Les droits de la personnalité ont souvent tendance à rentrer en contradiction entre eux. C’est le cas notamment entre le droit à la vie privée et la liberté d’expression. Bien évidemment, la question intéresse surtout les personnalités publiques pour lesquels il existe un « débat d’intérêt général » quant à certaines informations les concernant. Comme l’énoncent Philippe Malaurie et Laurent Aynès : « la vie privée n’est pas définie par la loi ; c’est sur ce point que s’est polarisée l’attention » (P. Malaurie et L. Aynès, Droit des personnes, la protection des mineurs et des majeurs, Paris, LGDJ, coll. « Droit civil », 2018, p. 166, n° 323). Or, en l’espèce, l’atteinte à la vie privée en elle-même ne posait pas problème. Contextualisons rapidement cet arrêt du 5 mars 2020 pour mieux en comprendre l’enjeu. En l’espèce, deux anciens ministres sous le quinquennat de François Hollande sont photographiés à leur insu aux États-Unis « vingt jours après leur démission conjointe du gouvernement ». C’est précisément sur ce point que l’ancien ministre de l’Économie, du redressement productif et du numérique a assigné la société d’édition de Paris Match. Pour se défendre, celle-ci argue bien évidemment du débat suscité par la démission des deux ministres : les clichés violent certes la vie privée de ces derniers mais les anciens ministres sont des personnalités publiques. Devant les juges du fond, l’argumentation n’arrive pas à convaincre : la cour d’appel condamne la société d’édition à réparer le préjudice du ministre à hauteur de 9 000 € de cette atteinte à sa vie privée. Elle se pourvoit donc en cassation. Le pourvoi est rejeté, la solution est sans équivoque : « cet article, illustré par des photographies prises à l’insu des intéressés, avait porté atteinte au droit de M. Montebourg au respect de sa vie privée et de son image ».
Dans une motivation enrichie, la Cour de cassation rappelle tout d’abord les conditions qui peuvent entraîner une atteinte légitime à la vie privée. D’une part, la Haute juridiction rappelle une solution antérieure (Civ. 1re, 21 mars 2018, n° 16-28.741, D. 2018. 670
On remarque donc une certaine appréhension de la vie privée dans cet arrêt. La Cour de cassation ne remet nullement en cause la possibilité de nourrir un débat d’intérêt général. Loin de cette idée, elle protège cette notion qui doit être considérée comme une exception dans l’atteinte à ce droit fondamental. La simple mention de ce débat, en quelques lignes, ne suffit pas. Il faut que l’article étudie expressément cette question politique. Se contenter d’évoquer rapidement le débat ne permet pas de légitimer une atteinte à la vie privée. C’est une solution heureuse qui permet une meilleure protection de l’intimité de chacun. La cour d’appel évoque ce que l’article aurait pu mentionner d’ailleurs en précisant qu’il : « ne fait aucune allusion aux conséquences de cette relation sur leurs fonctions et ambitions politiques respectives, pas plus qu’au débat politique ouvert à la suite du remaniement ministériel consécutif à leur démission ». Le conflit de normes fondamentales est réglé d’une manière harmonieuse : la vie privée triomphe quand il n’y a pas d’intérêt à la violer pour informer le public. Le débat d’intérêt général, en tant que notion indéterminée (P. Malaurie et L. Aynès, Droit des personnes, op. cit., p. 170, n° 325) reste donc apprécié factuellement. Le juge doit arbitrer ces conflits de normes entre elles en restant suffisamment proche des faits pour vérifier l’existence et la réalité d’un tel débat.