L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 26 mai 2021 rappelle l’importance cardinale du principe du contradictoire et son lien avec l’office du juge (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Domat », p. 256, n° 304). C’est au sujet de l’hospitalisation sans consentement que le problème s’est posé mais la difficulté est transposable à toute procédure civile classique. Notons, à titre liminaire, d’ailleurs que l’article R. 3211-7 du code de la santé publique soumet les procédures judiciaires liées aux hospitalisations sous contrainte aux règles du code de procédure civile (pour les moyens de défense, v. Civ. 1re, 12 mai 2021, n° 20-13.307, Dalloz actualité, 19 mai 2021, obs. C. Hélaine, D. 2021. 966
La Cour de cassation casse et annule l’ordonnance entreprise sur le fondement de l’article 16, alinéa 3, du code de procédure civile dans une motivation particulièrement pédagogue où la haute juridiction rappelle l’intérêt de la règle et son incidence en hospitalisation sous contrainte.
Le rappel de la prééminence du contradictoire
La Cour de cassation utilise dans l’arrêt du 26 mai 2021 une motivation particulièrement riche citant un précédent en matière d’office du juge également dans le cadre d’une procédure orale, à savoir dans les litiges portant sur les honoraires d’avocat (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 19-15.985, Dalloz actualité, 18 nov. 2020, obs. C. Caseau-Roche ; D. 2020. 2124
Rappelons que l’article 16, alinéa 3, du code de procédure civile qui sert de support au visa de l’arrêt commenté ne s’est pas imposé d’une manière évidente en droit positif. Il a fallu, notamment, attendre une annulation du Conseil d’État (CE 12 oct. 1979, A. Bénabent, Rassemblement des nouveaux avocats de France, D. 1979. 606 ; RTD civ. 1980. 145, obs. J. Normand) de l’article 12, alinéa 3, ancien qui dispensait le juge d’observer le contradictoire quand il statuait en relevant d’office un moyen de pur droit (S. Guinchard, F. Ferrand, C. Chainais et L. Mayer, Procédure civile, 35e éd., Dalloz, coll. « Précis », p. 638, n° 889). Le décret n° 81-500 du 12 mai 1981 a, par la suite, donné à l’article 16, alinéa 3, sa rédaction actuelle, laquelle est « de plus en plus largement appliquée » (J. Héron, T. Le Bars et K. Salhi, Droit judiciaire privé, 7e éd., Lextenso, coll. « Domat », p. 259, n° 310). Dans une procédure écrite, la difficulté liée au moyen de droit relevé d’office peut être évacuée par une décision avant dire droit afin de rouvrir les débats et de recueillir les observations des parties par voie de conclusions. Le travail peut également être facilité par le jeu de diverses présomptions comme dans le cadre des procédures sans représentation obligatoire où les moyens sont présumés avoir été débattus contradictoirement à l’audience.
On perçoit toutefois aisément l’idée qui a pu conduire au raisonnement du premier président de l’ordonnance cassée dans l’arrêt commenté. Derrière le moyen relevé d’office, il y avait le respect de l’autorité de la chose jugée et, ce faisant, la volonté d’éviter de détricoter ce qui avait déjà été purgé par des décisions passées n’ayant pas relevé les problèmes soulevés par le majeur interné en cause d’appel seulement. En dépit de ce constat, la Cour de cassation maintient un degré très exigeant dans le respect du contradictoire afin de garantir les droits du majeur protégé. Bien évidemment, tout ceci appelle des remarques dans le contentieux précis de l’hospitalisation sans consentement.
Des conséquences sur la procédure d’hospitalisation sous contrainte
Bien que la solution ne soit pas nouvelle, en ce qu’elle est l’application du droit commun dans la procédure spécifique des soins psychiatriques sous contrainte, il n’en reste pas moins que les juges des libertés et de la détention doivent composer avec des difficultés assez originales, propres à ce contentieux. Nous ne sommes pas dans une procédure classique où les individus peuvent comparaître facilement : par définition, ils sont dans une structure médicale et la voie de recours s’exerce d’une manière bien souvent complexe, dans des délais rapides. Or cette complexité conduit à devoir composer avec les moyens du bord : patient sous médicamentation, contact avec la structure accueillant le majeur hospitalisé, impossibilité des communications avec l’intéressé, truchement d’un isolement ou d’une contention (sur ce point, v. décr. n° 2021-537, 30 avr. 2021, JO 2 mai, Dalloz actualité, 11 mai 2021, obs. C. Hélaine), etc. Il faut bien avouer, en tout état de cause, que les obstacles peuvent être très nombreux pour élaborer une décision à l’abri de toute critique en droit ou en fait. En rappelant l’importance du contradictoire dans les moyens de droit relevés d’office par le juge, la Cour de cassation confirme ce constat malgré l’absence régulière de comparution du principal intéressé. Les soins sous contrainte sont des procédures où le juge doit jouer un rôle d’équilibriste pour parvenir à une solution exempte de défauts. L’art est parfois bien difficile.
Faut-il, pour autant, aménager alors les règles applicables à l’hospitalisation sans consentement ? La réponse est très nuancée, semble-t-il. L’application du code de procédure civile permet de donner un élan protecteur à ces mesures puisqu’elles bénéficient des principes directeurs du droit judiciaire privé. Cet élan se conjugue d’ailleurs avec les dispositions du code de la santé publique qui « multiplient les portes de sortie » (v. Rép. civ., v° Malades mentaux, par D. Truchet, nos 87 s.) de l’individu hospitalisé sans consentement. Mais des aménagements resteraient théoriquement possibles comme, par exemple, passer d’une procédure orale à une procédure purement écrite. Mais, à l’heure actuelle, une telle réforme n’est pas envisagée car elle est elle-même accompagnée de son lot de risques.
En somme, le contradictoire vient à nouveau confirmer l’équilibre délicat entre les droits de l’individu placé en soins sous contrainte et la protection de l’ordre public. Règle essentielle entre les parties, le contradictoire s’impose également au juge qui, une fois les observations des parties recueillies, peut utiliser à toutes fins utiles le moyen de droit relevé d’office pour motiver sa décision. La Cour de cassation continue ainsi la construction d’un régime harmonieux de l’hospitalisation sous contrainte, régime qui ne diffère guère d’une procédure civile très classique.