Multiplication des sûretés-propriétés mobilières. En matière de sûretés mobilières, les évolutions les plus marquantes de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés ne sont sans doute pas celles relatives au sûretés préférentielles (gage ou nantissement). Innovantes certes, elles s’inscrivent néanmoins dans la continuité de la voie initiée par l’ordonnance du 23 mars 2006. Bien différente est la conclusion qui s’impose s’agissant des sûretés-propriétés : entre consécration de la validité de la cession de créance à titre de garantie et consécration de la cession de somme d’argent à titre de garantie, la présente ordonnance fait œuvre de nouveauté. C’est à la faveur de l’article 60-I, 11°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 habilitant le gouvernement à « inscrire et organiser dans le code civil le transfert de somme d’argent au créancier à titre de garantie », que celui que l’on dénomme communément le « gage-espèces » est, « dans un souci d’attractivité du droit français, de lisibilité et de sécurité juridique » (v. Rapport au président de la République, spéc. sous présentation de l’art. 11 de l’ordonnance ), aujourd’hui consacré. En effet, en dépit de son importance pratique considérable, le gage-espèces s’épanouissait jusqu’alors sans support textuel spécifique. Or, les évolutions législatives contemporaines (consécration du gage avec dépossession de choses fongibles – art. 2341 c. civ. – ou encore fiducie-sûreté – art. 2011 c. civ. –) avaient fait naître des interrogations quant à la qualification de l’opération et donc quant à son régime, incertitudes que la présente ordonnance dissipe.

Ainsi, jusqu’à présent dans l’ombre, le gage-espèces accède aujourd’hui à la lumière.

Le droit antérieur à la réforme: une sûreté dans l’ombre

Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 15 septembre 2021, lequel a vocation à s’appliquer jusqu’à l’entrée en vigueur de cette dernière le 1er janvier 2022 (Ord., art. 37), les principes avaient été établis par la jurisprudence, toutefois, leur pérennité était incertaine en raison de l’avènement, à l’initiative de l’ordonnance du 23 mars 2006, de l’article 2341 du code civil.

S’agissant des principes jurisprudentiels, une distinction devait être opérée selon le sort réservé à la somme remise au créancier. À défaut d’individualisation de la somme au sein du patrimoine de ce dernier, l’opération emportait transfert de la propriété de cette somme. La qualification de cession fiduciaire était retenue, en conséquence de quoi, à l’image de tout mécanisme fiduciaire, le créancier s’engageait à restituer la somme au constituant dès lors que l’obligation garantie était exécutée. En cas d’inexécution, il devenait définitivement propriétaire de la somme et la compensation fondait alors l’extinction de l’obligation de restitution (Com. 3 juin 1997, n° 95-13.365, D. 1998. 61 image, note J. François image ; ibid. 104, obs. S. Piédelièvre image ; RTD com. 1997. 663, obs. M. Cabrillac image ; ibid. 686, obs. A. Martin-Serf image ; ibid. 1998. 403, obs. B. Bouloc image). Cette qualification ne pouvait en revanche être retenue dans l’hypothèse où la somme remise au créancier demeurait individualisée dans le patrimoine du créancier. La qualification de gage était alors retenue (rappr. Com. 23 avr. 2003, n° 02-11.015, JCP 2003. I.176, obs. P. Delebecque), les modes de réalisation du gage s’imposaient alors. Néanmoins, à une époque où l’opprobre à l’encontre du pacte commissoire avait encore cours, la jurisprudence admettait ce mode de réalisation.

Mais quelle pérennité pour ces solutions avec l’avènement de l’article 2341, alinéa 2, du code civil, lequel prévoit que « si la convention dispense le créancier de (l’obligation de tenir les choses fongibles séparées des choses de même nature qui lui appartiennent), il acquiert la propriété des choses gagées à charge de restituer la même quantité de choses équivalentes ». Y avait-il encore place pour la cession fiduciaire innommée, non soumise aux articles 2333 et suivants consacrés au gage (v. semblant favorable au maintien de la cession fiduciaire innommée, Com. 3 avr. 2019, n° 18-11.281, D. 2019. 757 image ; Just. & cass. 2020. 282, rapp. A. Vaissette image ; RTD com. 2019. 990, obs. A. Martin-Serf image) ? Quelle était la nature juridique du mécanisme auquel aboutissait cette disposition : gage irrégulier ou fiducie-sûreté (v. M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 7e éd., 2019, n° 900) ? Les incertitudes affluaient. En consacrant la cession de somme d’argent à titre de garantie, l’ordonnance du 15 septembre 2021 apporte un élément de réponse.

Droit issu de la réforme : la lumière

Ce ne sont désormais pas moins de sept articles qui viendront bientôt régir le gage-espèces (futurs, C. civ., art. 2374 à 2374-6). Pour novatrice que sont ces textes, les solutions adoptées ne surprennent guère car elles tirent leur inspiration tantôt de dispositions communes aux sûretés réelles (v. par ex., C. civ., art. 2374-1 faisant de la sûreté une sûreté solennelle ou encore l’art. 2374-4 c. civ. envisageant le sort des fruits ; v. Rapport au président de la République), tantôt de mesures applicables à toutes les sûretés fiduciaires (V. par ex., C. civ., art. 2374-5 admettant l’imputation en cas de défaillance du débiteur ou encore l’art. 2374-6 imposant une restitution de la somme en cas d’exécution de la créance garantie). Que retenir de ces nouvelles règles ?

S’agissant de la constitution du gage-espèces, le code civil consacre une sûreté qui ne peut être qu’une sûreté avec dépossession. En effet, la remise des sommes au créancier, par tradition matérielle de monnaie fiduciaire ou par simple écriture en présence de monnaie scripturale, détermine l’opposabilité aux tiers de la sûreté (C. civ., art. 2374-2). S’agissant des effets, le cessionnaire devient propriétaire des sommes. Il acquiert, en outre, et par principe, le droit de disposer librement des sommes cédées ; seule la stipulation conventionnelle contraire prévoyant l’affectation des sommes peut y faire obstacle (C. civ., art. 2374-3). Cette libre disposition des sommes et son éventuelle entrave sont la clé de voûte permettant de préciser le sort des fruits et des intérêts. À défaut de libre de disposition, les fruits et intérêts viennent accroître l’assiette de la sûreté. La clause contraire est toutefois possible (C. civ., art. 2374-4, al. 1er). Différente est la règle en présence d’un créancier libre de disposer des sommes. La confusion des sommes au sein du patrimoine du créancier s’y oppose : comment, dans une telle situation, identifier « les fruits » produits par « la somme » remise au créancier à titre de garantie (v. Rapport au président de la République) ? Néanmoins, dans une telle situation, l’article 2374-4 permet aux parties de prévoir un intérêt au profit du cédant, lequel se « substituera » à un droit aux fruits impossible à concevoir.

S’agissant enfin des effets, les règles inhérentes au mécanisme fiduciaire se retrouvent tant dans l’article 2374-5, consacré à l’hypothèse de la défaillance du débiteur, qu’à l’article 2374-6, relatif, quant à lui, à l’hypothèse, plus heureuse, d’une exécution de la créance garantie. Dans la première, le créancier « peut » imputer le montant de la somme sur la créance garantie. La propriété menacée d’être provisoire devient alors définitive (rappr. C. Witz, Réflexions sur la fiducie-sûreté, JCP E 1993. I. 244). L’usage du verbe « pouvoir » suggère que l’imputation n’est pas automatique et que le créancier a la liberté procéder (ou de ne pas procéder) à l’imputation. La liberté du créancier dans la réalisation de la sûreté est ainsi implicitement affirmée (les termes de l’habilitation excluait qu’un tel principe soit érigé en des termes généraux ; il est néanmoins ponctuellement consacré, v. le nouvel art. 2314 c. civ. précisant que « la caution ne peut reprocher au créancier son choix du mode de réalisation d’une sûreté »). Sans surprise, le gage-espèces, pas plus que toute autre sûreté, ne saurait être une source d’enrichissement pour le créancier, qui est donc contraint de restituer l’éventuel excédant (C. civ., art. 2374-5). Dans la seconde hypothèse, l’absence de défaillance du débiteur, le re-transfert de la propriété, inhérent au mécanisme fiduciaire, s’impose au créancier.

Perspectives

Cette nouvelle sûreté nommée attire l’attention : l’innovation est majeure. Mais quelle articulation entre elle et l’article 2341 du code civil ? C’est une interrogation qui fera sans doute couler beaucoup d’encre sous peu (v. J.-D. Pellier, La propriété retenue ou cédée à titre de garantie, à paraître, n° 8).

 

 

Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :

• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021

• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, par Jean-Denis Pellier le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 8) : la réserve de propriété, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, par Cédric Hélaine le 23 septembre 2021

Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 10) : la cession de créance de droit commun à titre de garantie, par Jean-Denis Pellier, le 23 septembre 2021