« Sûreté vedette de la fin du XXe siècle » (M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac et P. Pétel, Droit des sûretés, LexisNexis, coll. « Manuels », 10e éd., 2015, n° 851), dont les atours la rapprochent de la sûreté idéale, la clause de réserve de propriété traverse les décennies sans que son succès ne se démente. Dérogeant au principe du transfert de propriété solo consensu (C. civ., art. 1196), la clause de réserve de propriété suspend l’effet translatif du contrat, le plus souvent une vente, jusqu’au complet paiement de la contrepartie, le plus souvent, le prix de vente (C. civ., art. 2367). Ignorée du code civil jusqu’à l’ordonnance du 23 mars 2006, qui a procédé à une simple codification à droit constant, la réserve de propriété est simplement ponctuellement retouchée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés. C’est ainsi une réforme a minima, qui n’épuise pas les termes de l’habilitation (v. art. 60-I, 8° de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 : autorisant le gouvernement à « compléter les règles du code civil relatives à la réserve de propriété, notamment pour préciser les conditions de son extinction et les exceptions pouvant être opposées par le sous-acquéreur »), qui est opérée : la clause de réserve de propriété, telle que dessinée par la présente ordonnance, ressemble (presque) à s’y méprendre à celle consacrée par l’ordonnance du 23 mars 2006.
Ainsi, la stabilité du régime de la clause de réserve de propriété prédomine, ce n’est qu’exceptionnellement que des évolutions sont opérées.
Droit antérieur à la réforme : la stabilité des principes
À la lecture de l’ordonnance du 15 septembre 2021, un constat s’impose : les articles 2367 et suivants du code civil, siège de la clause de réserve de propriété, sont très largement inchangés. Les principes directeurs demeurent donc.
S’agissant, en premier lieu, de sa constitution et de ses effets. Sa formation répond à un formalisme dépourvu de toute lourdeur : seul un accord des volontés est exigé et l’écrit, exigé par l’article 2368 du code civil, n’est qu’une simple règle de preuve (sur la publicité facultative et son intérêt en cas de procédure collective, v. art. 117 du décr. 28 déc. 2005). L’assiette de la clause de réserve de propriété, quant à elle, se caractérise par sa grande polyvalence : la réserve de propriété mobilière, faisant l’objet corpus de règle nourri, côtoie la réserve de propriété immobilière, dont seul le principe est consacré (C. civ., art. 2373, al. 2). Quant aux créances garanties, si l’on songe immédiatement au prix de vente, on ne saurait s’arrêter à lui : tout contrat impliquant un transfert de propriété d’un bien moyennant une contrepartie peut inclure une telle sûreté. Le contrat d’entreprise peut donc donner prise à la clause de réserve de propriété (v. par ex., Com. 29 mai 2001, n° 98-21.126, inédit, RTD civ. 2001. 930, obs. P. Crocq
S’agissant, en second lieu, des droits du créancier en cas de défaillance du débiteur. L’efficacité de la clause de réserve de propriété n’est plus à démontrer. En effet, demeuré propriétaire du bien, cette sûreté confère au créancier le droit de revendiquer le bien et d’en disposer. Il est ainsi préservé des affres du concours. Cette efficacité est d’autant plus grande qu’elle est accentuée par différentes mesures favorables à la revendication. L’incorporation du bien vendu ne fait pas obstacle à la revendication du bien, dès que le bien peut être séparé sans causer de dommage (C. civ., art. 2370) ; le créancier ayant vendu des choses fongibles peut revendiquer des « biens de même nature et de même qualité détenus par le débiteur ou pour son compte » (C. civ., art. 2369). Cette dernière règle, « hérétique au regard de la notion de propriété » (M. Cabrillac, Les sûretés réelles entre vins nouveaux et vieilles outres, in Mélanges P. Catala, Litec, 2001, p. 709 s., nos 22 s.), est incontestablement de nature à favoriser l’efficacité de la clause. Néanmoins, une incertitude demeure, que ne lève pas l’ordonnance du 15 septembre 2021, quant aux droits du créancier en présence d’autres créanciers revendiquant la propriété de ces et en l’absence de stocks suffisants : si l’article 2369 suggère que leurs droits respectifs soient calculés au prorata de la somme restant due à chacun, on ne peut, hier comme aujourd’hui, avoir de certitude (P. Crocq, « Sûretés mobilières. – Clause de réserve de propriété », Jurisclasseur, Droit civil, n° 97 ; comp. F. Pérochon, La revendication de biens fongibles par le vendeur, LPA 14 sept. 1994, p. 82, n° 19 : prônant une répartition au prorata de la quantité livrée). Enfin, dernière manifestation de cette efficacité favorisée par le législateur : le report des droits du créancier réservataire sur la créance de prix de revente du bien et le report des droits sur l’indemnité d’assurance en cas de destruction du bien.
Mais c’est alors envisager les évolutions opérées par la présente ordonnance. La stabilité des principes cède alors la place aux évolutions.
Droit issu de la réforme : les évolutions ponctuelles
Parmi les évolutions opérées par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 seules deux ont une incidence sur le régime de la réserve de propriété.
La première brise la jurisprudence, il s’agit du nouvel l’article 2372. Jusqu’à présent doté d’un alinéa unique, cette disposition est complétée par un alinéa second. Hier comme aujourd’hui, l’alinéa 1er, qui n’a fait l’objet que de modifications formelles, prévoit qu’en cas d’aliénation ou de perte du bien, les droits du créancier se reportent soit sur la créance du prix de revente (v. égal. Com. 17 mars 1998, n° 95-11.209 : transfert de propriété du bien au profit du tiers effectué en exécution du contrat d’entreprise, D. 2000. 75
La seconde modification, trouvant son siège dans les dispositions relatives au gage, procède à une simple clarification. En effet, le nouvel article 2335 précise le sort du gage de la chose d’autrui que l’ordonnance du 23 mars 2006 avait déclaré nul. Il aura donc vocation à s’appliquer en cas de gage de la chose dont la propriété est réservée. Il ne fait désormais plus de doute : la nullité n’est qu’une nullité relative que seul le créancier gagiste, partie protégée par la règle édictée, est en mesure d’invoquer. Le créancier réservataire ne peut donc l’exiger, en conséquence de quoi, les solutions retenues par la jurisprudence en présence d’un conflit entre ce créancier et un créancier gagiste avec dépossession, sont maintenues : la possession de bonne foi de ce dernier tiendra en échec les droits du créancier propriétaire.
Bilan et perspective
Ainsi, l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ne bouleverse nullement le régime de la réserve de propriété ; les évolutions sont marginales. La possibilité qu’offrait la loi d’habilitation de restaurer le caractère accessoire de cette sûreté en admettant son extinction en cas d’extinction de la créance garantie (V. not. en matière d’effacement des dettes, Civ. 2e, 27 févr. 2014, n° 13-10.891, D. 2014. 1081
Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
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