Droit antérieur à la réforme
Sous l’empire du droit antérieur à la nouvelle réforme du droit des sûretés, la cession de créance à titre de garantie n’était pas reconnue de manière générale. En effet, la Cour de cassation avait considéré qu’ « en dehors des cas prévus par la loi, l’acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un nantissement de créance » (Com. 19 déc. 2006, n° 05-16.395, D. 2007. 344
Pourtant, l’on aurait pu penser qu’en définissant la cession de créance comme « un contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire » (C. civ., art. 1321, al. 1er), l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations avait entendu englober l’hypothèse de la cession de créance à titre de garantie. Ce serait oublier que l’objet de la réforme n’était pas le droit des sûretés même si la considération est quelque peu artificielle (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Pour la cession de créance de droit commun à titre de garantie, in La réforme du droit des sûretés, dir. L. Andreu et M. Mignot, LGDJ, Institut universitaire Varenne, 2019, p. 243, spéc. nos 3 et 4). Quoi qu’il en soit, en exprimant clairement la possibilité d’une telle cession, les auteurs de la réforme ont fait le choix de couper court à toute difficulté.
Droit issu de la réforme
La consécration de la cession de créance de droit commun à titre de garantie avait été proposée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés sous l’égide de l’Association Henri Capitant (C. civ., art. 2373 à 2375). Les auteurs de cet avant-projet avait toutefois pris le soin d’indiquer à ce sujet que « l’insertion d’une cession de créance à titre de garantie, qui constituerait une fiducie particulière, soustraite au droit commun de la fiducie-sûreté, a donné lieu à des débats qui ont divisé la commission. C’est sous réserve que sont présentés les textes qui suivent ». La raison profonde de cette proposition est ensuite précisée clairement : « Dans un souci d’attractivité internationale de la loi française, le premier article de cette sous-section consacre la possibilité, actuellement déniée par la jurisprudence de la Cour de cassation, de réaliser un transfert de créance à titre de garantie sur le fondement du régime de droit commun de la cession de créance (C. civ., art. 1321 s.). Les deux autres articles en précisent les règles pour tenir compte des spécificités de l’opération de garantie (respect du principe de spécialité ; obligation de restitution du cessionnaire après complet paiement) » (sur l’attractivité du droit français, v. P. Delebecque, « L’attractivité » du droit français : un mot d’ordre dépourvu de sens ?, in Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Aynès, LGDJ, 2019, p. 185 ; v. égal., C. Larroumet, Le mythe de l’attractivité du droit civil français, in Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Aynès, LGDJ, 2019, p. 365). Le législateur a manifestement été sensible à cette considération, puisque l’article 60, I, 9°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE », a autorisé le gouvernement à « inscrire dans le code civil la possibilité de céder une créance à titre de garantie ». Le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance du 15 septembre 2021 précise d’ailleurs qu’« Il s’agit de permettre, aux côtés de la fiducie-sûreté et dans un souci d’attractivité internationale de la loi française, la cession de créance à titre de garantie ».
C’est ainsi que naquirent les nouveaux articles 2373 à 2373-3 du code civil. Le premier de ces texte dispose que « La propriété d’une créance peut être cédée à titre de garantie d’une obligation par l’effet d’un contrat conclu en application des articles 1321 à 1326 » (il s’agit d’une reprise pure et simple de l’avant-projet de l’Association Henri Capitant). La cession de créance à titre de garantie se coule ainsi dans le moule du droit commun de la cession de créance (v. à ce sujet, F. Chénedé, La cession de créance, in Le nouveau régime général des obligation, dir. V. Forti et L. Andreu, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 87 ; C. Gijsbers, Le nouveau visage de la cession de créance, Dr. et patr., juill. 2016, p. 48 ; A. Gouëzel, Les opérations translatives, AJCA 2016. 135
Ensuite, l’article 2373-1, conformément au principe de spécialité des sûretés réelles (non seulement quant à l’assiette de la sûreté, mais également quant à la créance garantie), prévoit que « Les créances garanties et les créances cédées sont désignées dans l’acte. Si elles sont futures, l’acte doit permettre leur individualisation ou contenir des éléments permettant celle-ci tels que l’indication du débiteur, le lieu de paiement, le montant des créances ou leur évaluation et, s’il y a lieu, leur échéance ». Sont ainsi repris les mêmes éléments d’identification des créances qu’en matière de nantissement (C. civ., art. 2356) et de cession Dailly (C. mon. fin., art. L. 313-27). On observera toutefois que, contrairement à ce que préconisait l’avant-projet de l’Association Henri Capitant, il n’est plus fait référence à la nature des créances, ce qui est regrettable, car la cession peut porter, en théorie, sur une créance non monétaire (v. à ce sujet, V. Egéa, La circulation d’une créance non monétaire l’exemple de la délivrance, D. 2012. 2111
Enfin, l’article 2373-3 énonce que « Lorsque la créance garantie est intégralement payée avant que la créance cédée ne le soit, le cédant recouvre de plein droit la propriété de celle-ci ». C’est donc automatiquement que le cédant redevient titulaire de sa créance, conformément à ce que la jurisprudence avait décidé en matière de cession Dailly (Civ. 1re, 19 sept. 2007, n° 04-18.372, D. 2007. 2532, obs. X. Delpech
Perspectives
La consécration (bienvenue) de la cession de créance de droit commun à titre de garantie pose la question légitime de la concurrence de cette sûreté avec le nantissement de créance (sur la question de la concurrence entre les sûretés, v. de manière générale, C.-A. Michel, La concurrence entre les sûretés, préf. P. Dupichot, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 580, 2018). Ce dernier investit en effet également le créancier d’un droit exclusif au paiement reposant (curieusement) sur un droit de rétention (v. J.-D. Pellier, Le nantissement de créance, Dalloz actualité, 22 sept. 2021), conformément au nouvel alinéa 1er de l’article 2363 du code civil (« Après notification, le créancier nanti bénéficie d’un droit de rétention sur la créance donnée en nantissement et a seul le droit à son paiement tant en capital qu’en intérêts »), ce que la jurisprudence avait au demeurant admis (sans toutefois se fonder sur un droit de rétention) avant même l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions (v. Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-11.417 et 19-13.636, D. 2020. 1940
Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, par Jean-Denis Pellier le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 8) : la réserve de propriété, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, par Cédric Hélaine le 23 septembre 2021