À quelle date le juge doit-il se placer pour apprécier une demande de prestation compensatoire ?
La question est classique, mais continue de créer quelques difficultés.
Sauf, bien évidemment, en cas de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par un avocat, c’est au jour où la décision qui prononce le divorce passe en force de chose jugée que le divorce est dissous (C. civ., art. 260) ; à cette même date, le devoir de secours prend fin et doivent être appréciées la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie des époux et la nécessité d’ordonner le versement d’une prestation compensatoire (C. civ., art. 270). Ces principes, simples en apparence, sont parfois difficiles à mettre en œuvre. Car il peut arriver que seuls les chefs de dispositif relatifs au règlement des conséquences de la rupture fassent l’objet d’un appel et, en ce cas, celui prononçant le divorce peut, sans qu’on y prête attention, passer en force de chose jugée ; la cour d’appel, doit alors apprécier le principe ou le montant de la prestation compensatoire non pas au jour où elle statue, mais à une date antérieure.
Il faut le rappeler : un jugement passe en force de chose jugée lorsqu’il n’est susceptible d’aucun recours suspensif d’exécution (C. pr. civ., art. 500). En somme, fixer le jour auquel le jugement prononçant le divorce passe en force de chose jugée revient à déterminer le moment où il n’est plus susceptible d’appel ou d’une autre voie de recours suspensive d’exécution. Du coup, la date du prononcé du jugement de divorce ne peut pas être celle où la décision passe en force de chose jugée. Pourtant, un temps, la Cour de cassation a enjoint aux juges d’apprécier l’existence et le montant de la prestation compensatoire « à la date du prononcé du divorce » dès lors que l’appel ne portait pas sur le principe du divorce (Civ. 1re, 2 mars 2004, n° 03-10.388, inédit ; Civ. 2e, 27 févr. 2003, n° 01-10.066, inédit ; 10 oct. 2002, n° 01-01.432 P ; 28 mars 2002, n° 00-13.936, inédit ; 25 mars 1985, n° 82-15.317 P). Manifestement, il y avait là une erreur car, en raison du caractère suspensif de l’appel, le jugement rendu par le juge aux affaires familiales ne peut passer en force de chose jugée dès son prononcé. Cette erreur était peut-être davantage à mettre au rang des approximations, parfois pratiquement inévitables en la matière ; même s’il paraît relever du bon sens que, en cas d’appel portant tant sur le prononcé du divorce que sur ses conséquences, la cour d’appel doive apprécier l’existence et le montant de la prestation compensatoire au jour où elle statue (Civ. 1re, 2 sept. 2020, n° 19-16.315, RTD civ. 2020. 860, obs. A.-M. Leroyer
On sait que l’appelant principal est soumis à une règle stricte : sa déclaration d’appel (éventuellement complétée) fixe les chefs du jugement critiqués, sans que des conclusions ultérieures puissent étendre l’effet dévolutif de son appel (Civ. 1re, 22 juin 1999, n° 97-15.225 P, Koski c/ Société EMI France, D. 1999. 189
Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel avait choisi de se détourner de cette dernière précision et, alors que l’appel principal était limité aux conséquences du divorce, avait estimé que le jugement était passé en force de chose jugée à la date du dépôt des premières conclusions de l’intimé dès lors que celles-ci ne contenaient aucun appel incident relatif au prononcé du divorce. Un pourvoi a été formé et son auteur avait beau jeu de soutenir que c’était à la date du dépôt des dernières conclusions de l’intimé que la cour d’appel aurait dû se placer pour fixer le principe et apprécier le montant de la prestation compensatoire. Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation, qui amende ainsi sa jurisprudence antérieure.
Certes, un appel incident peut en principe être formé en tout état de cause (C. pr. civ., art. 550). Mais c’est sous réserve des règles relatives à la procédure d’appel ordinaire avec représentation obligatoire énoncées par les articles 909, 910 et 905-2 du code de procédure civile (C. pr. civ., art. 550). L’article 909, qui prévoit que « l’intimé dispose […] d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant […] pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué », oblige l’intimé à former son appel incident dans le délai de trois mois dont il dispose pour conclure ; il n’y a donc pas lieu d’attendre, pour déterminer si la décision prononçant le divorce passe en force de chose jugée, le dépôt de son dernier jeu d’écritures. La Cour de cassation a logiquement rejeté le pourvoi. Elle a même ajouté que le jugement prononçant le divorce était passé en force de chose jugée au jour du dépôt des premières conclusions de l’intimé. C’est à ce moment là que devait être appréciée la nécessité d’ordonner le versement d’une prestation compensatoire.
Cette solution fait ainsi du délai de trois mois prévu par l’article 909 du code de procédure civile un délai maximum pour déposer les conclusions au greffe (et les notifier à l’appelant) : l’intimé ne devrait pas pouvoir, même dans le délai de trois mois prévu par le texte, déposer un second jeu de conclusions pour former un appel incident ; une fois les conclusions déposées, il perd le bénéfice du délai de trois mois. A suivre ce raisonnement, l’appelant, qui peut toujours déposer une nouvelle déclaration d’appel afin de compléter ou régulariser une déclaration d’appel dans le délai dont il dispose pour conclure (Civ. 2e, 19 nov. 2020, n° 19-13.642 P, Dalloz actualité, 9 déc. 2020, obs. H. Ciray ; D. 2020. 2349
Mais, désormais, même en matière de divorce, l’intérêt à interjeter appel doit, à la suite de l’entrée en vigueur du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, être apprécié pour chaque chef de dispositif (Civ. 1re, avis, 20 avr. 2022, n° 22-70.001 P, Dalloz actualité, 13 mai 2022, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 792