-il caractériser la nécessité de déroger au principe de la contradiction ? L’arrêt rendu le 10 juin 2021 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation apporte quelques éléments de réponse à cette question devenue classique.

Deux époux s’étaient engagés, aux termes d’un protocole d’accord transactionnel, à verser une certaine somme à une société. Suspectant ses débiteurs d’organiser frauduleusement leur insolvabilité pour échapper au paiement de la dette, la société créancière a saisi le président du tribunal judiciaire afin qu’il ordonne une mesure d’investigation. Le président du tribunal judiciaire a fait droit à cette demande et a ensuite rejeté la demande de rétractation formée par les débiteurs. La cour d’appel a cependant infirmé l’ordonnance du président du tribunal judiciaire : constatant que la société créancière avait déjà recueilli un certain nombre de documents relatifs notamment aux liens entre une société et les opérations réalisées par les époux débiteurs, elle a estimé qu’elle ne parvenait pas à démontrer qu’il y avait lieu d’ordonner une mesure d’instruction sans appeler les parties adverses.

L’arrêt a été censuré par la Cour de cassation au double visa des articles 145 et 493 du code de procédure civile au motif que « [la société créancière] avait exposé de façon détaillée dans sa requête un contexte laissant craindre une intention frauduleuse de la part [des époux débiteurs] afin d’organiser leur insolvabilité en fraude aux droits de leurs créancier, qui ne pouvait ressortir des seuls éléments déjà recueillis auprès de sources légales, et que le risque de dissimulation des preuves recherchées et la nécessité de ménager un effet de surprise étaient motivés par référence à ce contexte ».

Chacun sait qu’il ne faut pas se laisser abuser par les termes de l’article 145 du code de procédure civile lorsqu’il prévoit que « s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures...

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Contestations relatives à la composition d’une chambre de cour d’appel

Deux avocats ayant un différend concernant une rétrocession d’honoraires saisirent le bâtonnier du barreau auprès duquel ils étaient inscrits (Décr. n° 91-1197 du 27 nov. 1991 organisant la profession d’avocat, art. 179-1). Un appel fut ensuite formé par l’un d’eux contre la décision du bâtonnier (Décr. n° 91-1197, art. 152 et 179-6) puis un pourvoi en cassation.

Deux critiques, peu banales, furent alors soulevées au regard de la composition de la chambre de la cour d’appel ayant statué.

1° En premier lieu, le demandeur au pourvoi fit valoir que la décision avait été rendue par une chambre de la cour d’appel mais que la formation comportait deux magistrats appartenant à une autre chambre, dont la présidente, alors que les parties n’avaient pas été informées de l’empêchement du président de la première chambre et qu’il n’avait pas été justifié de la régularité de son remplacement.

La branche du moyen est sèchement écartée, au motif que « l’affaire pouvait être délibérée par (cette présidente) sans qu’il soit nécessaire de justifier des raisons pour lesquelles elle faisait partie de la composition en remplacement d’un autre magistrat ».

L’arrêt du 10 juin 2021 s’explique aisément, au regard des dispositions du code de l’organisation judiciaire. L’article L. 121-3 dispose que le premier président de la cour d’appel répartit les juges dans les différents pôles, chambres et services de la juridiction. Selon l’article R. 121-1, cette répartition s’effectue par ordonnance, qui peut être modifiée en cours d’année, pour prendre en compte un changement dans la composition de la juridiction ou pour prévoir un service allégé pendant la période au cours de laquelle les magistrats, les fonctionnaires et les auxiliaires de justice bénéficient de leurs congés annuels. Enfin, l’article R. 312-3 ajoute que les présidents de chambre sont, en cas d’absence ou d’empêchement, remplacés pour le service de l’audience par un magistrat du siège désigné conformément à l’article L. 121-3 ou, à défaut, par le magistrat du siège présent dont le rang est le plus élevé. En cas d’absence ou d’empêchement d’un conseiller, celui-ci est remplacé par un autre conseiller de la cour.

Il ne résulte pas en effet de ces dispositions qu’il soit nécessaire d’informer les parties des empêchements des magistrats ni des conditions des remplacements des magistrats absents, et ce d’autant plus que l’ordonnance dite de roulement, prise en application de l’article L. 121-3, prévoit habituellement, de manière générale, qu’un magistrat absent ou empêché peut être remplacé par tout magistrat du siège de la cour considérée.

2° En second lieu, le demandeur au pourvoi souleva une autre critique, liée au fait que l’audience avait été tenue, selon l’expression habituelle, à juge rapporteur. On sait en effet que l’article 945-1 du code de procédure civile dispose que « le magistrat chargé d’instruire l’affaire peut, si les parties ne s’y opposent pas, tenir seul l’audience pour entendre les plaidoiries » et qu’« il en rend compte à la cour dans son délibéré ».

Cet article 945-1 est d’application habituelle. Cependant, sa mise en œuvre était ici à l’origine d’une difficulté car si les parties avaient eu connaissance avant l’audience du nom du juge rapporteur, elles n’avaient connu les noms des deux autres magistrats que postérieurement à l’ouverture des débats. Or, cette connaissance différée des noms des magistrats composant la formation était, selon le moyen, problématique car elle n’aurait pas permis d’exercer, le cas échéant, le droit de récusation en temps utile.

Ce moyen est toutefois rejeté en application de l’article 430 du code de procédure civile qui retient que la juridiction est composée, à peine de nullité, conformément aux règles relatives à l’organisation judiciaire (al. 1) et que les contestations afférentes à sa régularité doivent être présentées, à peine d’irrecevabilité, dès l’ouverture des débats ou dès la révélation de l’irrégularité si celle-ci survient postérieurement, faute de quoi aucune nullité ne pourra être ultérieurement prononcée de ce chef, même d’office (al. 2). Il résulte en effet de ces dispositions que si une partie représentée à l’audience a eu connaissance de la composition de la formation de la cour d’appel dès l’ouverture des débats, elle doit la contester devant les juges du fond (par ex. Com. 27 sept. 2017, n° 15-27.369 ; v., sur l’ensemble de la question, N. Fricero, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action 2021/2022, n° 511.53). En revanche, les contestations demeurent possibles devant la Cour de cassation si la révélation de l’irrégularité a été tardive (par ex. Civ. 2e, 4 janv. 1984, n° 82-12.435, Gaz. Pal. 1984. 1. Pan. 156, obs. S. Guinchard, à propos d’une décision d’appel rendue par une formation composée de deux magistrats, en violation de la règle de l’imparité). C’est que ce qui conduit l’arrêt du 10 juin 2021 à énoncer que « la partie dont l’affaire est examinée par un juge rapporteur et qui n’a pas été mise en mesure de connaître la composition de la juridiction appelée à statuer, au plus tard au moment de l’ouverture des débats, peut (…) invoquer devant la Cour de cassation le défaut d’impartialité des magistrats autres que le rapporteur ». Encore faut-il évidemment que la contestation soit fondée, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque le demandeur au pourvoi faisait état d’une atteinte à l’impartialité sans l’établir.

De l’importance du dispositif

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 10 juin 2021 permet de rappeler l’importance du dispositif. Cela est vrai, comme nous allons le voir, tant pour la rédaction du dispositif des arrêts d’appel – les juges du fond devant se garder de faire l’économie d’un dispositif précis et détaillé – que pour la compréhension de l’étendue des arrêts de cassation.

Les faits à l’origine de l’affaire sont les suivants. En 1986, une femme a été victime d’un accident de la circulation. L’assureur du véhicule impliqué a indemnisé ses préjudices en vertu d’une transaction conclue en 1992. Malheureusement, la victime a subi, en 2006, des complications cardiaques entraînant une dégradation de sa santé. Attribuant l’aggravation de son état physique à son accident, elle a alors décidé d’assigner l’assureur en indemnisation de ce préjudice.

La cour d’appel de Grenoble, par un arrêt du 13 septembre 2016, a indemnisé la perte des gains professionnels futurs de la victime sur la base d’une rente viagère tout en lui accordant également une somme au titre de l’indemnisation du préjudice d’incidence professionnelle.

Sur pourvoi formé par la société d’assurance, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a, le 13 septembre 2018 (n° 17-26.011, Dalloz actualité, 27 sept. 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1807 image ; ibid. 2153, obs. M. Bacache, A. Guégan et S. Porchy-Simon image ; RTD civ. 2019. 114, obs. P. Jourdain image), cassé et annulé partiellement l’arrêt rendu par les juges du fond sur le fondement du principe de la réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. En effet, le cumul de l’indemnisation de la perte de gains professionnels futurs et de l’incidence professionnelle peut entraîner une double indemnisation notamment lorsque la victime ne...

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Affaire des prêts libellés en francs suisses et prescription

On connaît la célèbre affaire des prêts libellés en francs suisses (Helvet immo), à propos de laquelle la Cour de justice de l’Union européenne a été saisie et a rendu une solution favorable aux consommateurs (v. CJUE 10 juin 2021, aff. C-609/19, Dalloz actualité, 25 juin 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 1181 image ; JCP 2021. 689, obs. D. Berlin ; LEDC juill. 2021, n° 200f2, p. 1, obs. G. Cattalano : « L’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses »). Dans un arrêt du même jour (CJUE 10 juin 2021, aff. C-776/19 à C-782/19, D. 2021. 1181 image ; JCP 2021. 689, obs. D. Berlin ; LEDC juill. 2021, n° 200f2, p. 1, obs. G. Cattalano), la Cour de Luxembourg, tout en adoptant la même solution, nous livre également d’utiles précisions en ce qui concerne la prescription. Il lui était demandé de se prononcer sur le point de savoir si la directive 93/13, lue à la lumière du principe d’effectivité, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur ou aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de cette directive, à un délai de prescription de cinq ans qui commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt. À cette double question, les juges européens apportent une réponse très favorable aux consommateurs : « L’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur :

– aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription ;

– aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l’ensemble de ses droits découlant de cette directive. »

L’intérêt de cette solution est double : en premier lieu, elle permet de prendre conscience que l’action en constatation du caractère abusif d’une clause n’obéit à aucun délai de prescription (v. déjà CJUE 9 juill. 2020, aff. C-698/18 et C-699/18, Dalloz actualité, 3 sept. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 1456 image ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJ contrat 2020. 449, obs. V. Legrand image). À cet égard, le droit français est fondamentalement conforme à la jurisprudence européenne, la première chambre civile de la Cour de cassation ayant jugé que « c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses ne s’analysait pas en une demande en nullité, de sorte qu’elle n’était pas soumise à la prescription quinquennale » (Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 17-23.169, Dalloz actualité, 1er avr. 2019, obs. J.-D. Pellier ; D. 2019. 1033 image, note A. Etienney-de Sainte Marie image ; ibid. 1784, chron. S. Vitse, S. Canas, C. Dazzan-Barel, V. Le Gall, I. Kloda, C. Azar, S. Gargoullaud, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry image ; ibid. 2009, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; ibid. 2020. 353, obs. M. Mekki image ; ibid. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; RTD civ. 2019. 334, obs. H. Barbier image ; RTD com. 2019. 463, obs. D. Legeais image ; ibid. 465, obs. D. Legeais image ; RTD eur. 2020. 768, obs. A. Jeauneau image ; v. égal. Com. 8 avr. 2021, n° 19-17.997, pt 27 : « La demande tendant à voir une clause abusive réputée non écrite, qui ne s’analyse pas en une demande d’annulation, n’est pas soumise à la prescription. » ; comp. Civ. 3e, 4 févr. 2016, n° 14-29.347, ayant considéré qu’une cour d’appel avait retenu à bon droit qu’une clause abusive « devait être déclarée nulle et de nul effet », Dalloz actualité, 14 févr. 2016, obs. F. Garcia ; D. 2016. 639 image, note C.-M. Péglion-Zika image ; ibid. 2017. 375, obs. M. Mekki image ; ibid. 539, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJDI 2016. 623 image, obs. F. Cohet image ; RDI 2016. 290, obs. B. Boubli image ; AJCA 2016. 200, obs. S. Carval image). Se trouve ainsi reconnue la spécificité du réputé non écrit, conformément aux vœux d’une éminente doctrine (S. Gaudemet, La clause réputée non écrite, préf. Y. Lequette, Economica, 2006 ; J. Kullmann, Remarques sur les clauses réputées non écrites, D. 1993. 59 image ; comp. H. Barbier, L’action en réputé non écrit est-elle imprescriptible ?, RTD civ. 2019. 334 image). On observera toutefois qu’il serait préférable de raisonner en termes de nullité, car le réputé non écrit présuppose qu’une action en justice n’est pas une nécessité (même si la considération est quelque peu théorique). Or il est délicat de se passer d’une appréciation judiciaire en matière de clauses abusives, du moins pour les clauses ne figurant pas sur la liste noire prévue par l’article R. 212-1 du code de la consommation (v. à ce sujet C.-L. Péglion-Zika, La notion de clause abusive. Étude de droit de la consommation, préf. L. Leveneur, 2018, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », nos 339 s.). C’est donc seulement en présence d’une telle clause qu’il est possible d’évincer l’appréciation du juge (v., en ce sens, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, n° 112). Une action en nullité devrait donc être nécessaire (celle-ci est d’ailleurs incontournable dans le cadre d’une action collective, v. C. consom., art. L. 621-8). Mais il conviendrait de la déclarer imprescriptible en matière de clauses abusives afin de se conformer au droit de l’Union européenne (comme c’est le cas, par exemple, le droit roumain, v. CJUE 9 juill. 2020, aff. C-698/18 et C-699/18, Dalloz actualité, 3 sept. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 1456 image ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJ contrat 2020. 449, obs. V. Legrand image).

En second lieu, si la demande tendant à la constatation du caractère abusif d’une clause n’est pas soumise à une quelconque prescription, il n’en va pas de même de l’action en restitution des sommes versées en exécution d’une telle clause. Mais il est alors nécessaire de consacrer un point de départ suffisamment protecteur des intérêts du consommateur, ce qui suppose qu’il ne soit pas fixé à la date de l’acceptation de l’offre de prêt (v. déjà CJUE 9 juill. 2020, aff. C-698/18 et C-699/18, D. 2020. 1456 image ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; AJ contrat 2020. 449, obs. V. Legrand image). À cet égard, le droit français pourrait ne pas être en accord avec cette solution dans la mesure où l’article 2224 du Code civil prévoit que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ». Il ne faudrait pas qu’un juge considère que le consommateur aurait dû connaître le caractère abusif de la clause dès la conclusion du contrat…

Les indemnités de licenciement sont des substituts de salaires qui entrent en communauté

La règle, ici rappelée au visa des articles 1401 et 1404, alinéa 1er, du code civil, est désormais bien établie : « il résulte de ces textes que les indemnités allouées à un époux entrent en communauté, à l’exception de celles qui sont exclusivement attachées à la personne du créancier ».

La solution est aisée à comprendre : sous le régime de la communauté légale, les gains et salaires sont réputés communs, et ce dès leur origine (Civ. 1re, 8 févr. 1978, n° 75-15.731, Guichaux, D. 1978. 238, obs. D. Martin ; RTD civ. 1979. 592, obs. R. Nerson et J. Rubellin-Devichi ; JCP N 1981. II. 114, obs. H. Thuillier ; Defrénois 1978. 879, obs. G. Champenois). Ce qui, sans confondre règles de « qualification » et règles de « pouvoir », n’empêche pas que chaque époux en ait la libre disposition (C. civ., art. 223) ; du moins jusqu’à ce que ces gains et salaires se transforment en économies soumises à la cogestion (Civ. 1re, 20 nov. 2019, n° 16-15.867, D. 2019. 2246 image ; ibid. 2020. 1205, obs. M. Bacache, D. Noguéro et P. Pierre image ; ibid. 2206, obs. S. Godechot-Patris et C. Grare-Didier image ; AJ fam. 2020. 193, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2020. 173, obs. M. Nicod image ; JCP 2020. Doctr. 11, obs. N. Peterka ; JCP N 2020, n° 7-8, 1054, obs. C. Hélaine ; Dr. fam. 2020. Comm. 27, obs. A. Tani. Déjà, Civ. 1re, 29 févr. 1984, n° 82-15.712, JCP 1985. II. 20443, obs. R. Le Guidec ; D. 1984. 601, obs. D. Martin ; Defrénois 1984. 1074, obs. G. Champenois ; RTD civ. 1985. 721, obs. J. Rubellin-Devichi).

Puisque les gains et salaires sont communs, toutes les sommes qui constituent des substituts à ces salaires, traitements ou toutes formes de revenus sont, elles aussi, communes ; par application d’un mécanisme subrogatoire (F. Terré et P. Simler, Régimes matrimoniaux et statut patrimonial des couples non mariés, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2019, spéc. n° 280). Tel est le cas des indemnités allouées au titre d’une assurance perte d’emploi (Civ. 1re, 3 févr. 2010, n° 08-21.054, D. 2010. 504 image ; ibid. 2392, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2010. 139, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2010. 611, obs. B. Vareille image ; ibid. 612, obs. B. Vareille image ; Dr. fam. 2010. Comm. 43, obs. B. Beignier), d’une prestation versée au titre d’une prévoyance retraite obligatoire (Civ. 1re, 3 mars 2010, n° 08-15.832, D. 2010. 766 image ; ibid. 2392, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2010. 241, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2010. 806, obs. B. Vareille image ; JCP 2010. 487, obs. A. Tisserand-Martin), d’une indemnité octroyée pour rupture d’un CDD (Paris, 17 sept. 1998, JCP 1999. II. 10031, obs. M.-C. Psaume), des sommes perçues en réparation d’une incapacité temporaire ou permanente de travail (Civ. 1re, 5 avr. 2005, n° 02-13.402, D. 2005. 1247 image ; ibid. 2114, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2005. 279, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2005. 819, obs. B. Vareille image ; JCP 2005. 163, obs. P. Simler ; Defrénois 2005. 1517, obs. G. Champenois ; 23 oct. 1990, n° 89-14.448, JCP N 1991. II. 61, obs. P. Simler ; Agen, 22 févr. 1994, JCP 1995. I. 3821, obs. P. Simler) ou encore de celles perçues en compensation d’une baisse des commissionnements (Civ. 1re, 17 avr. 2019, n° 18-15.486, D. 2019. 1695 image, note B. Chaffois image ; ibid. 2020. 901, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau image ; AJ fam. 2019. 347, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2019. 643, obs. M. Nicod image ; Dr. fam. 2019. Comm. 128, obs. S. Torricelli-Chrifi)…

En revanche, demeurent propres les indemnités exclusivement attachées à la personne de l’époux qui en est créancier. Il en va ainsi des dommages-intérêts alloués en réparation d’un préjudice corporel ou moral (Civ. 1re, 12 mai 1981, n° 80-10.125, Defrénois 1981. 1314, obs. G. Champenois ; 28 févr. 2006, n° 03-11.767, D. 2006. 882 image ; ibid. 2066, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2006. 293, obs. P. Hilt image ; RTD civ. 2006. 364, obs. B. Vareille image, P. Hilt ; LPA 9 oct. 2006, obs. G. Yildirim) ou des indemnités d’assurance réparant une atteinte à l’intégrité physique (Civ. 1re, 17 nov. 2010, n° 09-72.316, D. 2010. 2836 image ; ibid. 2011. 1926, obs. H. Groutel image ; ibid. 2624, obs. C. Bourdaire-Mignot, V. Brémond, M. Nicod et J. Revel image ; AJ fam. 2011. 112, obs. P. Hilt image ; Defrénois 2011. 380, obs. G. Champenois ; JCP 2011. 340, obs. P. Pierre ; Dr. fam. 2011. Comm. 8, obs. B. Beignier ; 26 sept. 2007, n° 06-13.827, D. 2007. 2612 image ; AJ fam. 2007. 437, obs. P. Hilt image ; 6 juin 1990, n° 87-19.492, Defrénois 1991. 36, obs. X. Savatier).

Partant, il faut soigneusement distinguer les indemnités réparant un « préjudice professionnel » de celles réparant un « préjudice personnel » : les premières sont communes (elles compensent la perte d’emploi et se substituent aux revenus du travail) ; les secondes restent propres (elles réparent un préjudice corporel ou moral et sont exclusivement attachées à la personne de l’époux...

La médiation devant la Cour de cassation, pourquoi pas ?

Peu à peu, par la loi Justice du 21e siècle du 18 novembre 2016, la loi de programmation pour la réforme de la Justice du 23 mars 2019, et tout récemment le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire1, le législateur installe profondément et durablement les modes amiables de règlements des différends dans le paysage juridique et judiciaire français.

À l’automne dernier, le groupe de travail « médiation devant la Cour de cassation », composé de magistrats du siège, de magistrats du parquet général, de la directrice de greffe de la Cour de cassation ainsi que de l’Ordre des avocats aux Conseils, était installé afin de réfléchir à l’opportunité et à la faisabilité de développer la médiation devant la Cour de cassation. Cette question n’est en effet dépourvue d’intérêt ni pratique ni théorique.
La médiation, qui se développe désormais depuis une quinzaine d’années aux côtés d’autres modes de règlements amiables des litiges, est un outil permettant au juge d’assurer sa mission de conciliation des parties, dans un contexte de judiciarisation croissante de la société.

L’intérêt de mettre en place une mesure de médiation au stade de la cassation est évident dans la mesure où un pourvoi en cassation s’inscrit dans un temps judiciaire long qui peut conduire à une forme de lassitude des parties, à plus forte raison dans la perspective d’une éventuelle cassation avec renvoi de l’affaire devant le juge du fond. En outre, les contradictions possibles entre les motifs du jugement et ceux de l’arrêt d’appel peuvent être source de confusion dans l’esprit du justiciable, qui pourra souhaiter se tourner vers une autre voie de règlement de son litige.

Le groupe de travail, prenant ainsi la mesure de la pertinence de la mise en œuvre de la médiation devant la Cour de cassation, a cherché à répondre à plusieurs questions pratiques pour en faire une mesure applicable, efficace et attractive.

Il est ainsi apparu, assez naturellement, qu’à droit constant, la médiation pouvait être mise en œuvre au stade de la cassation. Néanmoins, les réflexions menées ont conduit à considérer, que sur certains points, des réformes de nature réglementaire étaient souhaitables, voire nécessaires afin de rendre la médiation devant la Cour de cassation efficace et pérenne.

La possibilité de recourir à la médiation au stade du pourvoi en cassation

De prime abord, il peut sembler que la Cour de cassation n’est pas la juridiction au sein de laquelle il est possible de proposer la médiation. La Cour de cassation juge en effet en droit et veille à l’harmonisation de la jurisprudence sur l’ensemble du territoire afin d’assurer une égale application de la loi. Le magistrat a certes pour rôle premier de trancher un litige mais aussi d’apaiser les relations sociales et de contribuer ainsi au vivre-ensemble. Or, parfois, trancher un litige n’est pas vecteur de paix sociale, quand la médiation entre les parties permet de rétablir un dialogue jusqu’alors rompu.

Aucune définition de la médiation n’est donnée par la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, qui a consacré la médiation. L’article 22 de ladite loi, concernant l’ensemble des juridictions, dispose que « le juge peut désigner un médiateur judiciaire pour procéder à une médiation en tout état de la procédure, y compris en référé ». La jurisprudence, quant à elle, a présenté la médiation comme « une modalité d’application de l’article 21 du nouveau code de procédure civile tendant au règlement amiable des litiges »2. Or, cet article 21, selon lequel « il entre dans la mission du juge de concilier les parties », figure parmi le Livre Ier du code de procédure civile, relatif aux dispositions communes à toutes les juridictions, de sorte que cet article est applicable à la Cour de cassation.

Selon Madame Natalie Fricero, professeure de droit privé et sciences criminelles à l’université de Nice-Côte d’Azur, entendue par le groupe de travail, la désignation d’un médiateur suppose d’apprécier l’opportunité d’une situation et, par conséquent, de procéder à un examen factuel. Or, l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire dispose que la Cour de cassation peut « statuer au fond lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ». Ainsi, la nécessité de procéder à un examen factuel pour apprécier l’opportunité de recourir à la médiation ne constitue pas un obstacle.

Aucune disposition ne restreint le recours à la médiation à la première instance, de sorte que le développement de la médiation au stade de la cassation semble envisageable à droit constant. Toutefois, l’ensemble des membres du groupe de travail ont estimé opportun d’affirmer dans les textes la possibilité de recourir à la médiation à ce stade afin de normaliser et pérenniser le recours à ce mode de règlement amiable devant la Cour de cassation.

Si le recours à la médiation est possible devant la Cour de cassation, les spécificités de la procédure devant la Haute juridiction supposent d’examiner les modalités de mise en œuvre d’un tel mode de règlement des différends à ce stade.

La médiation devant la Cour de cassation : comment ?

Le développement de la médiation au stade du pourvoi en cassation suppose de prendre en considération les spécificités de la procédure devant la Haute juridiction. La Cour de cassation se distingue en de nombreux points des juridictions du fond, d’abord parce que le juge de cassation statue en droit, mais également parce que les avocats qui plaident devant elle sont les avocats aux Conseil d’État et à la Cour de cassation, regroupés au sein d’un ordre spécifique, et disposant de la qualité d’officier ministériel. Ces spécificités inhérentes à la Cour de cassation invitent à penser les modalités propres à la mise en œuvre de la médiation devant la Cour de cassation. Ce sont ainsi les questions relatives aux litiges susceptibles de faire l’objet d’une médiation, aux acteurs de la médiation, mais encore aux délais de la médiation proposée au stade de la cassation qui ont été abordées par le groupe de réflexion.

Quels litiges ?

Il est évident que tous les litiges ne peuvent faire l’objet d’une médiation et ce plus encore que la Cour de cassation dispose, en statuant, d’un véritable pouvoir créateur. Ainsi, il est certain que la médiation ne peut être mise en place que dans un litige au sein duquel elle a une chance d’aboutir, sans priver la Cour de l’opportunité de se prononcer sur une question de droit présentant un caractère nouveau ou sérieux, pour laquelle la décision à intervenir est susceptible de revêtir une véritable portée normative. Trois méthodes d’identification des litiges ont été présentées par le groupe de travail : l’identification des litiges par matière – certaines matières étant propices à la médiation, telles que le droit social, le droit commercial ou encore le droit des contrats, quand d’autres en sont exclues, notamment celles relevant de l’ordre public, comme le droit pénal et certains pans du droit de la famille –, par critères (ex : risque élevé de cassation) ou encore selon le circuit procédural emprunté (circuit court ou intermédiaire)3. Quelque soit le critère choisi, le groupe du travail a souligné tout l’intérêt de préserver la souplesse dans le processus de médiation, condition indispensable de son succès.

Cette identification de l’affaire propice à la médiation peut être effectuée par une diversité d’acteurs, qui, en raison de la connaissance qu’ils ont des dossiers, sont particulièrement qualifiés pour repérer les affaires susceptibles d’être soumises à une médiation. Ainsi, les conseillers pré-orientateurs4, les conseillers rapporteurs, le parquet général ainsi que les avocats aux Conseils peuvent proposer cette mesure.

Le groupe de travail a également abordé la question de la désignation du médiateur.

En ce sens, la décision ordonnant ou renouvelant la médiation étant une mesure d’administration judiciaire, le rapport propose que le président de la formation à laquelle l’affaire est distribuée soit compétent pour ordonner la médiation.

Quel médiateur ?

Un soin tout particulier devra bien sûr être apporté dans le choix du médiateur. À ce titre, les avocats aux Conseils apparaissent tels des candidats privilégiés à la fonction de médiateur. Par le regard neuf qu’ils portent sur l’affaire, ils disposent du recul suffisant pour accompagner les parties dans le cadre d’une médiation. En outre, ils sont à la fois avocats et officiers ministériels, de sorte qu’ils présentent l’avantage de fournir des garanties fortes en matière de déontologie.

Le choix des médiateurs ne peut être le fruit du hasard, aussi le rapport a-t-il proposé de suivre le modèle qui a été celui des cours d’appel, formulant ainsi une proposition de décret relatif à la liste des médiateurs devant la Cour de cassation. En tout état de cause, le rapport retient une condition qui devrait être satisfaite par les médiateurs devant la Cour de cassation, celle de la nécessité de justifier d’une inscription sur une liste dressée par une cour d’appel depuis au moins trois ans. Cette proposition permettrait de favoriser la constitution d’une liste comprenant des médiateurs locaux sur l’ensemble du territoire, géographiquement proches des parties.
La question des délais a également été source de riches débats. Alors que certaines procédures peuvent s’étendre sur dix ans, il ne s’agissait évidemment pas d’augmenter le temps judiciaire. Une attention singulière a dès lors été portée sur la détermination du moment idoine pour proposer la médiation mise en œuvre au stade du pourvoi en cassation. À ce titre, le dépôt des mémoires, ampliatif et en défense est considéré comme éminemment opportun. Ce n’est en effet qu’après avoir déposé les mémoires que les avocats aux Conseils sont à même à prendre position sur le risque de cassation et partant sur l’opportunité de recourir à une médiation. C’est ainsi parfaitement éclairées et conseillées que les parties accepteront de soumettre l’affaire à la médiation.

Le délai s’écoulant entre le dépôt des mémoires et l’audience se révèle de plus suffisamment long pour mettre en œuvre une médiation – d’une durée moyenne de 6,9 mois5 – sans entrainer de retard dans le traitement de l’affaire ni empêcher le pourvoi de poursuivre le circuit de procédure classique. La mesure ne présente ainsi pas l’inconvénient de rallonger la procédure, et permet au justiciable d’envisager sereinement d’y recourir. En outre, il demeurera toujours possible de recourir à la médiation en cas de cassation avec renvoi devant une juridiction du fond, laquelle est invitée à rappeler aux parties la possibilité de régler amiablement le différend qui les oppose, lorsque les circonstances s’y prêtent.

Enfin, la réflexion menée sur la mise en œuvre de la « médiation à la Cour de cassation » a été l’opportunité de proposer à la chancellerie de compléter les dispositions réglementaires relatives à la médiation. Aussi, il apparait nécessaire de clarifier le régime applicable à la médiation. En ce sens, une proposition est émise, visant à préciser que la consignation de la provision – inhérente à la médiation – s’effectue entre les mains du médiateur ou au greffe de la régie. Semblablement, il est proposé de spécifier le point de départ de la durée de la mission de médiation, à savoir de le fixer au jour où le médiateur est informé par le greffe de la consignation ou au jour où la provision est consignée entre ses mains, selon les circonstances de dépôt de ladite consignation. Encore, il est judicieux, dans un même objectif de clarification, de réaffirmer la possibilité qu’ont les parties, quel que soit le stade de la procédure auquel il est fait recours à la médiation, de se faire assister par un avocat ou toute personne habilitée à les représenter devant la juridiction ayant désigné un médiateur. Une dernière proposition est exposée, relative à l’homologation par le juge de l’accord intervenu entre les parties. Si cette homologation a expressément vocation à rendre exécutoire l’accord conclu au terme de la médiation, elle constitue également, de fait, un instrument de contrôle de non-contrariété à l’ordre public d’un tel accord. C’est ce rôle que le groupe de travail propose de clarifier et d’inscrire dans le marbre de la loi.

La volonté du groupe de travail « médiation devant la Cour de cassation » aura été d’inscrire la Cour de cassation dans la dynamique de promotion de la médiation que connaissent déjà les juridictions du fond, en en structurant le procédure, sans la rigidifier, au risque de s’éloigner de ce qui la caractérise en premier lieu : la souplesse. Formons le vœu que les propositions pratiques et concrètes formulées par le groupe de travail assurent un développement pérenne de la médiation au niveau de la cassation et participe ainsi à la promotion des modes amiables de règlement des différends. 

 

1. Le projet de loi prévoit la mise en place d’un Conseil national de la médiation, chargé notamment de rendre des avis dans le domaine de la médiation et de proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l’améliorer.
2. Civ. 2e, 16 juin 1993, n° 91-15.332.
3. L. Garnerie, Pourvois : la Cour de cassation se dote de trois circuits de traitement, Gaz. Pal. 21 juill. 2021, n° 383g3, p. 7
4. Les conseillers pré-orientateurs ont pour mission, au sein de chaque chambre, d’orienter les dossiers vers l’un des trois circuits (court, intermédiaire ou approfondi), avant leur distribution au conseiller rapporteur.
5. A. Bascoulergue et P. Charrier, « Étudier la prescription de la médiation judiciaire », La médiation – expériences, évaluations et perspectives, Actes du colloque organisé par la Mission de recherche Droit et Justice, 5 juill. 2018, p.22. 

Presse : conventionnalité de la condamnation d’un journal à anonymiser un article archivé

Dans une édition de 1994, le quotidien belge Le Soir publia un article qui relatait un accident de voiture ayant causé la mort de deux personnes et blessé trois autres et qui mentionnait le nom complet du conducteur responsable. Ce dernier fut poursuivi et condamné pour ces faits en 2000, il purgea sa peine puis bénéficia d’une décision de réhabilitation en 2006. En 2008, le journal mit en ligne une version électronique de ses archives, accessibles gratuitement. En 2010, le conducteur demanda au journal la suppression de l’article mentionnant son nom, du moins son anonymisation. Le journal refusa de procéder à la suppression de l’article mais demanda à Google de déréférencer celui-ci pour qu’il n’apparaisse plus dans les listes de résultats du moteur de recherche. En 2012, le conducteur assigna en justice l’éditeur du journal pour obtenir l’anonymisation de l’article litigieux, qu’il obtint des juridictions civiles belges. S’estimant victime d’une atteinte à la liberté d’expression, l’éditeur saisit la Cour européenne des droits de l’homme d’une requête fondée sur la violation de l’article 10 de la Convention.

Constatant une ingérence dans le droit à la liberté d’expression de l’éditeur, la Cour de Strasbourg recherche si celle-ci était bien prévue par la loi, motivée par un but légitime et nécessaire dans une société démocratique, conformément aux conditions de légitimation d’une atteinte à ce droit prévues au paragraphe 2 de l’article 10.

Sur la légalité de l’ingérence, le requérant soutenait que sa condamnation, fondée sur l’article 1282 du code civil belge, qui constitue le droit commun de la responsabilité civile, n’était pas prévisible. La Cour juge au contraire que l’interprétation qui a été faite par les juridictions nationales des dispositions relatives à la protection de la vie privée pour conclure à une atteinte au droit à l’oubli par la reproduction numérique d’un article ancien n’a été ni arbitraire ni manifestement déraisonnable. Rappelant qu’elle a déjà, dans d’autres affaires mettant en jeu l’article 10, considéré comme une base légale suffisamment prévisible une disposition constituant le droit commun de la responsabilité civile (pour l’art. 1382, C. civ. belge, v. not. CEDH 24 févr. 1997, De Haes et Gijsels c. Belgique, n° 19983/92, Rec. CEDH 1997‑I ; AJDA 1998. 37, chron. J.-F. Flauss image ; RSC 1998. 389, obs. R. Koering-Joulin image), elle conclut que l’ingérence était bien prévue par la loi.

L’existence d’un but légitime était évidente et non contestée puisqu’était en cause la protection de la réputation et des droits d’autrui (ici le droit au respect de la vie privée), telle que visée à l’article 10, § 2.

Sur la nécessité de l’ingérence, la Cour devait arbitrer la mise en balance entre, d’une part, le droit du requérant de communiquer des informations au public et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée de la personne nommément visée dans l’article. Plusieurs critères trouvaient à s’appliquer, conformément à la jurisprudence européenne : la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée et l’objet du reportage, le comportement antérieur de la personne concernée, le mode d’obtention des informations et leur véracité, le contenu, la forme et les répercussions de la publication ainsi que la gravité de la mesure imposée (v. not. CEDH, gr. ch., 7 févr. 2012, Axel Springer AG c. Allemagne, n° 39954/08, Dalloz actualité, 23 févr. 2012, obs. S. Lavric ; Légipresse 2012. 143 et les obs. image ; ibid. 243, comm. G. Loiseau image ; Constitutions 2012. 645, obs. D. de Bellescize image ; RTD civ. 2012. 279, obs. J.-P. Marguénaud image ; gr. ch., 10 nov. 2015, Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France, n° 40454/07, Dalloz actualité, 27 nov. 2015, obs. J. Gaté ; AJDA 2016. 143, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; D. 2016. 116, et les obs. image, note J.-F. Renucci image ; Constitutions 2016. 476, chron. D. de Bellescize image ; RTD civ. 2016. 81, obs. J. Hauser image ; ibid. 297, obs. J.-P. Marguénaud image ; gr. ch., 29 mars 2016, Bédat c. Suisse, n° 56925/08, Légipresse 2016. 206 et les obs. image ; RSC 2016. 592, obs. J.-P. Marguénaud image) ; ainsi que plusieurs principes : la nécessité de caractériser un besoin social impérieux à la restriction à la liberté d’expression, ce qui suppose des motifs pertinents et suffisants de la part des juridictions nationales et une atteinte proportionnée au but légitime poursuivi (CEDH 26 avr. 1979, Sunday Times c. Royaume-Uni [n° 1], n° 6538/74, série A n° 30). En sachant qu’il appartient d’abord aux juridictions nationales d’opérer la mise en balance, la Cour ne substituant son avis à celui de ces dernières qu’en cas de « raisons sérieuses ». Soulignant la spécificité de la mise à disposition d’archives numériques sur internet, qui contribue à la préservation et à l’accessibilité de l’actualité et des informations et constitue une source précieuse pour l’enseignement et les recherches historiques (CEDH 10 mars 2009, Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni (nos 1 et 2), nos 3002/03 et 23676/03 ; 19 oct. 2017, Fuchsmann c. Allemagne, n° 71233/13, Dalloz actualité, 3 nov. 2017, obs. S. Lavric ; ibid. 9 nov. 2017, obs. T. Soudain ; 28 juin 2018, M.L. et W.W. c. Allemagne, nos 60798/10 et 65599/10, D. 2019. 1673, obs. W. Maxwell et C. Zolynski image ; AJ pénal 2018. 462, note L. François image ; Dalloz IP/IT 2018. 704, obs. E. Derieux image ; RSC 2018. 735, obs. J.-P. Marguénaud image), elle précise néanmoins que le droit de maintenir des archives en ligne à la disposition du public n’est pas absolu et qu’il doit lui-même être mis en balance avec les autres droits en présence.

Appliquant ces éléments d’appréciation, la Cour estime à six voix contre une qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 dans les circonstances de l’espèce. Les motifs avancés par les juridictions nationales, tenant principalement à l’importance particulière du préjudice subi par l’intéressé du fait de la mise en ligne de l’article quatorze ans après sa première publication et au caractère mesuré de l’anonymisation prescrite au regard de la liberté d’informer (l’anonymisation ne portant pas atteinte à l’intégrité des archives), lui paraissent pertinents et suffisants. Elle valide ainsi la mise en balance opérée par ces dernières et la protection conférée en l’espèce au droit à l’oubli d’une personne qui a été impliquée dans un fait d’actualité par le passé, tout en précisant que la présente solution n’implique pas une obligation générale pour les médias de vérifier systématiquement leurs archives (qui s’inscrirait à contre-courant de la jurisprudence européenne en matière de droit à l’oubli numérique) mais celle de « procéder à une vérification et donc à une mise en balance des droits en jeu […] en cas de demande expresse à cet effet » (§ 134). La solution consacre donc une possible reconnaissance du droit à l’oubli numérique dans de telles circonstances dès lors que l’écoulement du temps a fait disparaître la contribution à un débat d’intérêt général et que l’intéressé (dépourvu de toute notoriété et toujours resté à l’écart des médias) en a fait la demande expresse (évoquant l’émergence d’un tel critère, v. AJ pénal 2018. 462, obs. L. François image, à propos de l’arrêt M.L. et W.W. c. Allemagne, préc.).

Pas d’usucapion pour la servitude d’écoulement des eaux usées

Le propriétaire d’un immeuble traversé par des canalisations des eaux usées au profit d’un autre immeuble avait assigné son voisin pour leur suppression. La cour d’appel avait rejeté cette demande, estimant que la servitude d’écoulement des eaux usées, qui s’exerçait au moyen de ces canalisations, avait été acquise par la prescription trentenaire. Un pourvoi en cassation fut formé contre cet arrêt, soutenant qu’« une servitude d’écoulement des eaux usées […] a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription ». La question posée était donc celle de savoir si la servitude d’écoulement des eaux usées a un caractère discontinu.

La Cour de cassation répond par l’affirmative : « la servitude d’écoulement des eaux usées, dont l’exercice exige le fait de l’homme et ne peut se perpétuer sans son intervention renouvelée, a un caractère discontinu ne permettant pas son acquisition par prescription ».

Réaffirmation d’une solution constante

Il s’agit d’une simple réaffirmation d’une solution constante sur la servitude d’écoulement des eaux usées : cette servitude a un caractère discontinu, ce qui s’oppose à son acquisition par prescription (Civ. 3e, 8 déc. 2004, n° 03-17.225, Bull. civ. III, n° 234 ; RDI 2005. 213, obs. E. Gavin-Millan-Oosterlynck image ; 15 févr. 1995, n° 93-13.093, Bull. civ. III, n° 54 ; 9 juin 2015, n° 14-11.400, D. 2015. 1863, obs. L. Neyret et N. Reboul-Maupin image ; AJDI 2015. 628 image ; 2 mai 2012, n° 11-18.455 ; 29 avr. 2002, n° 00-15.629). Le fait que les canalisations servent à évacuer les eaux usées et les eaux de pluie est indifférent (Civ. 3e, 21 juin 2000, n° 97-22.064, Bull. civ. III, n° 127 ; D. 2000. 207 image ; 21 janv. 2021, n° 19-16.993, AJDI 2021. 304 image ; RTD civ. 2021. 445, obs. W. Dross image ; 10 nov. 2009, n° 08-20.446, RDI 2010. 206, obs. E. Gavin-Millan-Oosterlynck image).

Cette réaffirmation est l’occasion de rappeler quelques distinctions à faire, car la lettre de l’article 688 du code civil peut causer au moins trois confusions.

Distinction entre la servitude et l’ouvrage constituant son moyen d’exercice

La lettre de ce texte peut d’abord entraîner la confusion entre la servitude elle-même et l’ouvrage par lequel elle peut se manifester et s’exercer. Les exemples qu’il donne facilitent cette confusion. Si, comme l’affirme l’article 688 du code civil, les conduites d’eau et les égouts sont des servitudes continues, la tentation est grande de confondre la servitude d’écoulement des eaux usées avec les canalisations qui peuvent la manifester et qui lui servent de moyen d’exercice. C’est ce qu’ont fait les juges du fond en l’espèce.

Or la servitude est « une charge imposée sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire » (C. civ., art. 637). La servitude d’écoulement des eaux usées consiste donc, pour le fonds servant à subir l’écoulement des eaux usées provenant du fonds voisin, et corrélativement, pour le fonds dominant à faire écouler ses eaux usées par le fonds...

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Chronique CEDH : la Cour encadre l’interception en masse des communications

1. Covid-19 : le confinement général n’était pas une privation de liberté au sens de l’aricle 5, § 1er, de la Convention européenne

La jurisprudence covid de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) s’est enrichie, avec la décision Terhes c. Roumanie du 20 mai 2021 (req. n° 49933/10), d’une pièce importante qui n’a peut-être pas l’éclat auquel on aurait pu s’attendre. Il s’agit, en effet, d’une simple décision d’irrecevabilité de la requête d’un député roumain alléguant que la mesure de confinement général qu’il avait dû lui aussi subir du 14 avril au 14 mai 2020 avait constitué une privation de liberté contraire aux exigences de l’article 5, § 1er, de la Convention européenne. La CEDH, constatant qu’en Roumanie, comme en France à la même époque, le confiné pouvait se rendre à différents endroits au moment de la journée où cela était nécessaire et n’était l’objet d’aucune surveillance individuelle de la part des autorités, a refusé d’assimiler le confinement à une assignation à résidence. Dès lors, il ne s’agissait pas d’une privation de liberté qui est la seule à entrer dans le champ d’application de l’article 5, § 1er. Ainsi, on voit se confirmer l’hypothèse, que laissait clairement entrevoir les arrêts de grande chambre Z.A. c. Russie (req. n° 61411/15, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; RTD civ. 2020. 329, obs. J.-P. Marguénaud image) et Ilias Ahmed c. Hongrie (req. n° 47287/15, AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; RTD civ. 2020. 329, obs. J.-P. Marguénaud image) du 21 novembre 2019 relatifs à la situation des étrangers dans les zones de transit, suivant laquelle l’article qui consacre le droit à la liberté et à la sûreté, n’est pas le bon instrument conventionnel pour contrecarrer les conséquences du confinement sanitaire. D’autres pistes restent cependant à explorer : celle de l’article 8 consacrant le droit au respect de la vie privée et familiale et surtout celle de l’article 2 du protocole n° 4 garantissant le droit des personnes se trouvant en situation régulière sur le territoire d’un État d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence que, au grand étonnement de la Cour européenne, le requérant n’avait pas invoqué en l’espèce.

2. L’encadrement de l’interception en masse des communications

Face à la sophistication et au développement des capacités technologiques qui accroissent fortement le volume des communications transitant par internet dans le monde entier et qui accentuent chaque jour un peu plus les menaces de terrorisme international et de criminalité transfrontalière, la surveillance stratégique de masse des communications revêt pour les États une importance déterminante pour la protection de la société démocratique.Cette interception en masse des communications qui se distingue des interceptions ciblées en ce qu’elles sont utilisées non pas dans le cadre d’une enquête pénale interne mais au titre du renseignement extérieur, autrement dit des services secrets, pour détecter de nouvelles menaces provenant d’acteurs connus ou inconnus, recèle à l’évidence un potentiel considérable d’abus susceptibles de porter atteinte au droit des individus au respect de leur vie privée. Dans un premier temps, les États ont obtenu de la Cour de Strasbourg, qui tente de conjurer ces abus spécifiques, de leur laisser en la matière une marge d’appréciation que commanderait la gravité des enjeux. La décision Weber et Saravia c. Allemagne du 29 juin 2006 (req. n° 54934/00) et l’arrêt Liberty c. Royaume-Uni du 1er juillet 2008 (req. n° 58243/00) sont particulièrement représentatifs de cette approche favorable aux États qui subordonne les interceptions en masse des communications à six garanties minimales. Or, constatant qu’à l’évidence, il n’est pas aisé d’appliquer à un régime d’interception en masse les deux premières des six « garanties minimales », à savoir la nature des infractions susceptibles de donner lieu à un mandat d’interception et la définition des catégories de personnes dont les communications sont susceptibles d’être interceptées, la Cour a ressenti la nécessité de préciser l’approche à adopter dans les affaires relatives à l’interception en masse. Elle l’a fait par deux arrêts de grande chambre du 25 mai Big Brother Watch c. Royaume-Uni (req. n° 58170/13, Dalloz actualité, 28 mai 2021, obs. M.-C. de Montecler ; D. 2018. 1916, obs. S. Lavric image ; ibid. 2019. 151, obs. J.-F. Renucci image ; ibid. 1673, obs. W. Maxwell et C. Zolynski image ; AJ pénal 2018. 529, obs. A. Taleb-Karlsson image) et Centrum För Rättvisa c. Suède (n° 35252/08). Ils doivent être tenus pour les plus importants de la série mai-juin 2021 eu égard, tout d’abord, à la gravité et à l’ampleur des enjeux de la question qu’ils abordent et surtout parce qu’ils témoignent idéalement des efforts constants de la Cour de Strasbourg pour adapter la protection des droits de l’homme aux évolutions technologiques. En l’occurrence, elle tente d’y parvenir en justifiant des constats de violation de l’article 8 par cette affirmation majeure : afin de réduire autant que possible le risque d’abus du pouvoir d’interception en masse, le processus doit être encadré par des « garanties de bout en bout », c’est-à-dire qu’au niveau national, la nécessité et la proportionnalité des mesures prises devraient être appréciées à chaque étape du processus, que les activités d’interception en masse devraient être soumises à l’autorisation d’une autorité indépendante dès le départ – dès la définition de l’objet et de l’étendue de l’opération – et que les opérations devraient faire l’objet d’une supervision et d’un contrôle indépendant opéré a posteriori. Ces facteurs étant, de l’avis de la Cour, des garanties fondamentales, qui constituent la pierre angulaire de tout régime d’interception en masse conforme aux exigences de l’article 8 (§ 350 de l’arrêt Big Brother Watch et § 264 de l’arrêt Centrum). L’arrêt Big Brother Watch, qui constitue, en quelque sorte, l’épilogue européen des révélations par Edward Snowden, en 2013, sur les méthodes d’interception de masse utilisées par le service britannique de renseignement électronique, vérifie également au regard des exigences de l’article 8, les opérations de réception de renseignements provenant de services étrangers.

3. Clarification des principes généraux applicables aux violences domestiques

2021 sera peut-être l’année du renforcement de la protection des personnes vulnérables et plus particulièrement de celle des enfants. On se souvient sans doute de l’importance de l’arrêt de grande chambre X et autres c. Belgique du 2 février qui mobilise la Convention de Lazarotte sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels. Cette fois, un autre arrêt de grande chambre, Kurt c. Autriche du 15 juin (req. n° 62903/15), a accordé un intérêt soutenu aux violences domestiques, qui ne sont pas seulement d’ordre sexuel, dont ils sont les premières victimes. Dans la mesure où elles font peser les plus graves menaces sur leur droit à la vie, elles relèvent des principes généraux dégagés depuis longtemps par l’arrêt Osman c. Royaume-Uni du 28 octobre 1998 (req. n° 23452/94, RSC 1999. 384, obs. R. Koering-Joulin image ; RTD civ. 1999. 498, obs. J.-P. Marguénaud image) pour déterminer, au regard de l’article 2 de la Convention, l’ampleur et le contenu de l’obligation positive de prendre les mesures nécessaires à la protection des personnes dont la vie est menacée qui pèse sur l’État. Pour que pareille obligation positive entre en jeu, il doit être établi, selon ce qu’il est convenu d’appeler le « critère Osman », que les autorités savaient ou auraient dû savoir sur le moment qu’il existait un risque réel et immédiat pour la vie d’un individu donné du fait des actes criminels d’un tiers et qu’elles n’ont pas pris, dans le cadre de leurs pouvoirs, les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour parer ce risque. Or, pour la première fois, la Cour de Strasbourg a estimé dans l’arrêt Kurt qu’il était devenu nécessaire de clarifier ce qu’implique la prise en compte du contexte particulier et de la dynamique des violences domestiques sous l’angle du critère Osman et plus particulièrement au regard du standard de l’immédiateté sur lequel il repose. Ses réflexions interprétatives n’ont pas conduit à dresser, en l’espèce, un constat de violation de l’article 2. Elles n’en ont pas moins débouché sur d’importantes précisions qu’elle a tenu à résumer de cette manière : les autorités doivent apporter une réponse immédiate aux allégations de violences domestiques ; elles doivent rechercher s’il existe un risque réel et immédiat pour la vie de la ou des victimes qui ont été identifiées et elles doivent pour cela mener une évaluation du risque qui soit autonome, proactive et exhaustive ; elles doivent apprécier le caractère réel et immédiat du risque en tenant dûment compte du contexte particulier qui est celui des affaires de violences domestiques ; s’il ressort de l’évaluation du risque qu’il existe un risque réel et immédiat pour la vie d’autrui, l’obligation de prendre des mesures opérationnelles préventives entre en jeu pour les autorités. Ces mesures doivent alors être adéquates et proportionnées au niveau de risque décelé.

4. Lutte contre les peines et les traitements inhumains ou dégradants

La Cour de Strasbourg étoffe ou consolide régulièrement sa jurisprudence qui mobilise l’article 3 pour lutter contre les formes les plus brutales et les plus insidieuses de traitements inhumains ou dégradants. Ainsi, au cours des cinquième et sixième mois de l’année 2021, elle l’a utilisé pour stigmatiser des États qui n’avaient pas protégé une fille contre les violences sexuelles exercées par son père (22 juin 2021, R.B. c. Estonie, n° 22597/16) ; qui s’étaient révélés incapables de fournir à un condamné des soins adaptés à sa déficience mentale légère (11 mai 2021, req. n° 7373/17, Epure c. Roumanie) ; qui se préparaient à procéder à une extradition sans examen préalable de la santé d’un condamné victime d’un accident vasculaire cérébral (n° 59687/17, Khachaturov c. Arménie) ; qui avaient prononcé des condamnations à des peines perpétuelles sans possibilité de libération conditionnelle (17 juin 2021, req. n° 39734/15, Sandor Varga c. Hongrie). On remarquera aussi, sans grande surprise, une nouvelle application de l’article 3 dans un cas de brutalités policières (Ilevi et Ganvhevi c. Bulgarie du 8 juin, n° 69154/11 et 69163/11). Une place particulière doit être accordée à l’arrêt Adzhigitova c. Russie du 22 juin (req. n° 40165/07) relatif à une opération militaire qui a aussi donné lieu à un constat de violation rarissime de l’article 38 de la Convention parce que les autorités russes n’avaient pas fourni à la Cour toutes les facilités nécessaires pour mener une enquête efficace sur les circonstances de l’affaire.

5. La mise en balance du droit à l’oubli et du droit à la liberté d’expression

Avec les fulgurants développements de la numérisation est venue s’ajouter au rôle principal de la presse une fonction accessoire qui consiste à constituer des archives à partir d’informations déjà publiées et à les mettre à la disposition du public sur internet. Ces archives numériques constituent une source d’autant plus précieuse pour l’enseignement et les recherches historiques qu’elles sont immédiatement accessibles au public et généralement gratuites. C’est ce que la Cour de Strasbourg reconnaît depuis son arrêt Times Newspapers Ltd c. Royaume-Uni du 11 mars 2009 (req. n° 3002/03). La mise à disposition du public des archives numériques de la presse expose évidemment de nombreux condamnés à un risque perpétuel de confrontation avec un passé qu’ils ont le plus grand intérêt à oublier et à faire oublier pour pouvoir se réinsérer après avoir payé leur dette envers la société ou un créancier particulier. Aussi en appelle-t-on à la reconnaissance et à la protection d’un droit à l’oubli numérique, également appelé droit à l’effacement, nouvel aspect du droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour, qui a pris l’habitude de fournir des critères pour guider vers la meilleure manière de résoudre de tels conflits de droits (v. 7 février 2012, Von Hannover n° 2 c. Allemagne, req. n° 40660/08, Dalloz actualité, 23 févr. 2012, obs. S. Lavric ; AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; D. 2012. 1040 image, note J.-F. Renucci image ; ibid. 2013. 457, obs. E. Dreyer image ; Légipresse 2012. 142 et les obs. image ; ibid. 243, comm. G. Loiseau image ; RTD civ. 2012. 279, obs. J.-P. Marguénaud image), n’a fait aucune difficulté pour admettre qu’il fallait également chercher à concilier le droit à la liberté d’expression avec cette nouvelle ramification du droit au respect de la vie privée. Seulement, par son arrêt M.L. et W.W. c. Allemagne du 28 juin 2018 (req. n° 60798/10, D. 2019. 1673, obs. W. Maxwell et C. Zolynski image ; AJ pénal 2018. 462, note L. François image ; Dalloz IP/IT 2018. 704, obs. E. Derieux image ; RSC 2018. 735, obs. J.-P. Marguénaud image), elle avait pu donner l’impression de vouloir étouffer le droit à l’oubli dans l’œuf en refusant, en toute indifférence aux difficultés de réinsertion des condamnés qui ont purgé leur peine, de constater une violation du droit au respect de la vie privée de deux demi-frères à qui l’on avait refusé l’anonymisation des données continuant de faire apparaître qu’ils étaient les assassins d’un acteur célèbre. Le retour à un véritable l’équilibre semble avoir été réalisé par un arrêt Hurbain c. Belgique du 22 juin (req. n° 57292/16) suivant lequel la condamnation du plus grand quotidien belge à anonymiser, au non du droit à l’oubli, l’identité d’un condamné réhabilité ne violait pas le droit à la liberté d’expression. La Cour a d’ailleurs eu à cœur de clarifier la question en précisant expressément que la conclusion à laquelle elle était parvenue en l’espèce ne saurait être interprétée comme impliquant une obligation pour les médias de vérifier leurs archives de manière systématique et permanente : sans préjudice de leur devoir de respecter la vie privée lors de la publication initiale d’un article, il s’agit pour eux, en ce qui concerne l’archivage de l’article, de procéder à une vérification et donc à une mise en balance des droits en jeu seulement en cas de demande expresse à cet effet.

6. Le printemps du principe de non-discrimination

Depuis le début de l’année 2021, d’importantes applications du principe de non-discrimination procédant à de courageuses combinaisons de l’article 14 avec d’autres articles de la Convention ont été remarquées. Au cours de la période mai-juin, d’autres sont venues s’ajouter pour aider à balayer encore quelques archaïsmes et à repousser quelques phobies. Il s’agit de l’arrêt Yocheva et Ganeva c. Bulgarie du 11 mai (req. n° 18592/15) qui vient au soutien d’un certain type de famille monoparentale en stigmatisant les autorités nationales pour avoir opéré une discrimination à l’égard des familles dans lesquelles l’un des parents est inconnu en décidant qu’une formule prévoyant le versement d’allocations aux familles dans lesquelles il y a un seul parent vivant visait exclusivement celles dans lesquelles un parent est décédé.

Il s’agit aussi de l’arrêt Association ACCEPT c. Roumanie du 1er juin 2021 (n° 19237/16) où la Cour européenne dresse un double constat de violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 et avec l’article 11 parce que les autorités n’avaient pas empêché l’invasion par l’extrême droite d’une salle de cinéma où était projeté un film gay.

L’avancée la plus marquante du principe de non-discrimination aura cependant été réalisée par un arrêt où, dans un souci d’économiser son temps et des moyens, la CEDH ne s’est pas donné la peine d’examiner la question d’une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 tellement les raisons de dresser un constat de violation du seul article 8 étaient flagrantes. Dans l’arrêt J.L. c. Italie du 27 mai (n° 5671/16), elle a en effet dû déplorer que, pour acquitter sept hommes poursuivis pour violences sexuelles commises en réunion, des juges se soient permis des commentaires sur la vie privée de la plaignante qui véhiculent des préjugés sur le rôle de la femme dans la société italienne et qui sont susceptibles de faire obstacle à une protection effective des droits des victimes de violence de genre. Elle saisit opportunément cette étonnante occasion pour affirmer qu’il est essentiel que les autorités judiciaires évitent de reproduire des stéréotypes sexistes dans les décisions de justice, de minimiser les violences contre le genre et d’exposer les femmes, par l’utilisation de propos culpabilisants et moralisateurs, à une victimisation secondaire. Ce n’est pas la première fois, en 2021, que la CEDH s’appuie sur ce concept dont il faudra suivre attentivement les développements de la carrière jurisprudentielle naissante.

7. Confirmation de l’importance du contentieux relatif au droit à la liberté d’expression

Dans chaque chronique bimestrielle, il faut réserver un paragraphe au contentieux de la liberté d’expression qui n’est probablement pas le plus abondant mais qui, porté par les développements technologiques et les habitudes qui se prennent sur les réseaux sociaux est, actuellement, le plus significatif. Pour la période mai-juin 2021 on relève à nouveau des arrêts qui rappellent le caractère relatif du droit garanti par l’article 10. C’est ainsi que les arrêts Kilin c. Russie du 11 mai (req. n° 10271/12) et Milosavljevic c. Serbie du 25 mai (n° 57574/14) ont respectivement refusé d’en assurer le bénéfice à un requérant condamné en raison d’appels au racisme et au nazisme sur un réseau social en ligne très populaire et à un journaliste coupable d’avoir publié un article insinuant qu’un policier finalement acquitté avait violé une jeune fille rom.

Les arrêts qui constatent des violations du droit à la liberté d’expression des journalistes (11 mai 2021, req. n° 44561/11, Rid et Zao c. Russie ; 18 mai 2021, req. n° 42201/17, Ögreten et Kannat c. Turquie ; 8 juin 2021, n° 48329/19, Bulac c. Turquie) ; de parlementaires (4 mai 2021, req. n° 68136, Kerestecioglu Demir c. Turquie) ; de militants politiques (22 juin 2021, req. n° 5869/17, Erkizia Almandoz c. Espagne) ou de simples employés se laissant aller à « liker » certains contenus de Facebook (15 juin 2021, req. n° 35786/19, Melike c. Turquie), sont cependant les plus nombreux. En raison de leur portée plus générale, on attirera surtout l’attention sur l’arrêt Akdeniz et autres c. Turquie du 4 mai (req. n° 41139/15), rendu à la requête d’une journaliste et de deux universitaires et utilisateurs populaires des plateformes des médias sociaux, qui stigmatise une injonction provisoire ordonnée par les juridictions nationales interdisant la diffusion et la publication par tous moyens de communication d’ informations relatives à une enquête parlementaire ; l’arrêt OOO Informatsionoye Agentstvo c. Russie du 18 mai (req. n° 43351/12) qui prend des allures d’arrêt quasi pilote pour encourager la réforme de la législation des médias de façon à leur assurer la liberté et l’indépendance pendant les campagnes électorales et l’arrêt Ömur Cagdas Ersoy c. Turquie du 15 juin (req. n° 19165/15) soulignant avec une particulière insistance que l’esprit de la Convention est d’élargir la liberté d’expression pour faciliter la critique des responsables politiques.

8. L’intensification de l’influence des droits de l’homme sur le droit du sport

Comme on le sait, le mouvement sportif est très attaché à la construction d’un ordre juridique à part, reposant sur la lex sportiva jalousement appliquée par des instances qui n’entendent rendre de comptes à personne, pas même aux juges des droits de l’homme. Jusqu’ici, il avait à peu près réussi à échapper à l’emprise des droits de l’homme substantiels. En revanche, depuis les arrêts Mutu et Pechstein c. Suisse du 2 octobre 2018 (req. nos 40575/10 et 67474/10, Dalloz actualité, 16 oct. 2018, obs. N. Nalepa ; D. 2018. 2448, obs. T. Clay image ; RTD civ. 2018. 850, obs. J.-P. Marguénaud image) qui ont admis que la responsabilité de l’État où le tribunal arbitral du sport a son siège peut être engagée lorsqu’il en approuve formellement ou tacitement les décisions, il est rapidement rattrapé par les droits procéduraux. La mutation procédurale s’est considérablement amplifiée avec l’arrêt Ali Riza et autres c. Turquie du 28 janvier 2020 (req. n° 30226/10). Il s’agit, en effet, d’un arrêt pilote par lequel la Cour européenne détectant un problème systémique touchant le règlement des litiges dans le milieu du football en Turquie indique à l’État, sur le fondement de l’article 46 de la Convention européenne, qu’il doit prendre des mesures visant à assurer l’indépendance structurelle de la commission d’arbitrage. Or les conséquences de cet arrêt viennent d’être prolongées par trois autres arrêts rendus le 18 mai contre la Turquie : Sedat Dogan (req. n° 48909/14) ; Naki (req. n° 48924/14) ; Ibrahim Tomak (req. n° 54540/16). Ils ne se sont pas contentés de constater de nouvelles violations de l’article 6, § 1er, parce que l’indépendance de la commission d’arbitrage n’était toujours pas assurée. Ils ont aussi et surtout saisi l’occasion offerte par ce dysfonctionnement récurrent pour constater des violations d’un droit substantiel de l’homme sportif, en l’occurrence le droit à la liberté d’expression entravé par des sanctions infligées en raison de messages diffusés sur internet par un arbitre et des joueurs, notamment, dans un cas, pour rendre hommage à Nelson Mandela.

9. Contentieux électoral

L’article 3 du Protocole n° 1 qui consacre le droit à des élections libres n’est pas celui qui réclame le plus souvent l’attention de la Cour. Il ne faut donc pas négliger la décision et les deux arrêts qu’elle vient de lui consacrer. La décision Galan c. Italie (req. n° 63772/16) et l’arrêt Miniscalo c. Italie (req. n° 55093/13) du 17 juin 2021, qui refusent d’en dresser des constats de violation dans des affaires de déchéance de mandats et d’interdiction de se présenter à des élections, sont surtout remarquables parce qu’elles ont permis à la Cour d’affirmer que de telles sanctions ne sont pas des peines au sens de l’article 7 lequel n’ est par conséquent d’aucun secours quand elles sont rétroactives. Quant à l’arrêt Caamano Valle c. Espagne du 11 mai (req. n° 43564/12), il se livre à un inhabituel rappel des principes d’interprétation de la Convention pour mieux pouvoir décider que la privation du droit de vote imposée à une femme handicapée mentale était proportionnée et conforme à l’article 3 du Protocole n° 1. Il y aurait donc des tendances régressives dans le travail interprétatif de la Cour européenne des droits de l’homme…

10. Les arrêts régressifs

L’arrêt de grande chambre Denis et Irvine c. Belgique du 1er juin (req. n° 62819/17, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. H. Diaz) a admis qu’il n’y avait pas de violations de l’article 5, § 1er, et 5, § 4, dans des cas de refus de mettre en liberté des aliénés internés dans un hôpital psychiatrique parce que leurs troubles mentaux persistaient. Or la légalité du maintien de la mesure privative de liberté pouvait faire question dans la mesure où il avait été décidé sans tenir compte de deux conditions supplémentaires ajoutée par la loi depuis la décision initiale d’internement. Autrement dit, selon une interprétation large qui sert le mieux les objectifs de la Convention et qui est généralement adoptée par la Cour, le constat de la persistance des troubles mentaux aurait pu ne pas suffire pour justifier le maintien de l’internement au regard de l’article 5. En retenant une interprétation stricte dénoncée par plusieurs juges dissidents, la Cour semble donc s’être engagée sur une voie régressive parce que la plus hostile au droit à la liberté.

La même tendance régressive se retrouve, au regard de l’article 10, dans l’arrêt Halet c. Luxembourg du 11 mai 2021 (n° 21884/18, Dalloz actualité, 21 mai 2021, obs. S. Lavric ; D. 2021. 960, et les obs. image) qui, dans la célèbre affaire Luxleaks, retient une approche restrictive de la protection des lanceurs d’alerte auxquels l’arrêt de grande chambre Guja c. Moldova (n° 14277/04, AJDA 2008. 978, chron. J.-F. Flauss image) du 12 février 2008 et Heinisch c. Allemagne (req. n° 28274/08) du 21 juillet 2011 avaient pu laisser entrevoir de meilleures chances de succès.

11. Prolongements de sillons jurisprudentiels

Dans ce paragraphe qui sert un peu de camion-balai, on fera entrer les arrêts M.K. c. Luxembourg (req. n° 51746/18) et Valdis Fjölnisdotir c. Islande (req. n° 71552/17, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. A. Panet ; AJ fam. 2021. 320, obs. A. Dionisi-Peyrusse image) du 18 mai 2021 concluant respectivement à des non-violations de l’article 8 dans une affaire de placement sous curatelle et de refus de reconnaître un couple d’homosexuelles comme les parents d’un enfant né par GPA ; l’arrêt Jessica Marchi c. Italie du 27 mai 2021 (req. n° 54978/17) adoptant la même solution dans un cas de placement d’un enfant accueilli provisoirement ; l’arrêt Nechay c. Russie du 25 mai 2021 (req. n° 40639/17) qui, lui, constate une violation de l’article 8 parce que les contacts entre un père et sa fille avaient été limités à dix heures par an ; l’arrêt S.W. c. Royaume-Uni du 22 juin 2021 constatant une violation du droit au respect de la vie privée d’une assistante sociale appelée comme témoin parce que le juge avait proféré contre elle des accusations de faute professionnelle ; l’arrêt Atima limited c. Ukraine du 20 mai 2021 (req. n° 56714/11) ; l’arrêt Bisar Ayhan c. Turquie du 18 mai (req. n° 42329/12) constatant que le droit à la vie avait été violé au cours d’opérations militaires et le troublant arrêt du 29 juin A.O. Falun Dafa c. Moldova (req. n° 29458/15) concluant aux violations des articles 9 et 11 dans une affaire de dissolution d’une organisation dont le symbole rappelait une croix gammée.

Pour mieux en faire ressortir leur originalité, on évoquera en conclusion l’arrêt Norwegian Confederation of Trade Unions c. Norvège du 10 juin (req. n° 45487) considérant qu’il n’y avait pas de violation de l’article 11 dans une affaire où le boycott d’une compagnie maritime qui employait des dockers en dehors de la convention collective avait été déclaré illégal et l’arrêt Stetsov c. Ukraine du 11 mai (req. n° 5170/15) constatant une violation de l’article 2 du Protocole n° 4 qui consacre la liberté de circulation en raison d’une interdiction de quitter le territoire jusqu’au paiement intégral d’une dette contractuelle.

Effet de la subrogation légale entre l’assureur, le FGTI et la victime

Un individu a été victime, le 26 octobre 2004, d’une agression. Sa mère avait souscrit un contrat d’assurance garantissant, à elle et ses enfants majeurs à charge, la prise en charge d’accidents.

La victime, représentée par sa mère, a saisi une commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales (CIVI) aux fins d’expertise et indemnisation. Un accord entre le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) et la victime a été trouvé et a été homologué par la Commission. Ce dernier a fixé l’indemnisation de son préjudice à hauteur de 503 294,44 €.

La victime a, ensuite, assigné l’assureur pour que le juge ordonne la tenue d’une expertise visant à lui permettre d’obtenir une provision de 10 000 €.

À la suite du décès de la victime et de son représentant légal, le frère de la victime a assigné l’assureur en intervention forcée à l’instance d’appel.

La cour d’appel a confirmé le jugement du 9 décembre 2013 qui donnait acte au FGTI de ce qu’il avait déjà versé la somme 503 294,44 € et condamnait l’assureur à payer à la victime une provision de 10 000 €. Les juges du fond ont surtout confirmé la décision de première instance en ce qu’elle jugeait que l’indemnisation accordée par le FGTI à la victime ne faisait pas obstacle aux demandes dirigées par cette dernière représentée par sa mère contre l’assureur.

L’assureur forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation dont seul le premier moyen est reproduit dans la décision.

Dans la première branche du moyen, l’assureur fait valoir que l’accord intervenu entre le FGTI et la victime – et homologué par la CIVI – privait la victime de tout intérêt et qualité à agir contre l’assureur. Ce dernier explique que le FGTI avait déjà indemnisé la victime et avait été subrogé jusqu’à concurrence de cette indemnité dans ses droits et actions contre les personnes tenues d’assurer la réparation totale ou partielle du préjudice souffert. Dit autrement, la subrogation qui s’est opérée rendait, selon l’assureur, sans effet et sans intérêt la formation d’une action nouvelle de la part du subrogeant.

Dans la deuxième branche du moyen, l’assureur remet en cause le raisonnement de la cour d’appel selon lequel l’indemnisation par le FGTI et celle demandée en application du contrat d’assurance ne reposaient pas sur les mêmes fondements si bien que l’homologation obtenue auprès de la CIVI n’avait pas autorité de la chose jugée dans les rapports entre la victime et l’assureur. Selon ce dernier, ce raisonnement est inopérant, car la subrogation légale a un effet translatif et prive donc de jure la possibilité pour la victime d’intenter une nouvelle action.

Dans la troisième branche du moyen, l’assureur explique que l’action en répétition offerte par l’article 706-11 du code de procédure pénale au bénéfice du FGTI à l’encontre de la CIVI ne concerne que le cas dans lequel la victime a déjà obtenu le paiement de son indemnité par le FGTI et qu’elle obtient, auprès d’un autre organisme, une seconde indemnité relative au chef de préjudice ayant déjà fait l’objet d’une indemnisation. L’assureur tentait de montrer qu’il ne s’agissait pas de ce cas-là mais d’une nouvelle action du subrogeant – la victime – à l’encontre de l’assureur et non, comme cela aurait dû être une action du subrogé – le FGTI –, à l’encontre du tiers débiteur.

La question posée à la Cour de cassation consistait à déterminer si la victime était fondée à intenter une nouvelle action à l’encontre de son assureur pour obtenir une indemnisation dont le principe a déjà été validé par le FGTI et l’accord, homologué par la CIVI.

L’enjeu de la question consistait ainsi à déterminer s’il était possible, pour l’ayant droit, de solliciter auprès de son assureur une indemnisation supplémentaire alors qu’une convention est intervenue concernant un préjudice déjà réparé.

La Cour de cassation effectue un contrôle lourd de l’arrêt d’appel et juge le moyen mal fondé. Elle rappelle, tout d’abord, que le régime de responsabilité des articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale est un régime autonome répondant à des règles qui lui sont propres. Elle juge ensuite que la cour d’appel a exactement retenu que la victime avait eu le droit d’agir contre son assureur nonobstant sa qualité de subrogeant. Il en résulte que le FGTI aura la possibilité de demander à la CIVI que la victime rembourse les sommes déjà versées.

Le plus souvent, lorsqu’une personne est victime d’un dommage, et que les conditions de l’article 706-3 du code de procédure pénale sont remplies, elle obtient réparation auprès du FGTI. Le FGTI est alors subrogé, en application de l’article 706-11 du code de procédure pénale, dans les droits de la victime, ce qui lui permet d’être titulaire d’un recours envers le responsable ou envers toute personne tenue à un titre quelconque d’en assurer la réparation.

Ici, la victime a obtenu réparation de son préjudice à hauteur de 503 294,44 € à la suite d’un accord intervenu entre l’ayant droit de la victime et la FGTI, accord homologué par la CIVI. Puisqu’il s’agit d’un accord, il est possible que l’indemnisation n’ait pas été complète même si elle censée être totale (v. C. pr. pén., art. 706-3 ; v. aussi, R. Bigot, Les sommes déductibles du versement par le FGTI, note ss Civ. 2e, 7 mars 2019, n° 17-27.139, Dalloz actualité, 27 mars 2019). La question se posait donc de savoir si, sur le fondement contractuel, l’ayant droit avait la possibilité de demander des sommes supplémentaires, en l’occurrence, une provision de 10 000 €.

Il est vrai qu’en matière de subrogation, le subrogeant se trouve désintéressé par le paiement qui lui a été octroyé. L’ayant droit de la victime a déjà obtenu une somme de la part du FGTI et cette somme faisait l’objet d’un accord homologué par la CIVI. Il est donc légitime de se demander ce qui fondait l’ayant droit à demander une provision de 10 000 € à l’encontre de l’assureur. Puisque le FGTI est subrogé dans ses droits, il deviendrait titulaire de son action et de tous ses accessoires (Civ. 1re, 29 oct. 2002, n° 00-12.703, D. 2003. 1092 image, obs. V. Avena-Robardet image ; RDI 2003. 340, obs. H. Heugas-Darraspen image), ce qui aurait pour effet de désintéresser la victime ou son ayant droit. Pour répondre, la Cour de cassation fait bien la distinction entre le fondement contractuel, d’une part, matérialisé par le contrat d’assurance et ses spécificités, et le régime de l’article 706-3 du code de procédure pénale, d’autre part, qui est un régime autonome de responsabilité pour lequel elle rappelle régulièrement qu’il répond à des règles qui lui sont propres (Civ. 2e, 18 juin 1986, n° 84-17.283, Bull. civ. II, n° 93 ; 1er juill. 1992, n° 91-19.918, Bull. civ. II., n° 181 ; RCA 1992. Comm. 407 ; Dr. pénal 1992. Comm. 247, note A. Maron ; 13 oct. 1993, n° 91-21.540, Bull. civ. II, n° 285 ; RCA 1994. Comm. 7 ; 8 déc. 1993, Bull. civ. II, n° 359 ; RCA 1994. Comm. 47 ; Dr. pénal 1994. Comm. 77, note A. Maron ; jur. cités in H. Groutel, J.-Cl., fasc. 20, n° 88).

Dès lors, deux situations peuvent se présenter : si le FGTI est mis en cause dans l’action de l’ayant droit à l’encontre de l’assureur, le Fonds bénéficiera d’une action subrogatoire à l’encontre de la victime pour récupérer les sommes versées afin que cette dernière ne bénéficie pas d’une double indemnisation.

Dans le deuxième cas de figure, si le FGTI n’est pas mis en cause dans l’action de l’ayant droit à l’encontre de l’assureur, le Fonds bénéficiera d’une action en répétition, sur le fondement de l’article 706-10 du code de procédure pénale, qui lui permettra là encore de récupérer les sommes déjà versées à la victime.

Ainsi, les premiers juges ont considéré que le recours contractuel de la victime ne constituait pas une atteinte au principe de réparation sans perte ni profit, car la loi a justement prévu un recours spécifique – l’action en répétition de l’indemnité –, qui permet au FGTI d’obtenir le remboursement de toutes les sommes qui auraient éventuellement déjà été versées. S’il s’agit d’un surplus d’indemnisation, la victime peut la conserver, mais s’il s’agit d’une demande d’indemnisation qui correspond à une somme déjà allouée, le FGTI pourra la récupérer.

Il faut aussi rappeler que le FGTI n’agit pas à titre subsidiaire ce qui justifie que la victime puisse s’adresser à l’un quelconque de ses débiteurs pour demander une indemnisation sans que l’un d’entre eux soit privilégié (Civ. 2e, 23 juin 1993, n° 91-19.791, Bull. civ. II, n° 224 ; 6 nov. 1996, n° 94-17.970, Bull. civ. II, n° 243 ; D. 1996. 268 image ; RCA 1997. Chron. 1, obs H. Groutel). Ainsi, le FGTI ne peut renvoyer la demande de la victime ou de son ayant droit sous prétexte qu’il existe un autre débiteur.

Même quand le FGTI exerce son recours subrogatoire sur le fondement de l’article 706-11 du code de procédure pénale, la victime ou son ayant droit est en mesure de saisir le juge pour obtenir une indemnité complémentaire. Cela s’explique par le fait que les deux modes de réparation sont strictement autonomes. La question de l’intérêt et de la qualité à agir n’était pas un obstacle car la Cour de cassation juge que « l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action et que l’existence du préjudice invoqué par le demandeur n’est pas une condition de recevabilité de l’action mais de son succès » (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-19.827 ; Civ. 1re, 27 nov. 2019, n° 18-21.535). Appliqué en l’espèce, cela signifie que la victime avait intérêt à agir sur le fondement contractuel, la question de la double indemnisation du préjudice ne pouvant se poser que dans un second temps et il appartiendra alors au FGTI de justifier de l’opportunité de son recours.

C’est aussi l’autonomie du régime, rappelée dans l’incipit de l’attendu de l’arrêt commenté, qui justifie l’exclusion des règles de l’ancien article 1251, 3e, du code civil sur la subrogation et son effet translatif. Le FGTI est un fonds visant à garantir à tous le droit à une indemnisation au nom de la solidarité nationale. À cet égard, il n’est pas tenu avec l’assureur du payement de la dette et n’a pas la qualité de coobligé à une dette commune.

Le Baiser de Brancusi ne bougera pas

Le groupe sculpté Le Baiser de Constantin Brancusi et son socle formant une stèle constituent, avec la tombe, un « immeuble par nature » au sens de la loi, ce qui permet à l’État de l’inscrire aux monuments historiques sans recueillir l’accord de ses propriétaires.

Tania Rachewskaïa est née en 1887 en Russie puis a émigré en France où elle poursuivait des études de médecine. Elle s’est suicidée le 5 décembre 1910, à l’âge de vingt-trois ans, par amour, dit-on, pour son professeur et amant. Elle a été inhumée dans le cimetière du Montparnasse dans une concession funéraire acquise à titre perpétuel par son père. Son professeur était un ami du sculpteur Constantin Brancusi et, à son initiative ou par son intermédiaire, a été installé sur la tombe de la jeune femme un groupe sculpté, Le Baiser. Les descendants de la défunte ont fait valoir leurs droits sur la concession perpétuelle en 2005 et entrepris des démarches pour déposer et exporter la sculpture. L’État s’y est opposé en élevant Le Baiser au rang de...

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Devoir de vigilance : la désignation de tribunaux judiciaires dédiés adoptée au Sénat

Les deux chambres sont tombées d’accord. Députés et sénateurs ont choisi de lever l’incertitude sur la compétence du tribunal pour les contentieux fondés sur le devoir de vigilance, en votant, dans le cadre de l’examen du projet de loi Climat et résilience, en faveur de l’ajout au code de l’organisation judiciaire d’un article qui prévoit qu’« un ou plusieurs tribunaux judiciaires spécialement désignés connaissent des actions relatives au devoir de vigilance fondées sur les articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du code de commerce ».

Introduites dans le texte par les députés, en accord avec le cabinet du ministre de la Justice, ces dispositions figurent également, à l’identique, à l’article 34 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire (en cours d’examen). Il y a donc peu de doute quant à leur adoption définitive, même si le lobbying des grandes entreprises, plus favorables à la compétence du tribunal de commerce en la matière, parvenait à les faire disparaître d’un des deux textes.

Clarification de la compétence du tribunal

« Il existe aujourd’hui une...

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Cassation du chef du dispositif concernant la fixation du préjudice total

« Pendant longtemps, la détermination de la portée de la cassation qui avait été prononcée a été une question particulièrement délicate. Certains arrêts de cassation ne précisaient pas, dans leur dispositif quelle était l’étendue de celle-ci ou les chefs de dispositif concernés. Et, lorsqu’ils le faisaient, la Cour de cassation refusait de s’en tenir à une conception purement formelle et jugeait parfois que l’annulation d’une décision, si généraux et absolus que soient les termes dans lesquels elle a été prononcée, était limitée à la portée du moyen qui lui avait servi de base et laissait subsister comme passées en force de chose jugée toutes les autres parties de la décision qui n’avaient pas été attaquées par le pourvoi » (Rép. pr. civ., v° Pourvoi en cassation, par J. et L. Boré, n° 903 ; v. égal. sur le sujet J. Voulet, L’étendue de la cassation matière civile, JCP 1997. I. 2877).

Bien que les règles soient plus claires depuis quelques années, juge du fond et juges du droit ne sont pas toujours d’accord sur la portée et l’étendue de la cassation, ce que montre l’arrêt du 17 juin 2021.

En l’espèce, le conducteur d’une motocyclette a été blessé, le 9 juin 2010, lors d’une collision avec un autre véhicule. Après expertise, l’assureur du conducteur de l’autre véhicule l’a assigné pour que son droit à indemnisation soit limité en raison de ses fautes. Le conducteur victime a sollicité l’indemnisation intégrale de son préjudice.

Un arrêt d’appel du 23 mai 2017 avait jugé que ce dernier avait commis une faute de nature à limiter son droit à indemnisation et avait fixé son préjudice total en fonction. Il a été cassé par un arrêt de cassation rendu le 13 septembre 2018 (Civ. 2e, 13 sept. 2018, n° 17-22.427).

Devant la cour d’appel de renvoi, la victime avait sollicité que son indemnisation soit fixée, pour tous ses postes de préjudice, à des sommes supérieures à celles retenues par le jugement. L’assureur du conducteur avait fait valoir que la cassation n’ayant porté que sur le poste de tierce personne temporaire, il n’y avait pas lieu de discuter à nouveau les autres postes.

La cour d’appel de renvoi, par un premier arrêt partiellement avant dire droit du 19 septembre 2019, a fixé le montant de l’indemnisation de la victime de ce seul chef, en ordonnant, s’agissant de la fixation du préjudice global de la victime et des demandes de condamnations, la réouverture des débats pour que les parties s’expliquent sur une erreur matérielle affectant l’arrêt du 23 mai 2017. La cour d’appel avait toutefois précisé, dans ses motifs, qu’il lui appartenait de ne juger que la demande relative à l’indemnisation du poste de préjudice d’assistance temporaire par une tierce personne, dès lors que tous les chefs de jugement supplémentaires avaient été définitivement jugés en l’absence de cassation, et énonçant, dans son dispositif, qu’elle statuait dans les limites de la cassation.

Par un second arrêt rendu le 30 juin 2020, la cour d’appel de renvoi a fixé le préjudice total de la victime ainsi que la part d’indemnité lui revenant, après imputation de la créance du tiers payeur et celle incombant à l’assureur, et condamné ce dernier à une certaine somme, sans examiner, dans ses motifs, l’ensemble des chefs de préjudice invoqués par la victime.

La victime a formé un pourvoi contre ces deux arrêts. Elle reprochait à la cour d’appel de renvoi...

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Compétence dans l’Union pour atteinte aux droits de la personnalité

Une société de droit allemand publie sur son site internet un journal régional en langue allemande qui est accessible dans différents pays, dont la Pologne. Au cours de l’année 2017, elle diffusa un article relatif à une personne déportée au cours de la Seconde Guerre mondiale. Cet article précisait que sa sœur avait été « assassinée dans le camp d’extermination polonais de Treblinka ». À la suite de l’intervention du consulat de Pologne à Munich, cette formule fut supprimée et l’article, corrigé, précisa alors que cette sœur avait « été assassinée par les nazis dans le camp d’extermination nazi allemand de Treblinka, sis en Pologne occupée ».

Cette affaire eut une suite judiciaire : un ressortissant polonais résidant à Varsovie, qui avait lui-même été déporté dans le camp d’Auschwitz, saisit un tribunal polonais, en faisant valoir que l’article considéré, même s’il portait sur la situation de tiers et ne le visait pas lui-même, avait porté atteinte à ses droits de la personnalité et notamment à son identité et à sa dignité nationales, précisément eu égard à sa nationalité polonaise et à la mise en cause, selon lui, des ressortissants polonais en général par la référence au « camp d’extermination polonais de Treblinka ».

La compétence de ce juge fut alors contestée, aux motifs que le journal n’était disponible qu’en langue allemande, qu’il traitait principalement des actualités régionales et – surtout – que le demandeur n’était pas, en tant qu’individu, nommément visé par l’article.

La Cour de justice a alors été saisie de questions préjudicielles sur le fondement de l’article 7, point 2, du règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Celui-ci dispose qu’en matière délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

La question de l’application de ce principe en présence d’une atteinte aux droits de la personnalité d’une personne au moyen de contenus mis en ligne sur un site internet n’est certes pas nouvelle (pour une synthèse de la jurisprudence, v. T. Azzi, Compétence juridictionnelle en matière de cyberdélits : l’incontestable déclin du critère de l’accessibilité, Rev. crit. DIP 2020. 695 image).

La Cour de justice a ainsi déjà jugé que, dans un tel cas, la personne qui s’estime lésée a la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, soit les juridictions de l’État membre du lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, soit les juridictions de l’État membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts. Cette personne peut également, en lieu et place d’une action en responsabilité au titre de l’intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été. Celles-ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie (CJUE 25 oct. 2011, eDate Advertising e.a., aff. C-509/09 et C-161/1, Dalloz actualité, 7 nov. 2011, obs. S. Lavric ; D. 2011. 2662 image ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1279, chron. T. Azzi image ; ibid. 1285, chron. S. Bollée et B. Haftel image ; ibid. 2331, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; Légipresse 2011. 586 et les obs. image ; ibid. 2012. 95, Étude J.-S. Bergé image ; Rev. crit. DIP 2012. 389, note H. Muir Watt image ; ibid. 2020. 695, étude T. Azzi image ; RTD com. 2012. 423, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image ; ibid. 554, obs. F. Pollaud-Dulian image ; RTD eur. 2011. 847, obs. E. Treppoz image ; JDI 2012. 6, note G. Guiziou ; JCP 2012. 28, note S. Francq ; Europe 2011. Comm. 499, obs. L. Idot ; RLDI nov. 2011, p. 76, obs. L. Costes ; ibid. janv. 2012, p. 78, note L. Pech ; CCE 2012. Chron. 1, nos 6 et 10, obs. M.-E. Ancel). Par la suite, la Cour de justice a également énoncé que la personne qui s’estime lésée a la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, la juridiction du lieu où se trouve le centre de ses intérêts (CJUE 17 oct. 2017, Bolagsupplysningen et Ilsjan, aff. C-194/16, pt 32, Dalloz actualité, 8 nov. 2017, obs. F. Melin ; D. 2018. 276 image, note F. Jault-Seseke image ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée image ; Rev. crit. DIP 2018. 290, note S. Corneloup et H. Muir Watt image ; ibid. 2020. 695, étude T. Azzi image ; RTD com. 2018. 520, obs. A. Marmisse-d’Abbadie d’Arrast image ; JCP 2017. 1293, note M. Laazouzi ; Europe 2017. Comm. 494, obs. L. Idot ; CCE 2018. Chron. 1, n° 6, obs. M.-E. Ancel ; ibid. Étude 8, par M.-E. Ancel et B. Darmois ; Procédures 2017. Comm. 306, obs. C. Nourissat ; BJS 2018, n° 1, p. 13, note M. Menjucq ; JDI 2018. Chron. 9, n° 9, obs. L. d’Avout), ce principe s’imposant dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et non aux fins de protéger spécifiquement le demandeur (même arrêt, pt 38).

Néanmoins, dans l’affaire jugée le 17 juin 2021, il existait une spécificité importante puisqu’il s’agissait de déterminer si la juridiction du lieu où se trouve le centre des intérêts d’une personne prétendant que ses droits de la personnalité ont été violés par un contenu mis en ligne sur un site internet doit être tenue pour compétente, pour connaître de l’intégralité du dommage allégué, même si ce contenu ne permet pas d’identifier, directement ou indirectement, cette personne en tant qu’individu.

Cette spécificité conduit la Cour à retenir que si une réponse positive devait être apportée à cette interrogation, il y aurait atteinte à la prévisibilité des règles de compétence et à la sécurité juridique du point de vue de l’émetteur du contenu concerné, dès lors que le plaignant n’est ni nommément mentionné ni indirectement identifié en tant qu’individu dans le contenu (arrêt, pt 37). En effet, cet émetteur ne peut pas raisonnablement prévoir qu’il sera assigné devant des juridictions d’un autre État membre, puisqu’il n’est pas, au moment où il met un contenu en ligne sur internet, en mesure de connaître les centres des intérêts de personnes qui ne sont nullement visées par ce contenu (arrêt, pt 38). Bien plus, une interprétation contraire conduirait à une multiplication des chefs de compétence potentiels (arrêt, pt 39).

La Cour en déduit que, puisque le plaignant n’était pas identifié en tant qu’individu, que ce soit directement ou indirectement, dans le contenu mis en ligne sur le site internet du journal allemand, il n’existe pas un lien particulièrement étroit entre le litige et la juridiction du lieu du centre des intérêts du demandeur, de telle sorte que cette juridiction n’est pas compétente pour connaître de ce litige au titre de l’article 7, point 2, du règlement (arrêt, pt 45).

Ainsi, au sens de cet article 7, point 2, « la juridiction du lieu où se trouve le centre des intérêts d’une personne prétendant que ses droits de la personnalité ont été violés par un contenu mis en ligne sur un site internet n’est compétente pour connaître, au titre de l’intégralité du dommage allégué, d’une action en responsabilité introduite par cette personne que si ce contenu comporte des éléments objectifs et vérifiables permettant d’identifier, directement ou indirectement, ladite personne en tant qu’individu ».

Il faut déduire de cette formule que dès lors que le recours à l’article 7 est écarté, la compétence doit être déterminée en application de la règle générale de l’article 4 du règlement, selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

La solution qui est ainsi consacrée par la Cour de justice de l’Union européenne est convaincante. Elle permet, comme l’indique parfaitement l’arrêt, d’assurer la sécurité juridique et la prévisibilité des solutions, en établissant un équilibre entre les intérêts des parties : le demandeur a bien la possibilité de saisir un juge sur le fondement de l’article 4 du règlement et donc en vertu d’une règle dont la pertinence n’a jamais été discutée ; et le défendeur échappe aux difficultés qui apparaîtraient s’il devait plaider dans l’État du lieu du centre des intérêts du demandeur, dans l’hypothèse – sans doute très rare en pratique – où il ne peut pas raisonnablement s’attendre à y être assigné faute d’avoir préalablement nommément mis en cause ce demandeur.

Oralité classique et amiable préalable obligatoire : des précisions

Un arrêt rendu le 1er juillet 2021 par la deuxième chambre civile permet de revenir sur deux questions qui ont déjà occupé la Cour de cassation : l’une est assez « traditionnelle », puisqu’elle a trait à l’oralité « classique » que l’arrêt précise encore davantage ; l’autre est « émergente », qui a suscité un arrêt le 15 avril 2021 (Civ. 2e, 15 avr. 2021, n° 20-14.106, Dalloz actualité, 10 mai 2021, obs. C. Bléry)… et en suscitera d’autres, malheureusement, mais sans surprise.

La décision est rendue à propos d’un tribunal et d’une procédure aujourd’hui disparus, la réforme Belloubet (loi, ordonnance et décret) ayant supprimé le tribunal d’instance et le tribunal de grande instance, fusionnés en tribunal judiciaire, et les actes introductifs d’instance autres que l’assignation et la requête, au 1er janvier 2020 ; la déclaration au greffe était une formule procédurale utilisable pour introduire l’instance devant le tribunal d’instance, à côté, notamment de l’assignation (à toutes fins), lorsque le montant de la demande n’excédait pas 4 000 € (v. C. pr. civ., art. 843, issu du décret n° 2010-1165, 1er oct. 2010 et abrogé par le décret n° 20219-1333, 11 déc. 2019). Cependant, les enseignements de l’arrêt du 1er juillet sont, eux, bien vivants, car transposables en droit positif.

L’affaire oppose une cliente à une entreprise de déménagement. À la suite d’échanges et démarches, restés vains, la cliente saisit un tribunal d’instance par déclaration au greffe du 27 juin 2018, de diverses demandes en paiement, d’un montant total inférieur à 4 000 €, dirigées contre le déménageur.

Des demandes de renvoi sont formulées et accordées par le tribunal. Puis les parties déposent un dossier à l’audience du 20 septembre 2019. Dans ses écritures, la demanderesse fait valoir diverses tentatives de résolutions amiables et offre de les prouver.

Le tribunal d’instance de Lyon rend un jugement, en dernier ressort, le 19 novembre 2019. Il constate que les parties ont déposé à l’audience des dossiers contenant leurs écritures respectives, mais il rejette les demandes. Plus précisément, il les déclare irrecevables pour deux raisons : d’une part, parce que les demandes ont été formulées par écrit par la demanderesse (dans le dossier remis lors de l’audience), « mais non soutenues oralement » ; d’autre part, car les demandes formulées la demanderesse, par déclaration au greffe, l’ont été « sans justification de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ». Il estime donc que tant l’article 446-1 du code de procédure civile, qui régit les procédures orales, que l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, imposant une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf exception, n’ont pas été respectés.

La cliente se pourvoit en cassation.

La Cour de cassation casse le jugement en toutes ses dispositions. Pour ce faire, elle relève d’office un moyen : après avis donné aux parties conformément à l’article 1015 du code de procédure civile, elle fait application de l’article 620, alinéa 2, du même code et reproche au tribunal d’instance une violation de l’article 446-1, alinéa 1er, du code de procédure civile. Puis, elle suit le pourvoi (quatrième branche du moyen) : elle juge que le tribunal d’instance n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 4 de la loi J21.

Oralité classique

Si la procédure orale s’attire des louanges (elle faciliterait la conciliation, serait plus simple, etc.), elle a des inconvénients tout aussi réels : elle comporte des dangers, elle tend des pièges, comme la difficulté de vérifier le respect du principe du contradictoire ; elle emporte surtout la pesante obligation de principe d’être présent à l’audience, c’est-à-dire en pratique à toutes les audiences (C. Bléry et J.-P. Teboul, « D’un principe de présence à une libre dispense de présentation ou les évolutions en cours de l’oralité », in Quarantième anniversaire du Code de procédure civile (1975-2015), Éd. Panthéon-Assas, 2016, p. 109 ; E. de Leiris, « Les métamorphoses des procédures orales. Le décret du 1er octobre 2010 », in C. Bléry et L. Raschel [dir.], Les métamorphoses de la procédure civile, colloque Caen, Gaz. Pal. 31 juill. 2014, p. 24 ; J.-L. Gillet, « Faut-il sauver l’oralité ? », in Justices et droit du procès. Mélanges en l’honneur de S. Guinchard, Dalloz, 2010, p. 709 s., n° 1 ; C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « , », 2020, nos 956 s.).

En effet, traditionnellement, l’oralité implique l’obligation pour le plaideur ou son représentant d’être physiquement présent à l’audience afin de présenter oralement ses prétentions et ses moyens ou, au moins, de se référer aux prétentions et aux moyens qu’il aurait formulés par écrit : c’est l’oralité classique. Le décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale en matière civile, commerciale et sociale a, en partie, changé la donne. À côté de l’oralité classique, la réforme de 2010 a institué une oralité moderne en conférant une valeur autonome aux écrits et a dispensé les parties, sous certaines conditions, de se présenter à l’audience – les questions de la dispense de présentation et du régime juridique de l’écrit étant liées. Les règles relatives à l’oralité, surtout moderne, ont par la suite été modifiées à plusieurs reprises (C. Bléry, Un juge civil toujours plus lointain… ? Réflexions sur la dispense de présentation et la procédure sans audience, Dalloz actualité, dossier, 22 déc. 2020).

Cependant, le principe de présence a été maintenu en 2010 et affirmé à l’article 446-1, alinéa 1er : « les parties présentent oralement à l’audience leurs prétentions et les moyens à leur soutien ». L’article 446-1, alinéa 1er, a repris l’autre aspect du principe de l’oralité classique, selon lequel « elles peuvent également se référer aux prétentions et aux moyens qu’elles auraient formulés par écrit. Les observations des parties sont notées au dossier ou consignées dans un procès-verbal ». Ces principes ont toujours suscité de la jurisprudence.

Par exemple, il a été jugé que :

• les parties doivent être présentes à l’audience… même si l’unique convocation à celle-ci a eu lieu deux ans et demi avant, « aucune disposition du code de procédure civile ne prévoyant un délai maximum entre la convocation et la date de l’audience » (Civ. 2e, 9 juill. 2015, n° 14-15.209, Dalloz actualité, 4 sept. 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 1548 image ; ibid. 1791, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, D. Chauchis et N. Palle image ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero image) ;

• une juridiction (d’exception) devant laquelle la procédure est orale n’est pas saisie des prétentions et moyens exposés dans des écrits. Malgré le caractère traditionnel de la règle, la Cour de cassation ne cesse de le rappeler (v. par ex. Civ. 2e, 17 oct. 2013, n° 12-26.046 P, D. 2013. 2472 image ; Gaz. Pal. 8-10 déc. 2013, p. 26, obs. C. Bléry ; 15 mai 2014, n° 12-27.035, Dalloz actualité, 26 mai 2014, obs. F. Melin ; D. 2014. 1158 image ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2015. 938, obs. N. Cayrol image ; JCP 2014. 840, obs. C. Bléry et J.-P. Teboul ; ou, récemment, 21 mars 2019, n° 17-27.805 P ; 24 juin 2021, n° 20-12.430 NP…) ;

• se référer aux écrits n’implique pas de reprendre oralement la totalité des demandes exposées dans ces écrits (Civ. 1re, 13 mai 2015, n° 14-14.904 P, Dalloz actualité, 5 juin 2015, obs. M. Kebir ; D. 2015. 1569, obs. J.-J. Lemouland, D. Noguéro et J.-M. Plazy image ; ibid. 2016. 449, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2015. 410, obs. T. Verheyde image ; RTD civ. 2015. 587, obs. J. Hauser image ; ibid. 938, obs. N. Cayrol image ; et déjà Soc. 17 juill. 1997, n° 96-44.672 P : l’avocat « n’était pas tenu de développer ses conclusions déposées à la barre »), ce que semblent cependant contredire d’autres arrêts, à la formulation plus discutable, mais inédits (v. par ex. Com. 10 mars 2015, n° 13-26.443 ; Civ. 2e, 19 nov. 2015, n° 14-22.916 : « en procédure orale, hors les cas visés au second alinéa de l’article 446-1 du code de procédure civile, le juge n’est tenu de répondre qu’aux moyens et prétentions présentés à l’audience […] » ; adde J. Héron, Droit judiciaire privé, par T. Le Bars et K. Salhi, Lextenso, 7e éd., 2019, n° 639 : « à notre sens, un simple renvoi général à ses conclusions devrait suffire, sauf au juge à demander des explications orales plus détaillées ») ;

• il y a également toute une construction jurisprudentielle sur la valeur des écrits qui ne contiennent pas de prétentions et moyens : c’est ainsi, par exemple, que des écritures transmises au greffe ont pu interrompre immédiatement une prescription ou qu’une exception de procédure a pu être valablement soulevée oralement par une partie à l’audience alors que des écritures sur le fond avaient été déposées antérieurement au greffe par cette même partie (C. Bléry et J.-P. Teboul, « D’un principe de présence à une libre dispense de présentation », op. cit. ; C. Gentili, L’écrit des parties dans la procédure orale, Procédures 2007. Étude 24 ; adde C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, op. cit., n° 960).

L’arrêt du 1er juillet 2021 s’inscrit donc dans cette jurisprudence relative à l’oralité classique. Il apporte une précision sur la notion de « référence aux écrits » : « en l’absence de formalisme particulier pour se référer à des écritures, satisfait aux prévisions de ce texte, la partie qui, hors le cas d’un refus opposé par le tribunal, dépose un dossier comportant ses écritures au cours d’une audience des débats à laquelle elle est présente ou représentée ». La Cour de cassation pose donc un principe : déposer un dossier au cours de l’audience des débats vaut présence et référence aux écritures ; c’est logique puisque le plaideur ou son représentant est bel et bien sur place et s’il dépose le dossier, cela veut dire qu’il entend faire usage de son contenu – prétentions et moyens. Elle assortit cette règle de bon sens de deux limites : premièrement, si une règle spéciale prévoit un formalisme tout aussi spécial, il faut alors le respecter – ce n’est que l’application de specialia generalibus derogant ; deuxièmement, si la juridiction a refusé le dépôt de dossier, alors passer outre au refus exposerait à priver de valeur le dépôt du dossier et donc le contenu du dossier. De fait, l’article 440 du code de procédure civile confère au président le pouvoir de diriger les débats.

L’hypothèse n’est pas d’école puisqu’elle a donné lieu à un arrêt (Civ. 2e, 15 mai 2014, n° 12-27.035, préc.) assez sévère. Sur appel d’un jugement d’un tribunal des affaires de sécurité sociale, le conseil de l’appelant s’était présenté à l’audience de la cour, avait attendu l’appel des causes et, sitôt cet appel effectué, avait souhaité déposer son dossier, ce que la cour lui avait refusé ; malgré ce refus, il avait remis son dossier au greffier et quitté les lieux avant que l’affaire ne soit appelée pour plaider. La Cour de cassation avait rejeté le pourvoi au motif que : « attendu, d’une part, que selon les articles 440 et 446-3 du code de procédure civile, le président dirige les débats et peut inviter, à tout moment, les parties à fournir les explications de fait et de droit qu’il estime nécessaires à la solution du litige ; que, d’autre part, la procédure sans représentation obligatoire applicable au contentieux général de la sécurité sociale étant orale, seules les conclusions écrites, réitérées verbalement à l’audience des débats, saisissent valablement le juge ». La Cour de cassation rejetait ainsi l’argument selon lequel la simple présence en début d’audience suffirait à assurer le respect du principe de l’oralité et affirmait que seule la réitération verbale des écrits à l’audience des débats saisit le juge, sous la réserve d’une éventuelle dispense par ce dernier de soutien oral lors des débats. La même chambre réaffirme donc la règle posée en 2014, sous forme de limite à la solution énoncée en 2021…

L’arrêt du 1er juillet 2021 apporte finalement une précision bienvenue, sur la compréhension de l’article 446-1, alinéa 1er, in fine, sans révolutionner la matière. Cela aurait dû « aller sans le dire », mais l’arrêt atteste que parfois « ça va mieux en le disant ». Il statue également sur la question émergente du « MARD préalable obligatoire ».

MARD préalable obligatoire

Comme l’arrêt du 15 avril 2021 précité, l’arrêt du 1er juillet « est intéressant en ce qu’il se prononce sur la notion récente de “démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige” » (Dalloz actualité, 10 mai 2021, obs. C. Bléry, préc.), spécialement sur la preuve de ces démarches.

Après avoir prévu un système incitatif et inefficace, le législateur a en effet prévu un système plus coercitif. « La loi J21 n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle […] a instauré une véritable sanction dans son article 4, à savoir une fin de non-recevoir que le juge pouvait prononcer d’office. L’hypothèse visée était assez limitée, celle d’une procédure introduite par déclaration au greffe du tribunal d’instance, non précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf trois exceptions (rappelées par la Cour de cassation dans notre arrêt) : « 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; 2° Si les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ; 3° Si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime » (Dalloz actualité, 10 mai 2021, préc.).

La loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (art. 3, II) a repris le système mais en élargissant les cas de recours à l’amiable qui peuvent être entrepris au choix des parties et en modifiant quelque peu les exceptions (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, op. cit., nos 1600 et 1601 ; Dalloz actualité, 10 mai 2021, préc.). Il est complété par l’article 750-1 du code de procédure civile, qui ne concerne actuellement que des cas relevant de la procédure orale ordinaire (et non de la procédure écrite) devant le tribunal judiciaire.

Or le cas de dispense en cause dans l’arrêt du 1er juillet 2021, comme dans celui du 15 avril 2021 (2°), n’est plus mentionné en l’état dans l’article 4 de la loi J21 modifié par la loi Belloubet ; il ne l’est pas davantage dans l’article 750-1 du code de procédure civile issu du décret Belloubet. Pour autant, on peut penser que l’ancien 2° se « coule » dans le nouveau 3° de l’article 4 de la loi et de l’article 750-1 : ce 3° dispose ainsi que « si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ». Il faut cependant pour ce faire considérer que l’existence de « pourparlers » antérieurs et vains constitue un motif légitime (Dalloz actualité, 10 mai 2021, préc., et les réf.).

L’arrêt du 1er juillet 2021 nous conforte dans l’idée qu’il faut admettre cette interprétation (qui nous semble être de bon sens : « MARD sur MARD ne vaut ! ») et que l’analyse de la Cour de cassation n’est pas déjà seulement de l’histoire du droit.

Le tribunal d’instance avait (mal) jugé « qu’en l’espèce, Mme D… opère un dépôt de dossier qui ne contient pas la preuve d’un respect du formalisme requis, que le moyen noté dans ses écritures, de ce qu’elle aurait été empêchée de recourir à un médiateur par le comportement de son contradicteur, étant inopérant sur le respect de cette obligation légale opposable à toute saisine du tribunal réalisée par voie de déclaration au greffe, la demanderesse ne faisant état, dans ses écritures, que d’un « médiateur de la consommation », qu’en conséquence, il appert que les demandes formulées par Mme D…, par déclaration au greffe, sans justification de diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, sont irrecevables ». L’arrêt apporte donc une précision, à savoir que la preuve des diligences n’a pas à respecter un formalisme particulier.

Comme en avril, il faut constater – et c’est heureux pour les justiciables à défaut de l’être pour les juges – que les juges doivent analyser concrètement les éléments apportés par le demandeur, les examiner pour vérifier si le demandeur justifie de démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, sans s’abriter derrière un formalisme (lequel ?) non prévu aux textes… tâche qui prend évidemment du temps, que l’« on » espérait économiser en instituant des obstacles à la saisine du juge. Ces indications données par la haute juridiction nous semblent transposables au 3° de l’article 4 de la loi J21, tel qu’issu de la loi Belloubet…

Au risque de nous répéter, nous terminerons en constatant une nouvelle fois (Dalloz actualité, 10 mai 2021, préc.) qu’« à l’image des nombreuses décisions relatives aux clauses de conciliation ou médiation préalable obligatoire, l’arrêt illustre le paradoxe de l’évolution de notre procédure : les plaideurs sont de plus en plus obligés de recourir aux modes amiables de résolution des différends (MARD, sur lesquels, v. not. N. Fricero et al., Le guide des modes amiables de résolution des différends, 3e éd., LexisNexis, 2017) préalablement à la saisine d’un juge ; or l’« amiable » devient lui-même objet de contentieux, car ses contours ne sont pas nets et qu’il faut donc les définir ». Il y a fort à (tristement) parier que plus d’un arrêt sera nécessaire pour les définir…

Rapport [I]Cour de cassation 2030[/I] : une question de légitimité

Le site de la Cour de cassation présente son dernier rapport en date comme « la concrétisation de la volonté de la première présidente et du procureur général d’organiser une large réflexion sur l’avenir de la Cour de cassation ». Pari réussi pour la haute juridiction qui livre un texte long de 93 pages, plusieurs vidéos explicatives, un résumé schématique et plusieurs articles explicatifs de la méthode employée en amont avec 223 pages d’annexes diverses. Le rapport proposé présente une densité riche et extrêmement nourrie même si certaines propositions resteront peut-être à l’état de projet seulement, eu égard à des questions budgétaires dont l’arbitrage échappe parfois à la Cour de cassation. Il faut constater que l’élaboration du rapport a été plutôt rapide puisque la commission de réflexion a été installée par madame la première présidente Chantal Arens et monsieur le procureur général François Molins le 6 juillet 2020. La lettre de mission prévoyait une remise du rapport en septembre 2021. Le résultat définitif sera, finalement, en avance de deux mois sur la date prévue. La commission était présidée par monsieur André Potocki, magistrat honoraire à la Cour de cassation ayant eu des fonctions au tribunal de première instance de l’Union européenne et de juge élu au titre de la France à la Cour européenne des droits de l’homme. Le but de ce travail était de mener une réflexion prospective tournée vers un objectif, celui de repenser « l’identité et le positionnement de la Cour de cassation, dans son environnement juridique, institutionnel et international » d’après le site de la haute juridiction. Trente-sept propositions ont été formulées et il conviendra aux chefs de la Cour de savoir lesquelles nécessiteront ou non des réformes en fonction du budget alloué au ministère de la Justice, notamment. Du point de vue méthodologique, le travail est remarquable tant les entretiens pluridisciplinaires ont été multipliés. La composition de la commission témoigne de cet effort méthodologique grâce à sa pluralité de magistrats, d’universitaires et d’avocats.

Afin de revenir sur ce rapport, nous examinerons successivement les trois axes majeurs du document : l’adhésion, l’expertise et la communication de la Cour de cassation.

Renforcer l’adhésion : l’intérêt d’un auditoire élargi

La première partie du rapport décrit un monde sous tensions et notamment la réduction des espaces de débat démocratique (p. 24), la densification des sources du droit, notamment supralégislatives (p. 26), et la multiplication des méthodologies possibles (p. 31). Or cette première partie, vierge de toute recommandation, pose les jalons qui permettront de formuler plusieurs propositions importantes dans la suite du rapport destinées à augmenter l’adhésion du public à la Cour de cassation. Mais de quel public parle-t-on ? De la lecture de la page 46, on comprend que le public visé n’est pas seulement celui des juristes mais de l’ensemble des justiciables. Ceci se confirme par l’usage de l’expression « l’auditoire universel », formule chère aux théoriciens du droit grâce aux travaux de Chaïm Perelman. Ainsi, sur des affaires dites « phares » serait organisé un débat exceptionnel. Celui-ci prendrait le nom de « procédure interactive ouverte » dans un but de renforcement de la légitimité de la Cour de cassation pour des affaires particulièrement médiatisées. Ainsi seraient filmées et diffusées les séances préparatoires publiques et les audiences de ces affaires emblématiques. La difficulté se concentrera ici surtout sur l’isolement des pourvois pertinents pour ces procédures interactives mais également sur l’accompagnement et les explications nécessaires pour qu’un justiciable puisse se saisir de la retransmission.

Autre grande proposition, peut-être l’une des plus originales, la possibilité d’intégrer une opinion minoritaire ou séparée, exportation à la française des célèbres opinions dissidentes anglo-saxonnes. Mais quelques originalités sont proposées pour éviter un caractère disruptif : l’opinion minoritaire ou séparée serait rendue anonyme et sa publicité ne serait possible qu’avec l’accord de la majorité. On sait que les opinions dissidentes sont au cœur d’une vaste discussion qui oppose la doctrine, les uns défendant l’intérêt de telles opinions (J.-P. Ancel, « Une opinion dissidente », in La création du droit jurisprudentiel. Mélanges en l’honneur de Jacques Boré, Dalloz, p. 1 s.), les autres refusant plus ou moins catégoriquement leur introduction (J. Boré et L. Boré, Rép. pr. civ, v° Pourvoi en cassation, n° 737 : « il nous semble pourtant préférable que les magistrats de la Cour consacrent leur temps à motiver les décisions de celle-ci plutôt qu’à en dire du mal ». Dans son audition pour l’élaboration du rapport commenté, M. Alain Supiot a indiqué qu’il était favorable à l’expression des opinions dissidentes (p. 193 de l’annexe du rapport). Le document final avance à pas feutrés sur la question tant il faudra ménager les intérêts en présence.

L’élargissement de l’auditoire vise également à renforcer les liens avec le monde de la recherche (p. 49). Le rapport souhaite solliciter plus régulièrement aux fins d’expertise ou d’organisation des universitaires en s’appuyant notamment sur des réseaux interdisciplinaires. On ne peut que louer une telle volonté afin que des réflexions prospectives puissent être menées, par exemple en termes de revirement de jurisprudence. Ce lien entre magistrats et universitaires permettrait notamment de mieux concevoir la fonction normative de la Cour dont on sait qu’elle est de plus en plus exprimée dans les arrêts récents (Cass., ass. plén., 2 avr. 2021, n° 19-18.814, Dalloz actualité, 9 avr. 2021, obs. C. Hélaine ; D. 2021. 1164, et les obs. image, note B. Haftel image ; AJ fam. 2021. 312, obs. J. Houssier image). L’ensemble a pour but d’augmenter la légitimité répondant ainsi au « monde sous tensions » mis en exergue page 20 du rapport, dans sa première partie. Ceci existe déjà, à dire vrai, notamment à travers la mission de recherche Droit et Justice qui sera, au 1er janvier 2022, englobée par un futur groupement d’intérêt public la mêlant avec l’institut des hautes études sur la justice. Le but serait ainsi de parachever davantage que d’innover entièrement.

Cette adhésion renforcée se traduit également par une expertise accrue.

Renforcer l’expertise de la Cour de cassation : l’exigence du collectif

La plaquette de présentation du rapport parle, à ce sujet, d’une « démarche d’intelligence collective ». Cette expertise passe, d’une part, par un dialogue des juges accru et, d’autre part, par des pistes visant à créer de nouvelles dynamiques autour des magistrats de la Cour de cassation.

Un dialogue des juges renforcé

On comprend aisément que le fameux dialogue des juges est au cœur du débat. Il faut noter l’importance de la sémantique : le vocable « dialogue » apparaît cinquante fois dans le rapport commenté. Ceci montre très clairement la volonté de ses rédacteurs de replacer la Cour de cassation non dans une seule position d’autorité mais dans un véritable lieu de discussion afin de rendre la meilleure décision possible pour chaque pourvoi. Pas moins d’une dizaine de propositions sont ancrées dans cette troisième partie du rapport dont on peut en résumer les principaux apports en deux temps concernant le dialogue des juges.

• D’une part, le rapport entend proposer une meilleure structure du dialogue international. La discussion est, en effet, devenue importante avec les questions préjudicielles qui occupent une actualité récurrente. Mais sur ce point, on note que le rapport ne verse pas dans une originalité extrême, les propositions restant générales : meilleure synthèse des positions de la Cour de cassation avant une question préjudicielle, promotion du dialogue proactif, etc. Une proposition particulière se démarque toutefois, page 54 du rapport, la possibilité pour des juges étrangers de siéger avec voix consultative. L’idée paraît séduisante mais elle semble délicate à mettre en œuvre, les difficultés méthodologiques du droit comparé rendant l’avis de magistrats étrangers parfois complexe à mettre en musique avec une solution seulement conforme au droit positif français. Il faudra également déterminer, par le biais de traités multilatéraux, les conditions pour que les juges puissent siéger sereinement même avec seulement une voix consultative.

• D’autre part, le rapport examine le dialogue interne des juges. On comprend que sur ce plan les difficultés se sont accumulées ces dernières années notamment avec un accroissement des pourvois et des solutions rendues brouillant parfois les lignes directrices de la Cour de cassation. Le rapport entend ainsi renforcer les échanges entre juridictions (p. 55) et notamment permettre une possibilité d’alternance entre les fonctions à la Cour de cassation et au sein des juridictions du fond (proposition n° 16). C’est une idée extrêmement intéressante quand on sait que les magistrats ayant des fonctions à la haute juridiction ne restent souvent qu’un temps limité à la Cour de cassation en début de carrière (en tant que conseillers référendaires) avant de revenir en fin de carrière en tant que conseillers (p. 65 du rapport). La solution envisagée risque d’être difficile à moduler et il faudra probablement attendre une réforme d’ampleur pour concrétiser ce vœu fort intéressant. Dans ce contexte, il faut noter le caractère plus aisé à mettre en place des réunions de travail annuelles entre chaque chambre de la Cour et des magistrats de cours d’appel (proposition n° 15) qui permettraient d’assurer une harmonisation plus simple de la jurisprudence. Les propositions visant à améliorer les moyens informatiques et à créer un « service central de documentation judiciaire » concourent également à cet objectif essentiel de communication entre les juges du fond et de cassation. On note également une volonté d’accroître les compétences du Tribunal des conflits pour « éviter les divergences de jurisprudence » (J.-M. Pastor, Quelle Cour de cassation demain ?, AJDA 2021. 1420 image). Mais ici, encore faut-il rappeler que le rapport invite à une réforme d’ampleur du Tribunal des conflits notamment sur sa composition (p. 55). Les discussions doivent être également accentuées, selon le document, entre le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation.

Des réflexions autour de la mise en œuvre du droit

La démarche collective s’inscrit également dans la possibilité de constituer autour des magistrats une véritable équipe. Ceci s’illustre par l’idée d’un recrutement assez important de « juristes-assistants de haut niveau », soit de docteurs en droit ayant une expertise des matières du contentieux concerné selon la chambre de leur affectation. Bien évidemment, le recrutement de juristes assistants dont le rôle est de prêter main-forte aux magistrats ne peut remplacer des postes supplémentaires de fonctionnaires, mais là n’est pas la question. Le but reste surtout d’assurer « un vivier de compétences » (p. 66) permettant, sous le contrôle des auditeurs (c’est-à-dire les magistrats de la Cour chargés des travaux de recherche et d’aide à la décision) et sous l’autorité de la première présidente, de recentrer le magistrat sur son rôle juridictionnel. Il faudra déterminer si les budgets de l’État permettent de tels recrutements de contractuels de catégorie A à haut niveau d’expertise, puisque c’est le public de docteurs en droit qui est visé pour ces postes. L’annexe 1.12 (p. 64 des annexes du rapport) décrit plusieurs pistes possibles et indique le potentiel « exceptionnel » de ce travail d’équipe autour du magistrat.

On notera que la Cour de cassation hésite toujours à publier de manière systématique les documents entourant l’élaboration d’un arrêt, c’est-à-dire le rapport du conseiller rapporteur et l’avis de l’avocat général. Timide avancée, la proposition n° 22 invite à « rendre progressivement plus fréquente » leur publication. Ce serait, en effet, un outil particulièrement intéressant pour mieux comprendre les décisions de la Cour. Même hésitation latente autour du parquet général lequel fait l’objet de l’un des plus longs développements pour une seule recommandation formulée de manière très générale – la proposition n° 20 – mentionnant la reconnaissance de son apport et la nécessité d’adapter ses tâches et son mode de fonctionnement. Le rapport préconise une spécialisation plus poussée du parquet général qui a déjà débuté (p. 63 du rapport). Le chantier est ici très vaste et cette proposition sera nécessairement un des fils d’Ariane des réformes successives tant son importance est capitale.

Madame la première présidente a noté le grand intérêt qu’elle porte à la gestion de l’urgence à la Cour de cassation et notamment aux développements à ce sujet en fin de rapport (v. la vidéo de remise du rapport de juillet 2021). Le document témoigne de l’hésitation du rapport à proposer la possibilité d’une nouvelle voie de recours qui ressemblerait au référé liberté de l’ordre administratif « qu’on pourrait appeler “pourvoi liberté” ou “référé de cassation” ». Mais la proposition n’a pas été formulée eu égard aux difficultés pratiques insurmontables en l’état actuel des choses (diversité des rapports de droit, nombre de décisions, détermination des parties à l’instance). Sur l’urgence, il faudra donc se contenter d’une proposition générale pour appréhender cette gestion particulière. Le but reste évidemment de permettre au justiciable d’obtenir plus rapidement une décision définitive ; ce qui passe également par l’utilisation plus importante des cassations sans renvoi quand plus rien ne reste à juger (c’est par exemple le cas très fréquemment dans le contentieux de l’hospitalisation sous contrainte). Ceci assurerait que le pourvoi en cassation « soit pleinement une voie d’achèvement » (proposition n° 17 ; S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 1023, n° 1407).

À l’expertise renforcée répond une communication améliorée pour maintenir le lien avec le justiciable.

Renforcer la communication de la Cour : la modernité de la justice

Une quatrième partie – substantiellement plus courte que la troisième – invite à rendre la Cour de cassation « visible, intelligible, accessible ». Ce rythme ternaire s’oriente évidemment vers la communication de la haute juridiction. Pour ce faire, la commission propose un meilleur dialogue avec les journalistes et une découverte par les justiciables de la Cour en tant qu’institution. La proposition 36 envisage une « web TV » qui parachèverait les efforts de publicité des colloques de la Cour de cassation déjà retransmis. On retrouve le leitmotiv de l’open data qui constitue un défi selon le paragraphe 3.3.6 du rapport avec notamment une réflexion sur l’intelligence artificielle dont le document met en garde sur « la rigidité de la jurisprudence, le profilage des juges, les tentatives peu sérieuses d’anticipation des décisions » (p. 76). Ce profilage intrigue évidemment mais il conviendra alors de se référer à des travaux faisant autorité en la matière en croisant les points de vue pour déterminer la réalité de ces dangers parfois illusoires (pour une étude d’ampleur, v. S. Mérabet, Vers un droit de l’intelligence artificielle, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèses », 2020, préf. H. Barbier, spéc. p. 311, n° 328).

On retrouve sur le point de la communication des propositions qui sont la continuité des trois premières parties. Aux affaires-phares retransmises sur le site internet de la Cour de cassation, on retrouverait une « stratégie proactive de communication ». Tout ceci fait écho à la fonction de porte-parole de la Cour de cassation, rôle qui serait confié à un magistrat doté de « compétences, d’appétences pour la communication, spécialement formé à cette fin » (p. 86 du rapport). Cette proposition forte aiderait évidemment à accentuer la communication de la Cour par une voix représentant l’institution. Mais on retrouve la difficulté à laquelle chacun pensera naturellement, celle des moyens alloués. Tout ceci doit s’accompagner d’un « accroissement très substantiel des moyens dévolus à la communication », ce qui nécessitera là encore des arbitrages pécuniaires inévitables…

Conclusion

La densité exceptionnelle du rapport pourrait être l’occasion – et sera sans doute le prélude – d’études détaillées de la doctrine sur chaque proposition. Mais il faut bien avouer que l’analyse rapide que nous venons de mener doit faire ressortir plusieurs propositions-phares : les opinions minoritaires, un meilleur dialogue des juges, un rôle du parquet général adapté à son apport important, l’urgence mieux maîtrisée à travers des circuits nouveaux, etc. Il ne reste plus qu’à savoir quelles propositions seront immédiatement mises en place mais s’ouvre alors un nouveau chapitre, celui des concessions et des discussions en fonction des deniers disponibles pour améliorer le mode de fonctionnement de la Cour. Tout ceci se fera sur du court, du moyen et du long terme entre 2020 et 2030 à la veille des états généraux de la justice. En ce sens, ce rapport est une véritable fenêtre sur le monde judiciaire de demain.

Saisine de la juridiction de renvoi : une déclaration de saisine sinon rien

Le 31 janvier 2018, le tribunal de commerce de Bobigny prononce la clôture de la liquidation judiciaire d’une société. Opposition est formée contre ce jugement par la société et son gérant.

À cette occasion, une requête en récusation de trois juges du tribunal est formée par la société et le gérant, avec demande de renvoi devant une autre juridiction.

Cette requête est rejetée par le premier président de la cour d’appel.

Sur pourvoi, l’ordonnance présidentielle est cassée (Civ. 2e, 6 juin 2019, n° 18-15.836), avec renvoi devant le premier président de la cour d’appel de Versailles.

Le 22 janvier 2020, la société et son gérant déposent à nouveau une requête en récusation et demandent de renvoi devant la juridiction de renvoi, sans régulariser une déclaration de saisine. Sur cette requête, le 10 mars 2020, le premier président rend une ordonnance rejetant la demande de récusation et de renvoi.

La Cour de cassation rejette le pourvoi, en relevant d’office le moyen tiré de l’absence de saisine valable de la juridiction de renvoi, les parties ayant déposé une requête sans avoir régularisé une déclaration de saisine.

Une déclaration de saisine en tout état de cause au greffe de la juridiction de renvoi…

Aux termes de l’article 1032 du code procédure civile, qui concerne les dispositions particulières aux juridictions de renvoi après cassation, « la juridiction de renvoi est saisie par déclaration au greffe de cette juridiction ».

Cette disposition s’applique en tout état de cause, quelle que soit la juridiction de renvoi, qu’elle soit de première instance ou d’appel.

Et il n’est pas davantage distingué, si le renvoi est fait devant une cour d’appel, si la procédure est avec ou sans représentation obligatoire, écrite ou orale, si elle relevait du circuit ordinaire avec ou sans désignation d’un conseiller de la mise en état, de la procédure à jour fixe ou même d’une procédure sur renvoi de cassation.

En tout état de cause, et sauf disposition contraire, la partie qui a intérêt à saisir la juridiction devant laquelle la Cour de cassation a renvoyé après cassation devra nécessairement procéder par une déclaration de saisine qui constitue l’unique acte de saisine pour toutes juridictions.

En revanche, cette déclaration de saisine pourra avoir un contenu différent puisque l’article 1033 prévoit que « la déclaration contient les mentions exigées pour l’acte introductif d’instance devant cette juridiction ».

De même, les modalités de remise de l’acte pourront être différentes, la communication électronique s’imposant lorsque la représentation est obligatoire devant la cour d’appel (C. pr. civ., art. 930-1), et étant (désormais) facultative si la représentation est sans représentation obligatoire.

Peu importe en conséquence que la décision cassée émane d’une juridiction devant laquelle il n’y a pas de représentation obligatoire, comme c’était le cas en l’espèce s’agissant du premier président.

Dès lors qu’il n’existe pas de textes dérogatoires en matière de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime, la juridiction de renvoi, qui en l’espèce est le premier président, devait en tout état de cause être saisie par une déclaration de saisine et seulement par une déclaration de saisine.

C’est déjà en ce sens que la Cour de cassation s’était prononcée en matière électorale (Civ. 2e, 23 mai 2001, n° 01-60.516 P, D. 2001. 1848 image), de sorte que cet arrêt ne fait que confirmer la solution déjà donnée.

Il s’agit d’un opportun rappel.

La Cour de cassation fait preuve d’une exigence formelle, et il est tentant de rapprocher cet arrêt d’un précédent arrêt pour lequel la Cour de cassation avait fait preuve de plus de souplesse (Civ. 2e, 19 oct. 2017, n° 16-11.266 P, Dalloz actualité, 21 nov. 2017, obs. R. Laffly ; D. 2017. 2157 image ; Procédures 2018, n° 2, note Croze ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 46, obs. C. Bléry).

Mais la différence dans cette dernière espèce est que l’avocat, même s’il avait effectué un acte très curieux, avait tout de même eu la volonté de saisir la cour d’appel de renvoi.

Rien de tel ici. Les demandeurs ne se sont même pas posé la question de la saisine de la juridiction, ont estimé n’avoir aucune formalité particulière à effectuer pour saisir la juridiction de renvoi et se sont contentés de remettre leur requête au premier président.

… même s’il s’agit de saisir le premier président

En l’espèce, la Cour de cassation avait cassé une ordonnance du premier président et renvoyé les parties devant le premier président de la cour d’appel de Versailles.

Il appartenait donc à la société et à son gérant non de saisir la cour d’appel de Versailles, puis de remettre une requête au premier président, mais de remettre l’acte de saisine au greffe du premier président.

En effet, à aucun moment la cour d’appel n’avait eu à connaître de cette affaire, étant rappelé à cet égard que le premier président n’est pas la cour d’appel. C’est d’ailleurs parce que le premier président est une juridiction à distinguer de la cour d’appel que la Cour de cassation avait refusé de lui étendre la communication électronique, la Cour de cassation considérant que l’arrêté technique du 5 mai 2010 ne s’appliquait qu’aux cours d’appel, à l’exclusion du premier président (Civ. 2e, 6 sept. 2018, n° 17-20.047, Dalloz actualité, 14 sept. 2018, obs. C. Bléry ; 7 déc. 2017, n° 16-19.336 P, Bull. civ. II, n° 227 ; Dalloz actualité, 14 déc. 2017, obs. C. Bléry ; D. 2017. 2542 image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; ibid. 1223, obs. A. Leborgne image). Et ce n’est que depuis le 1er septembre 2020, et l’arrêté du 20 mai 2020 (arr. du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel, JO 21 mai 2020), que cette communication électronique a été étendue à cette juridiction qu’est le premier président.

En l’espèce, surtout, le premier président avait été saisi dans le cadre d’une demande de récusation à l’occasion de la procédure d’opposition, devant le tribunal de commerce, contre le jugement ordonnant la clôture de la liquidation.

L’instance devant le premier juge est toujours en cours, dans l’attente de ce qui devait être décidé par le premier président sur la demande de récusation.

En conséquence, c’est une déclaration de saisine du premier président qui devait être régularisée.

Notons cependant que si la cour d’appel et le premier président de la cour d’appel sont des juridictions distinctes, les articles 966 et suivants situés dans le chapitre « le greffe » ne font pas de distinction quant à eux. Et le greffe dont il est question aux articles 966 et suivants est autant celui de la cour d’appel que celui du premier président.

En pratique, donc, la déclaration de saisine sera remise au même greffe, mais l’acte de saisine devra indiquer la juridiction de renvoi, à savoir le premier président.

Refus de réinscription sur la liste des experts : observations du candidat

Les demandes d’inscription ou de réinscription sur les listes des experts dressées par les cours d’appel génèrent un certain contentieux (v. réc., Civ. 2e, 27 mai 2021, n° 21-60.013, Dalloz actualité, 9 juin 2021, obs. F. Mélin). Deux arrêts du 17 juin 2021 fournissent des précisions en ce domaine.

Dans les deux cas, un expert avait demandé sa réinscription et s’était vu opposer un refus de la part de l’assemblée générale des magistrats du siège de la cour, dans les conditions définies par les articles 10 et suivants du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires. Rappelons que les demandes de réinscription sont envoyées avant le 1er mars de chaque année au procureur de la République près le tribunal judiciaire dans le ressort duquel le candidat exerce son activité professionnelle ou possède sa résidence (art. 10) ; que le procureur instruit la demande de réinscription et transmet la candidature à une commission composée de différentes magistrats du siège et du parquet, de membres des juridictions commerciales et conseils de prud’hommes, et d’experts (art. 11 et 12) ; que cette commission examine la situation de chaque candidat, qu’elle peut...

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Loi protection de l’enfance : les apports des députés

Placement des enfants

Les députés ont fait avancer le texte sur plusieurs points. L’hébergement d’enfants à l’hôtel, possibilité souvent utilisée pour les mineurs non accompagnés, a été source de nombreuses dérives. Cette possibilité sera limitée à deux mois, pour répondre à des situations d’urgence. Les députés ont prévu qu’un décret fixera des normes minimales de prise en charge.

L’article 2 ter du projet de loi prévoit qu’en cas de placement, les fratries ne seront plus séparées, sauf si l’intérêt d’un enfant le commande une autre solution.

L’article premier sur la remise d’une enfant à un membre de sa famille ou à un tiers a été complété, pour garantir, dans ce cas, un accompagnement systématique et permettre un dispositif de visite médiatisée. Par ailleurs, par amendement gouvernemental, l’allocation de rentrée scolaire sera directement versée aux parents en cas de mesure de placement à domicile.

Les députés se sont également penchés sur le cas des jeunes majeurs, anciennement placés. À la suite de leur sortie des dispositifs de l’aide sociale à l’enfance, de très nombreux jeunes sont dans des « situations très précaires ». Un amendement gouvernemental imposera dorénavant une prise en chargé des majeurs de moins de 21 ans, lorsqu’ils ont été confiés à l’aide sociale à l’enfance avant leur majorité et « [qu’ils] éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants ». Cette prise en charge se fera à titre temporaire et sera en plus du dispositif « garantie jeunes ». Par ailleurs, les jeunes majeurs sortant du dispositif de protection de l’enfance feront partie des publics prioritaires pour bénéficier d’un logement social.

Décisions judiciaires

Le texte prévoit qu’en matière d’assistance éducative, le juge des enfants pourra demander au bâtonnier la désignation d’un avocat pour l’enfant capable de discernement lorsque son intérêt l’exige.

Le nouvel article 3 bis A vise à favoriser l’échange d’information entre services sociaux, médicaux, éducatifs et judiciaires.

Un parent privé de l’exercice de l’autorité parentale par une décision judiciaire ne recouvrera plus automatiquement ce droit en raison du décès de l’autre parent. Contre l’avis du gouvernement, un amendement adopté prévoit que la formation collégiale en matière d’assistance éducative devra être composée de trois juges des enfants.

Organisation de la protection de l’enfance

Les missions du nouveau « Groupement d’intérêt public pour la protection de l’enfance, l’adoption et l’accès aux origines personnelles » ont été précisées.

Les centres de « planification et éducation familiale » seront renommés en centres « de santé sexuelle et reproductive », une dénomination jugée moins infantilisante. Les sages-femmes pourront les diriger. Le rôle des PMI en soutien à la parentalité se voit reconnu. Les infirmières puéricultrices pourront prescrire des dispositifs médicaux de soutien à l’allaitement.

Un amendement permettra d’expérimenter la création de « maison de l’enfant et de la famille », pour regrouper différents professionnels.

Mineurs non accompagnés

Sur le contrôle des mineurs isolés, le texte a peu évolué. Toutefois, si la minorité a été constatée, il ne sera plus possible qu’un autre département la réévalue.

À noter, les dispositions pour imposer les prises d’empreinte des gardés à vue avaient été retirées en dernière minute de l’avant-projet de loi. Elles seront intégrées avec plusieurs dispositions sécuritaires dans un nouveau projet de loi Sécurité, qui sera fin juillet en conseil des ministres, avec des dispositions sur les drones et l’irresponsabilité pénale.

Contrats conclus hors établissement et droit de la consommation : QPC non renvoyée

La Cour de cassation a l’occasion de statuer sur un contentieux assez abondant autour de la notion des contrats conclus hors établissement, notion qui a été préférée au démarchage depuis la loi du 17 mars 2014 transposant la directive européenne 2011/83/UE du 25 octobre 2011 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p. 621, n° 577). C’est dans ce contexte qu’a été posée une question prioritaire de constitutionnalité autour de l’article L. 221-3 du code de la consommation. Cet article prévoit que les règles relatives aux contrats conclus à distance et hors établissement sont étendues aux contrats conclus hors établissement entre deux professionnels dès lors que l’objet de ces contrats n’entrent pas dans le champ de l’activité du professionnel sollicité et que le nombre de salariés employés ne dépasse pas cinq. Dans son ouvrage, M. Pellier indique au sujet de cette disposition qu’elle est « l’une des illustrations de l’idée selon laquelle la protection prévue par le code de la consommation ne s’adresse pas exclusivement aux consommateurs, ce qui contribue à troubler un peu plus encore le domaine du droit de la consommation » (J-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 177, n° 133). La disposition concernée suit une logique, en effet, particulière puisqu’elle vient inclure des opérations qui ne devraient pas relever du code de la consommation. Le point posant difficulté réside dans la détermination de la sphère de l’activité principale du professionnel, nécessairement sujette à interprétation. C’est précisément sur ce point que la question prioritaire de constitutionnalité a tenté de jouer.

Les faits ayant donné lieu à cette question sont très classiques. Une ergothérapeute conclut hors établissement deux contrats de licence d’exploitation et de location financière d’un site internet pour une durée de quarante-huit mois. L’ergothérapeute ne peut pas utiliser son droit de rétractation, les sociétés lui refusant. Par acte introductif d’instance du 9 juin 2020, ce dernier assigne ses deux cocontractants en nullité des contrats devant le tribunal judiciaire de Lille. Au cours de la procédure, l’une des deux sociétés décide de poser une question prioritaire de constitutionnalité qui sera transmise à la Cour de cassation par le tribunal judiciaire.

Voici le sujet de la question pour...

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Du champ d’application de la prescription biennale en faveur du consommateur

Le droit de la consommation déroge au droit commun de la prescription en prévoyant que l’action des professionnels envers les consommateurs pour les biens ou services qu’ils fournissent se prescrit par deux ans sur le fondement de l’article L. 218-2 du code de la consommation issu de la loi du 17 juin 2008 (J. Calais-Auloy, H. Temple et M. Depincé, Droit de la consommation, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2020, p.  681, n° 639). Voici une forte asymétrie caractéristique du droit de la consommation puisque le consommateur dispose du délai de droit commun de l’article 2224 du code civil pour agir contre le professionnel, soit cinq ans (J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », p. 164, n° 124). Mais ce raccourcissement du délai ne joue pas pour des personnes qui agiraient dans le cadre de leur activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, et ce eu égard à l’article liminaire du code de la consommation. C’est précisément ce que vient rappeler la Cour de cassation dans un arrêt rendu par la première chambre civile le 30 juin 2021. Les faits trouvent comme support des honoraires d’architecte datant du 14 avril 2011 et du 28 septembre de la même année, dans le cadre d’un projet de construction immobilière. Sur une somme totale de 139 214 €, seuls 11 786,58 € ont été payés. Les relances successives de l’architecte envers son client sont ensuite, en effet, restées vaines. Le 12 novembre 2015, l’architecte assigne donc son client qui lui oppose la prescription de deux ans en application de l’article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation. Le tribunal de grande instance d’Évreux déclare irrecevable car prescrite l’action du professionnel. L’architecte interjette appel mais la cour d’appel de Rouen confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris et notamment eu égard à la prescription de l’action : si une instance en référé avait interrompu celle-ci, le délai de deux ans était toutefois écoulé depuis 2011. C’est dans cette optique que l’architecte se...

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Réinscription sur la liste des experts judiciaires : question de procédure civile

Une personne demande sa réinscription sur la liste des experts judiciaires d’une cour d’appel.

L’assemblée générale des magistrats du siège de cette cour rejette sa demande, en considération de faits contraires à l’honneur et à la probité.

La décision de cette assemblée est annulée par un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation du 6 juin 2019 (pourvoi n° 19-60.065), aux motifs que les faits imputés à l’expert ne constituent pas en eux-mêmes des faits contraires à l’honneur et à la probité et que l’assemblée a dès lors commis une erreur manifeste d’appréciation (sur cet arrêt, v. O. Salati et P. Matet, in T. Moussa [dir.], Droit de l’expertise, Dalloz Action, 2021-2022, n° 122.12). Rappelons en effet que l’article R. 411-5 du code de l’organisation judiciaire dispose que « la Cour de cassation connaît des recours formés contre les décisions prises par les autorités chargées de l’établissement des listes d’experts […] » et que l’article 20 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatif aux experts judiciaires précise quant à lui que « les décisions d’inscription ou de réinscription et de refus d’inscription ou de réinscription prises par l’autorité chargée de l’établissement des listes ainsi que les décisions de retrait prises par le premier président de la cour d’appel ou le premier président de la Cour de cassation peuvent donner lieu à un recours devant la Cour de cassation ».

Par la suite, la même assemblée générale des magistrats rejette de nouveau la demande de réinscription de l’expert, en s’appuyant sur les mêmes faits que ceux qui avaient motivé la première décision de rejet.

Saisie d’un autre recours, la deuxième chambre civile annule la seconde décision de l’assemblée générale. Son arrêt du 17 juin 2021 est prononcé au visa, notamment, de l’article 1355 du code civil, selon lequel « l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ».

L’arrêt énonce que l’autorité de chose jugée qui, en vertu de cet article 1355, s’attache à l’arrêt par lequel la Cour de cassation, statuant sur le recours formé « contre une décision prise en matière d’inscription ou de réinscription d’un expert judiciaire par l’autorité chargée de l’établissement des listes, annule cette décision pour erreur manifeste d’appréciation, fait obstacle à ce que, en l’absence de modification de la situation de droit ou de fait, cette autorité reprenne la même décision pour un motif identique à celui qui a ainsi été censuré ».

Pour bien percevoir la portée de cette solution, qui est énoncée, semble-t-il, pour la première fois, il est utile d’effectuer deux précisions.

D’une part, le recours en annulation dont la Cour de cassation connaît en ce domaine est organisé par des textes spéciaux et a donc une nature originale par rapport au mécanisme habituel de la cassation. En outre, lorsqu’elle dresse la liste des experts judiciaires, l’assemblée générale des magistrats du siège de la cour d’appel intervient comme autorité administrative (Civ. 2e, 27 mai 2021, n° 21-60.013, Dalloz actualité, 9 juin 2021, obs. F. Mélin), ce qui conduit à dire que l’on est en réalité en présence d’un recours pouvant être assimilé à un recours pour excès de pouvoir (J. et L. Boré, La cassation en matière civile, Dalloz Action, 2015-2016, n° 24.101).

D’autre part, dans le domaine de l’inscription et de la réinscription sur les listes d’experts, la Cour de cassation exerce un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation (pour des illustrations, v. Civ. 2e, 10 avr. 2014, n° 14-60.004, Gaz. Pal. 28 juin 2014, p. 9, note M. Richeveaux ; 25 juin 2015, n° 15-60.088, Dalloz actualité 7 juill. 2015, obs. F. Mélin ; 2 juin 2016, n° 15-60.308, LPA 11 juill. 2016, p. 21, note M. Richeveaux ; v., pour une présentation plus générale, D. Cholet, in S. Guinchard [dir.], Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz Action, 2021-2022, n° 452.252).

Ces particularités expliquent la solution énoncée par l’arrêt du 17 juin 2021, qui recourt de manière inhabituelle à la notion d’autorité de la chose jugée à propos d’une décision de la Cour de cassation. Si, en présence d’un pourvoi en cassation classique, la juridiction de renvoi est libre de son appréciation, l’objectif est ici à l’évidence que l’assemblée générale se plie à l’appréciation de l’arrêt de la Cour, afin d’éviter qu’une simple demande d’inscription ou de réinscription sur une liste d’experts ne conduise à un long contentieux.

Cet arrêt ne manquera pas de retenir l’attention des processualistes, qui s’interrogent sur la liste des décisions susceptibles de bénéficier de l’autorité de la chose jugée (L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani Mekki, Théorie générale du procès, 2e éd., PUF, 2013, nos 266 s.) et qui trouveront, avec cette hypothèse très spécifique, une illustration nouvelle.

Formalisme de la demande d’infirmation : appelant et intimé, mêmes… dégâts

Dans le cadre d’un litige de succession, une partie, déboutée notamment de sa demande de rapport à la succession, interjette appel, par acte du 16 mai 2018.

L’appelant conclut dans son délai, et l’intimé, débouté en première instance de sa demande reconventionnelle, forme appel incident de ce chef.

L’appelant saisit le conseiller de la mise en état d’un incident d’irrecevabilité de l’appel incident, duquel il est débouté par ordonnance du 5 mai 2019. Sur déféré, par arrêt du 8 novembre 2019, la cour d’appel infirme l’ordonnance et déclare irrecevables les demandes au motif que l’appel incident n’aurait pas été valablement formé.

Sur pourvoi, la Cour de cassation annule l’arrêt sur déféré, l’interprétation nouvelle qui est faite des articles 542 et 954 ne s’appliquant pas aux procédures antérieures au 17 septembre 2020, date à laquelle est née cette nouvelle obligation procédurale mise à la charge des parties.

Relevons que le pourvoi est déclaré recevable, alors même qu’il n’est pas mis fin à l’instance la cour d’appel ayant tranché une partie du principal, ouvrant ainsi le pourvoi.

Les mêmes causes produisant les mêmes effets…

Le 17 septembre 2020, la Cour de cassation, sous couvert d’une « interprétation nouvelle » des articles 542 et 954, a instauré une nouvelle obligation procédurale consistant à imposer à la partie appelante qu’elle précise dans le dispositif de ses conclusions qu’elle demande l’annulation ou l’infirmation du jugement (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 image, note M. Barba image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne image ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet image ; D. avocats 2020. 448 et les obs. image ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, Anne-Isabelle Gregori, Rudy Laher et A. Provansal image ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol image ; Gaz. Pal. 27 oct. 2020, p. 9, note P. Gerbay ; ibid. 8 déc. 2020, p. 41, note Ansault ; ibid. 26 janv. 2021, p. 79, note N. Hoffschir ; ibid. 26 janv. 2021, p. 82, note Lauvergnat ; Defrénois 2021, n° 3, p. 13, note Mazure).

Mais, tempérant la portée de cette jurisprudence qui pouvait se révéler dévastatrice sur les procédures d’appel en cours, la Cour de cassation a décidé de n’appliquer cette nouvelle obligation que pour les appels formés à compter du 17 septembre 2020.

Outre la question de l’éventuelle régularisation, la question s’est posée des parties concernées par cette jurisprudence, l’arrêt du 17 septembre 2020 et les arrêts du 21 mai 2021 (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 19-22.316 ; 20 mai 2021, n° 20-13.210, Dalloz actualité, 4 juin 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1217 image, note M. Barba image ; AJ fam. 2021. 317, édito. V. Avena-Robardet image ; ibid. 381, édito. V. Avena-Robardet image), ne visant que « l’appelant ».

Nous avions pu considérer qu’il n’y avait aucune raison que cette obligation procédurale soit cantonnée au seul appelant, sans l’étendre à l’appelant incident. Nous estimions alors que « l’appel incident est regardé comme constituant l’exercice d’une voie de recours » et que « l’appelant incident se trouve donc dans la même situation que l’appelant à titre principal ».

Si la Cour de cassation annule l’arrêt sur déféré, en raison du différé d’application de la nouvelle jurisprudence, elle prend soin de profiter de ce pourvoi pour compléter son arrêt du 17 septembre 2020, sur ce point particulièrement attendu.

Après avoir repris l’attendu de principe selon lequel « il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que, lorsque l’appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement », la haute juridiction rappelle que « l’appel incident n’est pas différent de l’appel principal par sa nature ou son objet », de sorte que les conclusions de l’appelant principal ou de l’appelant incident « doivent déterminer l’objet du litige porté devant la cour d’appel » et comporter en conséquence dans le dispositif une demande d’infirmation ou de réformation du jugement attaqué.

Soulignons à ce propos que la Cour de cassation utilise les termes infirmation et réformation, en réponse probablement aux réactions parfois inquiètes des avocats, alors que les deux termes peuvent être indifféremment usités.

Nonobstant un attendu visant l’appelant, il faudra désormais comprendre que l’appelant dont il est question est l’appelant principal mais également l’appelant incident.

Autant nous pouvions être critique quant à l’instauration de cette charge procédurale, autant nous saluons le fait que cette jurisprudence soit ainsi étendue à l’intimé appelant incident, tant l’avocat est en pratique souvent confronté à des dispositifs indigestes, comme l’était d’ailleurs celui de l’intimé dans l’espèce ayant donné lieu à cet arrêt.

Il résulte en conséquence de cet arrêt que, pour les appels formés à compter du 17 septembre 2020, toute partie qui poursuit l’annulation ou l’infirmation du jugement devra impérativement le préciser, dans le dispositif de ses conclusions, sous peine d’être sanctionné. Évidemment, l’intimé ne sera concerné par cette obligation que si l’appel incident tend à l’infirmation du jugement, ce qui ne sera pas toujours le cas : il peut, par exemple, demander la garantie d’une partie dans le cadre d’un appel incident (provoqué), chef sur lequel le tribunal peut ne pas avoir eu à se prononcer.

Mais si la Cour de cassation étend opportunément sa jurisprudence, la livraison de ce que sera la jurisprudence aboutie est encore partielle, dès lors que nous restons dans l’expectative quant à la sanction, pour l’appelant incident, et quant à une éventuelle régularisation qui néanmoins nous paraît exclue.

La confirmation du chef de l’appel incident ?

La sanction quant à l’appelant principal est connue : la cour d’appel confirme le jugement. C’est l’appel non soutenu.

La cour d’appel est effectivement saisie d’un appel régulier qui a produit son effet dévolutif, mais les conclusions remises sont vides de toutes prétentions.

Dès lors que la Cour de cassation nous dit que l’appel incident n’est pas différent de l’appel principal, nous devrions considérer que la sanction sera identique, à savoir que la cour d’appel ne peut que confirmer du chef de l’appel incident.

Cependant, cet appel incident n’a pas nécessairement élargi la dévolution fixée par l’acte d’appel et les conclusions de l’appelant. Tant l’appelant que l’intimé peuvent demander la réformation du même chef : l’épouse demande la réformation du chef de la prestation compensatoire à laquelle elle a été condamnée à hauteur de 40 000 € tandis que l’époux, intimé, se porte appelant incident pour demander la réformation et la condamnation de l’appelant à payer la somme de 60 000 € à ce titre.

Une confirmation du chef de la prestation compensatoire ne sera certainement pas du goût de l’appelant.

Plutôt que de parler de confirmation du jugement, il serait probablement plus opportun de retenir que les conclusions ne contiennent aucun appel incident.

La cour d’appel ne serait pas saisie de cet appel incident, sur lequel elle ne statuera donc pas.

Une irrecevabilité des demandes ou de l’appel incident ?

L’autre option serait d’aller sur le terrain de l’irrecevabilité. C’est au demeurant l’objet de l’incident devant la cour d’appel de Bordeaux, la cour d’appel ayant déclaré irrecevables les demandes. Sans nous attarder sur ce point, nous pouvons nous étonner que ni l’avocat ni les juges se ne sont questionnés sur les pouvoirs d’un conseiller de la mise en état pour statuer sur une irrecevabilité de demandes, au regard des termes de l’article 914 et surtout de l’article 771 devenu depuis l’article 789.

Mais l’irrecevabilité crée toutefois une différence de traitement avec l’appelant principal, et surtout une différence de régime.

Et de quelle irrecevabilité s’agit-il ? Celle des demandes ou de l’appel incident ?

Si l’on reprend la note explicative de la Cour de cassation, selon laquelle « la cour d’appel ne peut statuer sur les aspects du litige tranchés par le jugement qu’en raison de son infirmation ou son annulation préalable » (note explicative relative à l’arrêt du 17 sept. 2020 [n° 18-23.626]), nous pouvons en retirer que les prétentions ne prennent vie que s’il est préalablement demandé l’infirmation. À défaut, les prétentions n’existent pas, et les conclusions sont alors des conclusions de confirmation sans appel incident.

Il n’est donc pas question, à ce stade, d’introduire un incident d’irrecevabilité des demandes ou de l’appel incident.

Pour autant, il est vraisemblable que l’appelant, intimé sur l’appel incident, devra néanmoins envisager un incident d’irrecevabilité. Et il en ira de même de l’intimé, si c’est l’appelant qui a omis de demander l’infirmation dans ses conclusions.

En effet, dès qu’il va découvrir son erreur de procédure, l’appelant incident ne manquera pas de compléter ses conclusions, pour y ajouter la demande d’infirmation omise. Il aura d’autant plus intérêt à le faire qu’à ce jour, la Cour de cassation n’a pas encore posé que toute régularisation sera impossible, même si nous nous doutons bien que la Cour de cassation n’a pas érigé cette nouvelle obligation procédurale stricte, à application différée, en ayant à l’esprit une régularisation possible à tout moment.

Après cette tentative de régularisation, les conclusions de l’intimé contiendront alors des prétentions réputées inexistantes dans les premières conclusions.

Sur le plan procédural, c’est à la date de remise de ces conclusions que sera formé (tardivement) cet appel incident.

L’irrecevabilité sera encourue en application des articles 909 (irrecevabilité de l’appel incident) et 910-4 (irrecevabilité des prétentions formées après le délai pour conclure) du code de procédure civile.

L’appelant n’aurait donc pas d’autres choix que d’envisager un incident en irrecevabilité de cet appel incident, en application de l’article 909, pour tardiveté, qui relève du pouvoir du conseiller de la mise en état en circuit ordinaire, en application de l’article 914. Et l’appelant pourra également se prévaloir de l’irrecevabilité, des prétentions cette fois, en application de l’article 910-4, sachant que c’est désormais le conseiller de la mise en état qui connaît de cette fin de non-recevoir, conformément aux articles 907 et 789, 6° (Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; ibid. 18 juin 2021, chron. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 1139 image). En circuit court, il sera possible de saisir le président en irrecevabilité de l’appel incident, l’appelant pouvant parallèlement conclure devant la cour d’appel à l’irrecevabilité des demandes au visa de l’article 910-4, cette disposition échappant au pouvoir du président de la chambre.

En l’état de la jurisprudence, à construire, il semblerait que la partie pourra difficilement échapper à un incident d’irrecevabilité dès lors que la partie en difficulté tentera une régularisation de son erreur. Il serait pourtant opportun que cette nouvelle obligation puisse se régler autrement, sans qu’il faille saisir et la cour d’appel, et le conseiller de la mise en état du même problème de procédure.

Si l’appelant principal et l’appelant incident ont tous deux reçu cette nouvelle charge procédurale, force est de constater que le régime n’est pas strictement identique, et se pose dans des conditions un peu différentes concernant l’intimé appelant incident.

Rappelons que, si l’appelant néglige de soulever cette difficulté de procédure, l’intimé appelant incident ne sera pas pour autant perché.

En effet, l’appel incident étant l’exercice d’une voie de recours, la cour d’appel devra relever d’office son irrecevabilité (Civ. 2e, 28 sept. 2017, n° 16-23.497 P, Dalloz actualité, 10 oct. 2017, obs. M. Kebir ; D. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; Gaz. Pal. 6 févr. 2018, p. 58, obs. N. Hoffschir). Et si elle ne le fait pas, ce moyen pourra être soulevé pour la première fois devant la Cour de cassation.

Au regard de la pratique trop courante devant les cours d’appel, il est vraisemblable que les conséquences de cet arrêt du 1er juillet 2021 seront plus dévastatrices que ne l’aurait été celui du 17 septembre 2020 s’il s’était limité au seul appelant principal. S’il est relativement peu courant qu’un appelant néglige de demander l’infirmation dans le dispositif de ses conclusions, même si cela n’est pas un cas d’école, tant s’en faut, il est en revanche plus courant qu’un intimé appelant incident fasse l’impasse d’une demande de réformation dans ses conclusions.

Les cours d’appel et les avocats des parties appelantes vont désormais devoir surveiller la rédaction des conclusions de l’intimé, étant précisé que certains appelants s’étaient déjà emparés de la jurisprudence du 17 septembre 2020 pour l’appliquer à l’intimé appelant incident.

Décidément, la procédure d’appel est un fleuve tumultueux dont on n’a de cesse de détourner le cours pour le rendre toujours plus palpitant.

La caution et l’autorité de la chose jugée

La caution qui, assignée en paiement, voit sa demande fondée sur la faute de l’établissement bancaire déclarée irrecevable comme nouvelle en appel, peut-elle introduire une nouvelle instance afin d’obtenir le versement de dommages-intérêts ?

De manière hélas banale, le tribunal de commerce de Soissons place un débiteur en liquidation judiciaire et condamne une caution à verser une certaine somme au créancier après lui avoir accordé des délais de paiement. Devant la cour d’appel d’Amiens, la caution invoque la responsabilité civile de l’établissement bancaire et demande sa condamnation à des dommages-intérêts venant en compensation des condamnations prononcées à son encontre. La juridiction du second degré déclare sa demande irrecevable comme nouvelle. Ne se décourageant pas, la caution a assigné la banque pour voir juger qu’elle avait failli à ses obligations de conseil et de mise en garde. L’établissement bancaire a opposé une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée. La cour d’appel de Reims fait droit à ce moyen de défense en soulignant que la demande dont elle était saisie, qui tendait à remettre en cause, par un moyen nouveau, la condamnation irrévocable de la caution au paiement des sommes dues au titre de ses engagements et se heurtait à l’autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal de commerce de Soissons confirmé par la cour d’appel d’Amiens, était irrecevable. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cet arrêt en approuvant la cour d’appel d’avoir déclaré la demande irrecevable comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée.

Chacun sait que, depuis qu’a été rendu le fameux arrêt Césaréo, il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, Bull. ass. plén., n° 8 ; D. 2006. 2135, et les obs. image, note L. Weiller image ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud image ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot image ; v. égal. Com. 12 mai 2015, n° 14-16.208, Bull. civ. IV, n° 75 ; Dalloz actualité, 3 juin 2015, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2015. 869, obs. H. Barbier image ; Civ. 2e, 25 oct. 2007, n° 06-19.524, Bull. civ. II, n° 241 ; Dalloz actualité, 14 nov. 2007, obs. I. Gallmeister ; D. 2007. 2955 image ; ibid. 2008. 648, chron. J.-M. Sommer et C. Nicoletis image ; RDI 2008. 48, obs. P. Malinvaud image ; RTD civ. 2008. 159, obs. R. Perrot image), règle qui a été étendue au défendeur auquel il incombe, dès l’instance relative à la première demande, de présenter l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à justifier son rejet total ou partiel (Civ. 2e, 1er févr. 2018, n° 17-10.849, Bull. civ. II, n° 16 ; Dalloz actualité, 9 mars 2018, obs. M. Kebir ; Civ. 1re, 12 mai 2016, n° 15-13.435, Bull. civ. I, n° 107 ; Dalloz actualité, 22 mai 2016, obs. F. Melin ; D. 2016. 1087 image ; RTD civ. 2016. 923, obs. P. Théry image ; 1er oct. 2014, n° 13-22.388, Bull. civ. I, n° 156 ; Dalloz actualité, 22 oct. 2014, obs. M. Kebir ; D. 2014. 2004 image ; RTD civ. 2014. 940, obs. P. Théry image ; Civ. 2e, 20 mars 2014, n° 13-14.738, Bull. civ. II, n° 73 ; Dalloz actualité, 15 avr. 2014, obs. M. Kebir ; RTD civ. 2014. 439, obs. R. Perrot image). En revanche, après quelques hésitations, il est aujourd’hui acquis que les parties n’ont pas à présenter dès la première instance l’ensemble des demandes fondées sur les mêmes faits (Civ. 3e, 5 nov. 2020, n° 18-24.239, inédit ; Civ. 1re, 14 oct. 2020, n° 19-14.169, inédit ; Com. 8 mars 2017, n° 15-20.392, inédit ; Civ. 1re, 12 mai 2016, nos 15-16.743 et 15-18.595, Bull. civ. I, n° 106 ; Dalloz actualité, 27 mai 2016, obs. F. Mélin ; D. 2016. 1083 image ; ibid. 2017. 422, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2016. 923, obs. P. Théry image ; 7 déc. 2016, n° 16-12.216, Bull. civ. I, n° 246 ; Dalloz actualité, 23 déc. 2016, obs. V. Da Silva ; D. 2016. 2570 image ; AJ fam. 2017. 78, obs. J. Casey image ; Civ. 2e, 26 mai 2011, n° 10-16.735, Bull. civ. II, n° 117 ; Dalloz actualité, 10 juin 2011, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2011. 1566, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 2012. 244, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2011. 593, obs. R. Perrot image).

Les règles sont donc bien établies. Leur mise en œuvre, tout particulièrement lorsqu’une caution est assignée en paiement et se prévaut pour sa défense d’une faute de l’établissement bancaire, continue pourtant de soulever des difficultés. La caution qui est assignée en paiement peut tout à fait demander le rejet partiel de la demande en se prévalant de la faute de l’établissement bancaire dès lors que celle-ci lui a causé un préjudice ; mais elle peut également former une demande visant à ce que l’établissement bancaire lui règle une certaine somme appelée à se compenser avec les sommes qu’elle pourrait elle-même devoir, ce qu’avait d’ailleurs fait la caution dans la présente espèce. Dans le premier cas, la caution ne paraît soulever qu’un simple moyen de défense ; dans le second, elle forme une demande reconventionnelle. La Cour de cassation fait preuve de bienveillance à l’égard de la caution. Elle ne lui impose pas d’emprunter un canal procédural : la caution peut invoquer la faute de la banque en soulevant une défense au fond ou en formant une demande reconventionnelle (Com. 13 déc. 2017, n° 13-24.057, Bull. civ. IV, n° 161 ; Dalloz actualité, 10 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 4 image ; ibid. 1884, obs. P. Crocq image ; RTD civ. 2018. 484, obs. N. Cayrol image ; 20 févr. 2001, n° 98-13.232, inédit ; Civ. 1re, 4 oct. 2000, n° 98-10.075, Bull. civ. I, n° 233 ; D. 2000. 401 image, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 2001. 698, obs. L. Aynès image ; RTD civ. 2001. 629, obs. P. Crocq image) ; quelle que soit la qualification procédurale, les juges du fond se doivent alors d’y répondre (Cass., ch. mixte, 21 févr. 2003, n° 99-18.759, Bull. ch. mixte, n° 3 ; D. 2003. 829 image, obs. V. Avena-Robardet image ; RTD com. 2003. 353, obs. D. Legeais image ; v. égal. Com. 19 sept. 2018, n° 17-18.028, inédit).

Mais la liberté ainsi laissée à la caution a un prix, ce que rappelle le présent arrêt.

La caution a en effet la faculté de se prévaloir du moyen tiré de la faute de l’établissement bancaire pour échapper à la demande dirigée à son encontre. Parce qu’elle dispose de la possibilité de soulever un tel moyen, il est donc possible de lui reprocher de ne pas y avoir procédé. Elle ne peut pas introduire une nouvelle instance pour demander à l’établissement bancaire le paiement d’une certaine somme en raison de sa faute : une telle faute aurait pu être invoquée par la caution afin d’obtenir le rejet de la demande en paiement dirigée à son encontre par le créancier, si bien que la nouvelle demande se heurte à l’autorité de la chose jugée attachée à la décision statuant sur la demande du créancier (Com. 22 mars 2016, n° 14-23.167, inédit ; 25 oct. 2011, n° 10-21.383, Bull. civ. IV, n° 169 ; Dalloz actualité, 10 nov. 2011, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2011. 2735, obs. V. Avena-Robardet image ; RTD com. 2012. 851, obs. A. Martin-Serf image ; Civ. 1re, 1er juill. 2010, n° 09-10.364, Bull. civ. I, n° 150 ; Dalloz actualité, 9 juill. 2010, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2010. 1780, obs. V. Avena-Robardet image ; ibid. 2092, chron. N. Auroy et C. Creton image ; ibid. 2011. 265, obs. N. Fricero image ; ibid. 406, obs. P. Crocq image ; RTD civ. 2011. 586, obs. P. Théry image). C’est le reproche qui est fait à la caution dans la présente affaire.

L’application de cette solution dans la présente affaire paraît particulièrement sévère alors que, dans l’instance ayant donné lieu à l’arrêt revêtu de l’autorité de la chose jugée, la caution avait bien formé une demande reconventionnelle en paiement fondée sur la faute de l’établissement bancaire qui avait été déclarée irrecevable. Le résumé de la situation fait même apparaître une solution inique : la caution est poursuivie en paiement ; elle a alors le droit de se prévaloir de la faute de l’établissement bancaire au moyen d’une défense au fond ou d’une demande reconventionnelle ; usant de ce droit, la caution forme une demande reconventionnelle qui est cependant déclarée irrecevable ; lorsqu’elle introduit une nouvelle instance pour faire condamner l’établissement bancaire, il lui est opposé que la décision l’ayant condamnée au paiement d’une certaine somme est revêtue de l’autorité de la chose jugée au principal.

Cette solution est en réalité le fruit de deux causes.

La première cause tient à l’abandon de la ligne jurisprudentielle tracée par l’arrêt Gandolfo, qui avait énoncé que la caution ne pouvait arguer de la faute de l’établissement bancaire qu’au moyen d’une demande reconventionnelle (Com. 16 mars 1993, n° 90-20.614, Bull. civ. IV, n° 102 ; D. 1993. 314 image, obs. L. Aynès image). C’est bien parce que la caution poursuivie en paiement par son créancier peut se prévaloir de la faute de l’établissement bancaire en formant une simple défense au fond qu’il est ensuite permis de lui reprocher de ne pas l’avoir fait pour lui opposer l’autorité de la chose jugée attachée à la décision la condamnant ; si la faute de l’établissement bancaire n’avait pu être soulevée qu’en formant une demande reconventionnelle, la caution aurait tout à fait pu introduire une nouvelle instance pour s’en prévaloir. Bien que souhaité par une partie de la doctrine (v. par ex. P. Grimaldi, note ss Com. 26 avr. 2000, D. 2000. 665 image), l’abandon de la jurisprudence Gandolfo était pourtant critiquable en théorie (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, 2019, n° 138). Car, à supposer qu’une personne s’engage en qualité de caution non à payer une somme d’argent, mais à réaliser une prestation matérielle (figure que rien ne semble interdire, même si cela est discuté, v. J.-D. Pellier, Une certaine idée du cautionnement. À propos de l’avant-projet de réforme du droit des sûretés de l’Association Henri Capitant, D. 2018. 686 image), on voit mal comment cette caution pourrait opposer la faute du créancier au moyen d’une défense au fond ; elle devrait nécessairement former une demande reconventionnelle en sollicitant le paiement de dommages-intérêts. Cela suffit à faire apparaître le bien-fondé de la jurisprudence Gandolfo ; on ne peut en effet se résoudre à faire dépendre la qualification de la défense de la caution de l’objet de la demande du créancier.

L’abandon de la jurisprudence Gandolfo ne constitue cependant pas l’unique cause des maux de la caution dans la présente affaire. La seconde réside dans l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens, qui a déclaré la demande de la caution irrecevable comme étant nouvelle en cause d’appel. Si, par principe, une demande nouvelle est irrecevable (C. pr. civ., art. 564), il en va autrement lorsqu’il s’agit d’une demande reconventionnelle, laquelle est toujours recevable en appel (C. pr. civ., art. 567). Or la caution qui, poursuivie en paiement, forme une demande incidente fondée sur la responsabilité de l’établissement bancaire soulève bien une demande reconventionnelle, qui est recevable dès lors qu’elle est unie par un lien suffisant avec la demande originaire (Civ. 2e, 23 févr. 2017, n° 16-12.859, Bull. civ. II, n° 39 ; Dalloz actualité, 8 mars 2017, obs. M. Kebir ; D. 2017. 517 image ; ibid. 2018. 692, obs. N. Fricero image ; RTD civ. 2017. 436, obs. W. Dross image). Il appartenait d’ailleurs à la cour d’appel, même d’office, de rechercher si la demande n’était pas recevable par application de l’article 567 du code de procédure civile (Civ. 2e, 14 janv. 2021, n° 19-23.137, inédit ; 17 sept. 2020, n° 19-17.449 B, Dalloz actualité, 9 oct. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 1842 image). En somme, il semble bien que ce soit à tort que la cour d’appel d’Amiens ait déclaré irrecevable la demande de la caution fondée sur la faute de l’établissement bancaire ; c’est donc sa décision qui aurait mérité de faire l’objet d’un pourvoi en cassation. La caution fera les frais de ne pas l’avoir formé…

Préjudices de la victime par ricochet et solidarité nationale

Après avoir été victime d’un AVC, une femme, âgée de 69 ans, a dû bénéficier de l’implantation d’un stimulateur cardiaque le 15 juillet 2009. Malheureusement, peu de temps après, elle a subi un drainage péricardique entraînant des complications. La patiente a conservé, par la suite, un taux d’incapacité permanente partielle de 90 %. Elle a saisi d’une demande d’indemnisation la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, laquelle, par avis du 26 septembre 2012, a estimé que l’indemnisation des préjudices devait être mise à la charge de la solidarité nationale sur le fondement de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique.

 La victime est décédée le 25 février 2014. Ce sont donc ses proches qui ont poursuivi la demande en indemnisation. Ces derniers, soutenant que le décès de leur épouse et mère était consécutif à l’accident médical non fautif grave dont elle a été victime, ont assigné en indemnisation l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (l’ONIAM).

Suivant arrêt du 23 mai 2019, la cour d’appel de Paris a condamné l’ONIAM au paiement de diverses indemnités, dont une rente viagère au titre du préjudice économique subi par le mari de la victime en raison de la privation de l’assistance fournie par son épouse, ainsi que la somme de 5 000 € au titre de son préjudice sexuel subi par ricochet.

L’ONIAM a alors formé un pourvoi en cassation, invoquant la violation de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique au moyen notamment que la perte, par l’époux de la victime d’un accident médical, de l’assistance bénévole que lui apportait celle-ci avant son décès pour les tâches ménagères du quotidien et le préjudice sexuel par ricochet de celui-ci ne constituent pas des préjudices ouvrant droit à réparation par la solidarité nationale.

Le pourvoi invitait donc la Cour de cassation à s’interroger sur les catégories de préjudices subis par l’époux de la victime d’un accident médical indemnisables au titre de la solidarité nationale.

La Cour de cassation a rendu, le 30 juin dernier, un arrêt de cassation partielle sans renvoi. Son raisonnement se décline en deux temps. D’une part, elle énonce que la perte, pour le veuf, de l’assistance quotidienne de son épouse dans les tâches ménagères consécutive du décès de celle-ci constitue un préjudice économique indemnisable au titre de la solidarité nationale. D’autre part, après avoir considéré le moyen tiré de la violation de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique en raison de l’indemnisation par les juges du fond du préjudice sexuel par ricochet recevable, car de pur droit, elle casse et annule la solution de la cour d’appel aux visas de ce même article et du principe de réparation intégrable sans perte ni profit pour la victime.

Sur l’indemnisation du préjudice économique tiré de la perte de l’assistance bénévole de l’épouse décédée

Selon le demandeur au pourvoi, l’indemnisation d’un tel préjudice ne pouvait reposer sur la solidarité nationale. En outre, celui-ci alléguait que le besoin d’assistance du veuf trouvait son origine exclusive dans l’âge et l’état de santé de ce dernier, de sorte que l’accident médical non fautif n’avait fait que contribuer indirectement à la résurgence de ce besoin d’assistance. La Cour de cassation balaye les deux arguments, affirmant que la défunte « assistait quotidiennement son époux pour les tâches ménagères, lequel n’était pas en mesure de les assumer, ce que ne contestait pas l’ONIAM », et qu’ainsi, « c’est à bon droit que la cour d’appel en a déduit que la perte de cette assistance, consécutive au décès de celle-ci, constituait un préjudice économique indemnisable au titre de la solidarité nationale ».

La solution n’est pas surprenante. En effet, la perte de l’assistance bénévole d’un parent proche pour la gestion du quotidien a déjà été considérée comme un préjudice économique indemnisable (v. par ex. à propos d’une épouse ne pouvant plus compter sur l’aide de son mari, tétraplégique à la suite d’un accident du travail, pour les tâches ménagères et la prise en charge des enfants, v. Civ. 2e, 13 juin 2013, n° 12-15.632, D. 2013. 2658, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon image ; RCA 2013. Comm. 296). La Cour de cassation précise, en outre, clairement que ce préjudice économique est indemnisable au titre de la solidarité nationale. La solution est cohérente et respectueuse du principe de réparation intégrale. Par ailleurs, il peut être souligné que l’argument selon lequel l’accident médical non fautif n’avait fait que contribuer indirectement au préjudice subi n’avait que peu de chance de prospérer. En effet, si ce sont l’état de santé et l’âge de l’époux (qui avait onze ans de plus que sa femme), qui avaient rendu nécessaire son assistance au quotidien dans les tâches ménagères, c’est bien la disparition de sa femme, conséquence directe de l’accident médical, qui a fait perdre à celui-ci l’aide dont il bénéficiait jusqu’alors.

Sur l’indemnisation du préjudice sexuel

Sur ce point, la motivation de l’arrêt rendu par la Cour de cassation est plus étayée. Elle énonce, tout d’abord, que le préjudice sexuel peut être éprouvé par ricochet par le conjoint de la victime directe. Toutefois, elle distingue ensuite deux hypothèses : celle du préjudice sexuel par ricochet éprouvé du vivant de la victime directe et celle du préjudice sexuel par ricochet éprouvé à la suite du décès de la victime directe.

Concernant la première hypothèse, les juges de cassation rappellent que « les préjudices de la victime indirecte éprouvés du vivant de la victime directe n’ouvrent pas droit à réparation » au titre de la solidarité nationale. En effet, l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique dispose qu’un accident médical non fautif « ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale ». La formulation de cet article n’est pas des plus limpides. Si la réparation des préjudices des ayants droit de la victime directe décédée ne fait aucun doute, la question pouvait se poser de la réparation de leurs préjudices en cas de survie de la victime directe. La Cour de cassation avait, cependant, déjà eu l’occasion d’opter pour une lecture stricte du texte, refusant de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L. 1142-1 du code de la santé publique au motif notamment que cet article, « qui n’a pas eu pour objectif de consacrer un droit à indemnisation de tous les préjudices résultant d’accidents médicaux non fautifs, mais de permettre, sous certaines conditions, la prise en charge, par la solidarité nationale, de certains d’entre eux, en conciliant, d’une part, l’exigence d’une indemnisation équitable des patients victimes et de leurs proches et, d’autre part, l’équilibre des finances publiques et la pérennité du système, a pu réserver la faculté, pour les ayants droit de la victime principale, d’obtenir réparation de leur préjudice propre auprès de l’ONIAM à l’hypothèse où cette victime est décédée et les en priver lorsqu’elle a survécu sans méconnaître le principe d’égalité, la différence de traitement ainsi instituée étant conforme à l’intérêt général et en rapport direct avec l’objet de la loi » (Civ. 1re, 13 sept. 2011, n° 11-12.536).

Par son arrêt du 30 juin 2021, elle confirme clairement sa position. Le préjudice sexuel de la victime par ricochet n’est indemnisable qu’en cas de décès de la victime directe. Cet arrêt permet également de préciser la classification de ce préjudice aux fins de réparation. En effet, la nomenclature Dintilhac ne mentionne pas explicitement, concernant les préjudices des victimes indirectes, le préjudice sexuel. En cas de survie de la victime directe et en dehors de l’hypothèse où l’indemnisation repose sur le fondement de l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique, le préjudice sexuel par ricochet est rattaché aux préjudices extrapatrimoniaux exceptionnels.

Toutefois, une telle catégorie n’existe pas concernant les préjudices des victimes indirectes en cas de décès de la victime directe. La Cour de cassation précise ainsi que le préjudice sexuel doit alors se rattacher au préjudice d’affection de la victime par ricochet. S’il est vrai que la nomenclature Dintilhac n’a pas valeur obligatoire, la Cour de cassation la consacre à nouveau, en creux, au sein de cette décision. Les juges du fond n’étaient donc pas fondés à indemniser, de manière autonome, le préjudice sexuel de l’époux consécutif au décès de la victime directe. L’époux ayant également obtenu une indemnisation au titre du préjudice d’affection, une telle indemnisation de son préjudice sexuel aurait fait courir le risque d’une double indemnisation contraire au principe de réparation intégrale visé par la Cour de cassation. Toutefois, l’arrêt soulève une interrogation. La Cour de cassation a décidé, conformément aux articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, de casser sans renvoi et de statuer au fond dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Elle casse donc partiellement l’arrêt et rejette la demande d’indemnisation de l’époux au titre de son préjudice sexuel. Or, si les juges du fond avaient indemnisé le préjudice d’affection, ces derniers n’avaient pas pris en compte, pour la détermination du montant de sa réparation, le préjudice sexuel subi du fait du décès de la victime dès lors que celui-ci avait fait l’objet d’une indemnisation autonome. Le préjudice d’affection peut recouvrir plusieurs aspects qui doivent tous être pris en compte pour la fixation de son indemnisation. Aussi, il n’est pas impossible d’imaginer que la somme allouée au titre de sa réparation aurait pu être majorée par une cour d’appel de renvoi.

Résidence d’un ambassadeur : respect de l’immunité d’exécution

par Guillaume Payanle 22 juillet 2021

Civ. 1re, 7 juill. 2021, F-B, n° 20-15.994

Si la question de l’immunité d’exécution des États étrangers est des plus traditionnelles, la codification des règles applicables en droit français est assez récente. Ainsi, conformément à l’article 59 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique dite « loi Sapin II » (JO 10 déc.), le code des procédures civiles d’exécution s’est enrichi de plusieurs articles dédiés. Alors que l’article L. 111-1-1 de ce code subordonne la mise en œuvre des mesures conservatoires et des mesures d’exécution forcée sur des biens appartenant à un État étranger à la délivrance d’une autorisation judiciaire préalable, les articles subséquents précisent les hypothèses où, par dérogation, une telle autorisation peut être délivrée.

Dans le présent arrêt, il est précisément fait usage de ces dispositions, ensemble avec le...

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Prescription de l’action en liquidation d’une astreinte : précisions utiles

À l’origine de cette affaire, figure un banal conflit de voisinage. En 2010, un couple est condamné à supprimer des vues illicitement constituées depuis sa terrasse, sous astreinte courant par jour de retard. Par la suite, un juge de l’exécution est saisi d’une demande de liquidation de cette astreinte. Cependant, le demandeur décède en 2013 et l’affaire est radiée. En 2017, les héritières – à savoir les deux filles dudit créancier – assignent, à leur tour, les débiteurs à cette même fin de liquidation. L’une d’entre elles, mineure, est représentée par sa mère. Or, en avril 2018, le juge de l’exécution déclare irrecevable comme prescrite cette demande. En appel, cette solution est confirmée pour l’action de la fille majeure, par un arrêt du 19 décembre 2019. En revanche, l’action formée par la fille mineure est jugée recevable ; ce que contestent, devant la Cour de cassation, les débiteurs. Ces derniers faisant par ailleurs grief à l’arrêt attaqué d’avoir déclaré recevables les conclusions d’intimé de leurs adversaires à l’appel incident qu’ils avaient formé aux fins de voir constater la péremption des instances introduites contre eux.

Prescription de l’action en liquidation d’une astreinte

La principale question qui se pose dans cette affaire est celle de savoir si la minorité d’une des héritières a eu pour conséquence de suspendre la prescription quinquennale (C. civ., art. 2224) de son action en liquidation de l’astreinte. La Cour de cassation y répond par l’affirmative.

En la...

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Action en versement de salaires différés, action en partage et prescription

Édith et Roger M… se sont mariés et de leurs amours sont nés trois enfants : Marie-Hélène, Bernard et René. Édith décède en 2002, suivie de son époux en 2010. Après le décès de leurs parents, leurs deux fils n’ont pas tardé à traverser le Styx pour les rejoindre. Bernard laisse alors une veuve, Mme B…, donataire de l’universalité de ses biens meubles et immeubles, et René laisse pour lui succéder son épouse et leurs trois enfants (les consorts M…). Au cours des opérations de partage des successions d’Édith et de Roger M…, les consorts M… ont demandé le paiement d’une créance de salaire différé au profit de feu leur père contre la succession de leur grand-père pour la période courant depuis sa majorité, soit depuis 1968. Néanmoins, Mme B…, venant aux droits de son défunt époux Bernard M…, ne l’entend pas de la sorte et un litige naît entre elle et les consorts M…. Mme B… invoque alors la prescription de la demande de versement de la créance de salaire différé par les ayants droit de René B…. En décembre 2018, la cour d’appel de Riom écarte la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par Mme B…. Les juges du fond considèrent que l’action des consorts pour le paiement des salaires différés de leur père décédé tendait au même but que l’action aux fins de partage à savoir mettre fin à l’indivision en déterminant les droits respectifs des héritiers. Ce faisant, la cour d’appel en déduit que l’action en versement d’un salaire différé était virtuellement comprise dans l’action en partage, de sorte que la prescription n’était pas acquise. Mme B…, veuve Bernard M…, forme donc un pourvoi afin que la Cour de cassation se prononce sur la question de la prescription de la créance de salaire différé.

La haute juridiction était invitée à dire si l’action en versement d’un salaire différé bénéficiait de l’interruption de prescription du fait de l’introduction de l’action en partage. La première chambre civile répond par la négative et censure partiellement la décision des juges du fond au visa de l’article 2241 du code civil. La Cour de cassation...

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Non-paiement du droit affecté au fonds d’indemnisation de la profession d’avoué : irrecevabilité et recours immédiat

L’irrecevabilité pour non-acquittement du droit : une sanction pas comme les autres

Pour financer la réforme qui a abouti à la suppression de la profession d’avoué (L. n° 2011-94, 25 janv. 2011, portant réforme de la représentation devant les cours d’appel) a été créé un fonds d’indemnisation de la profession d’avoué (L. n° 2011-94, préc., art. 19). Ce fonds est alimenté par la taxe fiscale de l’article 1635 bis P du code général des impôts.

Cette taxe devrait prendre fin le 31 décembre 2026, après prorogation sous réserve que les droits perçus aient été suffisants pour financer la réforme… et sous réserve qu’elle ne soit pas alors maintenue pour d’autres fins.

Pour rappel, ce droit ne concerne que les procédures d’appel avec représentation obligatoire par avocat, de sorte qu’il a été exclu en matière prud’homale (circ. 5 juill. 2016 du ministère de la Justice), la représentation pouvant être faite par un défenseur syndical.

La sanction, en cas de non-acquittement, est relativement classique puisque, pour l’appelant, il en va de la recevabilité de son appel. Quant à l’intimé, il encourt l’irrecevabilité des défenses, ce qui revient à conserver les conclusions tout en ôtant leur contenu.

Mais si cette sanction est d’un genre particulier, c’est que le moyen n’est pas mis à la disposition des parties.

En effet, l’article 963 du code de procédure civile in fine prévoit expressément que « les parties n’ont pas qualité pour soulever cette irrecevabilité ».

Ce rejet, a priori étonnant, car c’est bien la seule irrecevabilité qui échappe aux parties en appel, se comprend néanmoins au regard de sa finalité.

Si nous pouvons soupçonner que les réformes magendiennes de 2009 (décr. 9 déc. 2009) et 2017 (décr. 6 mai 2017) ne poursuivaient pas uniquement un objectif de célérité et de qualité de la justice, mais vraisemblablement une volonté de mettre des chausse-trappes dans les procédures en appel, ce n’est pas la même volonté qui animait le législateur avec l’article 963.

L’objectif est de financer la réforme de la suppression de la profession d’avoué, ce qui suppose l’alimentation du fonds d’indemnisation, et la sanction doit alors être incitative, de manière à ce que les parties s’acquittent de ce droit.

Il ne s’agit pas de faire tomber une procédure en appel, mais de remplir la caisse, pour qu’elle soit pleine à la date fatidique du 31 décembre 2026.

Ce problème de non-règlement de la taxe ne regarde que la cour d’appel et la partie défaillante dans l’acquittement de ce droit. Cela explique aussi que la sanction ne soit pas automatique, et que la partie un tant soit peu vigilante peut assez aisément y échapper. Et c’est ce qui ressort au demeurant de cet arrêt.

Un acquittement dès la remise de la déclaration d’appel ou de l’acte de constitution… ou presque

L’article 963 prévoit bien que « l’auteur de l’appel principal en justifie (de l’acquittement du droit prévu à l’article 1635 bis P du code général des impôts) lors de la remise de sa déclaration d’appel et...

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Procédure à bref délai : délai de signification des conclusions à l’intimé défaillant

Par acte du 28 mai 2019, un appelant interjeta appel à l’encontre d’un jugement prononcé par le juge de l’exécution et remis ses conclusions au greffe le 11 juillet 2019, avant que l’intimé n’ait constitué avocat.

L’affaire fut fixée à bref délai par le président de la chambre devant laquelle elle avait été orientée suivant avis du 3 septembre 2019.

La caducité de la déclaration d’appel fut constatée par ordonnance du 19 septembre 2019 et confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Paris du 16 janvier 2020, au motif pris que l’appelant n’avait pas notifié ses conclusions à l’intimé dans le délai prévu par l’article 911 du code de procédure civile.

Selon les juges du fond, l’appelant disposait d’un délai d’un mois à compter de la remise de ses conclusions au greffe le 11 juillet 2019 pour signifier ses conclusions à l’intimé n’ayant pas constitué avocat, peu important que l’avis de fixation eût été adressé postérieurement à cette date.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt d’appel, au motif qu’il résulte des articles 905, 905-2 et 911 du code de procédure civile que, « lorsque l’appel relève de plein droit d’une instruction à bref délai, l’appelant, qui a remis au greffe ses conclusions dans le délai imparti et avant que l’intimé ne constitue avocat, dispose d’un délai de deux mois suivant l’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour notifier ses conclusions a l’intimé ou à l’avocat que celui-ci a constitué entre-temps ».

Les juges du quai de l’Horloge font ici une juste application de la règle issue de la combinaison des articles 911 et 905-2 du code de procédure civile.

La Cour de cassation rappelle qu’en vertu du premier de ces textes, le délai pour signifier les conclusions à une partie défaillante court à compter de l’expiration du délai pour conclure (Civ. 2e, 27 juin 2013, n° 12-20.529 P, Dalloz actualité, 15 juill. 2013, obs. M. Kebir ; D. 2013. 2058, chron. H. Adida-Canac, R. Salomon, L. Leroy-Gissinger et F. Renault-Malignac image ; ibid. 2014. 795, obs. N. Fricero image ; JCP 2013. 795, obs. Gerbay ; ibid. 1225, n° 9, obs. Serinet ; ibid. 1232, n° 8, obs. Amrani-Mekki ; Gaz. Pal. 20 juill. 2013, p. 13 (1re esp.), note Piau ; Dr. et pr. 2013. 220, note Poisson).

Il ressort des dispositions du second article que le délai imparti à l’appelant pour conclure commence à courir au jour de la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-25.769 P).

Ainsi, il résulte de la combinaison de ces deux articles que l’appelant dispose, à peine de caducité de sa déclaration d’appel, d’un délai de deux mois à compter de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour signifier ses conclusions à l’intimé n’ayant pas constitué avocat.

En l’espèce, la remise par l’appelant de ses conclusions au greffe le 11 juillet 2019, antérieurement à la fixation de l’affaire à bref délai le 3 septembre 2019, n’avait pas eu pour effet de faire rétroagir le point de départ du délai à la première de ces dates.

Le délai avait, en toute hypothèse, commencé à courir au jour de l’avis de fixation du 3 septembre 2019 pour échoir deux mois plus tard, soit le 3 novembre 2019.

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En l’état de l’arrêt rendu par la deuxième chambre le 22 octobre 2020 (préc.), la situation pour l’intimé sera spécifique.

En effet, en cas d’appel d’une décision relevant obligatoirement de la procédure d’appel à bref délai, l’intimé doit conclure dans le mois des conclusions de l’appelant, peu importe que l’avis de fixation ait, ou non, été notifié aux parties. Le délai pour signifier les conclusions au co-intimé défaillant commencera à courir à l’expiration de son délai pour conclure, sans qu’il soit tenu compte de la fixation, ou non, de l’affaire à bref délai.

Assuror, il est l’or d’évaluer la chose assurée au moment du sinistre

Le principe indemnitaire revient sur le devant de la scène contentieuse, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation arrêtant son projecteur, dans une décision du 8 juillet 2021 (pourvoi n° 20-10.575), sur le moment auquel doit être évaluée la chose assurée objet d’un sinistre.

Les assurances de dommages – ainsi que certaines garanties en assurances maladie et accident corporel – servent des prestations indemnitaires et sont soumises à ce qu’il est convenu d’appeler le principe indemnitaire. Celui-ci a « une double facette. Positivement, la prestation de l’assureur doit réparer l’intégralité du sinistre. Il s’agit de replacer l’assuré dans la situation matérielle et financière qui aurait été la sienne sans le sinistre, sous réserve des limites de garantie (franchises, plafonds, etc.). Par exemple, en assurance de responsabilité, l’indemnité due par l’assureur est égale à la dette de réparation qui incombe à l’assuré responsable, tandis qu’en assurance de choses, l’indemnité est fonction de la chose assurée. Négativement, l’indemnité ne doit réparer que le sinistre, et pas davantage, ce en quoi le principe indemnitaire joue le rôle d’un plafond. Comme l’indique l’article L. 121-1 du code des assurances, le contrat d’assurance ne doit pas être une source de gains pour l’assuré. Il s’agit de dissuader la spéculation et d’éviter que l’opération d’assurance ne soit faussée » (M. Robineau, « Le régime général des assurances de dommages », in R. Bigot et A. Cayol [dir.], Le droit des assurances en tableaux, préf. D. Noguéro, Ellipses, 2020, p. 220).

Ainsi, la « prestation indemnitaire tend à réparer le sinistre tel qu’il a été effectivement subi par l’assuré. Le sinistre sert donc de base au calcul. L’indemnité est ainsi déterminée selon les règles du droit commun, c’est-à-dire selon celles du droit de la responsabilité civile (rappr., Cass., ass.plén., 19 déc. 2003, n° 01-10.670, D. 2004. 186 image ; RTD civ. 2004. 303, obs. P. Jourdain image). Le dommage subi sera par exemple chiffré grâce à une expertise ou sur présentation d’une facture » (M. Robineau, art. préc.). Dans tous les cas, la police doit indiquer « la procédure et les principes relatifs à l’estimation des dommages en vue de la détermination du montant de l’indemnité » (C. assur., art. R. 112-1).

Cependant, du fait de la fluctuation de valeur de certains biens, la date retenue pour procéder à leur évaluation est primordiale : certains assureurs n’hésiteraient pas à sacrifier des victimes (et/ou assurés) sur l’autel du profit, en spéculant sur une valeur à la baisse des biens à compenser dans le but de dégager d’importants bonis, ce qui, étymologiquement, ne serait plus vraiment « quelque chose de bon » dans l’équilibre de l’opération contractuelle (Plaute, capt., 45 dans TLL, s.v. bonus, 2099, 55).

En l’espèce, un vol avec effraction a été perpétré dans une maison...

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Soumission des créances salariales au principe de l’arrêt des poursuites individuelles

En l’espèce, par un jugement d’un conseil de prud’hommes du 16 janvier 2015, une société a été condamnée à payer à une ancienne salariée licenciée des dommages-intérêts. Durant l’instance d’appel, une procédure de sauvegarde a été ouverte au profit de la société et le mandataire judiciaire est intervenu à l’instance. Par un arrêt du 21 janvier 2016, la cour d’appel a condamné la société à payer certaines sommes à son ancienne salariée. Celle-ci, pendant l’exécution du plan arrêté le 6 avril 2016, a fait délivrer un itératif commandement de payer aux fins de saisie-vente, en exécution de la condamnation. La société débitrice a demandé la mainlevée des mesures d’exécution et l’ancienne salariée a assigné le commissaire à l’exécution du plan en exécution forcée.

La société débitrice est déboutée de sa demande en appel et forme un pourvoi en cassation.

Pour la société demanderesse, le juge de l’exécution doit appliquer lui-même, le cas échéant, les règles de la procédure collective interdisant les mesures d’exécution. Or, en disant qu’une condamnation prononcée contre un débiteur sous procédure collective pouvait faire l’objet d’une mesure d’exécution forcée, sans même rechercher si la condamnation portait sur une créance postérieure éligible au traitement préférentiel, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard des articles L. 622-21, L. 622-22 et R. 622-20 du code de commerce.

La haute juridiction souscrit à l’argumentation et casse l’arrêt d’appel.

Au visa des articles L. 622-21, L. 622-24 et L. 625-1 du code de commerce, la Cour de cassation énonce que, si les créances salariales ne doivent pas être déclarées au passif de la procédure collective, elles sont toutefois soumises à l’arrêt des poursuites individuelles et des procédures d’exécution.

Or, pour rejeter la demande de mainlevée de la société débitrice, la cour d’appel avait retenu qu’il n’appartenait pas au juge de l’exécution de modifier le dispositif de l’arrêt ayant condamné la société à payer certaines sommes à l’ancienne salariée faute pour celui-ci de tendre à la fixation de la créance au passif.

Pour la haute juridiction, la cour d’appel aurait dû constater – après avoir relevé que l’arrêt dont l’exécution était poursuivie condamnait la...

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Pas de surprise pour la clôture

Le juge est-il tenu d’informer les parties de la date à laquelle il entend rendre l’ordonnance de clôture ?

La Cour de cassation a eu l’occasion de répondre à cette question dans une affaire ayant donné lieu à une procédure se déroulant devant la cour nationale de l’incapacité et de la tarification des accidents du travail (CNITAT). C’est une juridiction dont les jours sont vraisemblablement comptés puisque, au 31 décembre 2022, les dernières procédures suivies devant elle seront transférées à la cour d’appel d’Amiens qui connaît déjà de toutes les instances introduites à compter du 1er janvier 2019 (L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, art. 114 ; décr. n° 2020-155, 24 févr. 2020, art. 1).

Devant la CNITAT, comme devant le tribunal judiciaire, l’instruction s’achève par le prononcé d’une ordonnance de clôture ; à compter de sa notification, les parties qui ont adressé un mémoire à la cour sont irrecevables à se prévaloir de toutes nouvelles demandes ou de tout nouveau moyen (CSS, art. R. 143-28-1). Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, une partie avait fait les frais de cette règle puisque son mémoire communiqué postérieurement à la clôture avait été écarté des débats sans autre discussion, la CNITAT refusant par ailleurs de révoquer l’ordonnance rendue. Saisie d’un pourvoi, la Cour de cassation a cependant censuré l’arrêt rendu par la CNITAT : au visa de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article R. 143-28-1 du code de la sécurité sociale, elle souligne que « les exigences d’un procès équitable impliquent que la partie qui a usé de la faculté d’adresser un mémoire à la cour n’est irrecevable, sauf motif légitime, à présenter des prétentions ou moyens nouveaux ou à communiquer de nouvelles pièces, que si elle a été avisée de la date prévue pour la clôture ».

La procédure se déroulant devant la CNITAT est originale car elle mêle instructions orale et écrite. Le principe est que la procédure est orale (CSS, art. R. 143-26). Toutefois, chaque partie est invitée à déposer un mémoire dans un délai de vingt jours par le secrétaire général de la cour (CSS, art. R. 143-25) ; lorsqu’elle y procède, elle est dispensée de se rendre à l’audience par application de l’article 446-1 du code de procédure civile (CSS, art. R. 143-26, 1°). À la suite de la notification de l’ordonnance de clôture, et sauf à se prévaloir d’un motif légitime, les parties qui ont usé de la faculté dont elles disposaient d’adresser ainsi un mémoire ne sont plus recevables à soulever de nouvelles prétentions ou de nouveaux moyens ou à présenter de nouvelles pièces (CSS, art. R. 143-28-1) ; les mémoires ou pièces produits postérieurement à la notification de l’ordonnance peuvent alors être écartés des débats sans même que la cour ait à provoquer la discussion sur ce point (Civ. 2, 15 mai 2008, n° 07-17.763, Bull. civ. II, n° 116), illustration saisissante de la fameuse théorie des moyens dans la cause (v., sur cette théorie, J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., LGDJ, 2019, n° 311).

Fondamentalement, l’ordonnance de clôture constitue généralement le simple constat que l’affaire est en état d’être jugée ; c’est « un acte déclaratif » (G. Cornu et J. Foyer, Procédure civile, 3e éd., PUF, 1996, n° 173). Parce qu’il s’agit d’une simple constatation du juge, il pourrait paraître superflu d’informer les parties de la date à laquelle elle doit être rendue. C’est d’ailleurs à cette conclusion qu’était parvenue la Cour de cassation après avoir constaté qu’« aucun texte n’impose à la Cour nationale de donner connaissance aux parties de la date à laquelle sera rendue l’ordonnance de clôture » (Civ. 2e, 11 juill. 2013, n° 12-21.157 NP). Cette solution appelle toutefois de légitimes réserves et il n’est d’ailleurs pas étonnant que la Cour de cassation ait pu statuer en sens contraire (Civ. 2e, 20 janv. 2012, n° 11-11.360 NP). Que l’ordonnance de clôture constitue un acte déclaratif ne fait pas disparaître la nécessité d’entourer son prononcé d’un minimum de garanties procédurales afin d’éviter tout effet de surprise. Si le juge rend une telle ordonnance, c’est généralement parce que, après avoir constaté l’état de la procédure, il estime que les parties n’entendent plus conclure ; s’il ne s’en est pas enquis avant de prononcer la clôture, au moins faut-il que les parties aient eu connaissance de la date à laquelle celle-ci serait rendue afin d’éviter toute clôture « surprise ». Cette solution est aujourd’hui légitimement entérinée par la Cour de cassation au nom du droit à un procès équitable. S’il n’y procède pas lui-même, le juge doit donc veiller à ce que le greffe avise les parties de la date prévue pour la clôture (par exemple en leur adressant un bulletin). Si une partie constate cependant que le juge n’a pas respecté cette règle, il lui faut alors demander la révocation et non attendre l’exercice d’une éventuelle voie de recours pour lui reprocher cet effet de surprise (v., devant le tribunal de grande instance, Civ. 1re, 16 juin 1998, n° 96-16.277, Bull. civ. I, n° 215 ; D. 1999. 360 image, note J. Massip image ; ibid. 1998. 355, obs. F. Granet image ; RTD civ. 1998. 879, obs. J. Hauser image).

La généralité des termes employés dans l’attendu laisse penser que le droit à un procès équitable devrait, de la même manière, imposer au juge de porter à la connaissance des parties la date de la clôture lorsque celle-ci est prononcée dans le cadre d’une procédure se déroulant devant le tribunal judiciaire ou la cour d’appel. À de nombreuses reprises, la Cour de cassation a déjà jugé que tel devait être le cas (Civ. 2e, 8 juill. 2004, n° 02-17.615, Bull. civ. II, n° 376 ; Civ. 3e, 3 févr. 2004, n° 02-17.872 NP ; v. égal. Com. 26 oct. 1999, n° 96-12.571, Bull. civ. IV, n° 181 ; D. 2001. 696 image, obs. L. Aynès image). Car la pratique inverse conduirait à faire de l’ordonnance de clôture un instrument comminatoire « certainement contraire à l’esprit des textes » (v., à propos du tribunal de grande instance, H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé. Tome 3. Procédure de première instance, Sirey, 1990, n° 402). Le juge n’est en effet pas démuni d’instruments lorsqu’il souhaite hâter le rythme de l’instruction du litige devant le tribunal judiciaire ou la cour d’appel, il peut fixer un calendrier de la mise en état sans même avoir à recueillir l’accord des parties (C. pr. civ., art. 781), calendrier dont la méconnaissance peut conduire au prononcé d’une clôture partielle à titre de sanction (C. pr. civ., art. 800). Il lui est donc inutile de brandir la menace de clôture « surprise » !

Quoi qu’il en soit, cette avancée du principe du contradictoire constitue une bonne chose car il faut se souvenir avec Chapus qu’« une procédure doit être aussi contradictoire qu’il est raisonnablement possible qu’elle le soit » (R. Chapus, Droit du contentieux administratif, 13e éd., Montchrestien, 2008, n° 960, 1°).

Interruption estivale de Dalloz actualité

Durant les vacances d’été, la rédaction de Dalloz actualité prend quelques congés.

Merci d’être toujours plus nombreux à nous suivre.

Nous vous souhaitons à toutes et tous de belles vacances et nous vous retrouvons dès le 6 septembre, avec une édition complète et riche en actualités.

Usucapion et garantie du fait personnel du vendeur : incompatibilité ?

Le motif d’intérêt général de sécurité juridique de l’usucapion peut-il justifier que le vendeur puisse l’invoquer, au détriment de la garantie d’éviction résultant du fait personnel due à l’acquéreur d’immeuble ? Insensible à l’argument de l’intérêt général, la Cour de cassation réaffirme sa solution antérieure et répond par la négative.

Le 12 mai 1983, deux personnes vendent un terrain. L’acheteur revend une parcelle de ce terrain le 29 janvier 2010. L’un des vendeurs originaires était cependant resté en possession du terrain pendant un temps suffisant pour invoquer la prescription acquisitive. C’est sur ce fondement qu’il assigne en revendication son cocontractant, acquéreur originaire de 1983, et le sous-acquéreur, pour la restitution de la parcelle cédée en 2010.

La Cour d’appel rejette cette demande en revendication au motif que la garantie d’éviction du fait personnel du vendeur faisait obstacle au jeu de l’usucapion à son profit sur l’immeuble vendu. Le vendeur forme un pourvoi en cassation, dans lequel est mis en avant le motif d’intérêt général de sécurité juridique de l’usucapion. La question posée était celle de savoir si le vendeur peut bénéficier de l’usucapion à l’égard du terrain vendu au détriment de l’acquéreur ou de celui qui a recueilli ses droits.

La Cour de cassation répond à cette question par la négative et affirme que la cour d’appel a fait « une exacte application des articles 1626 et 1628 du code civil ». Le vendeur est tenu de l’obligation de garantir l’acquéreur d’un terrain contre toute éviction résultant de son fait personnel. Or, l’usucapion, résultant de la possession trentenaire, est une éviction résultant d’un fait personnel. Par conséquent, le vendeur ne peut évincer l’acquéreur en invoquant la prescription acquisitive pour se faire reconnaître propriétaire du terrain qu’il a vendu mais dont il a conservé la possession. L’acquéreur est toujours recevable, dans ce cas, à lui opposer l’exception de garantie qui est perpétuelle.

Sur la perpétuité de l’exception de garantie du fait personnel

Il s’agit d’une réaffirmation presque mot pour mot d’une solution ancienne (Civ. 13 mai 1912, DP 1913. I. 143 ; S. 1912. I. 94) et réitérée plus récemment (Civ. 3e, 20 oct. 1981, n° 80-10.660 P, D. 1982. IR 531, obs. crit. B. Audit ; 13 juill. 2010, n° 09-13.472 P, JCP N 2010. 1340, note Le Gallou).

La première étape du raisonnement consiste à établir que l’adage quem de evictione tenet actio, eumdem agentem repellit exceptio (« qui doit garantie ne peut évincer », art. 1626 et 1628 c. civ.) s’oppose bien à l’usucapion. Il semble à peine nécessaire de démontrer que la prescription trentenaire est bien une éviction du fait personnel, et le vendeur d’immeuble ne peut s’en prévaloir contre l’acquéreur. Une seconde étape du raisonnement consiste à poser la règle de la perpétuité de l’exception de garantie.

Cette étape est nécessaire si on considère le champ d’application, quant aux personnes, de la règle de l’interdiction faite au vendeur de faire jouer l’usucapion sur l’immeuble vendu. En premier lieu, le vendeur et tous ceux qui lui succèdent de quelque manière que ce soit dans l’obligation de garantie, ne peuvent bénéficier de l’usucapion sur l’immeuble vendu. En second lieu, l’acquéreur et ses ayants cause peuvent bénéficier de la règle. Les faits de l’espèce et ceux des arrêts antérieurs indiquent que tant les ayants cause à titre particulier, qu’à titre universels, peuvent invoquer l’exception de garantie pour s’opposer à l’usucapion du vendeur.

Or, la transmission de l’obligation de garantie avec l’immeuble peut s’étaler sur une période assez longue, et, « les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans […] » (C. civ., art. 2227) et « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans […] » (C. civ., art. 2224). Si, d’une part comme en l’espèce, le vendeur est resté en possession de l’immeuble pendant un laps de temps suffisant, et si, d’autre part, l’action en garantie de l’acquéreur est prescrite, l’obstacle à l’usucapion est levé. Le vendeur d’immeuble, ainsi libéré de son obligation de garantie, peut dès lors faire jouer l’usucapion.

Pour contrecarrer cette possibilité, la Cour de cassation fait donc intervenir la perpétuité de l’exception de garantie, et fait appel à la règle quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum » (l’action est temporaire, l’exception est perpétuelle). Appliqué au cas de la possession trentenaire de l’immeuble par le vendeur, la Cour considère que l’exception de garantie est perpétuelle et l’acquéreur ou celui qui a recueilli ses droits peut toujours l’opposer au vendeur qui est resté en possession de l’immeuble. Dès lors, à défaut de faire obstacle à l’usucapion du vendeur par voie de l’action, le propriétaire peut toujours le faire par la voie de l’exception.

L’indifférence de la finalité d’intérêt général de l’usucapion

L’apport de la solution est cependant ailleurs et peut se formuler ainsi : l’intérêt général de sécurité juridique attaché à l’usucapion ne saurait justifier que le vendeur puisse évincer l’acquéreur en invoquant la prescription acquisitive. En réfutant l’argumentation du pourvoi, qui reprenait une critique des commentateurs des arrêts précédents (B. Audit, note ss. Civ. 3e, 20 oct. 1981, préc. ; G. Appert, obs. ss. Civ. 13 mai 1912, S. 1914. I. 209), la Cour affirme indirectement que la finalité de l’usucapion est indifférente à l’égard de la solution qu’elle réitère.

Cependant, la critique tirée de l’intérêt social de l’usucapion n’est-elle pas pertinente ? Ne faudrait-il pas relativiser quelque peu la perpétuité de l’exception de garantie du fait personnel pour laisser une juste place au jeu de l’usucapion au profit du vendeur ?

Si, en effet, on considère la finalité de la garantie du fait personnel, il faut se rappeler que « la règle prend sa source dans la bonne foi qui doit présider à tous les contrats, [car] il serait contre toute justice de souffrir que le vendeur profitât de sa fraude, et contre toute raison de présumer que l’acquéreur a bien voulu lui permettre de le tromper impunément » (P. A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du code civil, t. XIV, Paris – Videcoq, 1836, rapport par le Tribun Faure sur le projet de loi destiné à former le Titre XI du Livre III du code civil, p. 165), et « il est impossible qu’en ne vendant rien on touche un prix » (P. A. Fenet, op. cit., Discours du tribun Grenier devant le Corps législatif sur le même projet, p. 198). On a encore soutenu qu’il « serait, en effet, singulier que le vendeur eût toute licence d’inquiéter son acheteur ; il y aurait dol de sa part à se réserver le droit de reprendre la chose qu’il vient de lui céder ou d’empêcher qu’il puisse en tirer tous les avantages escomptés » (H. Roland et L. Boyer, Adages du droit Français, 4e éd., Litec, 1999. 360, p. 720). Le but de la règle est donc d’éviter que le vendeur, par sa mauvaise foi ou son dol ne reprenne en quelque sorte de la main gauche ce qu’il a donné de la main droite. Tout en respectant cette finalité, il est possible de faire jouer l’usucapion en faveur du vendeur dans une certaine mesure.

Si on considère également la règle quae temporalia, il faut observer qu’elle n’est pas absolue. Appliqué à la nullité du contrat, l’exception ne peut plus être invoquée après un commencement d’exécution (C. civ., art. 1185 ; Civ. 1re, 12 nov. 2020, n° 19-19.481 P, Dalloz actualité, 27 nov. 2020, obs. C. Hélaine) car le commencement d’exécution équivaut à une confirmation du contrat (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, n° 568, p. 640). Appliqué à l’obligation de garantie, ne faut-il pas, par analogie, écarter l’exception de garantie lorsque l’acquéreur confirme l’usucapion par son inaction, et laisser ainsi jouer l’usucapion au profit du vendeur ?

Pour l’admission de l’usucapion en faveur du vendeur d’immeuble

On peut répondre à cette question par l’affirmative.

« Les prescriptions sont l’un des fondements de l’ordre social » et « un moyen de prévenir ou de terminer les procès » (P. A. Fenet, op. cit., t. XV, Présentation du titre XX du livre III du projet du code civil sur la prescription par Bigot-Préameneu, p. 575). Par ailleurs, la loi peut dans certains cas « présumer que celui qui a le titre a voulu perdre, remettre ou aliéner ce qu’il a laissé prescrire » (P. A. Fenet, loc. cit.). Enfin, « la prescription est mise, [dans les lois romaines], au nombre des aliénations de la part de celui qui laisse prescrire » (ibid., p. 576).

En un mot, l’exception de garantie doit être écartée dans certains cas, surtout lorsque l’inaction de l’acquéreur peut être interprétée comme une aliénation au vendeur, ou au moins comme une confirmation de l’usucapion. Une telle hypothèse est loin d’être fictive.

D’abord, il faut remarquer que la prescription extinctive ne court à l’égard de l’action en garantie qu’à compter de l’éviction (C. civ., art. 2233). Par conséquent, si l’usucapion est, comme le suppose l’arrêt rapporté, une éviction de l’acquéreur par le fait personnel du vendeur, elle ne devient effective qu’au bout de trente ans. C’est donc à partir de l’usucapion qu’il faut placer le point de départ de la prescription extinctive de l’action en garantie de l’acquéreur. Si ce dernier, outre l’usucapion qui a produit l’éviction, laisse son action en garantie s’éteindre par prescription, il y a là une sorte d’aliénation de l’immeuble ou une confirmation de la prescription trentenaire. Comme dans le cas de l’exception de nullité, l’exception de garantie devrait être écartée et le vendeur doit pouvoir faire jouer l’usucapion.

Si un vendeur peut racheter un terrain qu’il a vendu à son acquéreur ou à ses ayants droit, il semble bien excessif qu’il ne puisse jamais usucaper ce même terrain, alors même que ces deux moyens permettent d’acquérir la propriété. Si cette considération est insuffisante pour convaincre, il est toujours possible aux plaideurs d’invoquer le fameux « principe de proportionnalité » pour réclamer un certain équilibre entre l’obligation de garantie du fait personnel du vendeur et l’usucapion.

Loi de bioéthique : les grandes lignes d’une réforme attendue

Suite à son adoption définitive le 29 juin 2021 par l’Assemblée nationale, certaines dispositions de la nouvelle loi de bioéthique, relatives en particulier à la recherche sur l’embryon, ont été soumises au Conseil constitutionnel le 2 juillet 2021. Par une décision n° 2021-821 DC du 29 juillet 2021, le Conseil a validé les dispositions critiquées. La loi n° 2021-1017 relative à la bioéthique a donc été promulguée le 2 août 2021 et publiée au Journal officiel le 3 août. Présentation d’ensemble de cette quatrième mouture des lois de bioéthique.

L’interdiction réaffirmée de la GPA

Le premier titre du texte a sans doute été le plus débattu, le plus médiatisé aussi. Sous son intitulé « Élargir l’accès aux technologies disponibles sans s’affranchir de nos principes éthiques », sont regroupées les questions relatives à l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation, à ses incidences sur la filiation, au don de gamètes et à l’accès aux origines, ainsi que le renforcement de l’interdiction de la gestation pour autrui (GPA). En effet, complétant l’article 47 du code civil, l’article 7 de la loi vient briser la dernière jurisprudence de la Cour de cassation qui autorisait la transcription intégrale de l’acte de naissance d’un enfant issu d’une GPA réalisée à l’étranger dès lors que les faits déclarés dans l’acte étaient conformes au droit étranger. Désormais, la réalité de la filiation déclarée dans l’acte doit être appréciée au regard de la loi française, qui interdit les conventions de mère porteuse (C. civ., art. 16-7) et qui, hormis les exceptions qu’elle détermine, attache la filiation maternelle à l’accouchement et ne permet pas, en dehors de l’adoption, l’établissement d’une double filiation paternelle.

Ouverture de l’AMP et filiation

Quant à l’assistance médicale à la procréation (AMP), le choix final du législateur aura donc été de l’ouvrir à « tout couple formé d’un homme et d’une femme ou de deux femmes ou toute femme non mariée » (v. art. 1er de la loi ; CSP, art. L. 2141-2), sans qu’aucune différence de traitement ne puisse intervenir en considération du statut matrimonial ou de l’orientation sexuelle des demandeurs qui seront donc pris en charge par ordre d’arrivée. L’insémination post-mortem reste, quant à elle, interdite, au moins sur le territoire français (le Conseil d’État autorisant, depuis l’arrêt Gomez de 2016, le transfert des gamètes à l’étranger en cas d’atteinte disproportionnée aux droits de la requérante, CE 31 mai 2016, n° 396848, Lebon avec les concl. image ; AJDA 2016. 1092 image ; ibid. 1398 image, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet image ; D. 2016. 1470, obs. M.-C. de Montecler image ; ibid. 1472, note H. Fulchiron image ; ibid. 1477, note B. Haftel image ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 935, obs. RÉGINE image ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2016. 439, obs. C. Siffrein-Blanc image ; ibid. 360, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RFDA 2016. 740, concl. A. Bretonneau image ; ibid. 754, note P. Delvolvé image ; RTD civ. 2016. 578, obs. P. Deumier image ; ibid. 600, obs. J. Hauser image ; ibid. 802, obs. J.-P. Marguénaud image ; ibid. 834, obs. J. Hauser image ; RTD eur. 2017. 319, obs. D. Ritleng image). Les textes du code de la santé publique encadrant l’AMP sont réécrits pour prendre en compte l’ouverture et ajouter aux dispositions existantes une information sur les modalités d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur par la personne majeure issue du don. Quant aux incidences de cette ouverture sur le droit de la filiation, elles sont détaillées dans le code civil (v. art. 6 de la loi, C. civ., art. 342-9 s.). À cet égard, et comme en 2013, le législateur fait le choix d’adjoindre au titre préliminaire du code civil « de la publication, des effets et de l’application des lois en général », des dispositions relatives à l’état des personnes. L’article 6-1 est rectifié et surtout un article 6-2 est créé, réaffirmant que tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont, dans leurs rapports avec leurs parents, les mêmes droits et les mêmes devoirs et que la filiation fait entrer l’enfant dans la famille de chacun de ses parents. Cette disposition unique reprend et se substitue aux articles 310 et 358 qui l’affirmaient jusque-là dans des termes très proches au sein des titres du code civil dédiés à la filiation. Parmi les différentes options envisagées, le législateur a finalement choisi de sécuriser la filiation de l’enfant issu d’une AMP avec tiers donneur au sein d’un couple de femmes par une reconnaissance conjointe. Schématiquement, tout couple ou toute femme non mariée qui souhaite bénéficier d’une AMP doit y consentir préalablement devant notaire. Ici, c’est donc globalement la procédure existante de l’article 311-20 du code civil qui se trouve étendue aux nouveaux bénéficiaires de l’AMP. Mais, alors que pour les couples de personnes de sexe différent et la femme non mariée la filiation devra ensuite être établie par les moyens de droit commun, pour les couples de femmes, c’est au moment de ce consentement que devra également être établie une reconnaissance conjointe de l’enfant (C. civ., art. 342-1). Pour la femme qui accouche, sa filiation à l’égard de l’enfant est établie par l’effet de la loi. L’autre femme du couple doit présenter à l’officier d’état civil l’acte notarié de reconnaissance conjointe afin qu’il soit porté en marge de l’acte de naissance de l’enfant et établisse ainsi sa filiation. Cette reconnaissance au formalisme particulier semble motivée par le souci qu’aucune double filiation maternelle ne puisse être établie en dehors du cadre légal de l’AMP (hors adoption bien sûr). Les sanctions attachées au non établissement de la filiation et les interdictions de contestation de la filiation sont par ailleurs identiques à celles trouvant à s’appliquer aux couples de personnes de sexe différent.

Droit d’accès aux origines

Du côté des enfants, le législateur s’est montré sensible aux demandes d’accès aux origines (v. art. 5 de la loi ; CSP, art. L. 2143-2 s.). Il organise donc un système d’information qu’il met à la libre disposition des enfants issus de dons une fois devenus majeurs. Le don est conditionné au fait que les donneurs consentent à ce que leur identité et un certain nombre de données non identifiantes soient recueillies et conservées (âge, caractéristiques physiques, situation familiale, etc.). Ces données seront centralisées par l’Agence de Biomédecine avec les données relatives aux enfants issus des dons. Ces enfants, une fois majeurs, peuvent s’adresser à une nouvelle commission (commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur) pour obtenir soit l’identité du donneur, soit les données non identifiantes collectées, soit les deux. L’entrée en vigueur de ce système est fixée au 1er jour du 13e mois après la promulgation de la loi. À compter de cette date, les nouveaux dons seront soumis à la nouvelle procédure, mais les dons réalisés sous l’ancien dispositif pourront continuer à être utilisés. Cette situation transitoire se prolongera jusqu’à l’adoption d’un décret interdisant la réalisation d’une AMP avec les gamètes ou les embryons de donneurs n’ayant pas consenti à la communication de leurs informations personnelles. Pendant toute cette période transitoire et jusqu’à l’avant-veille de ce décret, les anciens donneurs pourront donner leur consentement au nouveau dispositif. La veille du décret, il sera mis fin à la conservation des gamètes et des embryons dont les auteurs n’ont pas consenti au nouveau dispositif. Pour les enfants nés d’un don réalisé sous l’ancien dispositif, la nouvelle commission va prendre contact avec le ou les donneurs et solliciter leur consentement à la communication des données non identifiantes et de leur identité. Cette commission vient s’ajouter au Conseil national d’accès aux origines personnelles (CNAOP) jusque-là seul compétent en la matière.

Autoconservation, don de gamètes et d’embryon

La levée de l’anonymat ainsi permise avait soulevé des interrogations quant au risque d’aggraver la pénurie des dons. Pourtant, ce n’est qu’à la marge que la nouvelle loi prévoit des dispositifs de nature à favoriser les dons (v. art. 3 de la loi ; CSP, art. L. 2141-12 et CSS, art. L. 160-8). Ainsi, la loi permet à toute personne, sous réserve d’une condition d’âge, de recourir à l’autoconservation de gamètes. Les frais de cette autoconservation sont à la charge de la personne et ne peuvent être assumés par un employeur ou une personne vis-à-vis de laquelle le bénéficiaire est en situation de dépendance économique, afin d’éviter des pressions en vue de retarder un projet parental. Tous les ans, la personne est sollicitée pour savoir si elle souhaite poursuivre la conservation de ses gamètes ou en faire don en vue d’une AMP ou d’une recherche scientifique. Un dispositif similaire est prévu pour les embryons, ceux-ci ne pouvant toutefois être conservés plus de cinq ans en principe (v. art. 22 de la loi ; CSP, art. L. 2141-4). Lorsque les gamètes conservés sont des spermatozoïdes, la personne est informée de ce qu’elle peut, à tout moment, faire don d’une partie du stock conservé à des fins d’AMP. Néanmoins, si la personne ne se prononce pas sur le sort qui doit être réservé à ses gamètes pendant une durée de dix ans, il sera, par défaut, mis fin à leur conservation à l’exclusion donc d’une réutilisation à des fins d’AMP ou de recherche scientifique. Un dispositif proche est retenu pour les hypothèses où la conservation des gamètes est justifiée par une prise en charge médicale susceptible d’altérer la fertilité, les bénéficiaires pouvant être des majeurs ou des mineurs et les frais étant pris en charge par la solidarité nationale (v. art. 31 de la loi ; CSP, art. L. 2141-1). Comme précédemment, les bénéficiaires sont interrogés chaque année sur le sort de leurs gamètes et, à défaut de réponse de leur part pendant dix ans (à compter de leur majorité), il est mis fin à la conservation.

Autres dons

Le législateur se montre plus innovant sur les autres dons. Il vient en effet favoriser et faciliter le don croisé entre vivants en faisant passer le nombre maximal de paires de donneurs et de receveurs consécutifs de deux à six et en ouvrant la possibilité d’intégrer à une procédure de dons croisés le recours à un organe prélevé sur une personne décédée (v. art. 8 de la loi ; CSP, art. L. 1231-1 s.). Au titre des prélèvements post-mortem, seuls les prélèvements sur les mineurs restent soumis à un régime dérogatoire, les majeurs sous tutelle étant désormais soumis au droit commun (consentement présumé). Se pose alors la question de la prise en compte de l’éventuel refus de prélèvement manifesté du vivant de la personne. Un majeur sous tutelle peut-il utilement s’inscrire sur le registre national automatisé des refus par exemple ? Au-delà des organes, la possibilité de prélever un mineur ou un majeur protégé pour une greffe de cellules hématopoïétiques est étendue aux parents du mineur ou du majeur protégé, sous réserve d’une représentation juridique ad hoc le cas échéant, pour éviter une situation de conflit d’intérêt (v. art. 10 de la loi ; CSP, art. L. 1241-3 s.). Enfin, pour clore sur les dons, le législateur introduit dans le code de santé publique le don de corps à des fins d’enseignement médical et de recherche jusque-là évoqué par l’article R. 2213-13 du code général des collectivités territoriales, sans en changer a priori fondamentalement les contours (v. art. 13 de la loi ; CSP, art. L. 1261-1). Des précisions devraient néanmoins être apportées par des décrets à venir en Conseil d’Etat. À noter que la transplantation de microbiote, soumise aux principes de consentement du donneur et d’anonymat du don sauf lorsqu’elle est intra-familiale, intègre le code de la santé publique à l’article L. 513-11-4, dans un nouveau chapitre relatif au recueil de selles d’origine humaine destinées à une utilisation thérapeutique (v. art. 35 de la loi ; CSP, art. L. 513-11-1 s.).

Génétique

La réforme fait également la part belle à la génétique, tant dans son versant médical que dans son versant recherche scientifique. Elle marque d’ailleurs l’entrée dans la partie législative du code d’une définition de l’examen des caractéristiques génétiques qui est en réalité double puisque sont distingués l’examen des caractéristiques génétiques constitutionnelles (héritées ou acquises à un stade précoce du développement prénatal) et l’examen des caractéristiques génétiques somatiques (dont le caractère hérité ou transmissible est en première intention inconnu ; v. art. 34 de la loi ; CSP, art. L. 1130-1 s.). Sur le versant médical ce sont l’accessibilité et la circulation de l’information génétique qui sont favorisées. L’article 14 permet ainsi la levée du secret médical à l’encontre d’une personne décédée pour les informations « nécessaires à la prise en charge d’une personne susceptible de faire l’objet d’un examen des caractéristiques génétiques » (CSP, art. L. 1110-4). Plus encore, sauf opposition expresse de la personne de son vivant, il autorise la réalisation d’un test génétique post mortem lorsqu’il y va de l’intérêt médical d’un membre de la famille du de cujus (CSP, art. L.1130-3). Le consentement d’un seul des membres de la famille suffit pour la réalisation de l’examen. L’article 15 (CSP, art. L. 1131-1 s.) quant à lui traite de la circulation de l’information. En particulier, il bilatéralise la procédure d’information en présence d’une AMP afin que celle-ci profite tant aux enfants issus du don qu’aux donneurs (v. art. 25 de la loi ; CSP, art. L. 2131-1 VI bis). Il met en place une procédure comparable pour l’adoption. Il précise enfin certaines hypothèses de l’information médicale à caractère familial : lorsque la personne testée est l’objet d’une mesure de protection juridique avec représentation, lorsqu’elle est hors d’état d’exprimer sa volonté ou lorsqu’elle est décédée. Le législateur précise également le sort des données incidentes ou fortuites, c’est-à-dire des informations génétiques découvertes à l’occasion d’un test sans avoir été spécialement recherchées. Ces informations peuvent être communiquées à la personne sauf opposition de sa part, que le test soit réalisé dans le cadre du soin (v. C. civ., art. 16, 16-10, II, 4°) ou à des fins de recherche scientifique (v. art. 24 de la loi ; CSP, art. L. 1130-5). Ces informations incidentes sont également envisagées dans le cadre de la « médecine fœtale », anciennement diagnostic prénatal (v. art. 25 de la loi ; CSP, art. L. 2131-1, VI). À noter enfin que le dépistage néonatal recourant à des examens de biologie médicale constitue un programme de santé national, y compris en présence de tests génétiques pour lesquels les modalités notamment d’information devront être adaptées. Un décret en Conseil d’État est donc attendu sur ce point.

Recherche sur l’embryon

En matière de recherche scientifique, la loi nouvelle revient sur le cadre juridique de la recherche sur l’embryon et sur les cellules souches qu’elle favorise et divise schématiquement en deux : la recherche sur l’embryon est soumise à autorisation quand la recherche sur les cellules souches, embryonnaires ou pluripotentes induites humaines, n’est soumise qu’à déclaration. Surtout, et c’était l’objet de la saisine du Conseil constitutionnel, le législateur autorise expressément la recherche sur l’embryon sans visée médicale dès lors qu’elle a pour but d’améliorer la connaissance de la biologie humaine et les recherches en matière d’édition du génome sur l’embryon humain. Les conditions, contrôles et sanctions afférents à chacune de ces recherches sont précisés (v. art. 20, 21 et 23 de la loi ; CSP, art. L. 2141-3-1 et L. 2151-5 s.).

Interruption de grossesse

Concernant l’interruption volontaire de grossesse, la loi nouvelle n’intervient que sur les dispositions relatives à l’interruption pour motif médical. Elle introduit la possibilité de procéder à une réduction embryonnaire dans le délai légal de douze semaines de grossesse, si une telle réduction permet de réduire les risques pour la santé de la femme ou des embryons (art. 28 de la loi ; CSP, art. L. 2213-1). Elle reproduit dans l’IVG pour motif médical les dispositions existantes en matière d’IVG dans le délai de douze semaines pour les femmes mineures (v. art. 29 de la loi ; CSP, art. L. 2213-2 s.).

Intersexualité

Enfin, une avancée attendue, quoi que moins médiatisée que l’AMP, résidait dans la prise en compte des enfants présentant une variation du développement génital. Un nouvel article L. 2131-6 vient préciser la prise en charge notamment en termes d’informations et de délais de réflexion. L’article 57 est également modifié pour permettre de dissocier la déclaration de naissance et la déclaration du sexe à l’état civil, mais les délais restent très courts, la mention du sexe ne pouvant être reportée plus de trois mois après la déclaration de naissance. La réécriture de l’article 99 devra faciliter la rectification ultérieure de l’indication du sexe (v. art. 30 de la loi ; CSP, art. L. 2131-6 et C. civ., art. 57).

Au-delà de cette limite votre tarif reste encore et toujours valable…

La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, avait modifié le régime de la postulation en posant, notamment qu’en matière de saisie immobilière, de partage, de licitation et de sûretés judiciaires, les droits et émoluments de l’avocat resteraient fixés sur la base d’un tarif déterminé selon des modalités prévues au titre IV bis du livre IV du code de commerce (Loi n° 71-1130 du 31 déc. 1971, art. 10, al. 2).

Deux années plus tard, le décret n° 2017-862 du 9 mai 2017, relatif auxdits tarifs règlementés devait être publié, suivi par un arrêté du 6 juillet entré en vigueur au 1er septembre 2017.

L’article 1er de l’arrêté du 6 juillet précisait que les tarifs des avocats étaient fixés pour une période transitoire comprise entre le 1er septembre 2017 et le 1er septembre 2019. A quelques jours de cette date, un nouvel arrêté du 8 août 2019 était publié (v. F. Kieffer, Au-delà de cette limite votre tarif reste valable…, Dalloz actualité, 5 sept. 2019). Cet arrêté n’apportait pas de grandes nouveautés puisque le tarif initial (C. com., art. R. 444-71 à R. 444-77 et A. 444-187 à A. 444-202) avait été reconduit pour deux ans, jusqu’au 31 août 2021.

Il tenait cependant compte des modifications apportées au code des procédures civiles d’exécution par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice dite « loi Justice » à la suite de laquelle l’article L. 322-5 du code des procédures civiles d’exécution avait été complété par un aliéna pour permettre le recours à la vente de gré à gré, en cas d’accord unanime de toutes les parties, même lorsque la vente forcée a été ordonnée et tant que les enchères n’ont pas été ouvertes. Il fallait donc prévoir de réglementer la rémunération de l’avocat pour cette nouvelle modalité de réalisation du bien saisi ce qu’avait précisé l’arrêté du 8 août 2019 en complétant l’article A. 444-191 du code de commerce et en prévoyant que l’avocat poursuivant devait percevoir, en cas de vente de gré à gré intervenant après l’audience d’orientation, le même émolument qu’en cas de vente amiable sur autorisation judiciaire.

Enfin, l’arrêté du 8 août 2019 avait également apporté une précision en matière de distribution du prix de vente. Pour les actes réalisés en matière de distribution, l’article A. 444-192 du code de commerce dans sa rédaction antérieure au nouvel arrêté renvoyait à l’article A. 663-28 du même code relatif au tarif des mandataires judiciaires. Or, cette dernière disposition n’envisageait pas de réduction de moitié en présence d’un seul créancier. Pour les avocats, la procédure de distribution amiable offre en effet deux voies, l’une simplifiée en présence d’un seul créancier (C. pr. exéc., art. R. 332-1), l’autre plus complexe en présence de plusieurs créanciers (C. pr. exéc., art. R. 332-2). Aussi, même si les cas étaient assez rares, certains praticiens estimaient que même en pratiquant la voie simplifiée de l’article R. 332-1 du code des procédures civiles d’exécution, ils pouvaient prétendre à un émolument plein. Le simple ajout qu’en présence d’un seul créancier l’émolument était réduit de moitié, avait pour but de mettre un terme à cette interprétation erronée en complétant l’article A. 444-192 pour y ajouter que dans le cadre de la distribution du prix, l’émolument est réduit de moitié lorsqu’il n’existe qu’un seul créancier.

Reconduction du tarif actuel jusqu’au 31 août 2023

Ainsi, après l’arrêté du 8 août 2019, le tarif applicable depuis le 1er septembre 2017 avait été reconduit jusqu’au 31 août 2021.

Au cours de cette période, la DGCCRF et le CNB devaient s’entendre pour permettre de déterminer les modalités destinées à recueillir des données auprès des avocats dans l’objectif de pouvoir analyser celles-ci pour mettre en place un tarif moins inspiré du tarif ancien (du 2 avr. 1960) mais se rapprochant davantage des critères posés par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

La situation sanitaire au cours de l’année 2020 n’a pas permis de mettre en place ces modalités, lesquelles, au surplus auraient générées des analyses inexploitables tant l’économie au cours de l’année 2020 a été bouleversée. C’est pourquoi, le tarif applicable depuis le 1er septembre 2017, reconduit pour deux années par l’arrêté du 8 août 2019 ne pouvait qu’être reconduit pour deux nouvelles années. C’est chose faite avec l’arrêté du 2 août 2021 qui reconduit le tarif actuel jusqu’au 31 août 2023.

Nouveautés

Deux nouveautés accompagnent cependant cet arrêté.

Taux de remise maximal de 20% sur les émoluments proportionnels

Tout d’abord, le premier alinéa de l’article A. 444-202 du code de commerce est modifié et prévoit désormais que les remises prévues au dernier alinéa de l’article L. 444-2 du même code qui peuvent être consenties par les avocats sur les émoluments proportionnels sont désormais fixés dans la limite d’un taux de remise maximal de 20 % (le taux était de 10 %, mais il a été passé à 20 % pour les autres professions réglementées; il s’agit donc d’un simple alignement) applicable à la part d’émolument calculée sur les tranches d’assiette supérieures ou égales à 100 000 €.

Procédure de distribution : réduction de moitié du droit proportionnel en présence de la procédure simplifiée en présence d’un seul créancier

Ensuite, pour la procédure de distribution du prix de vente, avec une nouvelle modification de l’article A.444-192 du code de commerce, la modification apportée par l’arrêté du 8 août 2019 ayant souvent mal été interprétée par les praticiens et juges de l’exécution.

L’idée à l’origine était de prévoir une tarification pour la procédure complexe en présence de plusieurs créanciers (C. pr. exéc., art. R. 332-2) avec un droit proportionnel, lequel serait réduit de moitié en présence de la procédure simplifiée en présence d’un seul créancier (C. pr. exéc., art. R. 332-1).

La première version du texte avait généré une mauvaise interprétation, certains praticiens appliquant un droit proportionnel plein, même en présence d’une procédure simplifiée. Aussi, lors des discussions avec la DGCCRF pour la rédaction de l’arrêté tarifaire, le CNB avait suggéré une rédaction plus claire sur ce point.

Malheureusement, la rédaction du texte a à nouveau été source de confusion, certains juges de l’exécution considérant que l’émolument devait être réduit de moitié, même en présence d’une procédure complexe, lorsqu’un seul créancier était colloqué, ce qui n’était pas l’esprit du texte.

C’est pourquoi, l’arrêté du 2 août 2021 revient sur l’esprit qui avait fondé ce texte et modifie l’alinéa 2 de l’article A. 444-192 du code de commerce qui dispose désormais que  « Lorsque la distribution est soumise aux dispositions de l’article R. 332-1 du code des procédures civiles d’exécution, cet émolument est réduit de moitié. »

Désormais c’est clair : en présence d’une procédure à un seul créancier, l’avocat poursuivant la distribution peut prétendre à un émolument réduit de moitié, en présence d’une procédure à plusieurs créanciers, il peut prétendre à un émolument plein, quel que soit le nombre de créanciers colloqués.

Il n’en reste pas moins que ce tarif reste encore et toujours provisoire et qu’une fois que les modalités destinées à permettre le recueillement des données aura été mis en place, la DGCCRF travaillera sur un tarif répondant au critère de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Donc, la nouvelle limite est bien fixée au 31 août 2023, mais… et au-delà de cette prochaine limite, il n’est pas certain que le tarif en vigueur reste (encore) valable. 

Loi applicable au contrat de travail international : précisions de la Cour de justice

La Cour de justice a été saisie de deux affaires concernant la loi applicable au contrat de travail.

Dans la première affaire (aff. C-152/20), deux chauffeurs routiers roumains ont conclu, en Roumanie, un contrat de travail avec une société italienne. Ils ont par la suite assigné l’employeur devant un tribunal roumain en demandant le paiement d’un complément de salaire calculé par référence au salaire minimal prévu par la loi italienne et en particulier par la convention collective italienne du secteur des transports, qui aurait été, selon eux, applicables car ils auraient exercé habituellement leurs fonctions en Italie.

Dans la seconde affaire (aff. C-218/20), un chauffeur roumain et une société allemande avaient conclu un contrat de travail. Un syndicat roumain, dont ce chauffeur était membre, a ensuite saisi une juridiction roumaine afin que l’employeur soit condamné à payer le salaire minimal prévu par le droit allemand ainsi que les treizième et quatorzième mois dus en application de ce droit.

La résolution de ces affaires impliquait le recours au règlement Rome I n° 593/2008 du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et en particulier à son article 8, qui est rédigé dans les termes suivants : « 1. Le contrat individuel de travail est régi par la loi choisie par les parties conformément à l’article 3. Ce choix ne peut toutefois avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui, à défaut de choix, aurait été applicable selon les paragraphes 2, 3 et 4 du présent article.
2. À défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail. Le pays dans lequel le travail est...

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« Principe de continuité des mesures » et concurrence entre cour d’appel et juge des tutelles

L’appel dirigé contre la décision du juge des tutelles ou la délibération du conseil de famille est-il privé d’objet lorsque cet organe rend, après que le recours ait été exercé, une nouvelle décision ou une nouvelle délibération ayant le même objet ?

Telle est la question à laquelle a répondu la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 7 juillet 2021.

« Principe de continuité des mesures »

Chacun sait que, sauf si la loi en dispose autrement, les décisions du juge des tutelles et les délibérations du conseil de famille sont susceptibles d’appel (C. pr. civ., art. 1239). L’article 1246 du code de procédure civile permet alors à la cour d’appel, même d’office, de substituer une décision nouvelle à celle du juge des tutelles ou à la délibération du conseil de famille. Parallèlement, cependant, le juge des tutelles et le conseil de famille demeurent compétents pour prendre toute décision ou délibération nécessaire à la préservation des droits et intérêts de la personne protégée (C. pr. civ., art. 1246, al. 2) ; « opportunément, est ainsi mis en œuvre un « principe de continuité des mesures […] tenant compte de la réalité des mesures de protection, susceptibles d’évolution à tout moment » (Circ. DACS n° CIV/01/09/C1 du 9 févr. 2009 relative à l’application des dispositions législatives et réglementaires issues de la réforme du droit de la protection juridique des mineurs et des majeurs, BOJ 28 févr. 2009, pt 7.2). Cela permet notamment au juge des tutelles ou au conseil de famille d’intervenir rapidement pour mettre en place les mesures de protection nécessaires. Mais ce principe est la source d’une difficulté.

Maintien de l’objet du recours

Car le juge des tutelles ou le conseil de famille est amené à prendre une seconde décision ou délibération relative au principe ou à l’étendue de la mesure de protection avant même que la cour d’appel ait statué sur le recours dirigé contre la première. Ce faisant, il est assez tentant de considérer, comme l’a notamment...

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Tribunal judiciaire : modalités de communication de la date de première audience

Innovation de la réforme de la procédure civile entrée en vigueur le 1er janvier 2020 et aménagée le 1er janvier 2021, la prise de date est obligatoire devant le tribunal judiciaire depuis le 1er juillet 2021 (C. pr. civ., art. 56, 751 et 754, mod. par décr. n° 2019-1333 du 11 déc. 2019, art. 4 et par décr. n° 2020-1452 du 27 nov. 2020, art. 1er).

Depuis le 1er juillet 2021, la demande formée par assignation est portée à une audience dont la date est communiquée par le greffe au demandeur sur présentation du projet d’assignation selon des modalités fixées par l’arrêté du 9 mars 2020 (C. pr. civ., art. 751 ; Arr. 9 mars 2020, NOR : JUSC2001176A). Cet arrêté du 9 mars 2020, relatif aux modalités de communication de la date de première audience devant le tribunal judiciaire, déjà modifié par un arrêté du 22 décembre 2020 en ce qui concerne les procédures de divorce et de séparation de corps, est de nouveau modifié par un arrêté du 9 août 2021, lequel fixe les modalités de communication de cette date en procédure écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire et entrera en vigueur le 1er septembre 2021 (Arr., art. 3).

Modalités de communication de la date de première audience en procédure écrite ordinaire

L’arrêté du 9 août 2021 précise qu’à compter du 1er septembre 2021 et en procédure écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire, la date de l’audience devra être sollicitée au moyen du réseau privé virtuel des avocats (RPVA, défini par l’arrêté du 7 avr. 2009, NOR : JUSC0907573A ; Arr. 9 mars 2020, art. 4, al. 1er, mod. par Arr., art. 2).

Il prévoit, toutefois, deux exceptions pour lesquelles la demande pourra être formée par tout moyen :

lorsque le demandeur, dispensé de l’obligation de représentation, n’aura pas constitué avocat ; lorsque la date ne pourra pas être demandée par voie électronique pour une cause étrangère à celui qui la sollicite (Arr. 9 mars 2020, art. 4, al. 2, mod. par Arr., art. 2).

L’arrêté du 9 août 2021 réécrit donc l’article 4 de l’arrêté du 9 mars 2020 et remplace en conséquence l’intitulé du chapitre II qui sera relatif aux « Modalités de communication de la date de la première audience en procédure écrite ordinaire », alors que, jusqu’au 31 août 2021, il concerne les « Modalités de communication de la date de la première audience dans les procédures de divorce et de séparation de corps ».

Modalités de communication de la date de première audience hors procédure écrite ordinaire

Le chapitre Ier reste relatif aux « Dispositions générales », mais le nouvel arrêté modifie le premier alinéa de l’article 1er de l’arrêté du 9 mars 2020 et ajoute un deuxième alinéa qui précise que, sous réserve des dispositions relatives à la procédure écrite ordinaire prévues au chapitre II, la communication de la date de première audience se fait par tout moyen.

Rappelons qu’elle peut ainsi être sollicitée par téléphone ou par télécopie auprès du greffe des services civils (Arr., 9 mars 2020, art. 2). Elle peut également être obtenue au moyen d’un courrier électronique ou communiquée par voie électronique via les réseaux professionnels : le RPVA pour les avocats ou le  réseau privé sécurisé des huissiers de justice (RPSH) pour les huissiers de justice (Arr., 9 mars 2020, art. 3).

L’arrêté du 9 août 2021 rectifie enfin une erreur matérielle en supprimant dans l’article 3 de l’arrêté du 9 mars 2020 les mots « s’agissant de la procédure de référé ».

 

Éditions Législatives, édition du 24 août 2021

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