La caution qui, assignée en paiement, voit sa demande fondée sur la faute de l’établissement bancaire déclarée irrecevable comme nouvelle en appel, peut-elle introduire une nouvelle instance afin d’obtenir le versement de dommages-intérêts ?
De manière hélas banale, le tribunal de commerce de Soissons place un débiteur en liquidation judiciaire et condamne une caution à verser une certaine somme au créancier après lui avoir accordé des délais de paiement. Devant la cour d’appel d’Amiens, la caution invoque la responsabilité civile de l’établissement bancaire et demande sa condamnation à des dommages-intérêts venant en compensation des condamnations prononcées à son encontre. La juridiction du second degré déclare sa demande irrecevable comme nouvelle. Ne se décourageant pas, la caution a assigné la banque pour voir juger qu’elle avait failli à ses obligations de conseil et de mise en garde. L’établissement bancaire a opposé une fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée. La cour d’appel de Reims fait droit à ce moyen de défense en soulignant que la demande dont elle était saisie, qui tendait à remettre en cause, par un moyen nouveau, la condamnation irrévocable de la caution au paiement des sommes dues au titre de ses engagements et se heurtait à l’autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal de commerce de Soissons confirmé par la cour d’appel d’Amiens, était irrecevable. La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cet arrêt en approuvant la cour d’appel d’avoir déclaré la demande irrecevable comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée.
Chacun sait que, depuis qu’a été rendu le fameux arrêt Césaréo, il incombe au demandeur de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens qu’il estime de nature à fonder celle-ci (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, Bull. ass. plén., n° 8 ; D. 2006. 2135, et les obs.
Les règles sont donc bien établies. Leur mise en œuvre, tout particulièrement lorsqu’une caution est assignée en paiement et se prévaut pour sa défense d’une faute de l’établissement bancaire, continue pourtant de soulever des difficultés. La caution qui est assignée en paiement peut tout à fait demander le rejet partiel de la demande en se prévalant de la faute de l’établissement bancaire dès lors que celle-ci lui a causé un préjudice ; mais elle peut également former une demande visant à ce que l’établissement bancaire lui règle une certaine somme appelée à se compenser avec les sommes qu’elle pourrait elle-même devoir, ce qu’avait d’ailleurs fait la caution dans la présente espèce. Dans le premier cas, la caution ne paraît soulever qu’un simple moyen de défense ; dans le second, elle forme une demande reconventionnelle. La Cour de cassation fait preuve de bienveillance à l’égard de la caution. Elle ne lui impose pas d’emprunter un canal procédural : la caution peut invoquer la faute de la banque en soulevant une défense au fond ou en formant une demande reconventionnelle (Com. 13 déc. 2017, n° 13-24.057, Bull. civ. IV, n° 161 ; Dalloz actualité, 10 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 4
Mais la liberté ainsi laissée à la caution a un prix, ce que rappelle le présent arrêt.
La caution a en effet la faculté de se prévaloir du moyen tiré de la faute de l’établissement bancaire pour échapper à la demande dirigée à son encontre. Parce qu’elle dispose de la possibilité de soulever un tel moyen, il est donc possible de lui reprocher de ne pas y avoir procédé. Elle ne peut pas introduire une nouvelle instance pour demander à l’établissement bancaire le paiement d’une certaine somme en raison de sa faute : une telle faute aurait pu être invoquée par la caution afin d’obtenir le rejet de la demande en paiement dirigée à son encontre par le créancier, si bien que la nouvelle demande se heurte à l’autorité de la chose jugée attachée à la décision statuant sur la demande du créancier (Com. 22 mars 2016, n° 14-23.167, inédit ; 25 oct. 2011, n° 10-21.383, Bull. civ. IV, n° 169 ; Dalloz actualité, 10 nov. 2011, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2011. 2735, obs. V. Avena-Robardet
L’application de cette solution dans la présente affaire paraît particulièrement sévère alors que, dans l’instance ayant donné lieu à l’arrêt revêtu de l’autorité de la chose jugée, la caution avait bien formé une demande reconventionnelle en paiement fondée sur la faute de l’établissement bancaire qui avait été déclarée irrecevable. Le résumé de la situation fait même apparaître une solution inique : la caution est poursuivie en paiement ; elle a alors le droit de se prévaloir de la faute de l’établissement bancaire au moyen d’une défense au fond ou d’une demande reconventionnelle ; usant de ce droit, la caution forme une demande reconventionnelle qui est cependant déclarée irrecevable ; lorsqu’elle introduit une nouvelle instance pour faire condamner l’établissement bancaire, il lui est opposé que la décision l’ayant condamnée au paiement d’une certaine somme est revêtue de l’autorité de la chose jugée au principal.
Cette solution est en réalité le fruit de deux causes.
La première cause tient à l’abandon de la ligne jurisprudentielle tracée par l’arrêt Gandolfo, qui avait énoncé que la caution ne pouvait arguer de la faute de l’établissement bancaire qu’au moyen d’une demande reconventionnelle (Com. 16 mars 1993, n° 90-20.614, Bull. civ. IV, n° 102 ; D. 1993. 314
L’abandon de la jurisprudence Gandolfo ne constitue cependant pas l’unique cause des maux de la caution dans la présente affaire. La seconde réside dans l’arrêt rendu par la cour d’appel d’Amiens, qui a déclaré la demande de la caution irrecevable comme étant nouvelle en cause d’appel. Si, par principe, une demande nouvelle est irrecevable (C. pr. civ., art. 564), il en va autrement lorsqu’il s’agit d’une demande reconventionnelle, laquelle est toujours recevable en appel (C. pr. civ., art. 567). Or la caution qui, poursuivie en paiement, forme une demande incidente fondée sur la responsabilité de l’établissement bancaire soulève bien une demande reconventionnelle, qui est recevable dès lors qu’elle est unie par un lien suffisant avec la demande originaire (Civ. 2e, 23 févr. 2017, n° 16-12.859, Bull. civ. II, n° 39 ; Dalloz actualité, 8 mars 2017, obs. M. Kebir ; D. 2017. 517