Vérification des créances et saisine du tribunal arbitral

Le cadre du litige

À l’occasion d’un contrat d’entreprise conclu entre une société française et une société éthiopienne, les parties avaient convenu en cas de litige de la compétence de la Cour internationale d’arbitrage instituée au sein de la Chambre de commerce international (CCI) établie à Genève.

La société française ayant décidé de résilier le contrat par anticipation, son cocontractant déposait en 2013 une demande d’arbitrage auprès du secrétariat de la CCI pour voir désigner un arbitre. Cette procédure était, semble-t-il, suspendue à la demande de la société française en vertu d’une autre clause du contrat. Quatre ans plus tard, la société française était admise au bénéfice du redressement judiciaire. Son cocontractant déclarait alors une créance d’indemnité de résiliation auprès du mandataire judiciaire, créance contestée par la société française. En 2018, le juge-commissaire rendait une ordonnance invitant la société créancière à saisir la juridiction compétente dans le délai d’un mois prévu par l’article R. 624-5 du code de commerce. L’ordonnance du juge-commissaire lui étant notifiée le 24 septembre 2018, la société créancière demandait le 10 octobre 2018 la reprise de la procédure d’arbitrage auprès du secrétariat de la CCI déjà saisie. Un arbitre devait être désigné le 28 novembre 2018.

L’instance arbitrale a été vraisemblablement suspendue, mais son sort n’est pas connu.

Dans le cadre de la procédure de vérification du passif, le juge-commissaire a alors prononcé, à la demande de la société débitrice et de son mandataire judiciaire, la forclusion de la société créancière et rejeté sa créance. La cour d’appel saisie a infirmé la décision en rejetant la demande de forclusion. Selon la société débitrice, le tribunal arbitral n’est saisi qu’à compter de sa constitution soit à partir de l’acceptation par l’arbitre ou les arbitres de leur mission, invoquant ici les dispositions du code de procédure civile relatives à l’arbitrage international.

La réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation balaye les moyens avancés et rejette le pourvoi de la société débitrice et du mandataire judiciaire. La position de la chambre commerciale est d’une grande clarté. Selon une disposition expresse du règlement d’arbitrage de la CCI, la partie demanderesse doit soumettre sa demande au secrétariat et la date de réception est considérée être celle de...

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Le régime matrimonial aux dépens de la prestation compensatoire

L’articulation du droit des régimes matrimoniaux et de la prestation compensatoire est une question désormais classique, que la Cour de cassation traite de manière assez simple : la prestation compensatoire s’apprécie indépendamment des droits que les époux tirent de leur régime matrimonial. Dans cet arrêt rendu le 21 septembre 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation réaffirme cette position, qui a certes le mérite de faciliter le traitement du contentieux, mais dont la pertinence peut être sérieusement débattue.

Deux époux mariés en 1974 sans contrat de mariage ont divorcé aux torts exclusifs de l’époux au terme d’un jugement rendu le 9 juin 2016 qui a ordonné la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux et fixé à 150 000 € le montant de la prestation compensatoire due par le mari. En appel, la décision est confirmée mais la prestation compensatoire est fixée à 250 000 € par un arrêt de la cour d’appel de Besançon. À la suite d’un premier pourvoi, l’arrêt d’appel est cassé, mais uniquement en ses dispositions relatives au montant de la prestation compensatoire (Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-18.574, AJ fam. 2019. 590, obs. G. Casey, J. Marquet, C. Rollett et A. Sebag image). Sur renvoi, la cour d’appel de Besançon autrement composée fixe la prestation compensatoire à 200 000 € sans prendre en compte le patrimoine dépendant de la communauté de biens ni statuer sur les dépens de la décision cassée.

L’époux succombant forme un nouveau pourvoi articulé en deux moyens. Le premier, relatif à la prestation compensatoire, est rejeté. Le second, qui concerne les dépens de la décision cassée est accueilli favorablement par la première chambre civile, qui casse l’arrêt d’appel sans renvoi puis évoque l’affaire au fond.

Prestation compensatoire et liquidation du régime matrimonial

Le premier moyen reprochait à la cour d’appel de renvoi ne n’avoir pas pris en compte la future liquidation de la communauté de biens entre époux pour déterminer le montant de la prestation compensatoire. Le demandeur au pourvoi estimait que la cour d’appel aurait dû rechercher si la liquidation du patrimoine commun n’était pas de nature à réduire sensiblement les besoins de l’épouse créancière de la prestation compensatoire. Les juges du fond auraient ainsi privé leur décision de base légale au regard de l’article 271 du code civil (§ 5).

Se posait donc une question assez classique : la liquidation à venir du régime matrimonial doit-elle être prise en compte pour la fixation de la prestation compensatoire ?

Sans grande surprise, le pourvoi est rejeté. La Cour de cassation s’abrite derrière le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond puis, au terme d’un contrôle lourd, les approuve d’avoir retenu « à bon droit » que « la liquidation du régime matrimonial des époux étant par définition égalitaire, il n’y a pas lieu de tenir compte de la part de communauté devant revenir » à la créancière pour apprécier la disparité créée par la rupture du lien conjugal dans les situations respectives des époux (§ 6).

La Cour de cassation entend ainsi réaffirmer une position déjà bien ancrée (Civ. 1re, 1er juill. 2009, n° 08-18.486 P, D. 2010. 1243, obs. G. Serra et L. Williatte-Pellitteri image ; AJ fam. 2009. 400, obs. S. David image ; Civ. 2e, 24 mai 1991, n° 90-12.224 P, RTD civ. 1992. 64, obs. J. Hauser image ; 14 janv....

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Vent de contradictoire sur les opérations du technicien désigné par le juge-commissaire : quelle intensité ?

Article L. 621-9, alinéa 2, du code de commerce

Dans le cadre des procédures collectives, le juge-commissaire a le pouvoir de désigner un technicien en vue de lui confier une mission qu’il détermine. Le siège de ce pouvoir est l’article L. 621-9, alinéa 2, du code de commerce, issu de la loi du 26 juillet 2005. Ce texte formalise ce qui était, sous l’empire de la législation antérieure, une pratique validée par la jurisprudence sur le fondement du texte énonçant la mission du juge-commissaire de « veiller au déroulement rapide de la procédure et à la protection des intérêts en présence » (Com. 15 mai 2001, n° 98-15.002 P , du Buit c. Madru, D. 2001. 2031 image, obs. A. Lienhard image ; ibid. 2002. 83, obs. F. Derrida image ; sur l’historique, v. not. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 11e éd., Dalloz Action, 2020, n° 331.313 et M. Menjucq, B. Saintourens et B. Soinne [dir.], Traité des procédures collectives, 3e éd., LexisNexis, 2021, n° 785). En pratique, ces désignations sont fréquentes non seulement pour examiner la comptabilité du débiteur mais aussi afin de vérifier si les conditions du prononcé de sanctions professionnelles ou d’une action en responsabilité pour insuffisance d’actif sont réunies.

Irrecevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité

C’est cette dernière hypothèse qu’illustre l’espèce ayant donné lieu aux décisions sous commentaire. Les liquidateurs d’une entreprise placée sous liquidation judiciaire ont exercé une action en responsabilité pour insuffisance d’actif en se fondant sur un rapport établi par un technicien désigné par le juge-commissaire. Les dirigeants ont interjeté appel de leur condamnation en se prévalant de la violation de l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme, prétendant que l’expertise n’avait pas respecté le principe de la contradiction (Chambéry, 1re ch., 11 janv. 2022, n° 21/00633). Le jugement ayant été confirmé, un pourvoi en cassation est formé à l’occasion duquel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) est soulevée. Celle-ci porte sur la conformité aux articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du deuxième alinéa de l’article L. 621-9 dans la portée que lui donnerait l’interprétation jurisprudentielle constante par la Cour de cassation. Selon les demandeurs à la QPC, cette jurisprudence autoriserait le technicien désigné par le juge-commissaire à établir et remettre son rapport sans avoir à respecter le principe du contradictoire. La Cour de cassation déclare irrecevable la QPC, lui déniant son caractère sérieux, en se fondant sur l’inexactitude du postulat des requérants. Elle énonce qu’il n’existe pas de jurisprudence constante selon laquelle l’article L. 621-9, alinéa 2, du code de commerce serait interprété comme autorisant le technicien désigné par le juge-commissaire à établir et remettre son rapport sans avoir à respecter le principe du contradictoire. Elle s’en explique en indiquant que, « si la Cour de cassation juge que la mission que le juge-commissaire peut confier à un technicien n’est pas une mission d’expertise judiciaire soumise aux règles du code de procédure civile et n’exige donc pas l’observation d’une contradiction permanente dans l’exécution des investigations, elle s’assure de l’association du débiteur ou du dirigeant aux opérations du technicien ».

Explicitation de jurisprudence

Ce n’est pas la première fois que cette disposition fait l’objet d’une QPC et se heurte à une irrecevabilité (Com. 1er févr. 2011, n° 10-40.057, Dalloz actualité, 10 fév. 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 513, obs. A. Lienhard image ; Rev. sociétés 2011. 193, obs. P. Roussel Galle image). Toutefois, son intérêt est tout autre. Dans la précédente procédure, les dirigeants avaient mal formulé leur QPC, laquelle ne visait que le texte et non l’interprétation jurisprudentielle relative à l’application du contradictoire (A. Lienhard, Procédures collectives, 9e éd., Encyclopédie Delmas, 2020, n° 41.21). Or le texte est taisant quant aux modalités de déroulement des opérations. La Cour de cassation avait considéré que ces dispositions, « qui se bornent à conférer compétence au juge-commissaire pour désigner un technicien en vue d’une mission ne méconnaissent pas, par elles-mêmes, les droits de la défense, le principe de la contradiction ou celui de l’égalité des armes ».

Dans la présente affaire, les dirigeants ont fait usage de leur « droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à [une] disposition » (Cons. const. 6 oct. 2010, n° 2010-39 QPC, Dalloz actualité, 8 oct. 2010, obs. I. Gallmeister ; AJDA 2011. 705, tribune E. Sagalovitsch image ; D. 2010. 2744, obs. I. Gallmeister image, note F. Chénedé image ; ibid. 2011. 529, chron. N. Maziau image ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay image ; ibid. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin image ; AJDI 2014. 124, étude S. Gilbert image ; AJ fam. 2010. 487, obs. F. Chénedé image ; ibid. 489, obs. C. Mécary image ; Constitutions 2011. 75, obs. P. Chevalier image ; ibid. 361, obs. A. Cappello image ; RTD civ. 2010. 776, obs. J. Hauser image ; ibid. 2011. 90, obs. P. Deumier image). Mais ils échouent au seuil de leur entreprise. Ils se méprennent sur le contenu de cette jurisprudence, qui doit être posée par la Cour de cassation et présenter un caractère de constance, notion qui « englobe […] celle de répétition mais la dépasse et la déforme pour désigner une interprétation qui présente toutes les qualités pour être transposable aux cas futurs analogues » (Rép. civ., v° Jurisprudence – Élaboration de la jurisprudence, par P. Deumier, n° 20).

L’irrecevabilité de la QPC donne l’occasion à la Cour de cassation de rétablir explicitement le sens de sa jurisprudence : la mission du technicien est soustraite à la réglementation des mesures d’instruction mais elle est soumise au principe de la contradiction.

Une mission soustraite à la réglementation des mesures d’instruction : pourquoi ?

Raisons

La Cour de cassation confirme que « la mission que le juge-commissaire peut confier à un technicien n’est pas une mission d’expertise judiciaire soumise aux règles du code de procédure civile ». Cette éviction du régime commun pourrait être critiquée (v. not. J.-L. Vallens, Expertise ordonnée par le juge-commissaire : la question du contradictoire refait surface, RTD com. 2016. 337 image) mais elle a aussi ses justifications.

Justification pratique

La procédure collective est dominée par un impératif de célérité et d’efficacité qui conduit généralement à un allègement du formalisme procédural. À ce titre, les « minutieuses dispositions » (L. Cadiet et E. Jeuland, Droit judiciaire privé, 11e éd., LexisNexis, 2020, n° 603) relatives aux mesures d’instruction et expertises dans le code de procédure civile ne sont pas forcément adaptées aux enjeux de la matière, qu’il s’agisse, à titre de simples exemples, du formalisme imposé de la décision nommant l’expert (C. pr. civ., art. 265), de l’obligation faite à ce dernier de convoquer les parties en principe par lettre recommandée avec avis de réception à chaque opération (C. pr. civ., art. 160), ou encore du formalisme des dires à expert (C. pr. civ., art. 276). Il peut être opportun de soumettre la mesure à un régime spécial, même si certaines règles communes poursuivent un objectif de célérité qui aurait son utilité : possibilité de ne pas tenir compte d’observations communiquées hors délai (C. pr. civ., art. 276, al. 2), obligation d’établir des dires récapitulatifs (C. pr. civ., art. 276, al. 3), possibilité de déduire toute conséquence du défaut de communication de documents à l’expert (C. pr. civ., art. 275). L’expertise en procédure collective fait ainsi figure d’expertise « particulière », comme il en existe d’autres (T. Moussa [dir.], Droit de l’expertise, 4e éd., Dalloz Action, 2020, livre 5), ou de « mécanisme d’investigations sui generis » (G. Berthelot, « La mission confiée au technicien désigné par le juge-commissaire ne constitue pas une expertise judiciaire », Gaz. Pal. 13 juill. 2021, n° 424k8, p. 49).

Justification théorique

L’éviction du régime commun peut aussi se justifier par le fait que le recours au technicien en procédures collectives ne correspond pas totalement à une « mesure d’instruction » au sens strict véhiculé par le titre VII du livre Ier du code de procédure civile consacré à « l’administration judiciaire de la preuve ». Le critère d’identification de la mesure d’instruction résulte de sa vocation probatoire. Dès lors, la notion sied surtout aux configurations contentieuses, c’est-à-dire aux procès dans lesquels des plaideurs en conflit cherchent à établir les faits nécessaires au succès de leurs prétentions. Mais dans les procédures sans litige, le juge procède plutôt à des investigations destinées à l’éclairer globalement : les mesures sont moins directement destinées à offrir aux parties une preuve qu’à permettre au juge de se faire une idée de la situation. Ainsi, en matière gracieuse, caractérisée par l’absence de litige (C. pr. civ., art. 25), « le juge procède, même d’office, à toutes les investigations utiles » (C. pr. civ., art. 27).

Il en va de même en matière de procédures collectives : comme l’a démontré un auteur, la juridiction n’est pas saisie d’un litige mais d’une contestation objective portant sur la situation du débiteur (J. Théron, Les règles dérogatoires à la procédure, in F. Macorig-Venier [dir.], Le droit des entreprises en difficulté après 30 ans. Droit dérogatoire, précurseur ou révélateur ?, Presses UT1, 2017, p. 133-146). C’est en ce sens qu’il faut comprendre la jurisprudence selon laquelle l’intervention du technicien est une « mission d’investigation » et non une mesure d’expertise au sens du code de procédure civile (Com. 23 juin 1998, n° 96-12.222 P, Forand c. Euchin, D. 1999. 71 image, obs. A. Honorat image). Ces investigations sont avant tout destinées au juge, raison pour laquelle il n’y a pas de « parties » (Com. 24 mars 2021, n° 19-21.457). Elles poursuivent, au premier chef, un objectif d’information, conformément à la mission du juge-commissaire d’être la « plaque tournante de l’information » (M. Menjucq, B. Saintourens et B. Soinne [dir.], op. cit., n° 783), mais aussi, par là même, sont consubstantielles à la « magistrature économique »...

Objet de l’appel et chefs critiqués : la dévolution pour le tout dans les procédures sans représentation obligatoire

Une partie fait appel d’une décision rendue par le juge des enfants ayant renouvelé une mesure d’assistance éducative.

Alors que l’appel en la matière est sans représentation obligatoire, en application des articles 1191 et 1192 du code de procédure civile, l’appelante décide de se faire représenter en appel par un avocat.

Si la déclaration d’appel mentionne que l’appel tend à la réformation du jugement, il n’est pas précisé quels chefs sont critiqués.

Par arrêt du 1er juillet 2021, la cour d’appel de Besançon constate n’être saisie d’aucune demande au motif que la déclaration d’appel n’avait pas opéré effet dévolutif.

L’arrêt est cassé, même si c’est pour constater qu’en définitive, l’appel était devenu sans objet.

Une déclaration avec ou sans mention des chefs critiqués ?

La déclaration d’appel qui omet d’indiquer les chefs du jugement critiqués défère à la connaissance de la cour d’appel l’ensemble des chefs du jugement, « y compris lorsque les parties ont choisi d’être assistées ou représentées par un avocat », nous précise l’arrêt du 29 septembre 2022.

Ce n’est évidemment pas le texte, l’article 562 n’opérant aucune distinction entre les procédures avec ou sans représentation obligatoire.

Mais cette solution avait été dégagée le 9 septembre 2021 (Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 20-13.662, Dalloz actualité, 5 oct. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1680 image ; ibid. 1795, chron. G. Guého, O. Talabardon, F. Jollec, E. de Leiris, S. Le Fischer et T. Gauthier image ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2021. 516, obs. F. Eudier image ; RTD civ. 2022. 445, obs. N. Cayrol image), par un arrêté évidemment publié, la Cour de cassation ayant trouvé dans l’article 6, § 1, de la Convention la justification de ce « formalisme allégé ».

Et cela s’applique à toutes procédures d’appel pour laquelle la représentation n’est pas obligatoire, quand bien même la partie est effectivement représentée.

Pour la Cour de cassation, « l’effectivité de ce droit impose en particulier d’avoir égard à l’obligation faite ou non aux parties de constituer un avocat pour les représenter. Il convient, en effet, de rappeler que pour apprécier le caractère disproportionné du formalisme procédural, la Cour européenne des droits de l’homme invite à prendre en particulière considération la représentation ou non des parties par un professionnel » (Hors série n° 2, juin 2022, procédure de l’appel civil, lettre de la deuxième chambre civil, p. 11).

Il importe peu, en conséquence, que ce soit un avocat, et donc un professionnel du droit, averti et avisé, qui ait rédigé cet acte d’appel.

Pour déterminer si la procédure doit profiter d’un formalisme allégé, permettant un accès au juge, il suffit qu’elle soit dispensée de la représentation par un avocat.

En conséquence, pour ces procédures, l’article 562 en sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017 est sans application.

Pour ces appels, c’est l’ancien article 562 qui s’applique.

Pour une meilleure lisibilité, il semblerait opportun de modifier les textes, car il est tout de même assez dérangeant qu’une disposition supposée concerner tous les appels ait ainsi une portée limitée.

Si ce formalisme allégé n’est pas choquant, et n’est d’ailleurs qu’une application de l’article 6, § 1, de la Convention, il faudrait qu’il soit codifié. Ne faudrait-il pas, alors, ajouter un « Sauf lorsque les parties n’ont pas l’obligation d’être représentée, […] », au début de l’article 562 ? Ou alors faire revivre l’ancien l’article 562 dans un 562-1 propre aux procédures sans représentation obligatoire ?

Avec une jurisprudence galopante en procédure civile, qui bien souvent ajoute ou prend des libertés avec les textes, force est de constater que la lecture du code de procédure civile ne permet plus de connaître les règles de procédures applicables.

Si la jurisprudence éclaire les textes, lorsqu’une lecture peut être ambiguë, elle ne devrait pas se substituer au texte.

Aujourd’hui, la source est autant la...

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Le débiteur ne peut faire appel d’un jugement rejetant le report de la date de cessation des paiements

La fixation de la date de cessation des paiements est un enjeu important de toutes procédures de redressement ou de liquidation judiciaires. D’une part, elle permet de cerner l’étendue de ce que l’on nomme la « période suspecte », mais également, d’autre part, de servir de point de référence en matière de sanctions des dirigeants d’une société débitrice (Com. 4 nov. 2014, n° 13-23.070, D. 2014. 2238, obs. A. Lienhard image ; Rev. sociétés 2014. 751, obs. L. C. Henry image).

Théoriquement, cette date doit être fixée au sein du jugement d’ouverture de la procédure à celle à laquelle le débiteur ne pouvait plus faire face à son passif exigible avec son actif disponible (Com. 7 févr. 2012, n° 11-11.347 P, D. 2012. 496 image). Or, dans ces conditions, nous mesurons à quel point elle peut être difficile à déterminer, car les paiements ont pu être interrompus pour une période, puis repris, puis de nouveau interrompus… Aussi et à défaut, le code de commerce prévoit que la cessation des paiements peut être fixée au jour du jugement d’ouverture de la procédure collective (C. com., art. L. 631-8 pour le redressement judiciaire et art. L. 641-1, IV, pour la liquidation judiciaire).

Suivant la même logique et pour pallier les difficultés inhérentes à la détermination de cette date, il est également possible, en cours de procédure, pour le tribunal, de modifier la date de cessation des paiements initialement fixée pour la reporter une ou plusieurs fois. Mais, en raison de ses grandes incidences sur la situation du débiteur et des créanciers, le report de la date de cessation des paiements est strictement encadré par les dispositions de l’article L. 631-8 du code de commerce applicable en liquidation judiciaire par le renvoi de l’article L. 641-5.

Si cette action est strictement encadrée par les textes précités, c’est que seuls l’administrateur, le mandataire judiciaire ou le liquidateur et le ministère public ont qualité pour agir en report de la date de cessation des paiements (C. com., art. L. 631-8). De cette liste limitative, il a été déduit que le débiteur ne pouvait agir à titre principal pour faire fixer cette date (Com. 7 déc. 1999, n° 97-16.491 P, D. 2000. 58 image, obs. A. Lienhard image ; RTD com. 2000. 186, obs. G. Paisant image ; 1er déc. 2015, n° 14-15.306 NP).

Cependant, il n’est toutefois pas entièrement démuni, dans la mesure où la jurisprudence lui a reconnu le droit de se défendre à cette action, ce qui implique, d’une part, qu’il soit entendu ou dûment convoqué à l’instance, et d’autre part, qu’il puisse faire appel ou former un pourvoi en cassation à l’encontre de la décision de report (Com. 1er févr. 2000, n° 97-18.480 NP ; 19 mai 2015, n° 14-14.258 NP).

L’arrêt sous commentaire vient affiner ce principe.

Il permet de répondre à la question de savoir si la mise en œuvre du droit propre du débiteur – c’est-à-dire sa qualité pour exercer un recours – dépend du fait que le jugement ait accueilli ou non la demande de report de la date de cessation des paiements.

Les faits de l’arrêt

En l’espèce, une société a été mise en redressement judiciaire par un jugement du 2 décembre 2014 au sein duquel la date de cessation des paiements était fixée au 31 décembre 2013. Par la suite, l’administrateur judiciaire désigné dans le dossier a assigné la société débitrice, ainsi que ses anciens dirigeants, en report de la date de cessation des paiements au 2 juin 2013. Or, le 24 avril 2015, la procédure a été convertie en liquidation judiciaire ; le liquidateur reprenant à son compte l’assignation en report de la date de cessation des paiements.

Le 15 avril 2016, l’un des anciens dirigeants de la société débitrice a appelé en intervention forcée à l’instance en report, le commissaire aux comptes, l’expert-comptable, ainsi que le mandataire ad hoc de la société débitrice – qui avait également été son conciliateur – afin que le jugement leur soit déclaré opposable. La jonction des procédures a été ordonnée.

Par...

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Fins de non-recevoir tirées des demandes nouvelles et de la concentration des prétentions au fond, c’est la Cour qui reçoit !

Le 6 juillet 2022, un conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Paris présente une demande d’avis sur l’application stricte de l’article 914 du code de procédure civile qui définit ses compétences, sa compétence à statuer sur la recevabilité des demandes nouvelles en cause d’appel (C. pr. civ., art. 564) et des prétentions au fond présentées postérieurement à la remise des conclusions dans les délais imposés (C. pr. civ., art. 910-4). Pour paraître isolée, la démarche n’était pas celle d’un seul, elle était celle de tous. Depuis 2020, doctrine, avocats et magistrats étaient partagés sur la compétence à statuer sur ces deux fins de non-recevoir habituelles en appel. C’est l’une de ses vertus que de mettre fin aux divisions, la Cour de cassation livre un avis empreint d’une motivation très affirmative :

« 3. L’article 789, 6°, du code de procédure civile, modifié par le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, dispose que “Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les fins de non-recevoir.”

4. Par renvoi de l’article 907 du code de procédure civile, ce texte est applicable devant le conseiller de la mise en état, sans que l’article 914 du même code n’en restreigne l’étendue.

5. En premier lieu, ainsi qu’il l’a été rappelé dans l’avis rendu par la deuxième chambre civile le 3 juin 2021 (n° 21-70.006, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 1139 image ; ibid. 2272, obs. T. Clay image ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero image), publié, le conseiller de la mise en état est un magistrat de la cour d’appel chargé de l’instruction de l’appel. Conformément à l’article L. 311-1 du code de l’organisation judiciaire, la cour d’appel est, quant à elle, compétente pour connaître des décisions rendues en premier ressort et statuer souverainement sur le fond des affaires.

6. Il en résulte que la cour d’appel est compétente pour statuer sur des fins de non-recevoir relevant de l’appel, celles touchant à la procédure d’appel étant de la compétence du conseiller de la mise en état. Or l’examen des fins de non-recevoir édictées aux articles 564 et 910-4 du code de procédure civile, relatives pour la première à l’interdiction de soumettre des prétentions nouvelles en appel et pour la seconde à l’obligation de présenter dès les premières conclusions l’ensemble des prétentions sur le fond relatives aux conclusions, relève de l’appel et non de la procédure d’appel.

7. En second lieu, l’examen de ces fins de non-recevoir implique que les parties n’aient plus la possibilité de déposer de nouvelles conclusions après l’examen par le juge de ces fins de non-recevoir. Il importe, en effet, dans le souci d’une bonne administration de la justice, d’éviter que de nouvelles fins de non-recevoir soient invoquées au fur à mesure du dépôt de nouvelles conclusions et de permettre au juge d’apprécier si ces fins de non-recevoir n’ont pas été régularisées. Or, en matière de procédure ordinaire avec représentation obligatoire, conformément à l’article 783 du code de procédure civile, auquel renvoie l’article 907 du même code pour la procédure d’appel, les parties peuvent déposer des conclusions jusqu’à l’ordonnance de clôture, toutes conclusions déposées postérieurement étant irrecevables.

8. Dès lors, seule la cour d’appel est compétente pour connaître des fins de non-recevoir tirées des articles 564 et 910-4 du code de procédure civile ».

Apeirogon

Devant le nombre inépuisable de scenarii, l’avocat qui s’interroge sur la compétence à statuer sur la recevabilité de la demande nouvelle en cause d’appel se trouve, au risque d’en perdre la face, confronté à la réalité d’un Rubik’s cube. Quelles sont les données du problème ? En terme statistique, par mesure empirique, on peut avancer qu’un conseiller de la mise en état sur deux s’estime compétent pour statuer sur les demandes nouvelles en cause d’appel. Au sein d’une même cour, selon que l’avocat frappe à telle ou telle porte d’un conseiller (en procédure civile l’avocat n’a jamais la clé de la chambre de son choix), la réponse est ou blanche ou...

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Point de départ d’une astreinte : incidence de la régularité de la signification de la décision

L’astreinte est une mesure comminatoire de nature judiciaire qui permet d’exercer une pression financière sur le débiteur afin qu’il procède à l’exécution de la décision de justice exécutoire prononcée à son encontre (C. pr. exéc., art. L./R. 131-1 s.). Sauf à demeurer une simple menace, l’astreinte ainsi prononcée doit être liquidée par un juge, dans le respect des dispositions du code des procédures civiles d’exécution.

Conformément au premier alinéa de l’article R. 131-1 du code des procédures civiles d’exécution, cette mesure prend effet à la date fixée par le juge qui l’a prononcée, laquelle ne peut être antérieure au jour où la décision portant obligation est devenue exécutoire. Les utiles précisions apportées par ce texte n’épuisent cependant pas la problématique relative à l’identification de la date de prise d’effet de l’astreinte, notamment lorsque la décision exécutoire ordonnant cette mesure n’en a pas fixé le point de départ. À cet égard, la Cour de cassation s’est déjà prononcée en indiquant que, dans une telle...

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Constitutionnalisation de l’IVG : le Sénat mi-hâtif, mi-hésitant

L’arrêt Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization de la Cour suprême, qui est revenu sur Roe v. Wade a été un choc aux États-Unis. Un choc qui a eu des résonances de l’autre côté de l’Atlantique. Si le Conseil constitutionnel a toujours jugé conforme à la Constitution les lois IVG, il n’a pour autant jamais constitutionnalisé ce droit. Comme pour d’autres grands débats de société, il veille à ne pas s’immiscer dans les compétences du législateur.

À la suite de la décision américaine, plusieurs parlementaires ont annoncé vouloir constitutionnaliser ce droit. Le gouvernement a annoncé y être favorable. À l’Assemblée nationale, la présidente du groupe Insoumis, Mathilde Panot a déposé un texte, suivie par celle du groupe Renaissance Aurore Bergé. Les deux textes seront successivement étudiés d’ici la fin de l’année.

Le verrou du Sénat

Mais le verrou d’une réforme constitutionnelle se situe souvent au Sénat. Cela fait quatorze ans que notre Constitution n’a plus été modifiée : c’est la plus longue période sans révision de l’histoire de la Ve République. Plusieurs tentatives ont échoué au palais de Luxembourg, où la majorité n’est pas alignée sur celle de l’Assemblée. Par ailleurs, le Sénat reste la place forte de la droite, plus conservatrice sur les questions de société. Les sénateurs étaient d’ailleurs hostiles à la loi adoptée en...

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Les procédures orales et les faits compris dans le débat

Même si, depuis l’entrée en vigueur de l’article 51 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, l’avocat doit conclure, par écrit, avec son client, une convention d’honoraires (L. 31 déc. 1971, art. 10), le défaut de signature d’une convention, même en dehors des cas où cela est exceptionnellement prévu, ne prive pas l’auxiliaire de justice du droit de percevoir des honoraires pour ses diligences (Civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-20.115 NP ; 21 nov. 2019, n° 17-26.856 NP, D. 2021. 104, obs. T. Wickers image; 4 juill. 2019, n° 18-18.787 NP ; 7 févr. 2019, n° 18-13.396 NP ; 14 juin 2018, n° 17-19.709 P, Dalloz actualité, 20 juin 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 1317 image ; ibid. 2048, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle image ; ibid. 2019. 91, obs. T. Wickers image ; AJ fam. 2018. 607, obs. S. Thouret image) ; les honoraires sont alors fixés, conformément aux prescriptions de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, c’est-à-dire en tenant compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.

Lorsque la facture du professionnel est contestée, le premier président de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence semble avoir pour habitude, en l’absence de convention d’honoraires applicable, d’appliquer le taux horaire moyen de 200 euros hors taxe, pratiqué par les avocats dans le ressort de la cour d’appel (v. déjà Aix-en-Provence [1er prés.], 8 oct. 2019, n° 18/08640) ; ce n’est pas le seul (v. par ex. Rouen [1er prés.], 6 sept. 2022, n° 21/03534 ; 3 mai 2022, n° 21/04529). Mais encore faut-il alors respecter les principes directeurs du procès civil. Dans deux arrêts rendus le 6 octobre 2022, la Cour de cassation a censuré les ordonnances rendues par le premier président de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence au visa de l’article 7 du code de procédure civile, qui interdit au juge de se fonder sur un fait qui n’est pas dans le débat, dès lors que le premier président avait relevé que les parties avaient repris oralement à l’audience les termes de leurs écritures et qu’il ne résultait ni de ces écritures ni des pièces de la procédure que le taux horaire moyen pratiqué par les avocats dans le ressort de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence est de 200 € HT. Ce qui est en cause n’est pas la légitimité de la pratique consistant à fixer un honoraire selon le taux moyen pratiqué au sein du ressort de la cour d’appel, mais la méthode suivie : même si la procédure est orale, il faut que les éléments factuels sur lesquels le juge fonde sa décision soient compris...

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Les conditions requises pour figurer sur la liste des médiateurs

par Nicolas Hoffschir, maître de conférences à l'Université d'Orléansle 21 octobre 2022

Civ. 2e, 6 oct. 2022, F-B, n° 00-60.088

Nul n’ignore que, dans le ressort de chaque cour d’appel, est dressée une liste de médiateurs. Si cette liste est établie pour la simple « information des juges » (L. n° 95-125 du 8 févr. 1995, art. 22-1 A), les médiateurs y voient légitimement un moyen utile et commode de se faire connaître, d’où l’émergence d’un contentieux relatif à l’inscription sur ce document. L’article 2 du décret n° 2017-1457 du 9 octobre 2017 relatif à la liste des médiateurs auprès de la cour d’appel indique qu’une personne physique ne peut être inscrite sur la liste des médiateurs près la cour d’appel que si elle réunit un certain nombre de conditions. S’il appartient aux assemblées générales des magistrats du siège de chaque cour d’appel de dresser une liste des médiateurs, la Cour de cassation peut toujours être saisie d’un recours qui, parce qu’il est dirigé à l’encontre d’une simple décision de refus d’inscription ou de radiation (Décr. n° 2017-1457 du 9 oct. 2017, art. 9), ne peut vraisemblablement pas être qualifié de pourvoi en cassation (comp. Civ. 2e, 21 sept. 2006, n° 05-21.978 P). C’est à l’occasion d’un tel recours, exercé à...

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Clauses abusives : conditions alternatives ou cumulatives ?

L’actualité des questions préjudicielles autour des clauses abusives reste, comme à l’accoutumée, particulièrement importante ces dernières semaines. Nous avons vu, dans cette optique, que la Cour de justice de l’Union européenne a pu se pencher sur les dépens engagés par le consommateur dans le cadre d’une action contre ces types de clauses (CJUE 22 sept. 2022, aff. C-215/21, Dalloz actualité, 30 sept. 2022, obs. C. Hélaine) mais également sur la question particulière stimulante des conventions d’honoraires d’avocats recelant parfois des déséquilibres significatifs (CJUE 22 sept. 2022, aff. C-335/21, Dalloz actualité, 3 oct. 2022, obs. C. Hélaine). C’est dans ce contexte de forte activité jurisprudentielle en réponse aux renvois préjudiciels des États membres que nous nous intéressons à l’arrêt Nova Kreditna Banka Maribor rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 13 octobre 2022. L’interrogation posée concerne le droit slovène mais, à dire vrai, il touche une véritable question de fond qui intéressera tous les praticiens de droit de la consommation notamment quand un droit interne pousse la protection au-delà du curseur imposé par la directive. Rappelons les faits pour nous en convaincre. Le 19 septembre 2007, une personne physique et un établissement bancaire concluent un contrat de crédit. L’emprunteur meurt peu de temps plus tard si bien que c’est sa fille qui s’engage à rembourser le solde restant dû le 21 juillet 2014 (dans l’arrêt, est évoqué un « contrat d’adhésion à la dette »). Il fallait donc, pour l’héritière, rembourser la somme de 149 220 francs suisses (soit 89 568 € environ) à régler dans un délai de 240 mois. Mais voici où le bât blesse : le taux de change applicable n’était pas renseigné dans ce second contrat mais l’article 12 prévoyait, quant à lui, que le risque de change était assumé entièrement par l’emprunteur, du moins par sa fille reprenant la dette à son compte. Le 9 avril 2018, la nouvelle débitrice a introduit un recours devant l’Okrožno sodišče v Mariboru (le tribunal régional de Maribor en Slovénie) afin de solliciter la nullité du contrat de crédit en arguant notamment du changement brutal du taux de change entre l’euro et le franc suisse. La juridiction de première instance la déboute et cette dernière interjette appel devant le Višje sodišče v Mariboru (cour d’appel de Maribor, en Slovénie). La cour d’appel s’interroge car le droit slovène s’écarte sur la protection des clauses abusives de la directive 93/13. Elle fait valoir que, dans la législation interne concernée, elle n’a pas à s’interroger si la banque défenderesse a agi de...

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Le « Portail QPC » se prépare pour son lancement

On sait que l’open-data des décisions de justice est au cœur d’une actualité brûlante ces dernières semaines. À la fin du printemps dernier, nous commentions dans ces colonnes le très imposant rapport de la Cour de cassation « Diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence » (« Quelle jurisprudence à l’ère des données judiciaires ouvertes ? », Dalloz actualité, 20 juin 2022, comm. C. Hélaine) dans lequel des constats importants étaient dressés sur la diffusion des décisions de justice de l’ordre judiciaire rendues par les juridictions du fond. Les principales questions soulevées intéressaient non seulement la pratique mais également la doctrine puisqu’avec la publication de telles décisions sur internet s’accompagnent de nouvelles difficultés sur le sens même de la jurisprudence. Mais il existe une thématique connexte plus discrète, celle de l’environnement des décisions QPC, à savoir les décisions de transmission ou de non-transmission prises sur le fondement de l’article 23-2 ou de l’article 23-4 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 dont l’introduction est due à la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009. Actuellement, la Cour de cassation et le Conseil d’État disposent d’outils précis et efficaces pour assurer la publication des décisions de leur propre filtrage menant ou non à une saisine du Conseil constitutionnel. Dans ses vœux adressés au président de la République le 6 janvier 2022, le président du Conseil Constitutionnel a résumé les données du problème et la solution apportée ainsi :

« Une troisième évolution interviendra, fin 2022, de nature technique mais importante elle aussi. La QPC occupe désormais une place de choix dans l’équilibre institutionnel et le fonctionnement du Conseil. Or, autant notre connaissance est complète concernant les QPC qui parviennent jusqu’au filtre du Conseil d’État et de la Cour de cassation, autant il n’existe aucun recensement des QPC qui ne parviennent pas dans l’ordre judiciaire jusqu’à la juridiction filtre. En clair, on connaît le somment de la pyramide des QPC, pas sa base. C’est une lacune pour les justiciables, pour les professionnels du droit et pour l’œuvre de justice. C’est pourquoi, grâce à un travail considérable, un portail numérique sera mis en place avant la fin 2022 sur le site du Conseil qui recensera désormais le flux et le sort de toutes les QPC déposées. »

Nous soulignons à dessein les passages qui nous...

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Petite pause automnale

La rédaction de Dalloz actualité fait une petite pause la semaine du 31 octobre.

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Chronique d’arbitrage : la face cachée des recours contre la sentence

En dépit du nombre de décisions, on ne mettra pas, à l’occasion de cette chronique, un arrêt particulier à l’honneur, mais on s’autorisera quelques réflexions sur « la face cachée des recours contre la sentence ». En juillet 2022, trois ordonnances ont été rendues par le conseiller de la mise en état et ont été diffusées par la cour d’appel de Paris (Paris, ord., 12 juill. 2022, n° 21/12127, MAEG Costruzioni ; Paris, ord., 12 juill. 2022, n° 22/05378, Trasta ; Paris, ord., 12 juill. 2022, Kiram). Cette initiative est à saluer et permet de dire quelques mots du rôle du conseiller de la mise en état (on n’évoquera pas le cas du premier président, mais la problématique n’est pas différente). Celui-ci tient une place essentielle dans le cadre du recours et ses prérogatives ne cessent de croître, en particulier à travers l’extension de ses pouvoirs réalisée par l’article 789, 6°, du code de procédure civile. Il a à connaître de questions cruciales : délai d’exercice des recours ; radiation du recours ; arrêt ou aménagement de l’exécution ; qualification de sentence ; exequatur de la sentence ; fins de non-recevoir ; etc. Pourtant, son intervention et ses solutions constituent des angles morts de la connaissance du droit de l’arbitrage, car ses ordonnances ne sont pas, sauf rares exceptions, publiées.

Le problème est, il est vrai, d’intensité variable. Ponctuellement, des décisions relatives à l’arrêt et à l’aménagement des sentences sont diffusées, ce qui permet d’avoir un aperçu des conditions permettant d’obtenir une décision favorable (v. not. la jurisprudence sous l’article 1526 dans le code de l’arbitrage commenté, LexisNexis, 2021, par T. Clay et M. de Fontmichel). De même, en matière de qualification de sentence, on bénéficie d’une importante jurisprudence ancienne (Paris, 25 mars 1994, Sardisud, Rev. arb. 1994. 391, note C. Jarrosson) et d’une saisine ponctuelle de la cour par déféré (par ex., Paris, 11 mai 2021, n° 18/06076, Asperbras, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques). Reste que d’autres problématiques n’ont fait l’objet d’aucune publicité, quand bien même il est acquis que des ordonnances ont été rendues. L’exemple le plus marquant porte sur la radiation du recours à défaut d’exécution de la sentence. Les initiés savent que le conseiller de la mise en état de la 5-16 juge invariablement que cette radiation ne peut être demandée, faute pour l’article 524 du code de procédure civile d’être applicable au recours contre une sentence. Jamais ces solutions n’ont pu être diffusées et commentées, alors même qu’elles sont discutables (T. A. Brabant et M. Desplats, Pour une meilleure protection du créancier en cas de recours en annulation devant les juridictions françaises, Cah. arb. 2020. 483). Cette ignorance légitime d’une partie du régime du recours en annulation n’est pas sans poser des difficultés pour les praticiens.

D’une part, en ce qu’elles sont méconnues, les solutions du conseiller de la mise en état peuvent ne pas être suivies par les parties. Or pour certaines, l’enjeu est crucial. C’est le cas des formalités pour faire courir les délais d’exercice des voies de recours, dont l’ignorance peut conduire à permettre un recours des années après la reddition de la décision (sur cette question, v. Paris, ord., 12 juill. 2022, n° 21/12127, MAEG Costruzioni). Au surplus, sans en arriver à une difficulté tenant à la recevabilité du recours, on peut imaginer une partie soulever de bonne foi un incident – comme c’est le cas pour la demande de radiation – alors même que la jurisprudence du CME est constante pour ne pas y faire droit. La partie expose alors des frais et prend le risque d’une condamnation à l’article 700, quand bien même son ignorance est légitime.

D’autre part, il est regrettable que des problématiques aux enjeux importants ne remontent jamais à la formation de jugement de la cour d’appel voire à la Cour de cassation. Quand bien même le CME est un membre éminent de la 5-16, ces questions doivent pouvoir être débattues devant des formations collégiales et être soumises au contrôle du juge de cassation. Ce n’est pourtant pas le cas des nombreuses ordonnances qui sont rendues sans recours, soit parce que le code l’exclut, soit parce qu’elles sont qualifiées de mesures d’administration judiciaire. On évoquera, à titre d’exemple, la question de la connaissance par le CME de l’irrecevabilité des griefs contre une sentence. Si notre conviction est que ces questions relèvent du CME (J. Jourdan-Marques, Déflagration dans le recours en annulation, Dalloz actualité, 4 mai 2020 ; il faut toutefois signaler que le récent avis de la Cour de cassation sur la recevabilité des demandes nouvelles en appel met du plomb dans l’aile à cette analyse, v. Civ. 2e, avis, 11 oct. 2022, n° 22-70.010, D. 2022. 1862 image), la pratique consiste à renvoyer la prétention à la formation de jugement. Ceci étant, la question n’a jamais été jugée frontalement et conduit toutes les parties prudentes à « doubler », en soumettant le moyen au CME et à la cour. Ce gaspillage d’énergie n’est satisfaisant pour personne et la difficulté doit être tranchée de façon claire.

On peut regretter que l’open data des décisions de justice ne soit pas de nature à améliorer la situation. Si les décisions sont désormais toutes mises en ligne, en particulier sur le site Judilibre, cette évolution ne concerne que les arrêts rendus par la formation de jugement, y compris lorsqu’elle est saisie sur déféré. En revanche, les ordonnances en sont exclues. La raison à cela est mystérieuse, car les ordonnances sont bien des « décisions rendues par les juridictions judiciaires » au sens de l’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire et n’échappent pas à la publicité. Cet embargo est difficilement compréhensible et nuit à la connaissance des solutions.

Reste une piste à explorer, aussi bien pour les parties que pour le conseiller de la mise en état lui-même : la procédure d’avis. L’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire énonce qu’« avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation ». Cette demande peut très bien être formée par un conseiller de la mise en état (c’était le cas dans les avis rendus le 3 juin 2021 et le 11 oct. 2022). Il est essentiel que se développe, dans le cadre du recours contre les sentences, une culture de la demande d’avis par le conseiller de la mise en état, afin d’éviter les effets pervers d’une jurisprudence occulte et ne faisant jamais l’objet d’un examen par une formation collégiale. Il est temps de lever le voile sur la face cachée du recours contre les sentences !

Ces quelques observations liminaires ne doivent pas occulter certains événements marquants de la période écoulée. Le premier est le changement de président à la chambre commerciale internationale de la cour d’appel de Paris. Alors qu’elle était présidée depuis sa création par Monsieur François Ancel, ce dernier est parti à la première chambre civile à la suite d’un décret du 20 juillet 2022. Il est remplacé par Monsieur Daniel Barlow, nommé par décret du 12 août 2022. On peut prendre connaissance du parcours de ce dernier sur le site de la CCIP-CA. Il sera intéressant d’observer si ce changement de présidence emporte des évolutions dans la jurisprudence de la chambre, sachant que sa composition est, pour le reste, inchangée.

Par ailleurs, il ne faut pas passer à côté de certaines décisions. La Cour de cassation en a rendu plusieurs marquantes. Dans un arrêt Carrefour Proximité France, elle confirme la jurisprudence selon laquelle l’impécuniosité d’une partie ne remet pas en cause la clause compromissoire (Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 21-21.738, Gaz. Pal., obs. L. Larribère, à paraître). Le même jour, elle rejette le pourvoi dans l’affaire Kout Food Group et confirme, à défaut de choix exprès, l’application des règles matérielles françaises à la convention d’arbitrage (Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 20-20.260, Gaz. Pal., obs. L. Larribère, à paraître). Plus tôt, elle a confirmé sa jurisprudence nouvelle en matière d’arbitrage à l’occasion du pourvoi formé dans l’affaire Sorelec (Civ. 1re, 7 sept. 2022, n° 20-22.118, D. 2022. 1600 image ; Gaz. Pal., obs. L. Larribère, à paraître ; D. 2022. 1773, obs. S. Bollée image). Enfin, on signalera le très intéressant arrêt rendu par la cour d’appel de Basse-Terre dans la saga Auto Guadeloupe, qui permet de revenir sur la question rare de la loi applicable à la responsabilité de l’arbitre et la compatibilité d’une loi étrangère à l’ordre public international français (Basse-Terre, 4 juill. 2022, n° 17/00750).

Le principe compétence-compétence

La portée du principe

Le principe compétence-compétence, en particulier dans son versant négatif, est bousculé. En deux ans, il a subi deux coups de canif de la part de la Cour de cassation, d’une part par l’arrêt PWC (Civ. 1re, 30 sept. 2020, n° 18-19.241, PWC, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2501 image, note D. Mouralis image ; ibid. 2484, obs. T. Clay image ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; ibid. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; AJ contrat 2020. 485 image, obs. D. Mainguy image ; Rev. prat. rec. 2021. 39, chron. R. Bouniol image ; Rev. crit. DIP 2021. 202, note E. Loquin image ; RTD civ. 2020. 845, obs. L. Usunier image ; RTD com. 2021. 529, obs. E. Loquin image ; Procédures 2021, n° 1, p. 19, obs. L. Weiller ; RLDC 2021, n° 190, p. 29, note C. Marilly ; RLDA 2020, n° 164, p. 4, note S. Koulocheri ; ibid. n° 165, p. 14, note J. Clavel-Thoraval ; Gaz. Pal. 2020, n° 41, p. 27, note S. Bollée ; JCP 2020. 2100, note M. de Fontmichel ; LPA 2020, n° 254, p. 7, note S. Akhouad-Barriga ; ibid. 2021, n° 12, p. 5, note J. Lefebvre ; CCC 2020, n° 12, p. 69, note S. Bernheim-Desvaux ; ibid. 2021, n° 1, p. 3, obs. E. Fohrer-Dedeurwaerder ; JCP E 2021, n° 10, p. 33, obs. C. Nourissat) et, d’autre part, par l’arrêt Tagli’apau (Civ. 1re, 9 févr. 2022, n° 21-11.253, Dalloz actualité, 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 358 image ; RTD com. 2022. 487, obs. E. Loquin image ; JCP 2022. 553, note M. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2022, n° 11, p. 23, note J. Clavel-Thoraval ; ibid., n° 15, p. 1, obs. L. Larribère ; Procédures 2022. Comm. 100, obs. L. Weiller ; JCP 2022. Doctr. 724, obs. L. Jandard ; JCP E 2022, 1307, note P. Casson). Partant, on pouvait craindre qu’il en subisse un troisième, en présence d’une partie impécunieuse. Ce n’est pas le cas (Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 21-21.738, Carrefour Proximité France, Gaz. Pal., obs. L. Larribère, à paraître), et à ce titre on peut s’en réjouir, d’autant que l’arrêt permet d’envisager un équilibre susceptible d’emporter l’adhésion d’une partie de la doctrine et des praticiens.

Les faits portent sur des contrats de franchise et d’approvisionnement dans lesquels figure une clause compromissoire. Le franchisé décide de saisir le tribunal de commerce. En appel, la cour déclare les juridictions judiciaires incompétentes et renvoie les parties à mieux se pourvoir (Paris, 30 juin 2021, n° 21/02568, Carrefour Proximité France, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. Doctr. 1280, obs. P. Giraud). La Cour de cassation rejette le pourvoi. Après avoir rappelé l’article 1448 du code de procédure civile, elle énonce que « dès lors qu’il n’était pas soutenu qu’une tentative préalable d’engagement d’une procédure arbitrale avait échoué, faute de remède apporté aux difficultés financières alléguées par M. [B] et la société CPP, la cour d’appel a retenu à bon droit, sans méconnaître le droit d’accès au juge, que l’invocation par les demandeurs de leur impécuniosité n’était pas, en soi, de nature à caractériser l’inapplicabilité manifeste des clauses compromissoires ». La solution se lit en deux temps.

Premièrement, dans la lignée de la jurisprudence Lola Fleurs de la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation rappelle que l’impécuniosité d’une partie n’est pas de nature à faire échec à l’effet négatif du principe de compétence-compétence (Paris, 26 févr. 2013, n° 12/12953, D. 2013. 2936, obs. T. Clay image ; Cah. arb. 2013. 479, note A. Pinna ; Rev. arb. 2013. 756, note F.-X. Train). Dans l’affaire Lola Fleurs, la cour d’appel a jugé que « le caractère manifestement inapplicable de la clause compromissoire ne saurait davantage se déduire de l’incapacité alléguée [du demandeur] à faire face au coût d’une telle procédure en raison de sa situation financière et au déni de justice qui en résulterait ». Si les formules ne sont pas identiques, l’idée reste la même : il n’y a pas d’inapplicabilité manifeste de la clause en cas d’impécuniosité.

Deuxièmement, l’incise ajoutée par la Cour de cassation selon laquelle « il n’était pas soutenu qu’une tentative préalable d’engagement d’une procédure arbitrale avait échoué » devrait focaliser l’attention à l’avenir. La Cour installe une chronologie décisive. Elle invite la partie impécunieuse à tenter l’arbitrage, à la suite de quoi une alternative se présente : soit le tribunal arbitral peut être constitué et mener sa mission, soit il ne peut pas l’être et le litige n’est pas en mesure d’être résolu par l’arbitrage. Dans la première hypothèse, la volonté des parties est respectée et l’accès au juge est garanti. Dans la seconde hypothèse, l’accès au juge n’est plus assuré et la Cour de cassation laisse entendre que la volonté des parties sera ignorée.

Il y a une part de mystère dans cette décision. Cette solution n’est pas sans lien avec l’arrêt Tagli’apau (plus nuancé, L. Larribère, obs ss. Civ. 1re, 28 sept. 2022, Gaz. Pal., à paraître). Ce dernier a consacré un principe de « loyauté procédurale régissant les parties à une convention d’arbitrage ». L’arrêt Carrefour Proximité France révèle en creux que cette loyauté est à double sens : loyauté du demandeur de tenter de saisir, conformément à la volonté des parties, le tribunal arbitral ; loyauté du défendeur de faire en sorte que l’arbitrage puisse avoir lieu.

L’équilibre trouvé par la combinaison prévisible des arrêts Carrefour Proximité France et Tagli’apau est séduisant, même pour un farouche défenseur de l’efficacité de l’arbitrage. Le choix de recourir à l’arbitrage et la priorité qui en découlent sont préservés. Une échappatoire efficace est offerte au demandeur en cas d’échec de cette voie. Ceci étant, il ne faut pas occulter les immenses difficultés qu’une telle solution est de nature à engendrer. Il faudra être patient et vigilant avec la jurisprudence. On peut d’ores et déjà identifier plusieurs points de friction.

Premier point de friction : qu’est-ce qu’une partie impécunieuse ? Il n’est pas exclu qu’une partie en procédure collective soit en mesure de payer les frais d’arbitrage, à l’inverse d’une partie qui ne s’y trouve pas. En outre, la question de la preuve de cette incapacité sera centrale. Enfin, quelle répartition des rôles entre l’arbitre et le juge pour statuer sur l’impécuniosité ?

Deuxième point de friction : à partir de quand une tentative préalable d’engagement d’une procédure arbitrale doit être considérée comme ayant échoué ? Plus le point de bascule est placé loin, plus elle fera obstacle au droit d’accès au juge. À l’inverse, plus le point de bascule est placé près, plus l’exigence de tentative sera artificielle. On se rappelle qu’une critique qui a été adressée à l’arrêt Tagli’apau est de ne pas avoir vérifié le respect des procédures prévues par le règlement d’arbitrage. Il faudra donc trouver un point d’équilibre entre les diligences justifiées et celles démesurées.

Troisième point de friction : qu’est-ce qu’un demandeur loyal ? Doit-il être raisonnable dans ses demandes, afin de ne pas faire exploser le montant des frais ? Peut-on attendre de lui qu’il modère ses prétentions en deçà d’un montant auquel il peut objectivement prétendre ? Doit-il faire un effort minimum dans la prise en charge de la provision ?

Quatrième point de friction : que faut-il attendre du défendeur ? Si l’arrêt Tagli’apau l’invite à assumer sa part de la provision pour frais, peut-on en attendre plus en présence d’une partie impécunieuse ? Devra-t-il assumer l’intégralité de la provision – et potentiellement ne jamais se faire rembourser – s’il veut conserver son droit à voir le litige tranché par la voie de l’arbitrage ?

Cinquième point de friction : doit-on attendre quelque chose de l’institution et des arbitres ? On le rappelle, l’arrêt Lola Fleurs invite le tribunal arbitral à permettre l’accès au juge, alors que l’arrêt d’appel Carrefour Proximité France élargit cette exigence aux acteurs de l’arbitrage. Seront-ils parties prenantes dans le futur équilibre ?

On le voit, les incertitudes ne manquent pas et il faudra du temps pour y voir plus clair. On a pu critiquer l’arrêt Tagli’apau en raison de sa portée trop générale. En revanche, la combinaison avec l’arrêt Carrefour Proximité France, en ce qu’elle a vocation à ne concerner que la partie impécunieuse, offre des perspectives intéressantes. Il y a désormais une théorie de la loyauté en matière d’arbitrage à inventer. La suite s’annonce passionnante !

La mise en œuvre du principe

On ne le dira jamais assez, la mise en œuvre de l’effet négatif du principe de compétence-compétence est un art délicat où tout excès d’analyse, au moins en tant qu’il conduit à faire échec au renvoi aux arbitres, ouvre la voie à la cassation. La Cour en offre un exemple supplémentaire dans un arrêt Baferton (Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 20-10.049). Dans cette affaire, la cour d’appel a écarté la clause compromissoire et s’est déclarée compétente (Paris, 14 oct. 2019, n° 19/01346, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image). Pour motiver sa décision, elle a retenu une qualification délictuelle de l’action et considéré que le champ d’application ratione personae de la clause est restrictif, ce qui conduit à exclure son opposabilité aux tiers, quand bien même ils ont connaissance de la clause. À propos de cette solution, nous avions écrit que « chacun de ces trois éléments de la motivation constituent une violation du principe compétence-compétence. Le juge ne peut pas dire si l’action est contractuelle ou délictuelle ; le juge ne peut pas affirmer que la clause ne s’applique qu’aux parties au contrat (…) ; le juge ne peut pas se prononcer sur l’opposabilité de la clause. Aucun de ces motifs ne caractérise une nullité ou une inapplicabilité manifeste de la clause ». En toute logique, la Cour casse l’arrêt pour avoir retenu des « motifs impropres à caractériser l’inapplicabilité manifeste des conventions d’arbitrage ». L’exigence d’une inapplicabilité manifeste de la clause doit réduire l’analyse du juge au strict minimum, à savoir, dans l’immense majorité des cas, à la recherche d’un « lien » entre l’action et la clause (par ex., Paris, 28 sept. 2022, n° 22/04847).

Malgré l’intérêt et la qualité variables des décisions d’appel en matière de mise en œuvre du principe de compétence-compétence, il reste que de très belles questions sont régulièrement soulevées, dont certaines présentent un intérêt majeur.

Un premier arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence soulève une question théorique de premier plan, mais y apporte une mauvaise réponse (Aix-en-Provence, 8 sept. 2022, n° 22/00445, Essem’Bio). Le litige porte sur le défaut de conformité d’une commande faite par un agriculteur de semences de côtes de blettes de la variété « Verte à Carde Blanche 2-Bio ». Les conditions générales du vendeur contiennent une clause compromissoire. Pourtant, l’acquéreur saisit le tribunal judiciaire. Il se voit opposer une exception d’incompétence.

Le débat se place sur la question de la preuve. La perspective est intéressante, car l’articulation avec le principe de compétence-compétence n’est pas évidente. Certes, il ne fait aucun doute que la preuve du consentement à une clause est une question qui relève du domaine du principe et doit donc revenir à l’arbitre, sous réserve d’une nullité ou inapplicabilité manifeste. En revanche, la question peut se poser en amont, à savoir la preuve de la convention d’arbitrage. En effet, c’est une chose que de discuter du consentement à une clause, c’en est une autre que de discuter de son existence. Comment imaginer qu’un juge renvoie les parties à l’arbitrage si aucune preuve de la convention d’arbitrage n’est apportée ? Il y a tout lieu de penser qu’une telle question peut échapper à l’effet négatif du principe compétence-compétence.

De cette prémisse, une seconde série de questions découle. Il s’agit de savoir quel moyen de preuve permet d’établir l’existence d’une clause compromissoire. En matière internationale, l’article 1507 énonce que « la convention d’arbitrage n’est soumise à aucune condition de forme ». En matière interne, l’article 1443 prévoit en revanche qu’« à peine de nullité, la convention d’arbitrage est écrite. Elle peut résulter d’un échange d’écrits ou d’un document auquel il est fait référence dans la convention principale ». Cependant, l’une et l’autre de ces dispositions ne sont d’aucun secours : elles portent sur la validité de la convention d’arbitrage et non sur sa preuve. De même, l’article 2061 du code civil traite du consentement à la clause compromissoire, pas de sa preuve. Il faut chercher ailleurs.

En matière internationale, le débat pourrait tourner court. Dès lors que la convention d’arbitrage n’est soumise à aucune condition de forme, il est difficile d’imaginer des modalités plus contraignantes pour sa preuve. Il suffit au juge d’étendre l’application de l’article 1507 à sa preuve ou de consacrer une règle matérielle (on rappelle que l’application du droit interne français est exclue par application de l’indépendance juridique de la convention d’arbitrage). La situation est plus délicate en matière interne, en ce que la validité formelle de la convention d’arbitrage est soumise à des conditions rigoureuses. En matière commerciale, la liberté de la preuve posée par l’article L. 110-3 du code de commerce simplifie le débat : l’existence de la convention peut être rapportée par tout moyen. En matière civile, il faut réaliser quelques contorsions pour arriver à une solution identique. L’article 1358 du code civil énonce que « hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen ». L’article 1359 y apporte une dérogation immédiate pour les actes juridiques – ce qu’est la convention d’arbitrage –, mais uniquement ceux supérieurs à 1 500 €. Or, il faut ici rappeler que s’il n’est pas rare que la convention d’arbitrage figure dans un contrat dont le montant est supérieur à ce plancher, il n’en demeure pas moins qu’elle est indépendante matériellement de ce contrat. Dit autrement, et selon la célèbre formule de Motulsky, la clause compromissoire est un contrat dans le contrat (H. Motulsky, L’efficacité de la clause compromissoire en matière internationale, in Écrits. Études et notes sur l’arbitrage, préf. C. Reymond, Dalloz, 2e éd., 2010, p. 335, n° 7). Si le contrat principal porte potentiellement sur une somme ou une valeur excédant 1 500 €, ce n’est pas le cas de la convention d’arbitrage, qui n’a pas de valeur en tant que telle. En conséquence, et quel que soit le domaine, la preuve de l’existence de la convention d’arbitrage peut être apportée par tout moyen.

Ce n’est pas l’approche suivie par la cour d’appel dans l’affaire Essem’Bio. D’une part, elle souligne que la demanderesse « agricultrice et non commerçante, est en droit de revendiquer l’application des règles de preuve régissant les rapports entre particuliers et donc des articles 1372 et suivants du code civil ». Il y a déjà là une erreur sur les modes de preuve. Surtout, la cour va bien au-delà de la preuve de l’existence de la clause, en retenant que les conditions générales de vente « ne comporte[nt] cependant aucune signature, ni date, pouvant laisser à penser que ces clauses ont été acceptées par Mme [X] » et ajoute que « la clause d’arbitrage avancée par la SARL Essem’bio pour dénier la compétence de la juridiction judiciaire au profit du tribunal arbitral n’est pas applicable ». Ce faisant, la cour n’a pas simplement recherché l’existence de la convention, mais a examiné sa validité et son applicabilité.

Reste que la question posée est loin d’être dénuée d’intérêt. On y voit que, malgré tous les efforts de la doctrine arbitragiste, il existe toujours des failles au principe compétence-compétence contre lesquelles on peine à lutter. C’est le cas, ici, de la preuve de l’existence de la clause compromissoire comme ça l’est également pour la question de la qualité (consommateur ou travailleur) d’une partie à la clause.

Un deuxième arrêt soulève la question, là encore primordiale, de l’articulation d’une clause blanche et de l’effet négatif du principe compétence-compétence. La clause stipule que « toutes les contestations qui pourraient surgir pour l’exécution du présent contrat ou de leurs suites seront soumises à la procédure d’arbitrage ». Cette clause est-elle manifestement inapplicable ? La cour d’appel d’Orléans le pense (Orléans, 6 juill. 2022, n° 22/00277). Elle juge que « le recours à une procédure d’arbitrage nécessite l’existence de certaines précisions en vue de la mise en place de ses modalités, incluant l’identification de l’arbitre choisi ou les modalités de sa désignation, ainsi que l’établissement d’un règlement d’arbitrage fixant les règles de son déroulement ; que de telles précisions n’apparaissent nulle part ; que l’on ne voit pas comment aujourd’hui les parties pourraient se mettre d’accord ne serait-ce que sur les entités de l’arbitre choisi, de sorte que l’une d’entre elles pourrait, par une opposition systématique, opposer une obstruction totale au processus d’arbitrage envisagé ; que c’est à juste titre que la partie intimée déclare que la clause est inapplicable ». En réalité, une telle motivation illustre une méconnaissance du régime de la convention d’arbitrage et des prérogatives du juge d’appui. Les clauses blanches ne sont jamais inapplicables, au moins en matière interne (en matière internationale, un défaut de siège et l’absence de référence à des règles de procédure est de nature à causer de grandes difficultés), dès lors que le juge d’appui est en mesure de suppléer les carences ou les oppositions des parties. La volonté des parties de recourir à l’arbitrage étant acquise, le renvoi aurait dû avoir lieu.

Un troisième arrêt porte sur une situation rarissime : la saisine des juridictions étatiques alors que le tribunal arbitral est déjà constitué. C’est l’hypothèse à laquelle est confrontée une chambre non spécialisée de la cour d’appel de Paris (Paris, 30 août 2022, n° 22/02744, Visa Urgent.com). Les parties ont saisi un tribunal arbitral rabbinique, avant que l’une d’elles ne saisisse le tribunal de commerce. La saisine concomitante des deux juridictions ne souffre aucune discussion (quand bien même le tribunal arbitral a subordonné sa décision au dépôt d’une nouvelle requête, sans se dessaisir). En conséquence, l’article 1448 du code de procédure civile emporte un effet radical : l’incompétence immédiate de la juridiction étatique. Contrairement à l’hypothèse où le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, cette incompétence ne supporte aucune exception, pas même l’éventuelle nullité ou inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage. C’est donc une erreur de la part de la cour d’appel que de justifier son incompétence après avoir examiné ces moyens.

Un quatrième arrêt illustre une mise en œuvre efficace de l’effet négatif (Aix-en-Provence, 30 juin 2022, n° 21/04989, Chocolaterie de l’Opéra). Le contentieux résulte de la contamination d’un lot de fèves de cacao et porte sur la rupture brutale des relations commerciales. Il soulève également des interrogations sur la faute personnelle d’un dirigeant au motif qu’il a laissé commercialiser des produits dangereux. La cour ne se laisse pas impressionner par la nature du litige, impliquant des questions de nature délictuelle. Elle rappelle que « ces circonstances ne sauraient, en l’état, justifier la non-application de la clause compromissoire, étant rappelé qu’au visa de l’article 1465 du code de procédure civile, seul le tribunal arbitral est compétent pour statuer sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel en l’absence de nullité ou inapplication manifeste de la convention d’arbitrage ». En conséquence, elle renvoie les parties à mieux se pourvoir.

Un cinquième arrêt du même jour livre une solution plus fragile (Aix-en-Provence, 30 juin 2022, n° 21/18443, Pacte Technologies). La clause compromissoire figure dans un pacte d’associés, le litige portant quant à lui sur des cessions ou promesses de cessions de parts sociales. Dans un premier temps, la cour juge, de façon rigoureuse, que « le demandeur à l’annulation des cessions et promesses de cession des parts sociales (…) est signataire de ce pacte d’associés, la clause compromissoire contenue dans ce pacte d’associés lui est opposable ». Il ajoute, là encore à bon escient, qu’il « appartient au tribunal arbitral d’apprécier si compte tenu de l’opération globale de restructuration entreprise par les associés, ce pacte est applicable aux futurs associés et/ou aux associés qui n’en sont pas signataires mais qui peuvent en revendiquer les effets. De même, le tribunal arbitral est seul compétent pour juger de la validité de la clause d’adhésion contenue dans ledit pacte d’associés du 30 septembre 2016 au regard des dispositions impératives de l’article 2061 du code civil ». À ce stade du raisonnement, il n’y a rien à reprocher à la cour. On comprend, dès lors, mal pour quelle raison elle retient à la suite de cela que le « tribunal arbitral qui sera saisi sur le fondement du pacte d’associés du 30 septembre 2016 ne peut interpréter le pacte d’associés du 2 octobre 2017 qui ne contient pas de clause compromissoire. Cette interprétation relève de la seule compétence du juge étatique ». La solution est d’autant moins satisfaisante que, à l’occasion de son interprétation de ce second pacte d’associé, la cour s’interroge sur une éventuelle annulation du premier pacte. Ce faisant, elle empiète allégrement sur la compétence du tribunal arbitral. Une fois de plus, on voit la difficulté pour les juridictions judiciaires à assurer la mise en œuvre de l’effet négatif du principe compétence-compétence, en particulier lorsqu’elle a vocation à rayonner au-delà de l’instrumentum dans lequel elle se trouve.

Un dernier arrêt, soumis à la cour d’appel de Paris (Paris, 12 juill. 2022, n° 22/06400, Toyoshima) examine des allégations de fraude. Il est soutenu que l’insertion de la clause compromissoire dans le contrat vise des fins frauduleuses, en particulier pour échapper à l’impôt. Pour écarter le moyen, la cour reprend une formule déjà aperçue sous la plume de la Cour de cassation (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-18.292, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay image) et que l’on doit, il semblerait, à la cour d’appel d’Aix-en-Provence (Aix-en-Provence, 23 nov. 2017, n° 17/01932), selon laquelle « la nullité ou l’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage, seule de nature à faire obstacle à la compétence prioritaire de l’arbitre pour statuer sur sa propre compétence, doit pouvoir être constatée lors d’un examen sommaire par le juge étatique, tout contrôle substantiel et approfondi étant exclu ». L’énoncé est adroit et révèle les prérogatives du juge en matière d’effet négatif du principe compétence-compétence. Partant de ce celui-ci, la cour juge que « l’insertion d’une convention d’arbitrage n’est pas en soi de nature à éluder l’application de la loi française étant observé que les contrats litigieux ne comportent aucun choix de loi exprès ». En creux, la cour rappelle à juste titre que le choix d’un juge ne matérialise pas, en lui-même, une quelconque éviction de la loi applicable. C’est la logique qui guide déjà la jurisprudence pour ne pas interdire, en présence d’une loi de police, les clauses attributives de juridiction et compromissoires (en matière de clause compromissoire, v. Civ. 1re, 8 juill. 2010, n° 09-67.013, Doga, D. 2010. 2884, obs. X. Delpech image, note M. Audit et O. Cuperlier image ; ibid. 2540, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra image ; ibid. 2933, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2010. 743, note D. Bureau et H. Muir Watt image ; RTD com. 2011. 667, obs. P. Delebecque image ; ibid. 2012. 525, obs. E. Loquin image ; Rev. arb. 2010. 514, note R. Dupeyré ; ibid. 2011. 191, note...

Effet dévolutif et portée de la cassation, la deuxième chambre civile siffle les arrêts de jeu

On sait depuis longtemps que le foot n’est plus tout à fait un jeu. Le club de football FC Lorient conclut avec la société Macron un contrat d’équipementier officiel et lui concède une licence exclusive de son logo sur certains articles. La société assigne le club de football pour non-respect de ses obligations et violation de l’exclusivité dont elle était titulaire devant le tribunal de grande instance de Lorient qui la déboute de ses demandes. Le jugement est partiellement réformé par la cour d’appel de Rennes le 7 novembre 2017. Selon arrêt du 7 mai 2019, la chambre commerciale de la Cour de cassation casse et annule l’arrêt « mais seulement en ce qu’il condamne la société Football club Lorient Bretagne Sud à payer à la société Macron les sommes de 200 000 € à titre de clause pénale et de 21 000 € à titre de dommages-intérêts, statue sur l’article 700 du code de procédure civile ainsi que sur les dépens, l’arrêt rendu le 7 novembre 2017, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ». Partie perdante en première instance, la société Macron saisit donc la cour de Rennes, autrement composée, désignée comme cour de renvoi. Par arrêt du 25 février 2020, la cour d’appel juge qu’elle n’est pas saisie en l’absence d’effet dévolutif d’une déclaration de saisine qui ne contient aucune critique des chefs de jugement. La société Macron forme un pourvoi et c’est cette fois la deuxième chambre civile qui, par arrêt du 29 septembre 2022, casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt. Une nouvelle fois, les parties sont renvoyées devant la cour d’appel de Rennes autrement composée. La solution apportée par la Cour de cassation est la suivante :

« Vu les articles 624, 625, 901 et 1033 du code de procédure civile :
8. La portée de la cassation étant, selon les deux premiers de ces textes, déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce, l’obligation prévue au dernier de ceux-ci, de faire figurer dans la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation, qui n’est pas une déclaration d’appel, les chefs de dispositif critiqués de la décision entreprise tels que mentionnés dans l’acte d’appel, ne peut avoir pour effet de limiter l’étendue de la saisine de la cour d’appel de renvoi.
9. Pour dire que la cour d’appel n’était pas saisie en l’absence d’effet dévolutif, l’arrêt énonce que l’obligation prévue par l’article 901, 4° du code de procédure civile, de mentionner, dans la déclaration d’appel, les chefs de jugement critiqués, dépourvue d’ambiguïté, encadre les conditions d’exercice du droit d’appel dans le but légitime de garantir la bonne administration de la justice en assurant la sécurité juridique et l’efficacité de la procédure d’appel.
10. Il ajoute que la déclaration de saisine de la cour de renvoi du 4 juillet 2019 ne contient aucune critique des chefs du jugement, aucune déclaration d’appel rectificative n’ayant été régularisée dans le délai imparti pour conclure au fond, de sorte que la cour n’est saisie d’aucune demande.
11. En statuant ainsi, alors qu’elle était saisie du litige lui étant dévolu par la déclaration d’appel et le dispositif de l’arrêt de cassation, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Reprise de volée

Si la pédagogie est l’art de la répétition, on reconnaîtra cette vertu à la deuxième chambre civile qui, à coup de pied d’arrêts, publiés, rappelle inlassablement la distinction entre déclaration d’appel et déclaration de saisine comme les effets de la dévolution de l’appel et de la cassation. Ce nouvel arrêt a le mérite de condenser les deux, deux choses admises, que l’on croyait admises avant ce derby breton.

Première affirmation, et la solution le dit d’entrée, une déclaration de saisine n’est pas une déclaration d’appel. Au-delà des mots, qui devraient alerter, c’est bien sûr le régime qui n’est pas le même puisque la déclaration d’appel est déjà intervenue. Or, seul est cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel (on disposera des dispositifs de cette double cassation aux vertus également pédagogiques pour s’en convaincre) et jamais l’acte d’appel. Les parties sont replacées en l’état du jugement (C. pr. civ., art. 625), donc d’une déclaration d’appel comme de conclusions et pièces précédemment échangées qui ne sont pas l’objet de la cassation. Aussi, conformément à l’alinéa 6 de l’article 1037-1 du code de procédure civile, les conclusions des parties notifiées lors de l’instance d’appel qui a donné lieu à cassation doivent être examinées par la cour de renvoi quand bien même le délai de deux mois pour conclure sur renvoi n’aurait pas été respecté. On ne compte plus les arrêts de la Cour de cassation sur ce point, on ne les citera donc pas.

Cette première spécificité devrait attirer l’attention : le renvoi après cassation n’est pas une transversale vers une nouvelle voie de recours. Lorsque les parties saisissent la cour de renvoi, elles ne font que poursuivre l’instance d’appel déjà introduite par la déclaration d’appel. Ce ne sont que les prolongations du match formalisées par l’article 631 du code de procédure civile : « Devant la juridiction de renvoi, l’instruction est reprise en l’état de la procédure non atteinte par la cassation ». Le moyen mnémonique pour l’imprimer, une fois pour toutes, touche, comme souvent, à la finance : on sait que l’on ne paye pas de timbre fiscal sur renvoi après cassation en représentation obligatoire. Pas par souci du...

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Adaptation du droit français aux exigences européennes en matière de DMDIV

Le 26 mai 2022 marquait l’entrée en vigueur du règlement (UE)2017/746 du Parlement européen et du Conseil relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, adopté le 5 avril 2017. Outre les diverses mesures transitoires qu’il comprenait pour assurer une transition sans heurt suite à l’abrogation de la directive 98/79/CE du 27 octobre 1998 du Parlement européen et du Conseil, relative aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, son entrée en vigueur avait été reportée pour assurer, en période de crise sanitaire liée à la covid-19, l’approvisionnement nécessaire en DMDIV des États membres. Ce report a été organisé par un second règlement (UE)2022/112 du Parlement et du Conseil modifiant le règlement de 2017 en ce qui concerne les dispositions transitoires relatives à certains dispositifs médicaux de diagnostic in vitro et l’application différée des conditions en matière de dispositifs fabriqués et utilisés en interne. Ce report permet en particulier de maintenir la commercialisation des DMDIV ayant obtenu un certificat de conformité CE avant le 25 mai 2022 jusqu’au 26 mai 2025 et, pour les dispositifs non soumis à certification par un organisme notifié sous l’emprise de la directive 98/79/CE, jusqu’au 26 mai 2025 s’ils sont de classe D (risque élevé), 26 mai 2026 s’ils sont de classe C et 26 mai 2027 s’ils sont de classe B ou A stérile.

L’adoption de ce règlement participe de la révision du cadre juridique européen relatif aux dispositifs médicaux et fait suite à la communication de la Commission du 26 septembre 2012 relative aux dispositifs médicaux et aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro sûrs, efficaces et innovants dans l’intérêt des patients, des consommateurs et des professionnels de santé. De fait, le double objectif annoncé de ce règlement est de « garantir le bon fonctionnement du marché intérieur des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, sur la base d’un niveau élevé de protection de la santé pour les...

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Quelques précisions bienvenues sur la directive 2011/7/UE

Après un premier arrêt du 20 octobre 2022 A Oy c. B Ky s’intéressant à la directive 2011/7 relative aux retards de paiement (CJUE 20 oct. 2022, aff. C-406/21, Dalloz actualité, 26 oct. 2022, obs. C. Hélaine), voici que la Cour de justice de l’Union européenne continue d’en préciser le contenu au travers de la décision commentée et rendue le même jour BFF Finance Ibseria SAU. Ce second arrêt s’intéresse à un pan particulier de la directive, à savoir les transactions commerciales entre opérateurs économiques et pouvoirs publics. Rappelons les faits pour comprendre comment la Cour de justice a été saisie des trois questions préjudicielles posées dans le renvoi préjudiciel concerné. Une société de droit espagnol exerce une activité de recouvrement de créances. Elle acquiert, dans le cadre de son activité, des créances détenues initialement par vingt et une entreprises pour la rémunération de la fourniture de marchandises et de certains services rattachés à l’administration régionale, et ce entre 2014 et 2017. Voici qu’en 2019, notre société mécontente de certains retards de paiement sollicite auprès de l’administration le paiement des sommes dues au principal et majorées des intérêts de retard ainsi que d’une somme forfaitaire de 40 € au titre des factures impayées pour les frais de recouvrement conformément à la loi espagnole transposant la directive 2011/7 sur les retards de paiement. L’administration décide de ne pas payer et la société forme donc un recours devant le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n° 2 de Valladolid (le tribunal administratif au niveau provincial de Valladolid en Espagne). Le créancier sollicite, par conséquent, une somme totale de 51 610,67 € majoré des intérêts de retard, d’un forfait de 40 € par facture impayée au titre des frais de recouvrement et d’un montant de 43 626,79 € au titre des intérêts légaux. Le tribunal administratif hésite avant de statuer car il remarque que plusieurs aspects de la demande du créancier lui posent difficulté eu égard à la rédaction de la loi espagnole transposant la directive 2011/7 notamment sur le montant forfaitaire des frais de recouvrement, des délais de paiement prévus par la loi au profit de l’administration (soixante jours) mais également sur le montant de la TVA qui doit ou non intégrer le calcul des intérêts de retard alors que ladite taxe n’a pas forcément encore été réglée à l’administration. On remarque immédiatement que ces questionnements sont bien différents de l’affaire C-406/21 précitée, notamment en raison de la présence de l’administration comme cocontractant à l’origine de l’impayé. Ceci permet, à titre liminaire, de noter toutes les subtilités de la directive 2011/7 qui reste un texte aussi délicat que, parfois, complexe à interpréter.

Le tribunal administratif décide, dans ce contexte, de surseoir à statuer et de renvoyer trois questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Les voici reproduites ci-dessous :

« Compte tenu des dispositions de...

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De l’aménagement contractuel des dispositions de la directive contre les retards de paiement

Parmi les questions préjudicielles rendues ces dernières semaines (v. par ex. CJUE 13 oct. 2022, Nova Kreditna Banka Maribor, aff. C-405/21, Dalloz actualité, 19 oct. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1853 image), le lecteur aura observé que la place prise par la directive 93/13 sur les clauses abusives est, au moins, importante sinon prédominante. Il n’en reste pas moins que d’autres pans du droit économique de l’Union européenne sont susceptibles de poser des difficultés importantes. C’est le cas notamment de la directive 2011/7 du 16 février 2011 laquelle s’intéresse à « la culture du paiement rapide », et ce afin de « décourager les retards de paiement » (v. dir., consid. 12). Si ce texte s’applique notamment à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales (art. 1er), de nombreuses questions d’interprétation de son champ d’application peuvent se poser, notamment en raison des contrats concernés et de leur antériorité au 16 mars 2013, date limite de transposition possible de la directive 2011/7. Nous allons voir dans quelle mesure l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne le 20 octobre 2022 vient utilement apporter des réponses sur ces interrogations.

Rappelons les faits ayant donné lieu au renvoi préjudiciel. Une personne physique exerce une activité de librairie. Elle acquiert, dans ce cadre, auprès d’une seconde personne physique des livres et d’autres articles de librairie en passant plusieurs commandes successives depuis 2009 (plus d’une centaine). Chaque commande est donc accompagnée de sa propre facture, sans qu’il y ait de contrat-cadre régissant les grandes lignes de cette relation commerciale. Voici que notre libraire ne s’exécute pas spontanément du prix de plusieurs commandes, payant ces dernières après l’échéance convenue contractuellement. Par une requête introduite le 7 mai 2018, le commerçant des produits de librairie, mécontent d’une telle pratique, demande au käräjäoikeus (le tribunal de première instance en Finlande) de condamner son partenaire économique à des indemnités forfaitaires pour les frais de recouvrement engagés à hauteur d’un montant de 5 400 €, ce qui correspond aux 135 factures payées avec retard. Le libraire et son associé reconnaissent les retards de paiement mais ils estiment qu’il existe un « accord tacite » selon lequel le débiteur du prix pouvait s’acquitter des factures « dans un délai raisonnable après leur date d’échéance » et selon lequel le commerçant des produits de librairie s’était engagé à ne pas réclamer des intérêts pour retard de paiement. Le tribunal rejette le recours introduit par le créancier du versement du prix : il expose que les dispositions issues de la loi finlandaise transposant la directive 2011/7 empêchent une clause interdisant le versement d’intérêts pour retard de paiement ou de sommes dues au titre du recouvrement puisque...

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Fixation judiciaire des honoraires d’avocat : attention aux clauses abusives !

Le contentieux des clauses abusives continue d’occuper la jurisprudence en ce début d’automne (v. égal. CJUE 22 sept. 2022, aff. C-335/21, Dalloz actualité, 3 oct. 2022, obs. C. Hélaine). Il faut bien le rappeler : les avocats sont eux aussi concernés par la protection du consommateur contre les clauses abusives notamment dans les conventions d’honoraires qui permettent leur rémunération. Le déséquilibre significatif de l’article L. 212-1 du code de la consommation n’est jamais bien loin et avec lui la possibilité de réputer non écrites des stipulations contractuelles que l’avocat avait placées afin de s’arroger une prérogative unilatérale. L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 27 octobre 2022 en est une brillante illustration et sa publication au Bulletin démontre l’importance de ce croisement entre droit de la consommation et pratique de la fixation d’honoraires.

Voici une personne physique qui confie le 20 mars 2014 la défense de ses intérêts dans une procédure contre son époux à un avocat. Une convention d’honoraires est conclue entre le professionnel du droit et sa cliente prévoyant un forfait non remboursable de 3 500 € toutes taxes comprises dans le cas où la cliente déciderait de dessaisir son conseil et une clause d’indemnité de dédit prévoyant dans le même cas que l’honoraire restant à courir serait dû et plafonné à 3 000 € toutes taxes comprises. La cliente décide toutefois de mettre fin au mandat ad litem par courriel du 6 octobre 2015, situation confirmée par une lettre du 28 décembre 2015. Le 14 avril 2016, elle conteste les honoraires de son avocat afin d’obtenir le remboursement des honoraires déjà versés en saisissant le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris. Le premier président de la cour d’appel de Paris décide de réputer non écrites les deux clauses de dédit que nous avons citées précédemment en raison de leur contradiction et de l’absence de réciprocité d’une telle possibilité pour la cliente. L’avocat se pourvoit en cassation en reprochant à l’ordonnance d’avoir méconnu les pouvoirs appartenant au premier président statuant en matière de fixation judiciaire d’honoraires.

Le problème est intéressant. Le premier président statuant dans le contentieux de la contestation des honoraires d’avocat peut-il (ou même doit-il) se livrer à l’examen des clauses abusives quand aucune des parties n’a soulevé la difficulté ? Pour la deuxième chambre civile, la réponse est positive, sans nuance. Nous allons étudier pourquoi cette jurisprudence mérite l’attention en ce qu’elle confirme une ligne jurisprudentielle déjà élaborée et en ce qu’elle s’inscrit dans un contrôle juridictionnel toujours plus exigeant, même pour les conventions d’honoraires.

De l’application d’une ligne jurisprudentielle rigide en matière de clauses abusives

Dans le paragraphe 7 de son arrêt, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rappelle la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne de 2009 désormais très bien assise dans les différents droits internes (CJCE 4 juin 2009, Panon, aff. C-243/08, Pannon GSM Zrt (Sté) c/ Erzsébet Sustikné Gyorfi (Mme), D. 2009. 2312 image, note G. Poissonnier image ; ibid. 2010. 169, obs. N. Fricero image ; ibid. 790, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud image ; Rev. prat. rec. 2020. 17, chron. A. Raynouard image ; RTD civ. 2009. 684, obs. P. Remy-Corlay image ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais image). On sait que c’est cet arrêt qui...

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Sociétés anonymes, FCPI et prescription : un arrêt aux multiples enseignements

Fin 2006, une société anonyme dont le capital était en partie détenu par des fonds communs de placement dans l’innovation (FCPI) et un fonds commun de placement à risque (FCPR) a eu des difficultés de trésorerie. Le président-directeur général a été révoqué et un nouveau président a été nommé le 15 mai 2007 sans que ce dernier soit actionnaire de la société.

À la suite d’un coup d’accordéon intervenu le 28 juin 2007, des actionnaires minoritaires qui considéraient être victimes d’une stratégie visant à les évincer ont demandé l’annulation de certaines délibérations. Par un arrêt du 7 mai 2019, la cour d’appel de Paris les a déboutés et ils ont alors formé un pourvoi en cassation.

Société de gestion et détention des titres par un FCPI

Les actionnaires minoritaires considéraient que les sociétés de gestion devaient être considérées comme démissionnaires d’office.

L’argument était le suivant. L’article L. 225-25 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 disposait que « chaque administrateur doit être propriétaire d’un nombre d’actions de la société déterminé par les statuts ». Or, en l’espèce, les actions étaient détenues par des fonds communs de placements qui étaient représentés par les sociétés de gestion. Celles-ci ne détenaient donc pas en leur nom propre les titres. La cour d’appel avait cependant jugé qu’« aux termes du pacte d’actionnaires, conclu par les sociétés Omnes capital et Seventure [les sociétés de gestion] agissant en leur nom propre et au nom et pour le compte des fonds dont elles sont la société de gestion, un administrateur est désigné sur la base d’une liste de candidats proposés par la société Seventure et un autre sur la base d’une liste de candidats proposés par la société Omnes capital » et que « c’est en cette qualité de société de gestion des fonds actionnaires et en tant qu’elles exerçaient les prérogatives attachées aux titres détenus par les fonds résultant du pacte d’actionnaires, que les sociétés Omnes capital et Seventure ont siégé au conseil d’administration de la société Glowria ». Ainsi, pour la cour d’appel, les sociétés de gestion « ne siégeant pas en leur nom propre au conseil d’administration, elles n’avaient pas à justifier de leur qualité d’actionnaire ».

Approuvant cette position, la Cour de cassation a jugé que « la société de gestion d’un FCPI désignée administratrice satisfait à cette exigence lorsque le fonds commun de placement qu’elle représente, au sens de l’article L. 214-25 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de la loi n° 2003-706 du 1er août 2003, détient des actions de la société anonyme » (pt 18 de l’arrêt commenté).

Ainsi, la règle est d’une très grande clarté : une société de gestion peut être administratrice d’une société anonyme si les titres que les administrateurs doivent détenir en vertu de l’article L. 225-25 – que cette obligation soit légale ou désormais statutaire depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 – appartiennent à un FCPI qu’elle représente.

Une telle position se comprend aisément mais elle n’était pas certaine avant l’intervention de l’arrêt commenté. En effet, la société de gestion ne détient pas les actions en son nom propre et une lecture stricte de l’article L. 225-25 du code de commerce aurait pu mener la Cour de cassation à juger le contraire.

La Cour a cependant préféré une lecture pragmatique et jugé que la propriété des actions par le FCPI que représente la société de gestion suffit. Une telle solution doit être approuvée. L’on ne voit d’ailleurs pas bien comment un fonds commun de placement aurait pu être nommé...

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[I]Tester in the Dark[/I]

En matière testamentaire, la Cour de cassation est adepte du « formalisme intelligent », un procédé consistant à faire ressortir la finalité poursuivie par une règle de forme afin de préciser les conditions de son application. Le formalisme testamentaire garantit la conformité de l’acte aux dernières volontés du testateur : en l’absence de doute sur cette conformité, la règle de forme peut être assouplie. L’inverse est tout aussi vrai : lorsqu’il ne peut être établi avec certitude que le document reflète les volontés du de cujus, la règle de forme déploie son plein effet. Tel est le cas de l’article 978 du code civil selon lequel « ceux qui ne savent ou ne peuvent lire ne pourront faire de dispositions dans la forme du testament mystique » et dont l’application, assez rare, est l’objet de l’arrêt rendu ce 12 octobre 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

Au cas d’espèce, le 31 juillet 2014 une personne atteinte de la maladie neurodégénérative de Steel Richardson (cécité progressive) avait remis, à un notaire en présence de deux témoins, un testament mystique dactylographié et signé désignant un légataire universel. Dans l’acte de suscription, le notaire avait mentionné que le testament mystique lui avait été remis par « le testateur » qui avait déclaré lui présenter son testament et affirmé en avoir personnellement vérifié le libellé « par la lecture qu’“il” en avait été effectué » (§ 7). La testatrice fut placée sous tutelle en 2015 et décéda quelques mois plus tard, laissant ses frères et sœurs pour lui succéder.

Ceux-ci assignèrent le légataire universel en nullité du testament, arguant notamment de l’affection dont souffrait la testatrice au moment de la rédaction du testament : en raison de la diminution de son acuité visuelle, elle ne pouvait faire de disposition en la forme mystique, en application de l’article 978 du code civil. Le défendeur s’opposa à l’application de ce texte et formula une demande reconventionnelle de conversion par réduction du testament mystique en testament en la forme internationale.

Le 28 janvier 2021, la cour d’appel de Nîmes fit droit à la demande en nullité et rejeta la demande de conversion par réduction, au motif que l’acuité visuelle de la testatrice ne lui permettait pas de lire les caractères dactylographiés, de taille normale, du document qu’elle avait présenté au notaire comme son testament, et qu’aucun élément de l’acte lui-même ou de l’acte de suscription ne l’éclairait sur le procédé technique qui aurait pu permettre à la testatrice de lire son testament.

Le défendeur succombant forma un pourvoi en cassation articulé en deux moyens. Selon le premier moyen (§ 5), les juges du fond ne pouvaient faire droit à la demande en nullité fondée sur l’article 978 du code civil sans constater une impossibilité absolue de la testatrice à lire son testament (branche n° 1). Cela reviendrait à inverser la charge de la preuve en exigeant du défendeur qu’il démontre la possibilité pour la testatrice de lire son testament (branche n° 2). La cassation se justifierait donc pour manque de base légale au regard de l’article 978 du code civil et pour violation de l’article 9 du code de procédure civile.

Selon le second moyen (§ 11), la cour d’appel aurait violé l’article 1er de la loi uniforme annexée à la Convention de Washington du 26 octobre 1973 en ne tirant pas les conséquences de ses propres constatations. En effet, il résultait de ses motifs que l’ensemble des conditions de forme prescrites aux articles 3 à 5 de cette convention avaient été respectées, de sorte que l’acte devrait valoir comme testament en la forme internationale.

La Cour de cassation était donc confrontée à la question de la validité du testament mystique remis par une personne qui, souffrant de la maladie neurodégénérative de Steel Richardson, ne peut pas en lire seule le contenu. Un tel document est-il nul en application de l’article 978 du code civil ? Peut-il...

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Jonction des possessions : le bien est-il resté en dehors de la vente ?

par Camille Dreveau, Maître de conférences, Université de Toursle 7 novembre 2022

Civ. 3e, 19 oct. 2022, F-D, n° 21-19.852

La jonction des possessions

Pour que la prescription acquisitive joue, il n’est pas exigé que la possession soit le fait d’une même personne. Le code civil admet une succession de possesseurs, pourvu que le droit exercé ait été transmis au possesseur par son auteur. Le principe est posé à l’article 2265 du code civil selon lequel « pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu’on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux ». La transmission de la possession accompagne nécessairement la transmission des droits. La Cour de cassation en déduit qu’on ne peut joindre à sa possession celle de son vendeur pour prescrire un bien resté en dehors de la vente (Civ. 3e, 17 avr. 1996, n° 94-15.748 ; 3 oct. 2000, n° 98-20.646 ; 29 sept. 2015, n° 14-16.407, AJDI 2015. 861 image ; 9 juill. 2020, n° 19-14.892, AJDI 2020. 782 image ; RDI 2020. 587, obs. J.-L. Bergel image). Comme le relève un auteur « tout se passe comme si le bénéfice de...

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Chronique CEDH : rapatriement des mères djihadistes et de leurs enfants détenus en Syrie

Rapatriement des mères djihadistes et de leurs enfants détenus en Syrie

Il y a quelques années, de jeunes Français et de jeunes Françaises sont allés rejoindre le califat que Daech avait proclamé dans le nord de la Syrie et de l’Iraq dont l’organisation terroriste internationale s’était assuré le contrôle. Or, à partir de 2017, après la prise de son éphémère capitale Raqqa, le califat s’est à peu près effondré et nombre de ses combattants ont été capturés puis détenus dans des camps situés au Nord-Est de la Syrie où leurs conditions de vie ont été jugées particulièrement indignes par d’influentes ONG. Or, parmi ces prisonniers un peu oubliés de Dieu et presque abandonnés des hommes, se sont trouvées quelques dizaines de jeunes Françaises dont certaines étaient devenues mères depuis leur enrôlement. Les autorités françaises en avaient rapatrié une quinzaine accompagnée de trente-cinq enfants mais elles étaient restées absolument passives et silencieuses à l’égard de beaucoup d’autres. Aussi, dans les affaires H.F. et autres c. France (n° 24384/19, Dalloz actualité, 20 sept. 2020, obs. F. Merloz ; AJDA 2022. 1711 image ; AJ fam. 2022. 461, obs. F. Capelier image) les parents de quelques-unes d’entre elles et grands-parents de leurs enfants détenus avec elles ont-ils mobilisé la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) à leur secours. Le grand public et les médias auront bruyamment relevé que la CEDH, se prononçant en grande chambre en faveur de laquelle une chambre s’était dessaisie eu égard à la gravité des enjeux, avait infligé un cuisant échec à la France en décidant par un arrêt du 14 septembre qu’elle n’avait pas examiné avec des garanties suffisantes contre l’arbitraire les demandes de retour de leurs proches présentées par les requérants et en affirmant sans ménagement qu’il incombait au gouvernement français d’en reprendre l’examen dans les plus brefs délais en l’entourant des garanties appropriées. Tout le monde aura également noté que, à peine plus d’un moins plus tard, le 20 octobre, la France a à nouveau rapatrié une quinzaine de femmes et une quarantaine d’enfants qui vivaient dans les camps du Nord-Est de la Syrie. Qu’un État ayant librement accepté de se soumettre au système européen de garantie collective des droits de l’homme tiennent compte de manière aussi rapide et aussi significative d’un arrêt de la Cour de Strasbourg témoigne d’une approche qui, au-delà des turbulences médiatiques et des postures politiques, mérite d’être saluée particulièrement dans la mesure où elle bénéficie à des enfants vulnérables : des droits l’homme concrets et effectifs ne sont jamais plus précieux que lorsque les temps s’assombrissent. L’épilogue relativement heureux de l’affaire H.F. c. France ne doit pas faire oublier cependant que, si l’on prend le temps de ne pas en rester à la surface médiatique des choses, l’arrêt de grande chambre auquel elle a donné lieu préserve davantage l’intérêt de l’État que celui des personnes mineures ou majeures.

Certes, pour pouvoir examiner la situation des jeunes femmes djihadistes et de leurs enfants retenus dans un État extérieur au Conseil de l’Europe sur lequel l’État défendeur n’exerce aucun contrôle, il n’a pas hésité à étendre l’effet dit extraterritorial de la CEDH en admettant qu’il existait des circonstances particulières permettant d’affirmer qu’ils relevaient de la juridiction de la France au sens de l’article 1er de la Convention européenne des droits de l’homme. En outre, il a transposé la jurisprudence relative à la représentation des personnes extrêmement vulnérables établie par l’arrêt majeur Centre de ressources juridiques pour Valentin Campeanu c. Roumanie du 17 juillet 2004 pour pouvoir admettre la recevabilité des requêtes introduites par leurs parents et grands-parents. Le plus remarquable reste néanmoins que, précisant l’interprétation de l’article 3, § 2, du Protocole n° 4 suivant lequel nul ne peut être privé du droit d’entrer sur le territoire de l’État dont il est le ressortissant, l’arrêt H.F. et autres c. France a hautement affirmé que les requérants n’étaient pas fondés à invoquer le bénéfice d’un droit général au rapatriement au titre du droit d’entrer sur le territoire national garanti par l’article 3, § 2, du Protocole n° 4. Pour justifier ce refus d’une interprétation dynamique de cet article peu connu, la Cour a bien pris soin de prendre note « des préoccupations du Gouvernement défendeur et des gouvernements tiers sur le risque qu’il y aurait, en consacrant un tel droit, d’aboutir à la reconnaissance d’un droit individuel à la protection diplomatique qui irait à l’encontre du droit international et du pouvoir discrétionnaire des États ». Après une sauvegarde aussi énergique du pouvoir discrétionnaire de l’État dans la conduite des relations internationales, l’exigence de garanties suffisantes contre l’arbitraire dans l’examen des demandes de retour, fait figure de compensation concédée in extremis au nom de l’intérêt supérieur des enfants qui étaient nombreux en l’espèce. Compensation qui, en dépit de ces heureuses et récentes retombées pratiques resterait inquiétante d’un point de vue théorique puisque selon deux juges dissidents, elle ouvrirait la voie à des exils non arbitraires alors que l’article 3, § 2, du Protocole n° 4 est censé avoir été écrit pour mettre en œuvre une prohibition absolue de l’exil des nationaux.

Quoi qu’il en soit, ceux qui ne sont jamais en retard d’une approximation pour reprocher à la Cour d’en faire beaucoup trop pour des djihadistes majeures qui ont trouvé en Syrie ce que personne ne leur avait demandé d’aller y chercher, se rassureront à la lecture de l’arrêt Morck Jansen c. Danemark du 18 octobre (n° 60785/19) suivant lequel, après leur rapatriement ou leur retour volontaire, elles peuvent, sans pouvoir compter sur la protection du Protocole n° 4 dont l’article 2 consacre aussi le droit de quitter n’importe quel pays y compris le sien, être condamnées pour s’être rendues pendant la guerre civile dans une zone d’accès limité comme la région d’Al Raqqa.

Des préjugés et des stéréotypes sexistes se retournant contre l’homme veuf

L’arrêt de grande chambre Beeler c. Suisse du 11 octobre 2022 (n° 78630/12, D. 2021. 863, obs. RÉGINE image), rendu après renvoi d’un arrêt de chambre du 20 octobre 2020 qui s’appelait alors B. c. Suisse, a eu à se prononcer sur l’application d’une curieuse disposition du droit suisse selon laquelle l’homme perd sa rente de veuf à la majorité du plus jeune de ses enfants alors que, dans une situation symétrique, la rente est conservée par la veuve. Cette discrimination fondée sur le sexe s’abattant pour une fois sur l’homme trouverait sa justification dans le concept du « mari pourvoyeur » présumant que le mari pourvoit à l’entretien de la femme si bien que, devenu veuf il peut aisément se suffire à lui-même lorsque les enfants volent de leurs propres ailes alors que la veuve reste démunie et peu habile à trouver un emploi. Par une combinaison de l’article 14 avec l’article 8 garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale dans un domaine où d’ordinaire c’est plutôt l’article 1er du Protocole n° 1 consacrant le droit au respect des biens qui sert de levier, la Cour a stigmatisé cette discrimination. Elle l’a fait avec d’autant plus d’éclat qu’elle a affirmé que l’idée invoquée comme justification objective et raisonnable de la différence de traitement frappant les hommes veufs contribue plutôt à perpétuer des préjugés et des stéréotypes concernant la nature et le rôle des femmes au sein de la société et constitue un désavantage tant pour la carrière des femmes que pour la vie familiale des hommes.

Barrage contre la mise en cause des mesures étatiques ordonnées pour lutter contre la covid-19

On sait que la Cour européenne des droits de l’homme a eu à cœur de na pas tarder à se prononcer sur les atteintes aux droits de l’homme que, dans l’urgence et l’impréparation, les mesures sanitaires adoptées par les autorités sanitaires pour endiguer la pandémie de covid-19 étaient susceptibles d’avoir générées. Cependant, à la notable exception de l’arrêt Communauté genevoise d’action syndicale c. Suisse du 15 mars 2022 (n° 21881/20, AJDA 2022. 555 image ; ibid. 1892, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; D. 2022. 1130 image, note M. Afroukh et J.-P. Marguénaud image) constatant que l’interdiction de manifestations publiques pendant la crise sanitaire avait violé l’article 11, elle prend son temps pour s’ériger en censeur des mesures possiblement liberticides mises en œuvre par les États en 2021 et 2022. Cette attitude compréhensive envers les autorités sanitaires s’est encore amplifiée au cours des mois de septembre et octobre. Une première preuve en est fournie par la décision très attendue rendue le 6 octobre dans l’affaire Thévenon c. France (n° 46061/21) portée devant la juridiction internationale au lendemain de l’entrée en vigueur de la loi du 5 août 2021 par un sapeur-pompier qui contestait au regard de l’article 8 de la Convention et de l’article 1er du Protocole n° 1 l’obligation vaccinale qu’elle imposait aux membres de sa profession. Or, sans le moindre assouplissement au regard du particularisme des circonstances, la Cour a implacablement déclaré sa requête irrecevable pour non-épuisement des voies recours internes et s’est même donné la peine de rappeler que l’avis favorable à l’adoption de la loi délivré...

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Saisie pénale de créance inscrite sur un compte bancaire : irrecevabilité de l’appel de la banque

par Cloé Fonteix, Avocat au Barreau de Nicele 10 novembre 2022

Crim. 19 oct. 2022, FS-B, n° 21-86.652

Dans le cadre d’une enquête portant sur des faits de pratiques commerciales trompeuses et escroqueries impliquant des produits pharmaceutiques liés à la pandémie de covid-19, les policiers avaient, comme le leur permet l’article 706-144 du code de procédure pénale, saisi une somme d’environ 900 0000 € figurant au crédit d’un compte ouvert par une société suspectée, avant que cette saisie soit, dans les dix jours, confirmée par le juge des libertés et de la détention. Rappelons qu’aux termes du dernier alinéa de ce texte, « lorsque la saisie porte sur une somme d’argent versée sur un compte ouvert auprès d’un établissement habilité par la loi à tenir des comptes de dépôts, elle s’applique indifféremment à l’ensemble des sommes inscrites au crédit de ce compte au moment de la saisie et à concurrence, le cas échéant, du montant indiqué dans la décision de saisie ». Tant la société (apparemment créancière au vu du montant positif inscrit sur le compte) que la banque (corrélativement débitrice) avaient interjeté appel de cette...

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Les créances non-définitives et la succession acceptée à concurrence de l’actif net

L’acceptation à concurrence de l’actif net constitue une voie médiane de l’option successorale, entre l’acceptation pure et simple et la renonciation (C. civ., art. 768). Malgré les nombreux avantages qu’elle offre à l’héritier (C. civ., art. 791), la pratique notariale est très rétive à s’y engager. La durée et la complexité de la procédure décrite aux articles 787 et suivants du code civil en sont probablement la cause. Rares sont donc les décisions relatives à ce thème, ce qui rend d’autant plus intéressant l’arrêt rendu ce 12 octobre 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation.

Par acte notarié établi le 18 août 2008, la propriétaire d’un immeuble avait consenti un double bail commercial et d’habitation à un couple de commerçants. Les lieux loués étant affectés de plusieurs désordres, les locataires avaient assigné la bailleresse en exécution de travaux et réparation de leurs préjudices. Un jugement rendu le 15 septembre 2014 fit droit à leurs demandes et condamna la bailleresse à faire réaliser les travaux et à payer mensuellement aux occupants une indemnité de jouissance. Cette décision étant revêtue de l’exécution provisoire, la succombante s’était exécutée malgré l’appel qu’elle avait interjeté.

L’appelante décéda au cours de l’instance d’appel, laissant à sa survivance sa fille mineure, qui, par l’intermédiaire de son tuteur, accepta la succession à concurrence de l’actif net par déclaration du 4 avril 2018, publiée deux jours plus tard.

Les intimés assignèrent l’association tutrice en reprise d’instance d’appel mais, par arrêt du 10 septembre 2020, la cour d’appel de Caen déclara toutes leurs demandes irrecevables comme éteintes. Faute...

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Nullité de la clause de reversement de rémunération d’expertise judiciaire

La force de l’intuitu personae inhérent à l’activité d’expert judiciaire est parfaitement identifié en jurisprudence, étant classiquement jugé que les actes effectués en méconnaissance de l’obligation incombant à l’expert d’accomplir personnellement sa mission ne peuvent valoir opération d’expertise (Civ. 2e, 27 avr. 2000, n° 98-13.361 P, D. 2000. 158 image ; JCP 2001. I. 311, n° 8, obs. L. Cadiet ; 7 mai 2002, n° 99-20.676 P ; Civ. 3e, 26 nov. 2008, n°Â 07-20.071 P), la sanction s’imposant alors étant la nullité des actes réalisés (Civ. 3e, 26 nov. 2008, préc.).

En l’espèce, un salarié en qualité de chargé de mission était par ailleurs inscrit sur la liste des experts judiciaires de la cour d’appel de Lyon dans la rubrique incendies. Il était alors stipulé dans son contrat que la rémunération directe ou indirecte des expertises judiciaires qui lui serait versée devrait être intégralement reversée à l’employeur.

Les parties ont signé une convention de rupture conventionnelle, à la suite de laquelle l’employeur a assigné le salarié afin d’obtenir le paiement des sommes correspondant aux expertises en cours au moment de la rupture du contrat.

Les juges du fond firent droit à la demande de l’employeur, de sorte que le salarié, invoquant la nullité de la clause, forma un pourvoi en cassation. La chambre sociale de la Cour de cassation saisie du pourvoi va casser l’arrêt rendu par la cour d’appel au visa des articles 232 et 233 du code de procédure civile.

La distinction de l’expert salarié et de l’expert personne morale précisée

La loi prévoit en effet que le juge peut commettre toute personne de son choix pour l’éclairer par des constatations, par une consultation ou par une expertise sur une question de...

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L’amputation d’un délai pour conclure ne se répare pas par une note en délibéré

Une personne sous curatelle renforcée fait appel, en janvier 2018, d’un jugement ayant rejeté ses demandes concernant la vente d’un bien immobilier dont elle est propriétaire.

L’appelant conclut sur son appel le 17 mai 2019. Il est précisé, pour une bonne compréhension de ces dates, qu’une médiation avait été ordonnée, de sorte que les délais pour conclure ont été interrompus (C. pr. civ., art. 910-4).

L’intimé répond à ces conclusions le 19 août 2019, et forme un appel incident.

Dès avant que les parties ont conclu, et après l’échec de la médiation, le conseiller de la mise en état, par avis du 10 mai 2019, avait arrêté la date de clôture de l’instruction au 5 septembre 2019 pour une audience de plaidoirie prévue au 19 septembre 2019.

La clôture de l’instruction est prononcée, comme annoncé, le 5 septembre 2019, sans que l’appelant ait répondu à l’appel incident de l’intimé, étant précisé que l’appelant a demandé le report après l’ordonnance de clôture.

Autorisé à produire une note en délibéré pour répondre à l’appel incident, l’appelant demande alors à la cour d’appel, par conclusions et par lettre du 8 octobre 2019, de révoquer l’ordonnance de clôture, et de rouvrir les débats. Quelques jours plus tard, elle conclut au fond sur l’appel incident.

La cour d’appel, par arrêt avant dire droit du 15 novembre 2019, rejette la demande de nullité de l’ordonnance de clôture et de rabat de clôture, et rouvre les débats à une audience du 8 janvier 2020.

Sur réouverture, la cour d’appel rend son arrêt sur le fond le 6 novembre 2020.

La Cour de cassation casse l’arrêt avant dire droit, et annule par voie de conséquence l’arrêt sur le fond.

Pour la Cour de cassation, le conseiller de la mise en état ne pouvait prononcer prématurément la clôture de l’instruction, alors que la partie disposait encore d’un temps pour conclure, peu importe qu’elle ait été autorisée à produire une note en délibéré.

Le refus de révoquer l’ordonnance révoquée…

Pour commencer, relevons une étrangeté procédurale.

Après avoir rejeté la demande de révocation – nous n’utiliserons pas le terme « rabat » que le code de procédure ne connaît pas – par arrêt avant dire droit, la cour d’appel renvoie à une prochaine audience pour… « clôture et plaidoirie ».

En d’autres termes, pour la cour d’appel, il s’agissait, à l’audience de renvoi, de prononcer une clôture de l’instruction alors que la précédente ordonnance de clôture est maintenue.

Et l’arrêt sur le fond du 6 novembre 2020 précise effectivement que « la clôture de l’instruction sur l’inscription de faux a été ordonnée le 3 septembre 2020 ». Et la cour d’appel invente ainsi la « clôture partielle sur un chef critiqué », alors que si le code de procédure civile connaît effectivement la clôture partielle, c’est...

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Précisions sur les conditions de désignation d’un mandataire [I]ad hoc[/I] en référé

Les conditions de désignation d’un mandataire ad hoc en référé agitent régulièrement la jurisprudence. L’arrêt commenté apporte, à cet égard, d’utiles précisions.

Le 7 juillet 2016, une ordonnance de référé désignait, à la demande du gérant d’une SARL, un mandataire ad hoc pour représenter l’associée majoritaire, une société, aux assemblées générales de cette SARL ; elle était infirmée par un arrêt de cour d’appel du 18 octobre 2016, rendu en matière de référé. Le 7 février 2020, devant un président de tribunal de commerce, le gérant sollicitait à nouveau, en référé, la désignation d’un mandataire ad hoc pour représenter l’associée majoritaire, ainsi que sa propre désignation comme mandataire ad hoc pour représenter la SARL dans une instance judiciaire. Les deux sociétés opposaient à la première demande l’absence de circonstances nouvelles, à la seconde l’absence de dommage imminent.

Par un arrêt du 20 octobre 2020, une cour d’appel disait n’y avoir lieu à référé s’agissant de la demande de désignation d’un mandataire ad hoc pour représenter la SARL, au motif que la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et la menaçant d’un péril imminent n’était pas rapportée. La cour d’appel déclarait également irrecevable la demande de désignation d’un mandataire ad hoc pour représenter l’associée majoritaire, en l’absence de circonstances nouvelles de nature à entraver le fonctionnement normal des sociétés, ou à les menacer d’un péril imminent.
Dans son pourvoi contre cet arrêt, le gérant soutenait, par un premier moyen, que la désignation d’un mandataire ad hoc en référé est subordonnée à la seule preuve d’un dommage imminent ou d’un trouble illicite. Un second moyen avançait qu’une ordonnance de référé rejetant la désignation d’un mandataire ad hoc peut être rapportée en présence de circonstances nouvelles qui caractérisent un dommage imminent ou un trouble illicite.

Deux questions se posaient alors : d’une part, la désignation d’un mandataire ad hoc en référé suppose-t-elle la preuve de circonstances qui rendent impossible le fonctionnement normal de la société et la menacent d’un péril imminent ? D’autre part, des circonstances nouvelles du même ordre sont-elles requises pour rapporter un arrêt, rendu en matière de référé, qui rejette une demande de désignation d’un mandataire ad hoc ?

La Cour de cassation répond par la négative à la première question, et casse l’arrêt de cour d’appel au visa de l’article 873, alinéa 1er, code de procédure civile : celle-ci avait ajouté aux conditions de ce texte en refusant de désigner un mandataire ad hoc, à défaut de fonctionnement anormal de la société et de péril imminent. La Cour de cassation apporte également une réponse négative à la seconde question, et casse l’arrêt attaqué au visa des articles 488, alinéa 2, et 873, alinéa 1er, du code de procédure civile. Il résulte de la combinaison de ces textes qu’une ordonnance de référé rejetant la désignation d’un mandataire ad hoc peut être rapportée si des circonstances nouvelles caractérisent l’existence d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite. Par une telle décision, la Cour de cassation préserve les règles propres à la procédure de référé, et réactive la distinction entre mandataire ad hoc et administrateur provisoire.

Préservation des règles propres à la procédure de référé

L’arrêt commenté empêche le gauchissement, au nom de considérations substantielles, des conditions du référé de l’article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile et impose le respect de ces dernières, tant pour la désignation du mandataire ad hoc que pour le rapport de l’ordonnance qui rejette une telle désignation.

L’article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile attribue au président du tribunal de...

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Droit à une audience collégiale [I]versus[/I] loyauté : victoire du premier sur la seconde

Un arrêt rendu le 20 octobre 2022 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation est très intéressant en ce qu’il traite, pour la première fois, semble-t-il, du moment auquel peut être demandé le renvoi en audience collégiale, afin que les débats ne soient pas tenus devant un juge unique. La Cour de cassation regarde ce droit d’un œil bienveillant, au point de le faire primer sur le principe de loyauté.

Une caisse d’assurance vieillesse ayant décerné une contrainte pour avoir paiement de cotisations et majorations de retard à une de ces cotisantes, celle-ci forme opposition devant une juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale – à l’époque une juridiction de la sécurité sociale (sans doute un tribunal des affaires de sécurité sociale [TASS] devenu un tribunal de grande instance spécialement désigné [TGISD]).

Le tribunal valide cette contrainte et la cotisante interjette appel.

Devant la cour, les parties sont avisées par ordonnance de fixation que l’affaire est inscrite au rôle d’une audience devant le « magistrat rapporteur ». La cotisante accuse réception de cette ordonnance. Elle « transmet » (ou plutôt, produit et communique) des pièces et conclusions la veille de l’audience.

Le jour de cette audience, la caisse demande que ces pièces et conclusions soient écartées des débats. En réponse, l’appelante demande le renvoi en audience collégiale. Celui-ci lui est refusé, l’audience se déroule alors devant le juge unique.

La cour d’appel rend un arrêt par lequel, notamment, elle rejette la demande de renvoi en audience collégiale, comme se heurtant au principe de loyauté des débats, et confirme le jugement quant à la validité de la contrainte.

La cotisante se pourvoit en cassation et critique l’arrêt par quatre moyens : seul le deuxième fait l’objet d’une décision spécialement motivée.

La cotisante estime en effet « qu’en matière de procédure orale, le refus d’une partie d’être entendue à juge unique et son souhait de renvoi à l’audience collégiale peuvent être présentés au jour de l’audience ; qu’en ayant jugé le contraire, aux motifs inopérants du dépôt d’un calendrier de procédure, de la nécessité de respecter le contradictoire et du principe de loyauté des débats, quand la collégialité est de droit pour une partie qui doit expressément y renoncer, ce qu’elle peut parfaitement refuser de faire le jour de l’audience, la cour d’appel a violé l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, ensemble l’article 945-1 du code de procédure civile ».

La Cour de cassation casse l’arrêt dans toutes ses dispositions au visa du seul article 945-1, qu’elle interprète : « 5. Il résulte de ce texte que si le magistrat chargé du rapport peut tenir seul l’audience, c’est à la double condition de constater que les avocats ou les personnes qui ont qualité pour présenter des observations orales ne s’y opposent pas et d’entendre les plaidoiries ». En refusant la demande de renvoi, « alors que l’opposition des parties à la tenue de l’audience devant un juge rapporteur peut être présentée le jour même de l’audience et qu’une partie ne peut être privée de son droit à ce que l’affaire l’opposant à son adversaire soit débattue contradictoirement en audience collégiale, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

La demande de renvoi en audience collégiale

Rappelons que, en matière de sécurité sociale, la procédure est sans représentation obligatoire – c’est vrai avant et après la réforme Belloubet : elle obéit donc aux articles 931 à 949 du code de procédure civile, qui s’ajoutent aux articles 446-1 à 446-4 du code de procédure civile, contenant les dispositions générales à la procédure orale (sur cette procédure, v. J.-L. Gallet et E. de Leiris, La procédure civile devant la cour d’appel, LexisNexis, 4e éd., 2018, nos 462 s. ; D. d’Ambra, Droit et pratique de l’appel, Dalloz coll. « Référence », 2021/2022, 4e éd. 2021, nos 22.00 s. ; P. Gerbay et N. Gerbay, Guide du procès civil en appel 2021/2022, LexisNexis 2020, nos 1351 s. ; C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile, 36e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, nos 1791 s.)

Rappelons aussi que le conseiller chargé, le cas échéant, de la mise en état est le magistrat chargé d’instruire l’affaire (art. 939). C’est lui que l’article 945-1 investit de la possibilité, « si les parties ne s’y opposent pas » de « tenir seul l’audience pour entendre seul les plaidoiries », auquel cas « il en rend compte à la cour dans son délibéré ».

Le texte est le décalque de l’article 805 (anc. art. 786) qui offre cette même faculté « au juge de la mise en état ou au juge chargé du rapport » devant le tribunal judiciaire en procédure écrite ordinaire (anc. procédure TGI). La Cour de cassation avait déjà jugé, à propos de cet article 786, « qu’il résulte de ce texte que si le juge de la mise en état ou le magistrat charge du rapport peut tenir seul l’audience, c’est à la double condition de constater que les avocats ne s’y opposent pas et d’entendre les plaidoiries » (Civ. 2e, 14 déc. 1978, n° 77-12.166 P). L’attendu de principe de 2022 reprend celui de l’arrêt...

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Garantie des obligations de l’employeur par un tiers : compétence dans l’Union

Une personne domiciliée en Allemagne travaillait pour le compte d’une société ayant son siège au Canada. Les parties décidèrent de « transférer » le contrat au bénéfice d’une société filiale de droit suisse qui devait être créée, avec une démarche en deux temps : elles résilièrent le contrat de travail puis un nouveau contrat de travail fut conclu, trois mois plus tard, avec la société suisse, constituée dans l’intervalle. Le jour de la signature de ce nouveau contrat, le salarié et la société canadienne signèrent un second contrat stipulant que cette dernière était tenue envers le salarié des obligations découlant du contrat de travail conclu avec la société suisse.

Cinq mois plus tard, le licenciement fut prononcé.

C’est dans ces circonstances sans doute peu banales que l’arrêt de la Cour de justice du 20 octobre 2022 s’insère.

Le salarié a saisi le juge allemand contre la société canadienne au titre de la garantie, qu’elle a fournie, d’assumer les obligations issues du contrat de travail conclu avec la société suisse.

La difficulté était alors de déterminer si ce juge allemand pouvait se déclarer compétent à l’égard de la société canadienne pour statuer sur la contestation du licenciement prononcé par la société suisse, en application des dispositions du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

Pour la clarté du propos, rappelons que ce règlement prévoit que :
- Article 6 : « 1. Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État membre, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État membre, sous réserve de l’application de l’article 18, paragraphe 1, de l’article 21, paragraphe 2, et des articles 24 et 25. (….) » ;
- Article 21 : « 1. Un employeur domicilié sur le territoire d’un État membre peut être attrait : a) devant les juridictions de l’État membre où il a son domicile ; ou b) dans un autre État membre : i) devant la juridiction du lieu où ou à partir duquel le travailleur accomplit habituellement son travail ou devant la juridiction du dernier lieu où il a accompli habituellement son travail ; ou ii) lorsque le travailleur n’accomplit pas ou n’a pas accompli...

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De l’importance du calcul de la durée des mesures psychiatriques sans consentement

L’activité des soins psychiatriques sans consentement a été plutôt discrète depuis le début de l’été. La dernière décision publiée rendue par la première chambre civile remontait, en effet, au mois de juillet (v. Civ. 1re, 6 juill. 2022, n° 20-50.040 F-B, Dalloz actualité, 16 sept. 2022, obs. C. Hélaine). Le 26 octobre 2022, la Cour de cassation a livré quatre décisions en matière de soins psychiatriques sans consentement pour combler cette attente. Aujourd’hui, nous analyserons les pourvois n° 21-50.045 et n° 20-22.827 qui ont comme trait caractéristique de s’intéresser aux durées des mesures, point névralgique des hospitalisations sous contrainte du code de la santé publique. Rappelons les faits pour mieux s’en convaincre. Dans l’affaire n° 21-50.045, une personne est admise en soins psychiatriques sans consentement par décision du représentant de l’État dans le département sur le fondement de l’article L. 3213-1 du code de la santé publique. L’hospitalisation ayant débuté le 5 février 2016 se poursuit jusqu’au 8 août 2019. À compter de cette date, l’hospitalisation complète est commuée en programme de soins. Le 2 novembre 2020, voici notre intéressé admis à nouveau en hospitalisation complète sans consentement. Une ordonnance du 10 novembre 2020 a autorisé la poursuite de la mesure et un arrêté du 30 novembre suivant a maintenu cette mesure pour une durée de six mois à compter du 4 décembre 2020. Le 21 avril 2021, le représentant de l’État a saisi le juge des libertés et de la détention pour prolonger la mesure et ce sur le fondement de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique. En cause d’appel, la décision retient la mainlevée de la mesure puisque la décision de réadmission en hospitalisation complète (depuis le programme de soins) du 2 novembre ayant une durée d’un mois, le maintien pour la journée du lendemain de l’expiration du délai n’était pas justifié (soit le 3 déc. 2020). L’arrêté ne pouvait pas maintenir la...

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La décision accueillant une demande de délivrance d’un legs d’une somme d’argent ne constitue pas un titre exécutoire

par Frédéric Kieffer, Avocat, Président d’honneur de l’AAPPE, Chargé d’enseignement à l’université Côte d’Azurle 9 novembre 2022

Civ. 1re, 21 sept. 2022, FS-B, n° 19-22.693

L’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution est assez précis puisqu’il dispose que :

Seuls constituent des titres exécutoires :
1° Les décisions des juridictions de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif lorsqu’elles ont force exécutoire, ainsi que les accords auxquels ces juridictions ont conféré force exécutoire ;
2° Les actes et les jugements étrangers ainsi que les sentences arbitrales déclarés exécutoires par une décision non susceptible d’un recours suspensif d’exécution, sans préjudice des dispositions du droit de l’Union européenne applicables ;
3° Les extraits de procès-verbaux de conciliation signés par le juge et les parties ;
4° Les actes notariés revêtus de la formule exécutoire ;
4° bis Les accords par lesquels les époux consentent mutuellement à leur divorce ou à leur séparation de corps par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposés au rang des minutes d’un notaire selon les modalités prévues à l’article 229-1 du code civil ;
5° Le titre délivré par l’huissier de justice en cas de non-paiement d’un chèque ou en cas d’accord entre le créancier et le débiteur dans les conditions prévues à l’article L. 125-1 ;
6° Les titres délivrés par les personnes morales de droit public qualifiés comme tels par la loi, ou les décisions auxquelles la loi attache les effets d’un jugement ;
7° Les transactions et les actes constatant un accord issu d’une médiation, d’une conciliation ou d’une procédure participative, lorsqu’ils sont contresignés par les avocats de chacune des parties et revêtus de la formule exécutoire par le greffe de la juridiction compétente.

Pourtant, les hésitations sont encore trop nombreuses et il n’est pas rare que la Cour de cassation soit invitée à se prononcer sur la qualité de titre exécutoire susceptible de permettre l’exercice d’une voie d’exécution.

Ainsi elle a rappelé que le simple constat d’une créance dans une procédure collective ne permettait pas l’exécution forcée...

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Application par le Conseil d’État des nouvelles règles d’exportation des gamètes … selon les circonstances

Jusqu’à présent, le Conseil d’État s’est plutôt montré rétif à admettre de telles demandes (v. pour le rejet de demandes portant sur des gamètes : CE 13 juin 2018, n° 421333, AJDA 2018. 2278 image ; D. 2019. 725, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; 4 déc. 2018, n° 425446, D. 2019. 725, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; AJ fam. 2019. 64, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; 28 déc. 2021, n° 456966, ou sur des déplacements d’embryons : 24 janv. 2020, n° 437328, D. 2021. 657, obs. P. Hilt image ; AJ fam. 2020. 88, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RTD civ. 2020. 355, obs. A.-M. Leroyer image). La porte n’a cependant pas été fermée pour admettre de telles demandes d’exportation, le Conseil d’État ayant, dans un arrêt remarqué du 31 mai 2016, autorisé une demande d’exportation de gamètes vers l’Espagne en vue d’une insémination artificielle post mortem, pourtant interdite en France, sur le fondement du droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme et dans le cadre d’un contrôle de proportionnalité, au vu des circonstances particulières de l’espèce démontrant, selon lui, une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par ladite Convention (CE 31 mai 2016, n° 396848, Dalloz actualité, 2 juin 2016, obs. M.-C. de Montecler ; Lebon avec les conclusions image ; AJDA 2016. 1092 image ; ibid. 1398 image, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet image ; D. 2016. 1470, obs. M.-C. de Montecler image ; ibid. 1472, note H. Fulchiron image ; ibid. 1477, note B. Haftel image ; ibid. 2017. 729, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 781, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 935, obs. RÉGINE image ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2016. 439, obs. C. Siffrein-Blanc image ; ibid. 360, obs. A. Dionisi-Peyrusse image ; RFDA 2016. 740, concl. A. Bretonneau image ; ibid. 754, note P. Delvolvé image ; RTD civ. 2016. 578, obs. P. Deumier image ; ibid. 600, obs. J. Hauser image ; ibid. 802, obs. J.-P. Marguénaud image ; ibid. 834, obs. J. Hauser image ; RTD eur. 2017. 319, obs. D. Ritleng image).

Les deux affaires rapportées, jugées en référé, mettent à nouveau en cause des demandes d’exportation de gamètes, d’ovocytes plus précisément, vers l’Espagne, mais cette fois sous l’angle des dispositions issues de la loi du 2 août 2021 relative à la bioéthique et du décret d’application du 28 septembre 2021 fixant les conditions de prise en charge des parcours d’AMP, ce qui leur confère un intérêt particulier. Cela dit, la démarche du Conseil d’État reste la même que dans sa jurisprudence antérieure. Il admet la compatibilité des nouvelles dispositions avec l’article 8 de la convention précitée mais se réserve le pouvoir de les appliquer ou non, selon les circonstances, sous couvert d’un contrôle de proportionnalité.

Ce que voulaient les femmes dont les ovocytes sont conservés en France

Dans les deux affaires, les faits sont identiques. Dans chaque cas, une femme, de nationalité française, âgée de plus de quarante-cinq ans, avait procédé, l’une en 2015, l’autre en 2017, à un dépôt, pour motif médical à l’époque, de ses ovocytes à un centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS), en vue de la réalisation ultérieure d’une AMP. L’Agence de la biomédecine (ABM) avait cependant rejeté, le 11 août 2022, la demande présentée par cet établissement d’autorisation de l’exportation des ovocytes vers un établissement situé en Espagne au motif que la limite d’âge de quarante-cinq ans fixée par les dispositions de l’article R. 2141-38 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant du décret du 28 septembre 2021 était dépassée. C’est sur l’appel dirigé contre les deux ordonnances rendues le 8 septembre...

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L’absence de conclusions comportant les prétentions au fond est la source d’une caducité de la déclaration d’appel

Chacun sait désormais que l’appelant doit, dans le délai de trois mois suivant sa déclaration d’appel, remettre ses « conclusions » au greffe (C. pr. civ., art. 908) ; il doit également les notifier à l’intimé dans ce même délai, qui peut toutefois être augmenté d’un mois si celui-ci n’a pas constitué avocat au jour de la remise des conclusions au greffe (C. pr. civ., art. 911). Mais reste à déterminer ce qu’il faut entendre par ce terme de « conclusions ». Les textes ne sont pas muets sur la question et fournissent quelques indications. Ces écritures sont « celles, adressées à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l’objet du litige » (C. pr. civ., art. 910-1) ; elles « comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l’énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions » (C. pr. civ., art. 954). Le dispositif des écritures doit naturellement comprendre les prétentions des parties sur le fond (C. pr. civ., art. 954) ; mais il doit également y être sollicité l’infirmation ou l’annulation de tout ou partie du jugement (Civ. 2e, 1er juill. 2021, n° 20-10.694 P, Dalloz actualité, 23 juill. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1337 image ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2021. 505, obs. J. Casey image ; 20 mai 2021, n° 19-22.316 P, Dalloz actualité, 4 juin 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1217 image, note M. Barba image ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2021. 317, édito. V. Avena-Robardet image ; ibid. 381, édito. V. Avena-Robardet image ; 20 mai 2021, n° 20-13.210 P, Dalloz actualité, 4 juin 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2021. 1217 image, note M. Barba image ; AJ fam. 2021. 317, édito. V. Avena-Robardet image ; ibid. 381, édito. V. Avena-Robardet image ; 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; D. 2020. 2046 image, note M. Barba image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne image ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet image ; D. avocats 2020. 448 et les obs. image ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et A. Provansal image ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol image).

Lorsque des manquements rédactionnels sont constatés, la Cour de cassation adopte deux points de vue. D’un côté, décide-t-elle, la cour d’appel, ne pouvant statuer que sur les prétentions récapitulées dans un dispositif (C. pr. civ., art. 954), si le dispositif n’en contient aucune, la cour ne peut logiquement, sauf à statuer ultra petita, que confirmer le jugement (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 20-13.210 P ; 17 sept. 2020, n° 18-23.626 P, préc.). Mais, d’un autre côté, sans que cela soit rationnellement incompatible avec cette première analyse, la Cour de cassation décide que si les écritures ne comportent pas de telles prétentions, elles ne valent pas conclusions ; pour ainsi dire, elles ne peuvent pas même être qualifiées de « conclusions ». Ce glissement n’est pas sans conséquences pratiques. Parce que les écritures ne peuvent pas être qualifiées de conclusions, la caducité de la déclaration d’appel peut être prononcée dès lors que les écritures ne comportent aucune prétention au fond (Civ. 2e, 9 sept. 2021, n° 20-17.263 P, Dalloz actualité, 24 sept. 2021, obs. R. Laffly ; D. 2021. 1848 image, note M. Barba image ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero image ; 31 janv. 2019, n° 18-10.983 NP, D. 2020. 576, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2019. 180, obs. M. Jean image) ou qui tend à l’infirmation ou à l’annulation du jugement (Civ. 2e, 29 sept. 2022, n° 21-14.681 P, D. 2022. 1756 image ; 9 juin 2022, n° 20-22.588 P, Dalloz actualité, 16 sept. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 1160 image ; 4 nov. 2021, n° 20-15.757 P, Dalloz actualité, 18 nov. 2021, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 96 image, note M. Barba image ; ibid. 625, obs. N. Fricero image ; Rev. prat. rec. 2021. 7, chron. F. Kieffer, R. Laher et O. Salati image) ; elles n’auraient aucune existence et, dans la rigueur des principes, le juge ne devrait pas même avoir à en rappeler le contenu dans son jugement (C. pr. civ., art. 455)… Cette logique n’est pas propre à la rédaction des conclusions. On la retrouve, sous une forme comparable, en matière de notification des conclusions d’appel : le simple dépôt des conclusions au siège de l’intimé entraîne la caducité de la déclaration d’appel sans même qu’il y ait lieu de rechercher si l’intimé justifie d’un grief (Civ. 2e, 9 janv. 2020, n° 18-21.331 NP) ; en revanche, une fois que la qualification de notification est retenue, il n’est plus possible, même si elle est irrégulière, de prononcer la caducité la déclaration d’appel sans avoir préalablement constaté la nullité la notification (Civ. 2e, 4 nov. 2021, n° 20-13.568 P, Dalloz actualité, 19...

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L’interdiction faite au tiers propriétaire d’accéder au dossier d’instruction est conforme à la Constitution

La question posée au Conseil constitutionnel portait sur le dernier alinéa de l’article 99 du code de la procédure pénale prévoyant qu’en cas d’appel de l’ordonnance du juge d’instruction statuant sur la restitution de biens placés sous main de justice « Le tiers peut, au même titre que les parties, être entendu par la chambre d’accusation en ses observations, mais il ne peut prétendre à la mise à sa disposition de la procédure ». Effectivement, la requérante reprochait à cette disposition d’interdire aux tiers à l’information judiciaire d’accéder au dossier de la procédure, compliquant ainsi l’exercice du recours en contestation de l’ordonnance du juge d’instruction refusant la restitution d’un bien saisi. Selon elle, il résulterait de cette interdiction, une méconnaissance du droit à un procès équitable, du principe du contradictoire et du droit à l’exercice d’un recours juridictionnel effectif garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Recontextualisation des événements précédant la question

Un rapprochement entre cette question et la saga législative et jurisprudentielle concernant les droits du tiers propriétaire peut être effectué. En effet, à plusieurs reprises le législateur (notamment avec la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière), la chambre criminelle et le Conseil constitutionnel sont venus préciser l’étendue des droits du tiers propriétaire dont le bien aurait fait l’objet d’une saisie ou d’une confiscation. La chambre criminelle a, en effet, précisé qu’en matière de saisie pénale spéciale, la chambre de l’instruction « qui, pour justifier d’une telle mesure, s’appuie sur une ou des pièces précisément identifiées de la procédure est tenue de s’assurer que celles-ci ont été communiquées à la partie appelante » (Crim. 13 juin 2018, n° 17-83.893, Dalloz actualité, 6 juill. 2018, obs C. Fonteix ; D. 2018. 2259, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, S. Mirabail et E. Tricoire image ; AJ pénal 2018. 426, obs. O. Violeau image). Ce faisant, la chambre criminelle a cherché à garantir un équilibre entre le droit à un recours effectif, d’une part, et le secret de l’instruction à l’égard des tiers, d’autre part, bien que la précision selon laquelle la chambre de l’instruction doit s’être appuyée sur des pièces « précisément identifiées » pour les communiquer semble restreindre les hypothèses de communication.

Plus récemment, notamment à l’occasion des décisions du 23 avril 2021 (Cons. const. 23 avr. 2021, n° 2021-899 QPC, Dalloz actualité, 10 mai 2021, obs. D. Goetz ; AJ pénal 2021. 323, obs. J. Hennebois image) et du 23 septembre 2021 (Cons. const. 23 sept. 2021, n° 2021-932 QPC, Dalloz actualité, 29 sept. 2021, obs. D. Goetz ; AJDA 2022. 39 image, note J. Roux image ; D. 2021. 1721 image ; ibid. 2109, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S....

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Un magistrat ne cesse ses anciennes fonctions qu’à compter de son installation dans les nouvelles

À quelle date doit être fixée la prise de fonctions d’un magistrat ? C’est à cette question, en apparence simple, qu’a répondu la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 26 octobre 2022. Ce qui fait difficulté est que, avant d’exercer de nouvelles fonctions, un magistrat est nommé par décret publié au Journal officiel puis installé au cours d’une audience solennelle de la juridiction à laquelle il est nommé ou rattaché, autant d’événements susceptibles, en théorie, de matérialiser la cessation des anciennes fonctions.

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, un magistrat, exerçant à Douai, avait été nommé procureur général près la cour d’appel d’Aix-en-Provence par décret du Président de la République du 2 décembre 2019, publié au Journal officiel le 4 décembre 2019 ; il avait finalement été installé dans ses fonctions au cours d’une audience s’étant tenue le 2 janvier 2020. Mais, le 6 décembre 2019, il avait saisi le conseil régional de discipline des barreaux du ressort de la...

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La contestation de la composition de la juridiction en l’absence d’audience

L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 20 octobre 2022 donne l’occasion de revenir sur le problème de la recevabilité des contestations relatives à la composition d’une juridiction.

L’affaire avait débuté de manière assez banale : un arrêt d’une cour d’appel avait été cassé et l’affaire avait été renvoyée devant la même cour d’appel autrement composée, conformément aux exigences de l’article L. 431-4 du code de l’organisation judiciaire. Mais, et c’est là l’originalité, l’un des magistrats qui composaient la juridiction dont l’arrêt avait été cassé figurait parmi les membres de la juridiction de renvoi et, ne s’en étant vraisemblablement pas aperçu, il ne s’était pas fait remplacé. Il y avait là une violation manifeste de la règle exprimée par l’article L. 431-4 du code de l’organisation judiciaire qui paraissait rendre inévitable la censure de l’arrêt ainsi rendu (C. pr. civ., art. 430). Et, si les exigences relatives à l’impartialité pouvaient à l’évidence être mobilisées (Soc. 23 juin 2021, n° 19-15.249, inédit), la deuxième chambre civile n’a pas jugé cela nécessaire.

Mais c’était sans compter sur les règles qui organisent les contestations relatives à la composition de la juridiction : l’article 430, alinéa 2, du code de procédure civile indique ainsi que « les...

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Panorama rapide de l’actualité « civile » de la semaine du 14 novembre 2022

Autorité parentale

Résidence de l’enfant – Modalités du droit de visite

Par application de l’article 379 alinéa 3 du Code civil, lorsque la résidence de l’enfant est fixée au domicile de l’un des parents, le juge aux affaires familiales statue sur les modalités du droit de visite de l’autre parent, lequel peut prendre dans l’intérêt de l’enfant, la forme d’un droit de visite simple sans hébergement. N’est donc pas cassé l’arrêt d’appel qui a jugé que « (le demandeur) ne rapportait pas la preuve d’avoir été empêché d’exercer son droit de visite et d’hébergement et ne prétendait d’ailleurs pas même avoir tenté de le faire, que l’adolescente avait expliqué ne plus vouloir rencontrer son père dans la mesure où des visites récentes, exercées après plusieurs années sans rencontre, se seraient mal passées et que les modalités d’un droit de visite simple étaient adaptées à une reprise de contact en l’état d’une longue interruption des séjours de (l’enfant) auprès de son père ». (Civ. 1re, 16 nov. 2022, n° 21-11.528, F-B)

Successions

Modalité du rapport d’une donation avec charge

Pour déterminer le montant du rapport d’une donation avec charge payable au jour de la donation, la valeur de l’émolument net ne peut s’établir que par déduction du montant de la charge grevant la donation et ce sans réévaluation préalable de celle-ci au jour du partage par application de l’article 860 du code civil. (Civ. 1re, 16 nov. 2022, n° 21-11.837, FS-B)

Usufruit

Pouvoirs de l’usufruitier

L’usufruitier étant seulement titulaire du droit de jouir de la chose comme le propriétaire, il ne peut pas en cette seule qualité exercer l’action en garantie décennale que la loi attache à la propriété de l’ouvrage et non à sa jouissance. Par le jeu combiné des articles 1134 et 1147 antérieurs à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l’usufruitier n’ayant pas qualité pour agir sur le fondement de la garantie décennale peut néanmoins agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle de droit commun en réparation des dommages causés par la mauvaise exécution des contrats conclus pour la construction de l’ouvrage, y compris de dommages affectant ce dernier. (Civ. 3e, 16 nov. 2022, n° 21-23.505, FS-B)

Protection des victimes de violences

Ordonnance de protection – Exception de...

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Concentration des prétentions et procédure collective, maîtres du suspense

Soupçons

Même s’ils en ignoraient encore les contours exacts à lecture du décret du 6 mai 2017, les avocats avaient raison d’être soupçonneux en découvrant l’article 910-4 du code de procédure civile. L’arrêt du 20 octobre 2022 permet d’en découvrir une nouvelle facette.

Le 18 octobre 2018, le tribunal de commerce de Paris condamne une société, sous astreinte de 1 000 € par jour de retard et par véhicule manquant, à restituer à une compagnie d’assurances des véhicules qu’elle détenait en exécution d’un contrat signé entre elles puis résilié en raison d’impayés. Le 29 janvier 2019, une procédure de sauvegarde est ouverte à l’égard de cette société par le tribunal de commerce d’Antibes et, par décision du juge de l’exécution du 5 mars 2019, l’astreinte est liquidée à hauteur de 920 000 €. La société relève appel du jugement et, le 1er avril 2021, la cour d’appel d’Aix-en-Provence liquide l’astreinte prononcée par le tribunal de commerce et fixe à la somme de 920 000 € la créance de la compagnie d’assurances à la procédure collective. La société demanderesse au pourvoi soutenait, au côté de ses mandataire judiciaire et administrateur judiciaire, une violation de l’article 910-4 du code de procédure civile par la cour qui avait jugé recevables les prétentions de la compagnie d’assurance alors que celle-ci avait déposé des conclusions sollicitant la confirmation du jugement dont appel puis, dans de nouvelles conclusions notifiées au-delà du délai imparti pour conclure à peine d’irrecevabilité, la fixation de sa créance au passif. Pour les juges d’appel, cette demande tendait à la même prétention que celle initialement formulée et était parfaitement recevable. Mais reprenant le visa de l’article 910-4, la deuxième chambre civile casse et annule l’arrêt en ce qu’il a fixé la créance dans la procédure collective :

« 5. Selon ce texte, à peine d’irrecevabilité, relevée d’office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l’ensemble de leurs prétentions sur le fond. Néanmoins, et sans préjudice de l’alinéa 2 de l’article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l’intervention d’un tiers ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.

6. Pour fixer à la somme de 920 000 euros la créance de la société Allianz Iard dans la procédure collective de la société Demax, l’arrêt retient que dans des conclusions du 24 février 2020, la société Allianz Iard sollicitait la confirmation du jugement frappé d’appel, ce qui emportait condamnation financière de la société Demax alors que la procédure collective la concernant a été ouverte le 29 janvier 2019, mais qu’avant que la cour ne statue, dans ses dernières écritures du 21 octobre 2020, elle a opportunément ajusté sa demande pour solliciter uniquement la fixation de la créance dans la procédure collective, ce qui tend à la même prétention que celle initialement formulée, sauf à tenir compte de l’élément juridique nouveau et en déduit que l’irrecevabilité ne sera pas retenue.

7. En statuant ainsi, alors que la demande de fixation de la créance de la société Allianz Iard constituait une prétention, qu’elle n’était pas destinée à répliquer aux conclusions de l’appelant ni à faire juger une question née, postérieurement aux premières conclusions, de la révélation d’un fait, la procédure collective et la déclaration de créance de la société Allianz Iard étant antérieures aux premières conclusions déposées par celle-ci, la cour d’appel, qui ne pouvait que déclarer irrecevable cette prétention, a violé le texte susvisé ».

Sueurs froides

La découverte d’un arrêt débouche parfois sur un moment de flottement, voire d’inquiétude, lorsque la règle de procédure civile dégagée, et publiée, conduit à une sanction à première vue difficilement imaginable ; elle engage le présent, comme le passé et l’avenir.

Un (trop) rapide aller-retour entre les moyens et la solution de cet arrêt n’invite pas à la sérénité tant on aurait tôt fait de comprendre que la partie qui ignore la procédure collective de son adversaire en appel en présentant une demande de condamnation puis, en un prolongement ou mouvement naturel, une fixation au passif dans son dispositif, encourt l’irrecevabilité de sa prétention. On pense immédiatement aux si nombreux dossiers d’appel en cours dans lesquels les premiers délais pour conclure sont expirés et à ceux à venir dans lesquels les parties apprendront le placement en procédure collective de l’une d’elles. Jusque-là, elles avaient l’habitude d’ajuster leurs écritures en fonction de cette situation juridique nouvelle, selon le terme même de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Sans suspense aucun, on basculait alors d’une demande de condamnation à une demande de fixation de la créance au passif de la procédure collective. Avec cet arrêt, la nuance est de mise.

La solution de la deuxième chambre civile doit s’appréhender au regard d’une situation d’espèce précise, née d’une procédure collective prononcée en première instance et non à hauteur d’appel. Il faut ici se reporter à l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, aux dates des précédentes décisions et des évènements, notamment de procédure collective, pour comprendre la solution. Mais si entre confirmation, condamnation, fixation, concentration des prétentions, tout finit par...

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Film [I]12 jours[/I] : pas de violation du secret médical à filmer les audiences de contrôle des soins psychiatriques sans consentement

Le film 12 jours, du photographe et documentariste Raymond Depardon, avait été tourné dans les locaux de l’hôpital Le Vinatier à Lyon, en 2016. L’auteur avait reçu l’autorisation de planter sa caméra au sein même de la salle d’audience de l’établissement afin de filmer les débats devant le juge des libertés et de la détention pour le contrôle de légalité des mesures de soins psychiatriques sans consentement. Les protagonistes de ces audiences, malades y inclus, étaient filmés sans floutage du visage mais sans que leur nom soit jamais mentionné.

L’un des malades filmés à l’occasion de ce film avait, quelque temps après la sortie de celui-ci, engagé une procédure au plein contentieux contre l’établissement hospitalier. En première instance, la demande avait été rejetée par le tribunal administratif de Lyon comme portée devant une juridiction incompétente. En cause d’appel, la cour administrative d’appel de Lyon a annulé cette décision et s’est reconnue compétente. Elle a néanmoins rejeté les demandes d’indemnisation présentées par le malade.

Un tournage réalisé dans le respect de la volonté du malade

Le malade recherchait la responsabilité pour faute du centre hospitalier. Il soutenait que le directeur de l’hôpital avait commis une telle faute en autorisant que des séquences soient filmées et diffusées et en ne s’assurant pas que son anonymat soit préservé, ni que le secret médical ne soit pas méconnu à l’occasion du documentaire ainsi réalisé. À ses arguments, la cour administrative d’appel répondait que « le directeur du centre hospitalier n’a autorisé […] à réaliser le documentaire dans les locaux de l’hôpital, que sous réserve de l’obtention des autorisations individuelles de chaque personne devant être filmée, photographiée ou interviewée, ainsi que de l’absence de mention de leur nom, sauf autorisation expresse des intéressés ». Elle estimait ainsi que « l’hôpital a pris les mesures suffisantes pour s’assurer de la sauvegarde de son anonymat, dans le respect de sa volonté » car le malade avait lui-même donné son autorisation écrite expresse à être filmé pour le documentaire et à la...

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Erreur sur la désignation d’une partie dans les conclusions d’appel, la cour de cassation fixe l’objectif

Le 18 septembre 2020, la société Les Maisons Bibal interjette appel d’une ordonnance de référé ayant rejeté sa demande tendant à voir déclarer communes et opposables à la société SMABTP, en sa qualité d’assureur de la société ID Construction, des opérations d’expertise en cours. L’appelante fait signifier, par deux fois, ses conclusions dans le délai d’un mois de la réception de l’avis de fixation à bref délai à la société SMABTP, assureur de la société Vendôme Ravalement. Observant que les conclusions signifiées visaient en en-tête la société SMABTP « assureur de la société Vendôme Ravalement » au lieu de la société SMABTP « assureur de la société ID Construction » mentionnée comme telle dans des conclusions n° 3 mais au-delà du délai imparti pour conclure, la cour d’appel d’Orléans, selon arrêt du 10 mars 2021, juge caduque la déclaration d’appel. La deuxième chambre civile casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt et renvoie les parties devant la cour d’appel de Versailles au visa des articles 905-2 et 911 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales en apportant la solution suivante :

« 3. Selon le premier de ces textes, l’appelant dispose, à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office par ordonnance du président de la chambre saisie ou du magistrat désigné par le premier président, d’un délai d’un mois à compter de la réception de l’avis de fixation de l’affaire à bref délai pour remettre ses conclusions au greffe.
4. Il résulte du second que sous la sanction prévue à l’article 905-2, ces conclusions sont notifiées dans le délai de leur remise au greffe ou, aux parties qui n’ont pas constitué avocat, au plus tard dans le mois suivant l’expiration du délai prévu à ce même article.
5. Pour déclarer caduc l’appel formé par la société Les Maisons Batibal, l’arrêt relève qu’un avis de fixation de l’affaire à bref délai lui a été adressé le 7 octobre 2020, qu’elle a établi des conclusions, en tête desquelles il est mentionné qu’elles ont été signifiées le 4 novembre 2020 à la « SMABTP Assureur de la SARL Vendôme Ravalement », qu’elle a signifié, le 6 novembre 2020, de nouvelles conclusions portant le même intitulé et qu’à l’expiration du délai d’un mois suivant l’avis de fixation à bref délai, l’appel était donc caduc à l’encontre de la SMABTP en qualité d’assureur d’ID construction.
6. En statuant ainsi, alors que l’erreur manifeste, affectant uniquement la première page des conclusions, en considération de l’objet du litige, tel que déterminé par les prétentions des parties devant les juges du fond, de la déclaration d’appel qui mentionne en qualité d’intimé la SMABTP en qualité d’assureur d’ID construction et du contenu des premières conclusions d’appel déposées qui fait bien référence à la qualité d’assureur de la société ID construction, n’était pas de nature à entraîner la caducité de la déclaration d’appel, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Si l’on s’intéresse d’emblée aux visas de cet arrêt publié au Bulletin, les deux premiers, propres à la procédure à bref délai et à la signification des conclusions à la partie non constituée, n’étonneront pas. La surprise proviendrait plutôt d’une absence, celle de l’article 115 du code de procédure civile invoqué d’ailleurs par le demandeur au pourvoi qui arguait d’une simple nullité de forme alors qu’une régularisation ultérieure était intervenue. Elle viendra aussi du dernier fondement tant la Cour de cassation n’avait pas nécessité d’avoir recours à l’article 6 de la Convention pour censurer l’arrêt déféré. Mais reconnaissons-le, quand il n’est pas écarté, un tel visa assoit une solution et marque les esprits. Après avoir posé les jalons procéduraux de l’appel en livrant, parfois, une interprétation restrictive et hyperbolique des textes spécifiques aux conclusions (la date du 17 sept. 2020 restera en mémoire…), la deuxième chambre civile donne ces derniers temps des signes d’espoirs aux avocats ; l’accès au juge et le droit au procès équitable n’y sont bien évidemment pas étrangers.

Objectif lune, objectif nul

Nullité de forme VS caducité, obligation de soulever le moyen in limine litis VS possibilité de s’en emparer à tout moment, démonstration d’un grief VS absence de grief, régularisation presque à tout moment VS régularisation dans le délai pour conclure, interruption du délai de forclusion VS absence d’interruption. On comprend tout l’enjeu pour l’intimé d’aller chercher une caducité plutôt qu’une nullité s’il veut décrocher la lune. Car si, éludant la nullité, l’arrêt de ne le dit pas, c’est bien cela dont il s’agit : l’erreur qui affecte l’acte de procédure notifié par l’appelant, et en l’espèce ses conclusions, peut-elle entraîner sa nullité ou la caducité de la déclaration d’appel ? Les deux bien sûr, alternativement, et même, on le verra, cumulativement !

Mais tout...

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Revendication d’un bien absent du patrimoine du débiteur à l’ouverture de la procédure : incompétence du juge de la faillite !

La connaissance de la situation patrimoniale du débiteur sous procédure collective est essentielle, puisque d’elle, dépend le périmètre des biens soumis à l’effet réel de la procédure collective. Pour cela, l’identification des biens et droits dont le débiteur est propriétaire au jour du jugement d’ouverture de la procédure est nécessaire. Or, cette détermination implique un tri, au sein de l’actif apparent du débiteur, entre les biens qui lui appartiennent effectivement et ceux dont il n’est que détenteur précaire et qui sont donc susceptibles d’être revendiqués par des tiers (F. Pérochon et alii, Entreprises en difficulté, 11e éd., LGDJ, 2022, n° 2907). Le « tri » évoqué s’incarne alors dans cette action en revendication.

Le contexte de l’arrêt

La demande de revendication doit être faite dans un délai de trois mois après la publication du jugement d’ouverture de la procédure et concerne tous les biens qui existent en nature (C. com., art. L. 624-9).

Il surgit immédiatement de cette règle une interrogation : à quel moment l’existence en nature du bien doit-elle s’apprécier ? La réponse à cette question est fournie, d’une part, par la jurisprudence et, d’autre part, par les textes.

D’une part, la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de juger que lorsque le bien n’est pas dans le patrimoine apparent du débiteur au jour de l’ouverture de sa procédure collective, il ne peut exister « en nature » au sens de l’article L. 624-16 du code de commerce (Com. 4 mai 2017, n° 15-14.065 NP). D’autre part, d’une façon plus spécifique, le deuxième alinéa de l’article précité indique que peuvent être revendiqués, s’ils se retrouvent en nature au moment de l’ouverture de la procédure, les biens vendus avec une clause de réserve de propriété.

Du reste, il faut déduire de ce qui précède que la procédure prévue au Livre VI du code de commerce concernant la revendication des biens meubles corporels ne concerne que les droits acquis sur la propriété avant le jugement d’ouverture de la procédure collective.

À tout le moins, c’est également ce que rappelle l’arrêt sous commentaire.

Déjà intéressante sous cet aspect, la décision va en réalité plus loin, car elle apporte, de surcroît, des précisions quant à la compétence du juge saisi d’une action en revendication portant sur des droits acquis postérieurement au jugement d’ouverture de la procédure collective.

Les faits de l’arrêt

En l’espèce, une société a été mise en redressement judiciaire le 31 mai 2017. Pendant la période d’observation, durant les mois de septembre et décembre 2017, la société débitrice a commandé des outillages à une autre société qui les a vendus sous clause de réserve de propriété. La livraison des biens a eu lieu fin février 2018.

Par la suite, le 1er juin 2018, un jugement a arrêté le plan de cession de la débitrice et a prononcé sa liquidation judiciaire. Quelques jours plus tard, le vendeur sous réserve de propriété a revendiqué les matériels auprès du liquidateur qui a refusé d’acquiescer à cette demande. Le 30 juillet 2019, la société venderesse a saisi le juge-commissaire qui s’est déclaré incompétent. Elle a formé opposition à l’encontre de cette décision et a, par la suite, interjeté appel de celle statuant sur l’opposition et confirmant la position du premier juge.

Le vendeur sous réserve de propriété sera plus heureux en appel ! En effet, pour déclarer le juge-commissaire compétent, et sur opposition, le tribunal de la procédure collective, les juges d’appel ont retenu que les dispositions relatives à la revendication des biens meubles n’excluent pas l’hypothèse d’une revendication dont la cause est née durant la période d’observation. En outre, la cour d’appel a également indiqué que les effets de la clause de réserve de propriété relevaient de la juridiction de la procédure collective, laquelle, aux termes de l’article R. 662-3 du code de commerce, connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires.

Le liquidateur de la société débitrice forme un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

Selon le demandeur, l’action en revendication d’un bien meuble exercée en vertu d’une créance née postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective, assortie d’une clause de réserve de propriété sur le bien revendiqué, devait être soumise au droit commun et ne pouvait être exercée, en conséquence, que devant le juge du droit commun, et non devant le juge de la procédure collective.

La Cour de cassation est séduite par l’analyse et casse l’arrêt d’appel au visa des articles L. 624-9, L. 624-16 et R. 662-3 du code de commerce.

La solution

Pour la Haute juridiction, il résulte de la combinaison des textes susvisés que le juge-commissaire n’est compétent pour connaître de la revendication des biens mobiliers que lorsque le demandeur se prévaut d’un droit de propriété né antérieurement à l’ouverture de la procédure collective. Au contraire, la revendication d’un droit de propriété né postérieurement à celle-ci relève de l’application des dispositions du code civil.

Par conséquent, les juges du fond ne pouvaient...

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Les limites du pouvoir juridictionnel du juge de la contestation sérieuse de créance

La problématique de la vérification des créances constitue indéniablement l’un des contentieux les plus importants du droit des entreprises en difficulté. Aussi la jurisprudence a-t-elle souvent l’occasion de se prononcer sur l’étendue des pouvoirs reconnus au juge-commissaire dans le cadre de la procédure de vérification des créances. Si l’arrêt sous commentaire s’inscrit dans ce mouvement jurisprudentiel, il le dépasse néanmoins en apportant d’intéressantes précisions sur les conséquences procédurales du régime des décisions du juge-commissaire.

Commençons par rappeler les quelques règles gouvernant la matière.

Bref tour d’horizon des décisions du juge-commissaire

L’éventail des décisions susceptibles d’être rendues par le juge-commissaire en matière de vérification des créances est prévu à l’article L. 624-2 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 et applicable en l’espèce.

Le texte prévoyait qu’« au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances ou constate soit qu’une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence ».

Aux côtés de ce texte, la jurisprudence est venue quelque peu affiner le domaine des décisions susceptibles d’être prises par le juge-commissaire. Ainsi a-t-elle ajouté à l’hypothèse du constat d’une discussion relevant de la compétence d’une autre juridiction, celui d’une discussion traduisant un défaut de pouvoir juridictionnel du juge-commissaire, ce qui sera, par la suite, repris par l’ordonnance du 12 mars 2014.

À n’en pas douter, cette variété de décision du juge-commissaire est de loin la plus problématique et la difficulté est d’abord sémantique : que devons-nous entendre par « dépassement de l’office juridictionnel » du juge-commissaire ?

D’une façon générale, si le juge-commissaire va pouvoir statuer sur toutes les discussions intéressant les créances déclarées, il n’en demeure pas moins qu’il ne peut notamment statuer s’il s’élève devant lui une contestation sérieuse portant sur l’existence et le montant de la créance. C’est dans ce dernier cas qu’il dépasserait son office juridictionnel, car théoriquement le juge-commissaire ne peut statuer qu’en tant que « juge de l’évidence », à la façon du juge des référés. Ainsi a-t-il été jugé que le juge-commissaire commettrait un excès de pouvoir s’il tranchait une contestation échappant à ses prérogatives et relevant du seul pouvoir juridictionnel du juge du fond (v. par ex. Com. 12 avr. 2005, n° 03-17.207 NP).

En réalité, et en présence d’une contestation sérieuse portant sur l’existence et le montant de la créance, le juge-commissaire doit surseoir à statuer sur l’admission de la créance et inviter les parties à saisir le juge compétent pour que soit tranchée la contestation sérieuse (Com. 28 janv. 2014, n° 12-35.048 P, Dalloz actualité, 12 févr. 2014, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2014. 863, obs. A. Martin-Serf image ; 8 avr. 2015, n° 14-11.230 NP), peu important à cet égard que la partie invitée par le juge-commissaire à saisir la juridiction adéquate ne soit pas celle qui ait effectivement procédé à la saisine (Com. 2 mars 2022, n° 20-21.712 P, Dalloz actualité, 24 mars 2022, note B. Ferrari ; D. 2022. 460 image ; ibid. 1675, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli image ; RTD com. 2022. 377, obs. A. Martin-Serf image).

À ce stade, peut alors se poser la question de connaître l’office exact du juge de la contestation sérieuse, et ce, notamment quant à la régularité de la déclaration de créance ou quant à son admission ou à son rejet. Ces discussions relèvent-elles du juge de la vérification du passif ou bien du juge de la contestation sérieuse de créance ? C’est à cette interrogation que répond l’arrêt ici rapporté.

Les faits de l’arrêt

En l’espèce, une banque a consenti à une société un prêt. Les 3 novembre 2008 et 23 janvier 2011, la société a été...

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Des précisions sur le point de départ de l’action dans le cadre d’un référé visant à faire cesser le trouble résultant d’une contrefaçon.

Traditionnellement, un débat perdure sur la définition du point de départ de l’action en contrefaçon lorsque cette dernière est constituée par la mise à disposition non autorisée de l’œuvre de sorte qu’elle s’étale dans le temps.

Une partie de la doctrine considère que dans ce cas, la contrefaçon s’analyse en délit continu de sorte que le point de départ de la prescription ne peut commencer à courir tant que la contrefaçon perdure (« tant que l’exploitation litigieuse se poursuit avec la maîtrise du contrefacteur ou de ses complices, la prescription n’a pas commencé à courir », M. Vivant et J.-M. Bruguière, Droit d’auteur et Droits Voisins, 4e éd., Dalloz, coll. « Précis », n° 1151, p. 1117).

Une autre partie de la doctrine s’appuie sur une lecture littérale de l’article 2224 du code civil. Le point de départ est celui du « jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (C. civ., art. 2224) sans distinguer selon que la contrefaçon s’étale ou non dans le temps (J.-C. Caron, Droit d’auteur et droits voisins,...

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[I]Exequatur[/I] : quelle est la juridiction compétente ?

Deux personnes saisissent le président d’un tribunal judiciaire d’une demande d’exequatur d’une décision gabonaise, dans le cadre de la procédure accélérée au fond.

Ce président déclare la demande irrecevable au motif que seul le tribunal judiciaire à juge unique peut connaître d’une telle demande.

Cette solution semble, au premier abord, devoir s’imposer compte tenu des termes de l’article R. 212-8 du code de l’organisation judiciaire : « Le tribunal judiciaire connaît à juge unique : (…) 2° Des demandes en reconnaissance et en exequatur des décisions judiciaires et actes publics étrangers (…) ».

Toutefois, cette analyse est à l’évidence erronée car ce texte général n’a pas vocation à s’appliquer en l’espèce.

S’agissant d’une décision gabonaise, il y a en effet lieu de mettre en œuvre les dispositions de la convention franco-gabonaise d’aide mutuelle judiciaire, d’exequatur des jugements et d’extradition du 23 juillet 1963, dont...

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Citer suffit !

Une partie, condamnée, fait appel devant la cour d’appel de Paris.

La déclaration d’appel est signifiée au domicile de l’intimé qui ne constitue pas.

Cependant, l’appelant omet de signifier les conclusions à l’intimé, de sorte que l’arrêt d’appel, infirmatif, est rendu sur le fondement des seules conclusions remises par l’appelant, et dont l’intimé n’a pas eu connaissance faute de notification.

Sur pourvoi, la Cour de cassation rejette le moyen selon lequel il appartenait à la cour d’appel de s’assurer que les conclusions avaient été notifiées à l’intimé, et de relever la caducité de la déclaration d’appel si l’appelant n’a pas notifié les conclusions comme le prévoit l’article 911.

Citation et signification de la déclaration d’appel

Par sa déclaration d’appel, l’appelant saisit la cour d’appel.

Cependant, dans les procédures ordinaires, avec ou sans désignation d’un conseiller de la mise en état, cet acte de procédure a besoin d’être consolidé, pour éviter sa caducité.

Pour ce faire, l’appelant est tenu de procéder à certaines diligences procédurales que sont la signification de la déclaration d’appel (C. pr. civ., art. 905-1 et 902), la remise des conclusions au greffe de la cour d’appel (C. pr. civ., art. 905-2 et 908), et la notification des conclusions remises à la partie ou à son avocat (C. pr. civ., art. 911).

La signification d’appel, prévue à l’article 902 pour le circuit ordinaire avec désignation d’un conseiller de la mise en état, et à l’article 905-1 pour le circuit court, constitue la citation, comme l’a récemment précisé la Cour de cassation (Civ. 2e, 24 mars 2022, n° 19-25.033 P, AJ fam. 2022. 243, obs. F. Eudier et D. d’Ambra image).

La signification des conclusions à l’intimé défaillant, qui ne vaut pas citation, n’a donc pas à contenir de mentions particulières, et il en résulte qu’il dépendra des modalités de remise de l’acte de signification de la déclaration d’appel pour que le jugement soit rendu par défaut ou contradictoirement.

Si la pratique s’est ainsi mise en place, rien n’oblige l’appelant à signifier les conclusions en même temps qu’il signifie sa déclaration d’appel à l’intimé n’ayant pas constitué avocat.

En l’espèce, l’appelant avait bien signifié sa déclaration d’appel, comme le souligne la Cour de cassation. Et sur ce point, l’arrêt est intéressant en ce qu’il précise qu’« il appartient à la cour d’appel de vérifier que la partie non comparante a été régulièrement appelée », ce qui érige cette diligence procédurale en une obligation, la cour d’appel devant s’assurer qu’elle a été effectuée.

Toutefois, et il s’agit nécessairement d’une erreur de la part de l’appelant, n’ayant aucun intérêt à ne pas effectuer cette...

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Prise en charge des enfants intersexes : les bonnes pratiques sont posées

L’arrêté du 15 novembre 2022 fixant les règles de bonnes pratiques de prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital s’inscrit dans la mise en œuvre de la loi de bioéthique du 2 août 2021 et plus précisément de l’article L. 2131-6 du code de la santé publique. L’un des apports de cette loi est d’amorcer une prise en charge médicale efficace de ces enfants appelés aussi « intersexués » en prévoyant notamment leur prise en charge par « les centres de référence des maladies rares spécialisés ». Cet arrêté était très attendu et mérite une grande attention. Il vient en effet non seulement poser les fondements d’une prise en charge optimale et égalitaire de ces enfants mais également les protéger, au moins pendant leurs premières années, des opérations mutilantes dénuées de toute finalité médicale.

Prise en charge par une équipe médicale experte

La première partie de l’arrêté, consacrée à la prise en charge initiale de l’enfant, est très importante. Auparavant, cette prise en charge relevait du hasard du lieu de la naissance. Désormais, le texte prévoit que « tout enfant présentant une variation marquée du développement génital est pris en charge et bénéficie d’un bilan réalisé par une équipe médicale experte en centre de référence ou centre de compétences DEV-GEN (Développement génital du fœtus à l’adulte) et CMERCD (Maladies endocriniennes de la croissance et du développement) de la filière de maladies rares endocriniennes (FIRENDO) ».

Le centre expert doit informer les parents ainsi que l’enfant, selon son degré de maturité, sur la suspicion de variation du développement génital ainsi que des prochaines étapes de la prise en charge, notamment le déroulement du bilan et l’établissement d’une proposition de prise en charge à l’issue d’une concertation pluridisciplinaire nationale. Ces informations sont ensuite confirmées par écrit. L’équipe du centre expert propose également sans délai la mise en place d’un accompagnement psychologique de l’enfant et de ses parents.

L’équipe propose aux parents d’être accompagnés par une personne qu’ils auront choisie notamment parmi l’équipe soignante, le monde associatif ou leurs proches. Cette personne, qui n’est pas le médecin en charge de l’enfant, est désignée comme personne-ressource et a pour rôle de faciliter la compréhension des informations médicales par les parents. Le centre expert met par ailleurs à la disposition de l’enfant et de ses parents une liste à jour d’associations spécialisées dans l’accompagnement des personnes présentant des variations du développement génital et de leurs parents.

Diagnostic de variation du développement génital suspecté en période prénatale

L’arrêté évoque aussi le cas...

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Conclusions en appel, il va falloir maintenant imprimer !

La forme des conclusions en appel est une histoire d’impression. D’impression de sévérité souvent pour les avocats. De fausses impressions parfois pour les cours d’appel. Dans le délai imparti par l’article 909 du code de procédure civile, une partie intimée notifie ses conclusions au fond formant appel incident. Le corps des conclusions mentionnant « plaise à la cour » mais le dispositif précisant « il est demandé au conseiller de la mise en état », ce dernier les déclare d’office irrecevables. Sur déféré, la cour d’appel de Versailles approuve la sanction dès lors que seul le dispositif doit être pris en considération, que les conclusions ont donc été adressées au conseiller de la mise en état, l’indication de la cour dans les écritures ne pouvant permettre de corriger le dispositif. Le moyen avancé reprochait à la cour d’avoir ajouté à la loi en estimant qu’elle n’était pas saisie alors qu’il était constant que les conclusions avaient été notifiées dans le délai imparti en dépit d’une référence erronée au conseiller de la mise en état et qu’elle avait ainsi commis une violation des articles 909 et 910-1 du code de procédure civile. Au visa de cette seule disposition, la deuxième chambre civile juge :

Vu l’article 910-1 du code de procédure civile :

« 6. Aux termes de ce texte, les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 sont celles, adressées à la cour, qui sont remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l’objet du litige.

7. Pour déclarer d’office irrecevables toutes conclusions que pourrait déposer l’intimée postérieurement au 11 septembre 2020, l’arrêt retient qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile, seul le dispositif des conclusions doit être pris en considération, que [le dispositif des] conclusions signifiées par l’intimée, qui mentionne “il est demandé au conseiller de la mise en état”, est adressé au conseiller de la mise en état, et que l’indication “plaise à la cour”, dans le corps des écritures, ne peut permettre de le corriger, de sorte que, les règles de procédure civile étant édictées afin de garantir aux parties, dans un cadre de sécurité juridique, un procès équitable, les conclusions de l’intimée du 11 septembre 2020 ne saisissent pas la cour d’appel et, le délai pour conclure n’ayant pas été suspendu, l’intimée n’a pas conclu dans le délai qui lui était imparti.

8. En statuant ainsi, alors que les conclusions au fond de Mme [G] contenaient une demande de réformation partielle du jugement ainsi que des prétentions et moyens sur le fond, et lui avaient été transmises par le RPVA, selon les exigences requises, la cour d’appel, qui en était saisie quand bien même elles comportaient une référence erronée au conseiller de la mise en état, et qui ne pouvait que les déclarer recevables, a violé le texte susvisé ».

Palimpseste

On efface tout et on recommence ! Pour imprimer, on recommence depuis le début, déjà, pour rappeler qu’il faudrait peut-être en finir avec le psychodrame du dispositif des conclusions d’appel qui, s’il est le lieu impératif des prétentions, n’est pas non plus un sanctuaire qui, à la moindre erreur, entraîne avec lui une catastrophe. Ce qui est demandé aux parties c’est qu’elles présentent, dès leur premier délai pour conclure (C. pr. civ., art. 910-4), l’ensemble de leurs prétentions sur le fond au dispositif de leurs conclusions. Mais la mention d’éléments extrinsèques au dispositif n’emporte, bien heureusement, aucune sanction.

Pourquoi ? Revenons au bon sens : il faut un texte. Si la Cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif, c’est bien parce que l’article 954, alinéa 3, du code de procédure civile le prévoit tandis que l’heure n’est pas (encore) à sanctionner la présence d’une formulation qui n’a pas lieu d’être. C’est par exemple la demande d’une partie qui n’est pas une prétention. Ainsi, si le dispositif n’est pas le lieu des « donner acte » ou « constater » et que tous les autres termes, du même acabit, qui sont des prétentions dans le langage commun ne le sont pas dans celui, juridique, de la Cour de cassation, aucune sanction ne s’attache à leur présence au dispositif si la partie en tire une conséquence et formule ensuite une prétention. La Cour n’aura pas à s’y référer, mais elle aura à statuer sur les prétentions qui s’y trouvent. C’est le mode alternatif, et non cumulatif, qui est sanctionné.

La formulation peut encore être redondante, superflue ou superfétatoire, elle n’engage pas en elle-même de sanction. Prenons des exemples courants. Rien n’oblige, au dispositif des conclusions, à préciser les fondements juridiques ou le visa de la jurisprudence comme on le voit souvent. Mais ce n’est pas pour autant que cette présence conduit à une sanction de caducité ou...

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Le contentieux « Google Ads » devant le juge des référés

Cet arrêt est une sorte de « faux jumeau » des décisions Amadeus et Gibmedia de l’Autorité de la concurrence (Aut. conc., déc. 19-MC-01 du 31 janv. 2019 relative à une demande de mesures conservatoires de la société Amadeus ; déc. 19-D-26 du 19 déc. 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la publicité en ligne liée aux recherches, RTD com. 2020, chr., p. 806 et s., obs. E. Claudel ; Concurrences, n° 2-2020, art. n° 94661, p. 87, note M. Cartapanis).

Dans ces deux précédentes affaires, l’Autorité de la concurrence avait statué sur les plaintes d’entreprises ayant recours aux services de référencement payants de Google (Google Ads, anciennement Google Adwords). À la différence des affaires « européennes » et notamment de la première d’entre elles, l’affaire Google Shopping, ces affaires françaises avaient la particularité de ne pas impliquer des pratiques dites de self-preferencing (ou d’auto-préférence) par lesquelles Google auraient cherché à avantager ses propres services au détriment de ceux de ses clients. Le contentieux portait plutôt sur le point de savoir si Google avait adopté un comportement discriminatoire dans la définition puis dans l’application des règles d’utilisation de ses services. Or cette difficulté est épineuse car elle invite le juge ou l’autorité de concurrence à tracer la ligne de partage entre ce qui relève de l’exercice légitime d’une prérogative contractuelle permettant à Google de contrôler le comportement des utilisateurs de ses services et l’exercice abusif d’une telle prérogative. Les affaires Amadeus et Gibmedia avaient permis de dégager d’utiles critères dans l’analyse de la licéité de cette prérogative. On en tirait comme enseignement que celle-ci doit s’exercer selon les trois conditions habituelles d’objectivité, de transparence et de non-discrimination, dégagées de longue date en droit des ententes verticales.

La présente affaire pose des difficultés comparables à deux différences près qui seront décisives. D’abord, l’action est portée devant le juge des référés. Ensuite, à la différence des plaignantes des affaires Amadeus et Gibmedia, les demanderesses n’exploitent pas...

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Assurance : une loi Lemoine à l’application contrastée

Le rapport des députés Stéphane Vojetta et Philippe Naillet (apparentés Renaissance et PS) ne vise pas à évaluer la loi : c’est un rapport d’application qui se donne pour objectif de faire le point six mois après sa promulgation. Il s’agit d’un état des lieux partiel, certaines dispositions n’étant d’ailleurs entrées en vigueur que le 1er septembre dernier.

La résiliation infra-annuelle de l’assurance emprunteur

La mesure phare de la loi Lemoine était de permettre un droit de résiliation infra-annuelle (RIA) de l’assurance emprunteur. L’arrêté du 27 mai 2022 a été pris avant le 1er juin 2022, date d’entrée en vigueur de la disposition pour les nouveaux contrats (le flux). Pour les contrats en cours (le stock), la mesure est en vigueur depuis le 1er septembre.

Patricia Lemoine s’était inquiétée, dans une lettre adressée au Comité consultatif du secteur financier, « des mesures dilatoires de certains établissements bancaires sur la mise en place de la RIA ». La Fédération bancaire de France et les services du ministère de l’Économie ont rassuré les rapporteurs : « les parties auditionnées concordent pour reconnaître que les banques et les assureurs traditionnels ont, de manière quasi systématique et sans exception notable, correctement mis en place les procédures et adaptations technologiques nécessaires à l’application de la loi ».

Toutefois, la hausse rapide des taux d’intérêts due au contexte économique, fait que, pour l’instant, les rapporteurs n’ont pu observer de substitution en faveur des assureurs alternatifs.

L’élargissement du droit à l’oubli

L’article 9 a prévu un droit à l’oubli pour les pathologies cancéreuses et l’hépatite C à compter de cinq ans après la fin du protocole thérapeutique. Il prévoyait également l’ouverture de négociation pour élargir ce droit, sous la menace d’un décret. Aucun décret n’a été pris, mais les négociations ont avancé sur l’hépatite C et le VIH.

Depuis le 1er octobre, le VIH est passé de la partie 2 de la grille AERAS à la partie 1, ce qui supprime les surprimes et les exclusions de garantie. Un nouveau seuil a également été mis en place pour bénéficier de la grille de référence (420 000 € au lieu de 320 000 €).

Pour élargir le droit à l’oubli à d’autres pathologies, il faudra des études. Elles porteront notamment d’ici 2024 sur les épilepsies, les cancers dits « de bon pronostic », l’insuffisance rénale, les hémophilies A et B, la maladie de Von Willebrand et l’incapacité de travail et d’invalidité.

La suppression du questionnaire de santé

Initialement non présente dans la proposition de loi, la suppression du questionnaire de santé pour les prêts inférieurs à 200 000 € est venue du Sénat. Pour les rapporteurs, elle a conduit à une augmentation des primes d’assurance des assureurs alternatifs : les services du ministère des finances évaluent cette hausse aux alentours de 20 à 25 %, ces assureurs ne pouvant « pas s’appuyer sur une forte mutualisation contrairement aux assureurs groupes ». Cette augmentation ne se constate pas dans tous les établissements.

Le ministère s’est également aperçu d’un bug législatif : la rédaction de l’article 10 fait que cette suppression n’est pas applicable aux contrats d’assurance régis par le code de la mutualité. Le gouvernement a voulu déposer un amendement à un projet de loi cet été, mais il a été considéré comme un cavalier législatif. « Même si aucun assureur mutualiste ne s’est prévalu de ce vide juridique pour ne pas appliquer la loi », un autre véhicule législatif est recherché.

« Paroles et paroles et paroles »…

Une SCI fait appel d’un jugement d’orientation ayant ordonné la vente forcée de l’immeuble dont elle est propriétaire.

En application de l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution, l’appel relève de droit de la procédure à jour fixe, ce qui a son importance car c’est probablement pour cette raison que la question de procédure s’est posée en ces termes.

L’appelant omet de demander l’infirmation ou l’annulation dans ses conclusions. Mais l’intimé attend l’audience de plaidoirie pour soulever oralement la difficulté et demander en conséquence à la cour d’appel de confirmer le jugement, n’étant saisie d’aucune prétention.

La cour d’appel retient l’argument, et confirme le jugement.

L’arrêt est cassé.

« La parole a beaucoup plus de force pour persuader que l’écriture »

Inspiré par cette citation de Descartes, l’intimé avait attendu la plaidoirie pour sortir son moyen de procédure qu’il avait pris soin de ne pas dévoiler dans ses écritures. Mais, nous rappelle la Cour de cassation, en appel, dans les procédures avec représentation obligatoire, l’objet du litige est déterminé par les prétentions des parties, lesquelles prétentions, ainsi que les moyens, sont formulées dans des conclusions (écrites).

Il en résulte que le juge, tenu par l’objet du litige, ne peut tenir compte de l’argumentation développée oralement si elle n’est pas contenue dans les conclusions.

Cet arrêt rappelle opportunément la place de la plaidoirie dans les procédures écrites, à savoir que la parole de l’avocat est circonscrite par les conclusions. Et cela se comprend d’autant plus qu’il existe très souvent en appel, ne serait-ce que pour une question de territorialité de la postulation (L. n° 71-1130 du 31 déc. 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 5, al. 2), une dualité dans la représentation et l’assistance, l’avocat ayant « la charge de la plaidoirie » n’étant pas nécessairement celui auquel a été confié le mandat de représentation.

Et, faut-il le rappeler, seul l’avocat investi de ce mandat de représentation accomplit les actes de la procédure au nom de la partie qu’il représente (C. pr. civ., art. 411), l’avocat dont le mandat est l’assistance ne pouvant engager la partie (C. pr. civ., art. 412).

En l’espèce, les parties étaient effectivement représentées par un avocat qui n’était pas celui chargé de la plaidoirie, et ce n’est pas l’avocat postulant mais l’avocat plaidant qui avait développé oralement ce nouveau moyen de procédure. Pour cette seule raison, en tout état de cause, l’avocat entendu oralement ne pouvait pas former la moindre prétention ni présenter des moyens qui auraient engagé la partie.

Nous pourrions nous interroger pour quelle raison l’intimé avait attendu l’audience pour se prévaloir de ce moyen de procédure a priori imparable. Manifestement, il s’agissait d’un choix délibéré de ne pas conclure sur ce point.

En effet, s’agissant d’une procédure à jour fixe, sans clôture de l’instruction, et sans délai pour conclure, l’intimé redoutait vraisemblablement une régularisation avant l’audience s’il se dévoilait trop tôt.

La possible régularisation de l’absence de demande d’infirmation en procédure à jour fixe ?

En procédure ordinaire, il semble acquis que l’appelant qui a omis de demander l’annulation ou la réformation dans son délai pour conclure ne peut plus le faire passé son délai pour conclure. En va-t-il autrement en procédure à jour fixe ?

Il ne faut pas oublier que le jour fixe sur jugement d’orientation, tout comme le jour fixe sur appel compétence, reste un jour fixe comme un autre (Civ. 2e, 4 mars 2021, n° 19-24.293, Dalloz...

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Intelligence artificielle : une proposition de directive sur la responsabilité civile extracontractuelle

Loin de faire l’unanimité, la proposition de directive sur l’intelligence artificielle (IA) – publiée le 28 septembre 2022 – revisite la responsabilité pour faute en l’aménageant par des présomptions, lesquelles pourront manquer d’effectivité en pratique, notamment pour le patient victime d’un dommage.

Au cœur de la révolution numérique en santé : les outils d’IA

L’IA fait référence à des programmes informatiques, des algorithmes, dont l’ambition est, pour la plupart, de reproduire les schémas de perception de l’intelligence humaine afin d’effectuer des tâches traditionnellement réservées à l’homme. Dans le champ de la santé il s’agira, par exemple, de l’analyse d’images à des fins de diagnostics, du suivi du parcours du patient grâce à des outils conversationnels (chabot) ou encore de la suggestion d’un protocole thérapeutique eu égard à l’état de santé du patient tel qu’exprimé par ses données de santé. La pandémie de covid-19 a mis au premier plan les bénéfices de l’IA pour la santé publique : recherche de traitements, développement du vaccin grâce aux prédictions générées par l’IA sur la structure des protéines, allocation en temps réel de ressources (lits, personnels, médicaments, etc.). En somme, l’IA doit permettre d’obtenir de meilleurs résultats thérapeutiques, un plus haut niveau d’observance thérapeutique ou encore une anticipation des risques plus fine en santé publique, etc.

Bien que les résultats d’ampleur de ces promesses se fassent encore attendre, la volonté politique européenne est bien de soutenir ce champ grâce à la mise à disposition de données de santé et à la constitution d’un arsenal juridique spécifique (Proposition de règlement « AI Act » et « Espace européen des données de santé ») comprenant deux propositions de directives relatives à la responsabilité et à l’IA.

L’IA et la réparation du dommage : un cocktail explosif

L’IA est, comme toute activité, génératrice de risques : la machine peut se tromper et causer un dommage pour le patient par exemple en manquant de diagnostiquer une pathologie ou en suggérant le mauvais traitement. Inévitablement, la question de la responsabilité se pose, et cela avec d’autant plus d’acuité que les caractéristiques des...

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Restructuration de crédits, clause d’agrément et FICP

L’année 2022 aura été riche en matière d’arrêts concernant le prêt d’argent : détermination de la cause de l’emprunteur (Civ. 1re, 29 juin 2022, n° 21-15.082 F-B, Dalloz actualité, 7 juill. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1584 image, note J. François image), information sur le risque d’amortissement négatif (Civ. 1re, 25 mai 2022, n° 21-10.635 F-B, Dalloz actualité, 1er juin 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1036 image) ou encore, bien évidemment, la saga des prêts Helvet Immo ayant pu donner lieu à une décision particulièrement attendue sur l’imprescriptibilité du réputé non écrit dans le contentieux des clauses abusives (Civ. 1re, 30 mars 2022, FS-B, n° 19-17.996, Dalloz actualité, 4 avr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 974 image, note J. Lasserre Capdeville image ; ibid. 1828, obs. D. R. Martin et H. Synvet image ; RDI 2022. 382, obs. J. Bruttin image ; Rev. prat. rec. 2022. 31, chron. K. De La Asuncion Planes image ; RTD civ. 2022. 380, obs. H. Barbier image ; RTD com. 2022. 361, obs. D. Legais image). Mais aujourd’hui, ce sont des thématiques plurielles qui nous intéressent, mêlant à la fois clause d’agrément, consultation du fichier des incidents de paiement et restructuration de crédit dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 23 novembre 2022 et destiné aux honneurs du Bulletin. Les faits sont classiques : par acte sous seing privé du 20 octobre 2015, un établissement bancaire consent un nouveau prêt à des consommateurs afin de regrouper plusieurs autres crédits grevant déjà leurs patrimoines. L’opération était avantageuse pour eux puisque les mensualités à régler étaient ainsi, sans coût supplémentaire, diminuées. Voici que nos emprunteurs deviennent défaillants si bien que la banque décide donc de prononcer la déchéance du terme. L’établissement bancaire obtient, par la suite, une ordonnance d’injonction de payer, ordonnance à laquelle les emprunteurs forment opposition. Ces derniers estiment, notamment, que la banque a méconnu son obligation de mise en garde les concernant. La cour d’appel de Nîmes décide de condamner les emprunteurs au paiement d’une certaine somme au titre du solde restant dû et de rejeter les prétentions concernant le manquement au devoir de mise en garde. Les juges du fond avaient, en effet, considéré que la restructuration du crédit ne devait pas donner lieu à une obligation de mise en garde spécifique s’agissant d’une restructuration. Mais, dans le même temps, la...

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Connexité dans l’Union européenne

L’arrêt de la première chambre civile du 23 novembre 2022 permet de s’arrêter sur un mécanisme sans doute peu utilisé en droit de l’Union européenne, à savoir le mécanisme de l’exception de connexité prévu par le règlement (UE) n° 1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matières civile et commerciale, dit Bruxelles I bis.

Le cadre juridique

L’article 30 de ce règlement dispose que sont connexes « les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément » (§ 3) et que « lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer » (§ 1).

L’objectif poursuivi par le législateur européen est de limiter les risques de contrariété de décisions d’un État de l’Union à un autre.

Ces...

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La procédure de protection des victimes de violence et l’annexion des pièces à la requête

La personne victime de violences intrafamiliales, qui mettent en danger sa personne ou celle de ses enfants, ne dispose pas du luxe du temps ! C’est pourquoi la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants a permis au juge aux affaires familiales de délivrer en urgence une ordonnance de protection (C. civ., art. 515-9).

Afin d’assurer un traitement rapide du litige, a été mise en place une procédure ad hoc, qui peut évoquer la procédure à jour fixe. Dès le dépôt de la requête, le juge aux affaires familiales rend dans une ordonnance fixant la date d’audience (C. pr. civ., art. 1136-3, al. 3) et, dans les six jours suivant, l’ordonnance de protection doit en principe être délivrée (C. civ., art. 515-11). Le défendeur, dont les droits n’ont pas été oubliés par le dispositif, doit se voir signifier une copie de l’ordonnance fixant la date d’audience dans les deux jours de sa date (C. pr. civ., art. 1136-3, al. 13). Il peut ainsi raisonnablement disposer d’un délai de deux à trois jours pour organiser sa défense (Circ. du 31 juill. 2020 de présentation des dispositions des décrets n° 2020-636 du 27 mai 2020...

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[PODCAST] [I]Des hommes Des femmes Nos libertés[/I]

Écouter le podcast

Laura El Makki, écrivaine et professeur à Sciences Po, Nathalie Wolff, maître de conférences à l’Université UVSQ Paris-Saclay et auteure, Elsa Oriol, peintre et illustratrice et Pancho, dessinateur de presse et peintre répondent aux questions de Marina Brillié, éditrice chez Lefebvre Dalloz.

Podcast créé, réalisé et animé par :
Marina Brillié, Editrice chez Lefebvre Dalloz
Edmond Villory, Chef de projet chez Lefebvre Dalloz
Laurent Montant, Directeur du Studio Média chez Lefebvre Dalloz
Axel Gable, Ingénieur du son chez Lefebvre Dalloz

 

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De l’assiette retenue pour évaluer la capacité financière de l’emprunteur

Les arrêts concernant le devoir de mise en garde de l’établissement bancaire auront eu, décidément, le vent en poupe du début de l’année 2022 à la fin de celle-ci. On se rappelle, à ce titre, de plusieurs décisions aux mois de janvier et de février mêlant cette thématique avec le point de départ de la prescription extinctive de l’action en responsabilité contre le prêteur de deniers (v. par ex., Civ. 1re, 5 janv. 2022, n° 20-17.325 FS-B, Dalloz actualité, 18 janv. 2022 obs. C. Hélaine ; D. 2022. 68 image ; ibid. 1724, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers image ; AJDI 2022. 289 image ; ibid. 289 image ; ibid. 291 image ; RTD com. 2022. 134, obs. D. Legeais image ; Com. 9 févr. 2022, n° 20-17.551 F-B, Dalloz actualité, 16 févr. 2022, obs. C. Hélaine ; RTD civ. 2022. 401, obs. P. Jourdain image). L’arrêt rendu le 9 novembre 2022 par la première chambre civile de la Cour de cassation s’inscrit comme un rappel utile dans un tel contexte. Étudions brièvement les faits pour comprendre où se cristallise le problème. Un emprunt est consenti par une banque à une personne physique afin d’acquérir un bien immobilier à titre de résidence principale. Le débiteur commence à devenir défaillant et l’établissement bancaire prononce la déchéance du terme. La banque assigne, par la suite, l’emprunteur en paiement, mais ce dernier demande devant le juge la condamnation de son créancier à lui régler une certaine somme au titre de dommages-intérêts pour violation du devoir de mise en garde. La cour d’appel condamne la banque sur ce dernier fondement en retenant qu’il n’y a pas lieu de tenir compte de la valeur de la résidence principale financée par le prêt puisque le crédit « était destiné à lui permettre d’accéder à la propriété de façon pérenne, et non d’investir avec le projet de revendre l’immeuble et de rembourser le prêt par anticipation ». Voici une motivation qui peut paraître curieuse. Du moins est-elle assez originale. Elle provoque, probablement à elle seule, le pourvoi de l’établissement bancaire reprochant à ce raisonnement une distinction...

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Rupture initiée par l’agent commercial pour faute du mandant ; pas de privation de l’indemnité de fin de contrat, même si cet agent a commis une faute grave

L’affaire. L’arrêt SBA appelle de nombreuses observations pratiques. Nous proposons, dans le cadre de cette introduction, d’en livrer une présentation seulement sommaire. Chaque enseignement sera, par la suite, détaillé et analysé.

En l’espèce, un agent commercial a mis fin au contrat conclu avec son mandant car celui-ci avait commis deux fautes. L’agent a assigné, ensuite, le mandant afin d’obtenir l’indemnité de fin de contrat (C. com., art. L. 134-12), dont le paiement avait certainement été refusé. Le mandant a contesté devoir cette indemnité, motif pris que l’agent aurait commis une faute grave, dont la reconnaissance exclue ladite indemnité (C. com., art. L. 134-13). Le mandant a contesté, en outre, les modalités de calcul de l’indemnité, soutenant que les commissions perçues par l’agent postérieurement à la rupture du contrat ne devaient pas être prises en compte.

La solution. La Cour de cassation rejette ces deux arguments, qui avaient été développés dans les moyens du pourvoi.

D’une part, « lorsque la cessation du contrat d’agence commerciale résulte de l’initiative de l’agent et qu’elle est justifiée par des circonstances imputables au mandant, [l’indemnité de fin de contrat] demeure due à l’agent, quand bien même celui-ci aurait commis une faute grave dans l’exécution du contrat » (arrêt, § 4).

D’autre part, la Cour indique que « l’indemnité [de fin de contrat] ayant pour objet la réparation du préjudice qui résulte, pour l’agent commercial, de la perte pour l’avenir des revenus tirés de l’exploitation de la clientèle commune, il n’y a pas lieu d’en déduire les commissions perçues par l’agent, postérieurement à la cessation du contrat, au titre de la prospection de tout ou partie de cette même clientèle pour un autre mandant » (arrêt, § 9).

Les fautes du mandant justifient la résiliation à l’initiative de l’agent commercial

Une évidence : l’agent peut rompre le contrat en cas de faute du mandant. L’arrêt SBA rappelle qu’un agent commercial peut rompre le contrat lorsque des fautes sont imputables au mandant. Rien n’est plus évident. Il n’y a là qu’une simple application du droit commun des contrats. L’arrêt a toutefois pour mérite d’illustrer des fautes pouvant être reprochées au mandant, sur lesquelles il convient de s’arrêter.

Première faute : refus de transmettre des documents relatifs aux commissions. Le mandant avait refusé, de façon répétée, de transmettre des informations nécessaires au calcul des commissions de l’agent. Retenir une faute est ici parfaitement fondé : le mandant est tenu de transmettre ces informations à l’agent (C. com., art. R. 134-3), principe encore rappelé par l’arrêt Acopal du même jour (Com. 16 nov. 2022, n° 21-10.126, Dalloz actualité, 28 nov. 2022, obs. Y. Heyraud ; D. 2022. 2037 image). Cette faute aurait pu, à elle seule, justifier la résiliation aux torts du mandant. L’arrêt SBA met toutefois en évidence une autre faute, davantage sujette à discussion.

Seconde faute : commercialisation des produits confiés à l’agent par le mandant. Le mandant avait, également de façon répétée, commercialisé, via le site vente-privée.com, des produits dont l’agent avait la charge. Un tel comportement caractérise une autre faute du mandant. Des développements particuliers nous semblent ici nécessaires, car la reconnaissance d’une telle faute est, à notre connaissance, inédite et, surtout, sujette à discussion.

Zoom sur la commercialisation fautive des produits sur le site vente-privée.com par le mandant

Une faute en l’espèce reconnue. Selon l’arrêt SBA : « en vendant de manière renouvelée du vin sur le site vente-privée.com, ce qui était de nature à faire naître un grand mécontentement chez les producteurs de vins et à mettre fin à certaines commandes, [le mandant] a manqué à ses obligations » (arrêt, § 5).

Sans le dire explicitement, la Cour considère que le mandant a manqué à l’une de ses obligations essentielles : mettre l’agent commercial en mesure d’exécuter son mandat (C. com., art. L. 134-4, al. 3). L’arrêt d’appel nous renseigne davantage : les ventes sur le site vente-privée.com, à des prix moins importants, ont porté atteinte à l’image de marque des produits distribués ainsi qu’à celle des cavistes et restaurateurs (Paris, pôle 5, ch. 5 - 5 nov. 2020, n° 18/01041). Pour le dire...

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Rapport d’une donation avec charge : un savant dosage de valorisme et de nominalisme

Les règles applicables aux actes gratuits doivent souvent être aménagées pour les libéralités avec charge, dont la particularité soulève de nombreuses questions juridiques. Dans cet arrêt du 16 novembre 2022, la première chambre civile de la Cour de cassation était saisie d’une difficulté tenant au calcul de l’indemnité de rapport d’une donation avec charge. Il s’agissait de préciser le champ d’application du mécanisme de la dette de valeur.

Les faits sont dénués de complexité. Deux parents avaient consenti en 1993 une donation à l’un de leurs enfants, portant sur la nue-propriété d’un immeuble avec charge, pour le donataire, de leur verser immédiatement une certaine somme. Suite aux décès des parents donateurs, des difficultés sont apparues quant aux opérations de compte, liquidation et partage des successions. La donation de 1993 ayant été consentie en avance de part successorale, elle devait rapportée à la masse à partager. L’évaluation de l’indemnité de rapport posa question. La cour d’appel de Nîmes avait, au terme d’un arrêt du 17 décembre 2020, considéré qu’il convenait de déterminer d’abord la valeur du bien donné à l’époque du partage d’après son état à l’époque de la donation, puis d’y soustraire le montant acquitté par le donataire au titre de la charge. La valeur du bien fut évaluée à 336 000 € au jour du partage. Déduction faite de la charge payée au jour de la donation (60 369,91 €), le montant de l’indemnité de rapport devait, selon les juges du fond, être évalué à 275 630,09 €.

Le donataire débiteur du rapport forma un pourvoi en cassation car il estimait qu’il aurait fallu procéder à une réévaluation, à l’époque du partage, du montant de la charge versée en 1993. Selon lui, « le montant du rapport dû en vertu d’une donation avec charge n’est que de la différence entre la valeur du bien donné et la charge, déterminée au jour où la charge a été exécutée et ensuite réévaluée au jour du partage » (§ 4).

La Cour de cassation était ainsi confrontée à une question de pur droit : pour calculer l’indemnité de rapport, la charge déductible de l’émolument donné doit-elle faire l’objet d’une réévaluation ? Convient-il de la soumettre au nominalisme monétaire (au détriment du...

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Localisation de l’autorité de la chose jugée ou admission de l’autorité positive de la chose jugée ?

L’arrêt rendu le 24 novembre 2022 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation revient sur l’autorité de la chose jugée des motifs décisifs ou motifs « qui sont le soutien nécessaire du chef du dispositif », autrement dit sur la « localisation de l’autorité de la chose jugée » (J. Héron, « Localisation de l’autorité de la chose jugée ou rejet de l’autorité positive de la chose jugée ? », in Mélanges R. Perrot, Dalloz, 1995, p. 131). Ceci, dans une circonstance un peu particulière puisque le chef de dispositif en cause, soutenu par des motifs ayant autorité de la chose jugée, est celui d’une décision répressive de relaxe.

Les faits sont (trop) classiques : un couple divorce et se déchire à propos de l’enfant issu de leur union. L’enfant ment à sa mère qui la croit et essaie d’empêcher le père de voir leur fille. Celui-ci agit en justice, d’abord au pénal.

Deux jugements d’un tribunal correctionnel condamnent la mère pour des faits de non-représentation d’enfant lors de deux périodes différentes. Les mêmes jugements la condamnent pour des faits de dénonciation calomnieuse commis, là encore, lors de deux périodes distinctes. Lors des deux procès, le père se constitue partie civile : le second jugement lui alloue des dommages-intérêts.

Dans les deux cas, la cour d’appel relaxe la mère et, dans le second, rejette la constitution de partie civile du père. La relaxe est motivée par « l’absence de preuve de sa connaissance de la fausseté des déclarations de l’enfant qu’elle [la mère] avait rapportées ».

Le père saisit alors un tribunal d’instance « afin d’obtenir réparation du préjudice moral, psychologique et affectif qu’il prétendait avoir subi du fait de la non-remise de l’enfant par [la mère] et des plaintes qu’elle avait déposées ».

Appel est interjeté contre le jugement du tribunal d’instance. La cour d’appel condamne la mère à payer au père des dommages-intérêts pour une période s’étalant sur les périodes sus-évoquées. Elle rejette la demande du père fondée sur une dénonciation téméraire, mais retient à la charge de la mère « une faute grave dont le père est en droit de réclamer réparation » : celle-ci réside dans « la multiplication par une mère de plaintes pour viols pour s’opposer à l’exercice du droit de visite et d’hébergement d’un père et obtenir leur suppression », « même si [admet la cour d’appel], les agissements de [la mère] n’ont pas été considérés par le juge pénal à deux reprises comme constituant les délits de non-représentation d’enfant et de dénonciation calomnieuse ».

La mère se pourvoit en cassation et la Cour de cassation casse, au visa des articles 1351, devenu 1355, et 1382, devenu 1240, du code civil, après avoir relevé d’office un moyen de pur droit (C. pr. civ., art. 620, al. 2, et art. 1015) ; elle renvoie devant une autre cour d’appel. La haute juridiction affirme que, « selon le premier de ces textes, l’autorité de la chose jugée au pénal s’étend aux motifs qui sont le soutien nécessaire du chef du dispositif prononçant la relaxe ». Après avoir rappelé les limites du droit à la liberté d’expression, elle explique en quoi consiste la « dénonciation téméraire constitutive d’un abus de la liberté d’expression » et le délit de dénonciation calomnieuse. La première est régie par les articles 91, 472 et 516 du code de procédure pénale ; la seconde par l’article 226-10 du code pénal. La première n’était pas constituée, ainsi que la cour d’appel l’avait elle-même admis. Pour être retenue, la seconde implique que l’auteur d’une dénonciation, auprès de...

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Précisions sur la notion de « décision » de divorce dans l’Union

Le règlement Bruxelles II bis n° 2201/2003 du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, prévoit, par son article 21, § 1, que « les décisions rendues dans un État membre sont reconnues dans les autres États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure ».

La notion de décision au sens du règlement Bruxelles II bis

Ce principe soulève la question de la définition de la notion de décision de divorce dans le cadre du champ d’application de ce règlement, dont il y a lieu de rappeler qu’il a laissé place, depuis le 1er août 2022, au règlement Bruxelles II ter n° 2019/1111 du 25 juin 2019.

Cette définition est fournie par l’article 2, point 4 : au sens du règlement, la notion de décision vise « toute décision de divorce, de séparation de corps ou d’annulation d’un mariage, ainsi que toute décision concernant la responsabilité parentale rendue par une juridiction d’un État membre, quelle que soit la dénomination de la décision, y compris les termes "arrêt", "jugement" ou "ordonnance" ».

Cette définition générale est importante mais ne règle pas toutes les difficultés compte tenu de la diversité des législations des différents États de l’Union et d’une évolution tendant à une déjudiciarisation du divorce.
L’arrêt de la Cour de justice du 15 novembre 2022 permet de préciser la définition fournie par l’article 2, étant relevé que la notion de décision de divorce visée par l’article est une notion autonome du droit de l’Union (arrêt, pt 41).

Les circonstances de l’affaire

Le mariage d’un couple dont l’un des conjoints était de nationalités allemande et italienne et l’autre de nationalité italienne fut célébré en Allemagne.

Le divorce fut ensuite prononcé en Italie dans le cadre de la procédure italienne de divorce extrajudiciaire selon laquelle les époux, éventuellement assistés d’un avocat, peuvent conclure, devant l’officier de l’état civil compétent, un accord de dissolution ou de cessation des effets civils du mariage, à condition qu’ils n’aient pas d’enfants mineurs ni d’enfants majeurs incapables, gravement handicapés ou économiquement non indépendants. L’article 12 du décret-loi italien n° 132/2014...

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Terrorisme : indemnisation des victimes par ricochet même en cas de survie de la victime directe

Le terme terrorisme provient étymologiquement du latin terror (terreur). La logique terroriste « est une combinaison de surprises et de menaces destinées à créer de manière durable l’insécurité dans le corps social » (M.-H. Gozzi, Le Terrorisme, Ellipses, 2003, p. 32). Si l’attention des juristes s’est longtemps focalisée sur la répression du terrorisme, la question de l’indemnisation des victimes est devenue une préoccupation majeure depuis la série d’attentats commis en France en 2015 et 2016 (R. Bigot et A. Cayol, L’influence du terrorisme sur le droit des assurances, RGDA déc. 2019, p. 6 ; A. Cayol et A. Coviaux, L’influence du terrorisme sur l’indemnisation du dommage corporel, Gaz. Pal. 29 mai 2018, n° 19, p. 38).

Aucune couverture assurantielle n’étant envisageable en présence de fautes intentionnelles ou dolosives de l’assuré (C. assur., art. L. 113-1), la responsabilité des auteurs d’un attentat – à supposer qu’ils puissent être identifiés – ne peut être garantie. Les victimes d’actes de terrorisme furent ainsi longtemps privées de presque tout espoir de réparation, hormis la prise en charge par les organismes sociaux de dépenses de santé. Une indemnisation de leur dommage corporel par l’État fut certes instaurée en 1977 : elle était toutefois subsidiaire, plafonnée et soumise à de strictes conditions (C. pr. pén., art. 706-3, dans sa rédaction alors en vigueur). Depuis 1986, la réparation des dommages corporels résultant d’actes de terrorisme relève de la solidarité nationale. « La réparation intégrale des dommages résultant d’une atteinte à la personne est assurée par l’intermédiaire du fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions » (C. assur., art. L. 422-1), et financée par une contribution nationale de solidarité prélevée sur les contrats d’assurance de biens. Par cinq arrêts rendus le 27 octobre 2022 (sur lesquels, v. C. Quézel-Ambrunaz, Victimes d’acte de terrorisme : redéfinition des contours de leur indemnisation, Lexbase Hebdo, éd. privé, nov. 2022), la deuxième chambre civile a apporté...

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L’établissement de la filiation par possession d’état : nouvelles perspectives ?

Aux termes de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent solliciter l’avis de la Cour de cassation avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges. Faisant usage de cette possibilité, le tribunal judiciaire de Mulhouse a formé le 18 août 2022 une demande d’avis dans les termes suivants : « Dans la mesure où l’article 311-1 du code civil prévoit que la réunion suffisante de faits caractérisant la possession d’état est censée « révéler » le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir, une filiation à l’égard d’un demandeur dont il est constant qu’il n’est pas le père biologique de l’enfant peut-elle être établie dans le cadre de l’action en constatation de la possession d’état prévue à l’article 330 du code civil ? ».

La possession d’état était déjà connue au Moyen Âge. Elle permettait aux juridictions ecclésiastiques alors compétentes de présumer la filiation à l’égard du père en l’absence de mariage ou de paralyser la contestation de la filiation (v. Rép. civ., v° Filiation : généralités – Notion de filiation, par C. Labrusse-Riou, n° 79). Alors que l’établissement et la conservation des actes de naissance étaient sujets à un certain aléa, la possession d’état a conservé dans le code civil de 1804 sa valeur de preuve de la filiation à défaut d’acte de naissance, quoi que sa portée ait été restreinte à la preuve de la filiation légitime (ibid). La réforme portée en 1972 par le doyen Carbonnier a renforcé le rôle de la possession d’état, le législateur « ayant voulu tenir compte du fait que le lien de filiation n’est pas seulement biologique, mais qu’il est aussi un lien affectif et sociologique » (ibid.).

C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, la possession d’état permet, si elle est constatée dans un acte de notoriété, l’établissement d’un lien de filiation. Encore faut-il que toutes les conditions et les caractères de la possession d’état soient réunis. Et c’est bien sur ce point que le tribunal de Mulhouse est venu interroger la Cour de cassation. Saisi d’une action en constatation de la possession d’état de père d’un homme à l’égard d’une enfant mineure placée dans une maison d’enfants à caractère social, le tribunal entendait être éclairé sur le point de savoir si l’absence de lien biologique notoire entre l’homme et l’enfant constituait un obstacle dirimant à l’établissement d’un lien de filiation par possession d’état.

La Cour de cassation, après avoir rappelé les dispositions de l’article 311-1 du code civil énumérant les principaux faits révélant un lien de filiation (fama, tractatus et nomen) et celles de l’article 311-2 du code civil précisant que la possession d’état doit être continue, paisible, publique et non équivoque, affirme que « la possession d’état constitue un mode d’établissement de la filiation prévu au titre VII du livre premier du code civil. Fondée sur l’apparence d’une réalité biologique, elle correspond à une réalité affective, matérielle et sociale. La circonstance que le demandeur à l’action en constatation de la possession d’état ne soit pas le père biologique de l’enfant ne représente pas, en soi, un obstacle au succès de sa prétention ».

L’affirmation peut surprendre, elle est pourtant parfaitement cohérente au regard du droit positif. Reste à déterminer quelles pourraient en être les conséquences.

Une affirmation surprenante… ou pas

En premier lieu, en ce qu’elle comprend en elle l’idée que l’absence de paternité biologique est notoire. En l’occurrence elle est au moins connue de l’administration, l’enfant étant placée. Qu’en est-il alors de l’un des faits essentiels à la révélation d’un lien de filiation à savoir que la relation filiale soit reconnue comme telle par l’autorité publique ? L’objection cède néanmoins facilement. Tout d’abord parce que « la possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits » et ne suppose donc pas que tous les éléments énumérés à l’article 311-1 du code civil soient réunis ; ensuite parce qu’il est tout à fait possible que la condition soit remplie en l’espèce à l’égard d’autres administrations.

L’affirmation peut également surprendre au regard du caractère non équivoque que doit, selon l’article 311-2 du code civil, présenter la possession d’état. Cette condition, prévue de longue date par la jurisprudence en miroir de la possession d’état en matière de droit des biens, a été entérinée par l’ordonnance du 4 juillet 2005 qui entendait ainsi éviter le contournement des règles régissant l’adoption ou encore la prohibition de l’établissement de la filiation incestueuse. Plus généralement, la jurisprudence exige expressément que la possession d’état ne soit pas contraire à l’ordre public (v. en part. en matière de gestation pour autrui, Civ. 1re, 6 avr. 2011, n° 09-17.130, Dalloz actualité, 14 avr. 2011, obs. C. Siffrein-Blanc ; D. 2011. 1522, et les obs. image, note D. Berthiau et L. Brunet image ; ibid. 1001, édito. F. Rome image ; ibid. 1064, entretien X. Labbée image ; ibid. 1585, obs. F. Granet-Lambrechts image ; ibid. 1995, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire image ; ibid. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat image ; ibid. 1033, obs. M. Douchy-Oudot image ; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke image ; AJ fam. 2011. 262 image ; ibid. 265, obs. B. Haftel image ; ibid. 266, interview M. Domingo image ; AJCT 2011. 301, obs. C. Siffrein-Blanc image ; Rev. crit. DIP 2011. 722, note...

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Divorce : localisation de la résidence habituelle au sens du droit de l’Union

Deux personnes de nationalité belge se marient en Belgique.

Quelques années plus tard, l’épouse saisit un juge français d’une requête en divorce.

La compétence de ce juge est alors discutée, au regard des dispositions n° 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale.

L’article 3, § 1, de ce règlement dispose que sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel se trouve, notamment, la résidence habituelle des époux.

Le débat portait donc en l’espèce sur la détermination du lieu de cette résidence, les époux ayant des attaches à la fois en France et en Belgique.

La notion de résidence habituelles des époux

Ce critère de la résidence habituelle des époux est fréquemment au cœur des contentieux du divorce dans l’Union européenne. Au fils du temps, la jurisprudence a fourni des précisions permettant de mieux cerner ce critère de compétence, précisions qu’il est utile de présenter en quelques lignes.

En premier lieu, la notion de résidence habituelle des époux est une notion autonome du droit de l’Union : en l’absence, dans le règlement, d’une définition ou d’un renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer le sens et la portée de cette notion, il faut en rechercher une interprétation autonome et uniforme, en tenant compte du contexte des dispositions mentionnant celle-ci et des objectifs de ce...

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La requête à fin de convocation d’une partie à une tentative de conciliation préalable à une saisie des rémunérations interrompt le délai de prescription

Nul n’ignore que la procédure de saisie des rémunérations de travail est originale car elle est « précédée […] d’une tentative de conciliation » (C. trav., art. R. 3252-12). Le créancier commence par remettre ou par adresser au greffe une requête qui, désignant nommément le débiteur, tend à une conciliation préalable à la saisie des rémunérations de travail (C. trav., art. R. 3252-13 à R. 3252-15 ; C. pr. civ., art. 57). Mais le débiteur ne prend connaissance de cette demande qu’au moment où il reçoit la convocation à l’audience de conciliation qui lui est adressée par le greffe et ce n’est que si la tentative de règlement amiable s’avère infructueuse que la procédure de saisie des rémunérations de travail proprement dite débute. C’est là toute la difficulté. Car il faut, parmi tous ces actes et faits, déterminer celui à compter duquel le délai de prescription qui court contre le créancier est interrompu. L’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 17 novembre 2022 met un terme à toute hésitation sur ce point.

Alors que, par jugement du 12 septembre 2002, une caution avait été condamnée à payer une certaine somme à un établissement bancaire, ce n’est que le 1er mars 2018 qu’un tribunal d’instance avait été saisi d’une demande de convocation de la caution en vue d’une tentative de conciliation préalable à la saisie des rémunérations de son travail. À cette date, la prescription avait-elle déjà fait son œuvre ? La caution prétendait naturellement que le dépôt de la requête ne pouvait avoir interrompu le délai de prescription, faute d’avoir été portée à sa connaissance. La cour d’appel de Lyon et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation n’ont pas partagé cette manière de voir les choses. Sur le fondement de l’article 2241 du code civil, la Cour de cassation a ainsi jugé que « la requête à fin de convocation d’une partie à une tentative de conciliation préalable à une saisie des rémunérations, prévue à l’article R. 3252-13, alinéa 1, du code du travail, dans sa version applicable au litige, qui constitue une demande...

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Prescription et résultats d’examens de biologie médicale : nouvelle compétence du conseiller en génétique

Article


par Guillaume Monziols, docteur en pharmacie, docteur en droit, maître de conférences, Laboratoire de droit et économie de la santé, UFR Pharmacie Montpellier, UMR 5815 Dynamiques du droitle 12 décembre 2022

Décr. n° 2022-1488, 29 nov. 2022, JO 30 nov.

Un décret du 29 novembre 2022 précise les conditions dans lesquelles un conseiller en génétique peut prescrire certains examens de biologie médicale et communiquer leurs résultats conformément au protocole d’organisation préalablement établi avec le médecin qualifié en génétique sous la responsabilité duquel il exerce.

Établissement préalable d’un protocole d’organisation

Le conseiller en génétique exerce sous la responsabilité d’un médecin qualifié en génétique et par délégation de celui-ci (CSP, art. R. 1132-5). La possibilité offerte aux conseillers en génétique de prescrire certains examens de biologie médicale est dès lors subordonnée à l’établissement d’un protocole d’organisation entre eux deux (CSP, art. R. 1132-5-2).

Ce protocole précise notamment :

les conditions générales d’intervention du conseiller en génétique au sein de l’équipe pluridisciplinaire ; les modalités de transmission d’informations entre le conseiller en génétique et le médecin qualifié en génétique sous la responsabilité duquel il exerce ; les cas,...

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La péremption de l’instance en cas d’absence d’accomplissement d’une diligence mise à la charge des parties

L’instance est périmée, nous dit l’article 386 du code de procédure civile, lorsque, pendant un délai de deux ans, aucune des parties n’accomplit de diligences, c’est-à-dire d’actes de nature à faire progresser l’instance (Civ. 2e, 1er févr. 2018, n° 16-17.618, Dalloz actualité, 23 févr. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; AJ fam. 2018. 262, obs. M. Jean image  P ; 15 mai 2014, n° 13-17.294 NP, Dalloz actualité, 3 juin 2014, obs. M. Kebir P ; 8 nov. 2001, n° 99-20.159, RTD civ. 2002. 146, obs. R. Perrot image). Mais il arrive parfois que seul l’inaccomplissement, pendant cette même durée de deux ans, des diligences procédurales expressément mises à la charge des parties par le tribunal soit de nature à emporter la péremption de l’instance. Ce système a été pratiqué en matière prud’homale, jusqu’à que l’article 8 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail y mette fin. Mais on le trouve toujours en matière de contentieux de la sécurité sociale : « l’instance, indique l’article R. 142-10-10 du code de la sécurité sociale, est périmée lorsque les parties s’abstiennent d’accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l’article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction ». Le système mis en place par l’article R. 142-10-10 du code de la sécurité sociale diffère assez profondément du droit commun de la péremption. Ce qui est en effet sanctionné n’est plus seulement l’inaction ou l’inertie des parties, mais leur désobéissance, prolongée pendant un délai de deux années, à une injonction du...

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Quand le nantissement de compte-titres rencontre le bénéfice de subrogation

Parmi toutes les sûretés réelles issues de droits spéciaux, le nantissement de compte-titres occupe une place particulière en raison de sa grande efficacité. On sait que l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’en a modifié que certains aspects à travers des changements subtils afin de rendre encore plus efficace ce nantissement spécial (v. C. Hélaine, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Spin off #2) : le nantissement de compte-titres, Dalloz actualité, 28 sept. 2021). Toutefois, peu d’arrêts publiés sont rendus à son sujet chaque année. L’arrêt du 30 novembre 2022 reste, donc, particulièrement important dans ce sens en ce qu’il vient rappeler un élément fondamental de sa validité et de son opposabilité. La décision est également originale par la combinaison de plusieurs sûretés consenties au créancier : deux sûretés réelles (un nantissement de compte-titres et une cession de créances professionnelle) et une sûreté personnelle (un cautionnement). Rappelons brièvement les faits ayant donné lieu au pourvoi. Un établissement bancaire consent, le 26 mars 2008, à une société un prêt in fine d’un montant de 10 500 000 €, outre intérêts, remboursable le 26 mars 2013 afin de financer partiellement l’acquisition de plusieurs milliers d’actions d’une seconde société. Ce prêt est garanti, d’une part, par un nantissement desdits titres acquis et, d’autre part, par une cession de créances nées ou à naître au titre d’une promesse d’achat consentie par des sociétés tierces, débitrices cédées dans le cadre d’un pacte d’actionnaire précédemment conclu en 2007. Par un second acte conclu en 2011, une personne physique se rend caution envers la banque du remboursement du prêt dans la limite de l’engagement souscrit le 26 mars 2008. Voici que le débiteur principal ne règle plus les échéances : elle est condamnée à payer à la banque la somme de 9 822 280,85 € outre intérêts. La banque assigne alors en paiement la caution qui a opposé son bénéfice de subrogation en soutenant notamment que le créancier avait laissé perdre par sa faute ses autres garanties (la cession de créance professionnelle et le nantissement de compte-titres) qu’elle aurait pu récupérer par voie subrogatoire selon elle. Les juges du fond, en appel, condamnent la caution au paiement d’une somme de 9 822 280,82 € outre intérêts, avec capitalisation. La cour d’appel saisie du litige refuse, en effet, le...

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Expulsion : forme (électronique) de la demande de concours de la force publique

par Guillaume Payan, Professeur de droit privé, Université de Toulonle 8 décembre 2022

CE, 5e et 6e ch. réun., 29 nov. 2022, n° 443396

Le déroulement des opérations d’exécution peut être rendu difficile – voire, matériellement impossible – en raison de l’hostilité ou de la résistance opposée au commissaire de justice (ancien huissier de justice). Dans un tel climat, en raison notamment des risques que la poursuite de ces opérations fait courir aux personnes en charge de l’exécution, il est prévu que l’État intervienne pour assurer les conditions de sécurité publique. Ainsi, conformément à l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution, l’« État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires ». Selon l’article L. 153-2 de ce même code, le commissaire de justice en charge de l’exécution « peut requérir le concours de la force publique ». Cela est parfaitement justifié dans la mesure où il a la « responsabilité de la conduite des opérations d’exécution » (C. pr. exéc., art. L. 122-2). Il est donc le mieux placé pour exposer les difficultés rencontrées.

Reste à déterminer les modalités de la réquisition du concours de la force publique par le commissaire de justice et les conséquences engendrées en cas de méconnaissance des règles applicables.

En matière d’expulsion, les règles à respecter par le commissaire de justice sont précisées dans l’article L. 431-2 du code des procédures civiles d’exécution. Il en résulte que, lorsqu’il requiert le concours de la force publique, le commissaire de justice en charge de l’exécution « procède par voie électronique par l’intermédiaire du système d’information prévu au dernier alinéa de l’article 7-2 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement ». Cette solution – qui est l’un des apports de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté – ne doit pas surprendre, tant il est vrai que les nouvelles technologies de la communication et la dématérialisation corrélative des procédures ne cessent de gagner du terrain. Le domaine des procédures civiles d’exécution n’est point...

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Titres exécutoires : actes notariés alsaciens mosellans

par Guillaume Payan, Professeur de droit privé, Université de Toulonle 7 décembre 2022

Civ. 1re, 23 nov. 2022, F-B, nos 20-21.282 et 20-21.353

Pour qu’une mesure d’exécution forcée puisse être valablement mise en œuvre, le créancier doit être muni d’un acte lui donnant le pouvoir de contraindre son débiteur à exécuter ses obligations à son égard, en l’occurrence : un titre exécutoire. Le code des procédures civiles d’exécution énumère de façon exhaustive les différents documents pouvant faire office de titres exécutoires et précise les caractéristiques – communes ou spécifiques – qu’ils doivent présenter. Plus exactement, ce code comporte deux énumérations. Alors que la première vaut pour l’ensemble du territoire français (C. pr. exéc., art. L. 111-3), la seconde est propre aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin (C. pr. exéc., art. L. 111-5).

En effet, si le droit des procédures civiles d’exécution s’applique en principe de façon uniforme sur l’ensemble du territoire français, des exceptions existent. Cela est le cas pour l’Outre-mer (les parties législative et règlementaire dudit code contiennent d’ailleurs un titre dédié : art. L. 611-1 s. et R. 612-1 s.) ainsi que pour les départements d’Alsace-Moselle. Concernant ces derniers, le droit local applicable se distingue à certains égards du droit applicable...

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Même en cas d’annulation de certains actes de la procédure de première instance, l’effet dévolutif oblige la cour d’appel à statuer sur l’ensemble du litige

Même si l’appel peut tendre, par la critique d’un jugement rendu par une juridiction du premier degré, à son annulation ou à sa réformation (C. pr. civ., art. 542), il ne faut pas oublier qu’il est, en pratique, extrêmement rare qu’une cour d’appel se borne à annuler la décision rendue en première instance sans, par la suite, statuer à nouveau sur le litige. Cela tient à la circonstance que l’effet dévolutif, attaché à l’acte d’appel, continue de jouer même si le jugement rendu en première instance est annulé, si bien que la cour d’appel n’a d’autres choix que de statuer en fait et en droit sur le litige par application des dispositions de l’article 562 du code de procédure civile (Civ. 2e, 19 mars 2020, n° 19-11.387 P, Dalloz actualité, 24 juin 2020, obs. R. Laffly ; Com. 13 mars 2019, n° 17-22.074 NP ; Civ. 2e, 17 mai 2018, n° 16-28.390 P, D. 2018. 1081 image ; ibid. 2019. 555, obs. N. Fricero image ; Com. 11 avr. 2018, n° 17-10.832 NP ; 27 sept. 2017, n° 16-16.431 NP). Il n’en va autrement que dans un unique cas de figure : celui où l’appel tendrait à la seule nullité de l’acte introductif d’instance (Civ. 2e, 4 mars 2021, n° 19-22.193 P, Dalloz actualité, 15 mars 2021, obs. F. Kieffer ; Rev. prat. rec. 2021. 12, chron. A. Alexandre Le Roux, O. Salati et C. Simon image ; 8 janv. 2015, nos 13-14.781, 13-24.669, 13-27.634 et 13-27.635 NP), ce qui suppose encore que l’appelant ne conclue pas au fond à titre principal (Civ. 1re, 11 janv. 2017, n° 15-27.530 NP ; 2 juill. 2014, n° 13-16.931 NP). En ce cas,...

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Quelle réparation du préjudice en cas de pratique commerciale trompeuse ?

Les loteries publicitaires consistent généralement en un « courrier adressé à une personne par lequel celle-ci apprend qu’elle est l’heureuse gagnante d’un tirage au sort – on parle alors de loterie avec pré-tirage – ou qu’elle a été sélectionnée, parmi d’autres, pour participer à une loterie susceptible de lui permettre de remporter un lot, parfois d’une valeur importante ». Le but d’un tel procédé est d’inciter les personnes « à réaliser un achat ou à s’engager à acquérir différents biens sur une certaine durée. Le but est de faire naître la croyance que cet achat ou engagement conditionne, sinon accroît, les chances de gain » (Rép. civ., v° Jeu - Pari – Droit spécial des jeux, par F. Guerchoun, n° 39 ; Crim. 28 mai 2014, n° 13-83.759, Dalloz actualité, 4 déc. 2013, obs. L. Priou-Alibert ; Dr. pénal 1994. 177).

De telles pratiques peuvent tomber sous l’application de la loi pénale (Crim. 14 nov. 2010, n° 99-84.520, Dr. pénal 2001, n° 34, obs. J.-H. Robert ; 20 nov. 2012, n° 11-89.090, Gaz. Pal. 2013. 461, obs. E. Dreyer ; 14 mars 2000, n° 99-85.174). En effet, l’article L. 121-20 du code de la consommation interdit « les pratiques commerciales mises en œuvre par les professionnels à l’égard des consommateurs, sous la forme d’opérations promotionnelles tendant à l’attribution d’un gain ou d’un avantage de toute nature par la voie d’un tirage au sort, quelles qu’en soient les modalités, ou par l’intervention d’un élément aléatoire », dès lors qu’elles sont déloyales (pour aller plus loin, v. Rép. pén., v° Consommation, par C. Ambroise-Castérot, nos 77 s.). Lorsqu’elle est saisie d’une telle pratique commerciale trompeuse, la juridiction répressive est amenée à se prononcer sur l’infraction mais également sur le préjudice subi par les victimes, ainsi que c’était le cas dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 novembre 2022.

Des gains de loteries inexistants constitutifs d’une pratique commerciale trompeuse

En l’espèce, une enquête a été diligentée, à la suite de plaintes de consommateurs qui s’estimaient trompés par la communication d’une agence de publicité dont l’activité intègre la vente par correspondance de produits alimentaires, via les...

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Petite pause hivernale

La rédaction de Dalloz actualité prend ses quartiers d’hiver, le temps des fêtes de fin d’année bien méritées !

Nous serons de retour dès le mardi 3 janvier 2023.

Merci de votre fidélité et joyeuses fêtes !

E-evidence : l’Europe veut un cadre harmonisé pour coopérer avec les GAFAM

C’est un pas important qui a été franchi le 29 novembre : la Commission, le Conseil et le Parlement européens ont réussi à s’accorder sur le règlement et la directive e-evidence. Le sujet avait fait l’objet d’une proposition de la commission en 2018. Mais le Parlement européen a ensuite eu du mal à définir une position et les négociations en trilogue ont été laborieuses.

L’Europe, quel numéro de téléphone ?

Au premier semestre 2022, la présidence française de l’Union européenne en avait fait l’un de ses objectifs. Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti s’est fortement impliqué pour aboutir à un accord. Lors de la réunion Justice et affaires intérieures qui s’est tenu à Lille au début de cette année, le ministre français avait ainsi convié les plateformes et la procureure de Paris Laure Beccuau. Celle-ci avait témoigné de la lourdeur de la coopération judiciaire avec les entreprises américaines, notamment pour les données de trafic et les données de contenus.

Le cadre prévu par la Convention de Budapest sur la cybercriminalité est considéré comme trop lourd : en 2019, la France n’avait envoyé que 55 demandes d’entraide judiciaire émanant pour des données électroniques. D’où des enquêteurs qui s’autocensuraient dans certaines enquêtes quand...

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De l’impossibilité d’une appréciation forfaitaire de la réparation

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du Premier Président de la Cour d'appel d'Aix-en-Provencele 16 décembre 2022

Com. 30 nov. 2022, F-B, n° 21-17.703

Il arrive assez régulièrement que des arrêts issus d’un contentieux de droit spécial viennent rappeler des principes de droit commun d’une particulière importance. L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 30 novembre 2020 en est une brillante illustration en ce qu’il est classé dans la rubrique « droit bancaire » par la Cour de cassation alors qu’il concerne également une question de pur droit de la responsabilité civile. Rappelons les faits pour comprendre la position du problème. Un établissement bancaire consent plusieurs concours à une société. En février 2014, la banque les dénonce. Elle met, par la suite, en demeure la société débitrice de régler la somme de 24 616,87 €, en vain. L’établissement bancaire l’assigne donc en paiement le 3 avril 2018. En défense, la société sollicite reconventionnellement la condamnation de la banque en paiement de dommages-intérêts pour avoir rompu de manière abusive les concours bancaires. En cause d’appel, l’établissement bancaire est condamné à payer des dommages-intérêts pour avoir rompu sans explication les concours. Le préjudice résultant de cette faute est évalué à une somme de 40 000 € par les juges du fond qui notent l’impossibilité de discerner entre les conséquences directes de la rupture des concours et la baisse des résultats qui était déjà amorcée dans les exercices précédents de l’entreprise concernée. Pour la cour d’appel de Bourges, une évaluation forfaitaire était la seule à même de pouvoir réparer le préjudice subi par la société. La banque se pourvoit en...

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Lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales : nouvelles précisions sur la directive 2011/7/UE

Décidément, la directive 2011/7/UE, organisant des règles visant à réduire les retards de paiement dans les transactions commerciales, aura engendré de beaux arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union européenne après plusieurs renvois préjudiciels des États membres. On se rappelle, à ce titre, de deux décisions rendues le 20 octobre 2022 (CJUE 20 oct. 2022, A Oy c/ B Ky, aff. C-406/21, Dalloz actualité, 25 oct. 2022, obs. C. Hélaine ; aff. C-585/20, Dalloz actualité, 27 oct. 2022, obs. C. Hélaine) ayant pu préciser le champ d’application de la directive, mais également les modalités de calcul des intérêts de retard en présence d’impayés à l’échéance. Aujourd’hui, ce sont deux arrêts rendus le 1er décembre 2022 qui nous intéressent et qui continuent ce travail d’uniformisation de l’interprétation de la législation européenne. Dans la première affaire C-370/21, deux entreprises de droit allemand concluent le 21 août 2019 un contrat de maintenance d’un logiciel acquis par l’une des entreprises, et ce contre le paiement mensuel d’un montant fixé conventionnellement à 135 €. Les factures ne sont pas réglées à l’échéance, si bien que le créancier du versement du prix de la maintenance saisit l’Amtsgericht München (le tribunal de district de Munich en Allemagne) afin que son débiteur soit condamné à payer la créance restant due, assortie des intérêts de retard pour chacune des trois factures impayées. La juridiction saisie fait droit à la demande concernant la créance principale, mais elle ne condamne le débiteur au paiement avec intérêts que d’un seul montant forfaitaire de 40 € en précisant que seul un contrat a généré les paiements périodiques litigieux. Par conséquent, seul un montant forfaitaire unique de 40 € était dû selon la juridiction de première instance. Le créancier interjette appel devant le Landgericht München I (le tribunal régional de Munich I en Allemagne). La juridiction d’appel s’interroge sur le sens de la directive 2011/7/UE : selon elle, une pluralité de créances qui procède d’un même contrat nées de retard de paiements périodiques est susceptible de déclencher au minimum un paiement d’un montant forfaitaire de 40 € pour chaque créance distincte. Dans l’affaire C-419/21, les faits se déroulent en Pologne. Une société conclut avec un hôpital public un contrat de fourniture de matériel médical, chaque fourniture devant être payée dans un...

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Précisions sur la reconnaissance d’un jugement d’un État membre

Une personne physique domiciliée en France a contracté un prêt auprès d’une banque luxembourgeoise qui a été l’objet, par la suite d’une procédure de liquidation judiciaire au Luxembourg.

Elle a alors déclaré sa créance dans la procédure au cours de l’année 2010.

Devant le même juge, la liquidatrice de la banque a formé une demande reconventionnelle tendant à ce que soit ordonné le remboursement du prêt, sans que la personne physique ne conteste la compétence du juge luxembourgeois pour statuer sur cette demande.

La demande d’admission au passif a été rejetée par un arrêt de la cour d’appel du Luxembourg, qui a en revanche accueilli la demande reconventionnelle de la banque.

Cette dernière a par la suite saisi le directeur des services de greffe judiciaires d’un tribunal français afin que soit constatée en France la force exécutoire de l’arrêt luxembourgeois, et ce en application du règlement Bruxelles I n° 44/2001 du 20 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

À propos de la mise en œuvre de ce règlement, il est utile d’effectuer deux rappels. D’une part, s’il a été remplacé depuis le 10 janvier 2015 par le règlement Bruxelles I bis n° 1215/2012 du 12 décembre 2012, il continue à s’appliquer aux décisions rendues dans les actions judiciaires intentées avant le 10 janvier 2015 (Règl. Bruxelles I bis, art. 66 et 81). D’autre part, le règlement Bruxelles I pose que « les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée » (art. 38, § 1), l’autorité compétente étant en France le directeur de greffe du tribunal judiciaire puis, en cas de contestant, la cour d’appel (art. 39).

En l’espèce, le directeur des services de greffe a constaté la force exécutoire de l’arrêt luxembourgeois et sa décision a été confirmée par la cour d’appel.

Dans ce cadre, l’affaire jugée par la première chambre civile le 7 décembre 2022 souleva deux difficultés. Deux interrogations, qu’il y a lieu d’évoquer au préalable, surgissent toutefois à la lecture de l’arrêt.

Le recours au règlement Bruxelles I

L’arrêt du 7 décembre 2022 ne présente pas de manière détaillée la procédure menée au Luxembourg ni, surtout, son fondement juridique. Il semble que le juge Luxembourgeois ait été saisi en application du règlement Bruxelles I par l’emprunteur. C’est, du moins, ce que la lecture de l’arrêt conduit à penser : dans la mesure où la question du caractère exécutoire en France de l’arrêt luxembourgeois s’est posé sous l’angle des dispositions du règlement Bruxelles I, la compétence du juge luxembourgeois devait logiquement reposer sur ce même texte (en ce sens, CJUE 21 juin 2012, aff. C-514/10, § 27, qui conditionne la mise en œuvre des dispositions du règlement relatives à la reconnaissance et à l’exécution des décisions d’un État membre à la mise en œuvre préalable des règles de compétence...

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La prestation compensatoire repose sur un juste équilibre

La prestation compensatoire est de nature à porter atteinte au droit de l’époux débiteur au respect de ses biens. Mais elle poursuit aussi un but légitime de protection du conjoint dont la situation est la moins favorable. Elle repose sur des critères objectifs définis par le législateur qui ménagent un juste équilibre entre le but poursuivi et la protection des biens du débiteur.

En conséquence de quoi la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par une femme à la charge de laquelle a été mise une prestation compensatoire en capital de 50 000 €. L’intérêt de l’arrêt réside moins dans la réponse qu’il donne et qui ne surprend pas vraiment, que dans les arguments développés par le pourvoi et dans le soin apporté par la Cour de cassation à la motivation de sa réponse.

Assurément le cas était particulier. Il n’est pas fréquent que ce soit l’épouse qui doive supporter la charge de la prestation compensatoire. Plus de neuf fois sur dix, le débiteur de la prestation compensatoire reste l’ex-époux. Seul 4 % des femmes divorcées sont les débitrices (le plus souvent d’un capital et essentiellement en numéraire en une seule fois, Infostat Justice sept. 2016, n° 144). Mais l’un des moyens développés par la demanderesse était de portée tout à fait générale.

La prestation en capital dans le viseur des droits fondamentaux

L’épouse faisait grief à l’arrêt attaqué d’avoir violé l’article 1, § 1, du premier Protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui prévoit que « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ». Elle estimait que la prestation compensatoire en capital mise à sa charge ne respectait pas un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. Bref, c’est le principe même de la prestation compensatoire tel que posé par l’article 270 du code civil qui se trouvait ainsi mis en cause.

On comprend que la Cour de cassation ait mis un soin particulier à broder sa réponse. Car la confrontation de la prestation compensatoire avec les droits fondamentaux a connu des épisodes antérieurs qui ont valu à la France quelques déboires devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 10 juill. 2014, Milhau c/ France, n° 4944/11, Dalloz actualité, 11 sept. 2014, obs. Mésa ; AJDA 2014. 1763, chron. L. Burgorgue-Larsen image ; AJ fam. 2014. 497, obs. N. Regis image ; RTD civ. 2014. 841, obs. J.-P. Marguénaud image ; ibid. 869, obs. J. Hauser image). On se souvient que dans cette affaire était en cause l’une des modalités d’exécution de la prestation compensatoire en capital, à savoir l’attribution d’un bien du débiteur en propriété sur décision du juge « opérant cession forcée en faveur du créancier » (C. civ., art. 274, 2°, mod. par la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004). Sur ce point, la Cour européenne a estimé qu’il y avait eu « rupture du juste équilibre devant régner entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu » et qu’en...

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Panorama rapide de l’actualité « civil » de la semaine du 5 décembre 2022

Arbitrage

Contrôle de la compétence

Il résulte de l’article 1520 du code de procédure civile que, si le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage, ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence. Or, en matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l’Etat à l’arbitrage procède de l’offre permanente d’arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit. (Civ. 1re, 7 déc. 2022, n° 21-15.390, FP-B+R)

Contrats

Reconnaissance des décisions en droit international privé

Il résulte des articles 34 et 36 du règlement « Bruxelles I » que la reconnaissance d’une décision de justice n’est refusée uniquement si elle est manifestement contraire à l’ordre public de l’État requis et, qu’en aucun cas, la décision étrangère ne peut faire l’objet d’une révision au fond. Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union, on entend par « contrariété à l’ordre public international » la violation manifeste d’une règle de droit considérée comme essentielle dans l’ordre juridique de l’Union et donc dans celui de l’État membre requis ou d’un droit reconnu comme fondamental dans ces ordres juridiques (CJUE 6 juill. 2015, aff. C-681/13). Une cour d’appel décide, par conséquent, justement que la nullité tirée d’une clause potestative n’appartient pas à un tel ordre public international sans qu’il soit nécessaire par ailleurs d’opérer un renvoi préjudiciel. (Civ. 1re, 7 déc. 2022, n° 21-17.492, F-B)

Requalification d’un contrat en bail commercial

L’article L. 145-15 du code de commerce, qui permet de réputer non écrites certaines clauses d’un bail, n’est pas applicable à une demande en requalification d’un contrat en bail commercial. Une cour d’appel déduit donc justement que la demande d’un locataire sollicitant la requalification d’une convention de location de terrain nu conclu en bail statutaire est soumise à la prescription de deux ans à compter de la conclusion de la convention. (Civ. 3e, 7 déc. 2022, n° 21-23.103, FS-B)

Procédure civile

Notification

Il résulte des articles 654 et 655 du code de procédure civile que lorsqu’il n’a pu s’assurer de la réalité du domicile du destinataire de l’acte et que celui-ci est absent, l’huissier de justice est tenu de tenter une signification à personne sur son lieu de travail ; en application de l’article 659 du code de procédure civile, lorsque la personne à qui l’acte doit être signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier de justice dresse un procès-verbal où il relate avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte. Doit donc être censuré l’arrêt d’une cour d’appel qui, pour rejeter la demande d’annulation de l’assignation, retient que l’huissier de justice a pu constater qu’aucune personne répondant à l’identification du destinataire de l’acte n’a son domicile à l’adresse indiquée dans l’acte, que l’intéressé n’y demeure plus, que la boîte à lettres est pleine de courrier, que le voisinage lui indique que l’intéressé a quitté les lieux et qu’il ne figure pas sur les pages blanches de l’annuaire électronique sur internet. L’arrêt qui retient que le destinataire de l’acte n’a pu concevoir aucun grief sur la remise de l’assignation suivant les modalités de l’article 659 du code de procédure civile puisque l’acte mentionne qu’une copie a été envoyée au destinataire à cette adresse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ainsi qu’un avis par lettre simple doit être censuré : la cour d’appel aurait dû rechercher si le dépôt de l’avis de passage et l’envoi de la lettre simple avaient été réceptionnés par leur destinataire. (Civ. 2e, 8 déc. 2022, n° 21-14.145, F-B)

Date de notification et ordonnance...

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L’absence de formalisme des décisions concernant l’aide juridictionnelle

Il est bien connu que les jugements doivent, à peine de nullité, contenir le nom des juges qui en ont délibéré (C. pr. civ., art. 454 et 458). Les dispositions des articles 42 et 48 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, reprises aujourd’hui aux articles 46, 47 et 55 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique et relatif à l’aide juridictionnelle et à l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles, n’imposent cependant pas que les décisions concernant l’aide juridictionnelle ou enjoignant au demandeur de fournir certains documents comprennent le nom et la qualité de ceux qui les ont rendues. Un justiciable s’en est ému et a demandé au garde des Sceaux d’abroger les dispositions litigieuses. Le garde des Sceaux a gardé le silence et le justiciable a saisi le Conseil Éd’tat d’une requête tendant à annuler la décision implicite de rejet en raison de l’excès de pouvoir qui l’entachait.

Le Conseil d’État n’a cependant pas fait droit aux moyens développés par le justiciable. Il a commencé par souligner que les dispositions de l’article L. 111-2 du code des relations entre le public et l’administration, qui prévoient que « toute personne a le droit de connaître le prénom, le nom, la qualité et l’adresse administratives de l’agent chargé d’instruire sa demande ou de traiter l’affaire qui la concerne », ne peuvent s’appliquer aux décisions prises en matière d’aide juridictionnelle, qui constituent de simples décisions d’administration judiciaire. Il a ajouté que, en tout état de cause, les dispositions des articles 42 et 48 du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ne méconnaissaient pas celles de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 aux termes desquelles « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».

Les décisions concernant l’attribution de l’aide juridictionnelle constituent des décisions...

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Chronique d’arbitrage : Ukraine/Russie, la bataille juridique

C’est donc l’arrêt Oschadbank qui est à l’honneur dans cette dernière chronique de l’année 2022 (Civ. 1re, 7 déc. 2022, n° 21-15.390, D. 2022. 2228 image). L’année écoulée aura d’ailleurs été marquée par une recrudescence du rôle de la Cour de cassation dans le contentieux post-arbitral. Alors que, depuis la création de la chambre commerciale internationale (CCIP-CA), l’effervescence se situait principalement à la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation a marqué de son empreinte les douze derniers mois. Sans prétendre à l’exhaustivité, on mentionnera les arrêts Tagli’apau, Belokon, Sorelec, Carrefour Proximité France ou Kout Food Group auquel il faut ajouter, dans le cadre de cette chronique, les arrêts Vidatel (Civ. 1re, 9 nov. 2022, n° 21-17.203, D. 2022. 2330, obs. T. Clay image), Ukravtodor (Civ. 1re, 7 déc. 2022, n° 21-18.687) et Vacama (Com. 23 nov. 2022, n° 21-10.614, Dalloz actualité, 7 déc. 2022, obs. C. Lebel ; obs. T. Lakssimi, à paraître). Une activité intense, des décisions tantôt innovantes (Tagli’apau), tantôt attendues (Belokon) ont fait rebasculer l’épicentre de la jurisprudence française vers le Quai de l’Horloge. On signalera néanmoins quelques décisions intéressantes à la cour d’appel, en particulier dans l’affaire LBMS (Paris, 15 nov. 2022, n° 21/22335) ou encore l’aboutissement de la saga Tagli’apau (Bordeaux, 31 oct. 2022, n° 22/00681).

L’arrêt Oschadbank

Il fallait une bonne dose de courage pour rendre l’arrêt Oschadbank et se prononcer comme l’a fait la Cour de cassation dans son arrêt du 7 décembre 2022. Qu’on en juge : le litige oppose une banque ukrainienne à la Fédération de Russie et porte sur des investissements réalisés par la première en Crimée, dont elle aurait été expropriée à la suite du rattachement de la Péninsule à l a seconde en 2014 (sur ce thème, A. Kallergis, L’applicabilité des traités bilatéraux d’investissement dans les zones contestées, JDI 2022. Var. 6). Une sentence arbitrale a été rendue sur le fondement d’un Traité bilatéral de protection des investissements (TBI) conclu entre la Fédération de Russie et l’Ukraine et a condamné l’État russe à payer une indemnité de plus d’un milliard de dollars à la banque ukrainienne. Las, la cour d’appel de Paris, par un retentissant arrêt, a pris la décision d’annuler la sentence (Paris, 30 mars 2021, n° 19/04161, Oschadbank, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272, obs. T. Clay image ; JCP E 2022. 1241, obs. M. Laazouzi). Deux ans plus tard, alors qu’un conflit armé a éclaté entre les deux États, la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel et ressuscite la sentence. La cassation est prononcée sur un aspect de l’arrêt d’appel qui est passé inaperçu, ce qui renforce son intérêt.

Cette décision n’a pas été prise à la légère. Une « formation plénière de chambre » a été réunie pour l’occasion, la seconde en 2022 pour la première chambre civile (d’après le site de la Cour de cassation, cette formation – qui se distingue de l’Assemblée plénière en ce qu’elle ne concerne qu’une chambre – se réunit pour statuer sur un « point de droit […] particulièrement complexe ou sensible ». On dénombre une trentaine de décisions rendues par ce type de formation pour l’ensemble des chambres durant l’année écoulée).

La problématique de l’affaire est simple : l’article 12 du TBI conclu entre la Fédération de Russie et l’Ukraine stipule que « le présent accord s’applique à tous les investissements réalisés par les investisseurs d’une partie contractante sur le territoire de l’autre partie contractante à compter du 1er janvier 1992 » (« This Agreement shall apply to all investments made by the investors of one Contracting Party in the territory of the other Contracting Party as of 1 January 1992 »). Il s’agit d’une condition temporelle d’application du traité. Deux questions en découlent : premièrement, cette condition temporelle d’application du traité est-elle un critère de compétence ratione temporis du tribunal arbitral ? Deuxièmement, l’investissement dont se prévaut la banque ukrainienne entre-t-il dans le champ d’application de cette disposition ? À ces questions, la cour d’appel a répondu positivement à la première et négativement à la seconde, justifiant ainsi, d’une part, son contrôle sur la sentence et, d’autre part, son choix de l’annuler. À l’inverse, la Cour de cassation accueille la critique formulée par le premier moyen du pourvoi. Elle juge que l’article 12 du Traité ne constitue pas une condition relative à la compétence du tribunal arbitral et échappe donc au contrôle du juge de l’annulation : « ni l’offre d’arbitrage stipulée à l’article 9 ni la définition des investissements prévue à l’article 1er ne comportaient de restriction ratione temporis et que l’article 12 n’énonçait pas une condition de consentement à l’arbitrage dont dépendait la compétence du tribunal arbitral, mais une règle de fond, la cour d’appel, qui devait seulement vérifier, au titre de la compétence ratione temporis, que le litige était né après l’entrée en vigueur du traité, a violé le texte susvisé » (§ 13). Autrement dit, il est possible de dissocier le champ d’application ratione temporis du traité et la compétence ratione temporis du tribunal arbitral. En conséquence, la question du champ d’application temporel du traité échappe au juge de l’annulation dans le cadre de son examen de la compétence arbitrale.

La solution est d’importance, autant pour le contentieux de l’annulation que pour les tribunaux arbitraux. D’un côté, elle exclut tout examen de ce grief devant le juge du recours. De l’autre, elle consolide la compétence des tribunaux arbitraux et leur offre la possibilité de se déclarer compétents en dépit de telles stipulations. De façon générale, la solution de la Cour de cassation révèle une réduction progressive du périmètre du contrôle de la compétence par le juge de l’annulation. Reste qu’elle n’est pas sans susciter certaines difficultés. En effet, il n’est pas aisé de distinguer les champs d’application ratione temporis d’un traité et d’une convention d’arbitrage.

La réduction progressive du périmètre du contrôle de la compétence

Lorsqu’une sentence arbitrale est soumise au juge de l’annulation et que le cas d’ouverture relatif à la compétence est invoqué, deux questions principales se posent : qu’est-ce que le juge contrôle et comment il contrôle ?

Osons une image, pour clarifier la problématique : il y a une question de périmètre du contrôle (ce qui est contrôlé) et une question de profondeur du contrôle (comment le contrôle est réalisé). Le périmètre renvoie aux griefs qui entrent dans le cas d’ouverture relatif à la compétence. Le juge peut-il examiner tel moyen, par exemple sur la prescription, sur une clause de conciliation préalable, etc. ? Il y a donc des éléments inclus dans le contrôle du juge et d’autres exclus, ce qui permet de déterminer l’étendue de son contrôle. La profondeur concerne la nature du contrôle réalisé. Le juge est-il limité dans ses investigations ou dans son pouvoir d’appréciation ? Est-il tenu par le déroulement de la procédure arbitrale ou peut-il réaliser une nouvelle instruction ? Cette problématique recouvre principalement deux sujets : l’intensité du contrôle et la faculté pour le juge de connaître de nouveaux moyens ou de nouvelles pièces.

Ces deux aspects doivent être distingués, car ils font l’objet de mouvements jurisprudentiels opposés, particulièrement visibles en matière d’investissement. Pour ce qui concerne le périmètre du contrôle, la tendance est à la restriction des pouvoirs du juge ; pour ce qui concerne la profondeur du contrôle, la tendance est à l’extension de ses pouvoirs.

Revenons rapidement sur les aspects méthodologiques du contrôle de la compétence avant de voir comment l’arrêt Oschadbank contribue à la restriction du périmètre du contrôle de la compétence.

La méthodologie du contrôle de la compétence

Commençons par la profondeur du contrôle, dès lors que la solution est fixée depuis très longtemps et l’arrêt Oschadbank en reprend l’essentiel. Depuis la célèbre affaire du Plateau des Pyramides, la jurisprudence répète inlassablement la même formule, selon laquelle « le juge de l’annulation contrôle la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage » (Paris, 12 juill. 1984, Égypte c/ SPP, Rev. arb. 1986. 75 ; JDI 1985. 129, note B. Goldman ; Civ. 1re, 6 janv. 1987, SPP c/ Égypte, Rev. arb. 1987. 469, note P. Leboulanger ; JDI 1987. 638, note B. Goldman ; 6 oct. 2010, n° 08-20.563, Abela, D. 2010. 2441, obs. X. Delpech image ; ibid. 2933, obs. T. Clay image ; Rev. crit. DIP 2011. 85, note F. Jault-Seseke image ; Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; JCP 2010. 1028, note P. Chevalier ; ibid. 1286, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011. 14, obs. D. Bensaude). Désormais, la solution est étendue à l’arbitrage d’investissement (Paris, 12 avr. 2016, n° 13/22531, D. 2016. 2589, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2016. 833, note C. Fouchard ; Cah. arb. 2017. 357, note M. Audit ; 25 avr. 2017, n° 15/01040, D. 2017. 2559, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2017. 648, note M. Laazouzi ; Cah. arb. 2017. 674, note W. Ben Hamida ; 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 16 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques). L’arrêt Oschadbank ne dévie pas de cette ligne. Il commence par un attendu reproduisant la formule Plateau des Pyramides (§ 10) et, s’il ne précise pas qu’elle vaut pour l’arbitrage d’investissement, la solution ne fait aucun doute. En conséquence, et de façon historique, le contrôle de la compétence est un contrôle approfondi.

Pour autant, la profondeur du contrôle ne se limite pas à l’intensité de l’examen. Approfondir le contrôle, c’est potentiellement examiner de nouveaux arguments, de nouveaux moyens ou de nouvelles preuves. Sur cette question, il faut intégrer les évolutions résultant de la jurisprudence Schooner (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 24 déc. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 image ; ibid. 2021. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux image ; ibid. 2272, obs. T. Clay image ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 419, note P. Duprey et M. Le Duc ; JDI 2021. Comm. 30, obs. M. de Fontmichel). On voit ainsi se dessiner un mouvement favorable à une intervention plus importante du juge dans le contrôle de la compétence. En l’état actuel du droit positif, le contrôle dans la profondeur du juge de l’annulation sur la compétence ne connaît pas ou peu de limites. D’ailleurs, cette question a été intensément discutée devant la cour d’appel de Paris, à l’occasion de la présente affaire. En effet, la Fédération de Russie a adressé un courrier au tribunal arbitral, contestant de manière assez générale sa compétence. En revanche, elle n’a pas évoqué la date de réalisation de l’investissement. La cour d’appel n’y a vu aucun obstacle à son examen, ce qui a conduit la doctrine à critiquer la solution, en soulignant que le juge de l’annulation se comporte comme « un juge de première instance de la compétence arbitrale » (M. Laazouzi, obs. ss. Paris, 30 mars 2021, JCP E 2022. 1241). Il est acquis, en l’état actuel du droit positif relatif au contrôle de la compétence, que sauf silence complet à l’occasion de la procédure arbitrale, l’instance devant le juge de l’annulation peut donner lieu à une instruction nouvelle. C’est ce qui conduit la doctrine à voir dans ce cas d’ouverture un quasi-appel (M. de Fontmichel, note ss. Civ. 1re, 2 déc. 2020, JDI 2021. Comm. 30).

À ce mouvement d’intensification du contrôle du juge sur la compétence se conjugue un second mouvement, plus restrictif, quant au périmètre des griefs qui peuvent être invoqués. En somme, la jurisprudence entend contrôler moins, mais mieux.

Cette évolution est flagrante en arbitrage d’investissement. L’arrêt Oschadbank constitue l’épilogue d’une séquence jurisprudentielle qui a duré moins de deux ans. On se rappelle, en début d’année 2021, que la situation était préoccupante pour les sentences d’investissements en France. Les annulations de sentences arbitrales avaient, en quelques mois, été très nombreuses : Oschadbank (Paris, 30 mars 2021, n° 19/04161, préc.), Garcia (Paris, 3 juin 2020, n° 19/03588, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques), Rusoro (Paris, 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay image ; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi) ou DS Construction (Paris, 23 mars 2021, n° 18/05756, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). On craignait une forme d’hostilité du juge français vis-à-vis de l’arbitrage d’investissement. D’un point de vue technique, ce mouvement se caractérisait par la multiplication des critères considérés comme relevant de la compétence. Tout ou presque, dans le traité voire en dehors, était susceptible d’être retenu comme une condition relative à la compétence. L’arrêt d’appel se faisait l’écho de cette approche, en retenant que la convention d’arbitrage figurant dans le TBI « n’institue pas une offre générale et inconditionnelle pour tous litiges d’investissements entre une partie contractante et un investisseur de l’autre partie contractante, mais une offre insérée dans les limites fixées par le traité, de sorte que la protection procédurale offerte par la clause d’arbitrage et donc la compétence du tribunal arbitral est subordonnée à l’applicabilité du traité à l’investissement objet du litige ». Il en résultait une substitution du juge à l’arbitre sur l’interprétation d’une majorité des stipulations du traité.

Depuis, le chemin parcouru est immense. À rebours de ces solutions, le périmètre du contrôle de la compétence s’est réduit. La Cour de cassation a joué un rôle majeur dans ce reflux, en cassant successivement les arrêts d’appel dans les affaires Rusoro (Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 704 image ; ibid. 2272, obs. T. Clay image ; JCP 2021. 1214, obs. P. Giraud ; Rev. arb. 2021. 705, note M. Audit), Garcia (Civ. 1re, 1er déc. 2021, n° 20-16.714, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272, obs. T. Clay image) et désormais Oschadbank. La cour d’appel de Paris a aussi contribué à ce renversement, dans une succession de décisions Cengiz (Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2021. 1154 [1re esp.], note G. Bertrou, D. Bayandin et H. Piguet ; D. 2021. 2272, obs. T. Clay image ; JDI 2022. Comm. 4, note S. Manciaux ; JCP E 2022, 1241, obs. M. Laazouzi), Nurol (Paris, 28 sept. 2021, n° 19/19834, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2021. 1154 [2e esp.], note G. Bertrou, D. Bayandin et H. Piguet ; D. 2021. 2272, obs. T. Clay image), Aboukhalil (Paris, 12 oct. 2021, n° 19/21625, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272, obs. T. Clay image ; Rev. arb. 2022. 343, note W. Brillat-Capello ; JCP E 2022. 1241, obs. M. Laazouzi) et Rusoro (Paris, 7 juin 2022, n° 21/10427, Dalloz actualité, 13 juill. 2022, obs. J. Jourdan-Marques). Ce qui unit ces décisions, c’est la volonté d’éviter que toutes les stipulations du traité ne soient considérées comme des conditions relatives à la compétence, voire d’ajouter au traité des conditions qui n’y figurent pas. Ainsi, les stipulations relatives à la licéité ou à la légalité de l’investissement, celles relatives à la recevabilité de l’action n’entrent pas dans le périmètre du contrôle du juge de l’annulation et relèvent exclusivement de l’arbitre.

La Cour de cassation synthétise cette évolution par une référence au principe de non-révision au fond. Après avoir répété la formule issue de l’arrêt Plateau des Pyramides, elle précise que « ce contrôle est exclusif de toute révision au fond de la sentence ». Cet ajout a déjà été entrevu dans l’arrêt Rusoro (Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551, préc.). Son positionnement, immédiatement à la suite de la formule sur l’intensité du contrôle, ne doit pas induire en erreur. Le principe de non-révision au fond vient restreindre les griefs qui entrent dans le cadre du contrôle de la compétence et donc faire échapper un certain nombre d’entre eux à tout contrôle. Reste à déterminer les éléments qui échappent au contrôle du juge de l’annulation.

La détermination du périmètre du contrôle de la compétence

L’affaire Oschadbank se joue sur les stipulations du traité qui doivent être considérées comme relevant de la compétence. Pour mémoire, la cour d’appel a cru pouvoir examiner l’article 12 du TBI dans le cadre de son contrôle de la compétence. Autrement dit, elle a élargi son contrôle à certaines stipulations conventionnelles relatives à l’entrée en vigueur du traité. La Cour rejette cette analyse et restreint le périmètre du contrôle, en excluant que le juge de l’annulation puisse examiner cette question.

La pierre angulaire du raisonnement de la Cour est la suivante : « En matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l’État à l’arbitrage procède de l’offre permanente d’arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit » (§ 11). Tous les mots de cet attendu ont été pesés et donneront lieu à de savantes interprétations. On soulignera le choix de parler d’investissements transnationaux plutôt qu’internationaux, quand bien même on peut douter que la distinction soit à l’origine de réelles conséquences. Par ailleurs, la Cour de cassation reprend à son compte la notion d’« offre permanente d’arbitrage », que l’on trouve déjà sous la plume de la cour d’appel de Paris (Paris, 14 déc. 2021, n° 19/12417, Maessa ; 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, préc. ; 28 sept. 2021, n° 19/19834, Nurol , préc. ; 23 mars 2021, n° 18/05756, DS Construction, préc.). Enfin, et surtout, la Cour de cassation identifie deux critères de l’offre permanente d’arbitrage : la catégorie d’investisseurs délimitée par le traité et les différends touchant aux investissements qui y sont définis.

Le juge peut vérifier si le demandeur à l’arbitrage est bien un investisseur au sens du traité et si le litige porte bien sur un investissement au sens du traité. Le contrôle de la compétence est désormais réduit à son épure : il réside dans la vérification de l’existence d’un investisseur et d’un investissement. Autrement dit, un champ d’application ratione personae et ratione materiae.

Pour autant, le canevas posé est-il suffisant ? La seule lecture de l’arrêt montre que la situation reste complexe. Il n’existe pas, dans tout le droit transnational des investissements, une définition unique de l’investisseur et de l’investissement. Chaque instrument prévoit sa propre définition de l’un et de l’autre. Il est donc impossible d’avoir une appréciation abstraite de ces critères et il est indispensable d’envisager une analyse concrète, en fonction des stipulations du traité. C’est d’ailleurs le sens de l’arrêt Oschadbank, qui évoque une catégorie d’investisseurs « que ce traité délimite » et des investissements « qu’il définit ». Partant, il faut déterminer ce qui, au sein du traité, doit être considéré comme délimitant la catégorie des investisseurs et définissant les investissements. La Cour de cassation, en visant les articles 1er et 9 du TBI entre la Russie et l’Ukraine, laisse entendre que c’est soit au sein de l’article prévoyant la possibilité de recourir à l’arbitrage, soit au sein de celui procédant à des définitions, que l’on trouve les éléments relatifs à la compétence. C’est en suivant cette logique que la Cour écarte les mentions de l’article 12 du TBI, qui n’est ni relatif au choix de recourir à l’arbitrage ni aux définitions des termes du Traité. Est ainsi écartée, a priori, toute stipulation du traité qui ne se trouve pas au sein de l’article relatif la convention d’arbitrage et celui relatif aux définitions.

Mais cette précision n’est pas suffisante. Il faut retrancher, au sein de ces stipulations conventionnelles, celles qui contiennent des critères qui ne relèvent pas de la compétence. C’est ce qui résulte de la jurisprudence antérieure, en particulier de l’arrêt Rusoro. Dans ce dernier, les mentions relatives à la recevabilité de l’action se trouvent bien dans l’article relatif au choix de recourir à l’arbitrage. Pourtant, la Cour juge qu’ils sont en dehors du périmètre de la compétence. Il en va de même pour les exigences de légalité ou de licéité de l’investissement, qui peuvent tout à fait figurer au sein de l’article relatif aux définitions tout en échappant au contrôle du juge de l’annulation.

C’est une triple lame qui finit par se dessiner, chacune ayant pour fonction d’écarter du périmètre du contrôle du juge de l’annulation un certain nombre d’éléments. Première lame, le contrôle du juge de l’annulation sur la compétence ne concerne que les notions d’investissements et d’investisseurs. Deuxième lame, ces notions doivent être étendues comme étant celles qui sont définies ou délimitées par l’article contenant la convention d’arbitrage et celui définissant les termes du traité, à l’exclusion de tout autre. Troisième lame, au sein de ces deux stipulations, sont encore exclus certains critères (qui restent à déterminer) considérés comme relevant du fond.

Voilà pour l’essentiel. Reste à déterminer la place, au sein de cette présentation, des éléments relatifs à l’application temporelle du traité.

Les incertitudes de la distinction des champs d’application ratione temporis

L’article 12 du TBI conclu entre la Fédération de Russie et l’Ukraine prévoit des modalités d’application temporelles du traité. Pour la Cour de cassation, il s’agit d’une règle de fond qui n’emporte aucune conséquence sur la compétence du tribunal arbitral. Une telle solution exclut-elle toute discussion sur le champ d’application ratione temporis de la compétence arbitrale ? C’est l’hésitation qui persiste à la lecture de l’arrêt.

La dissociation des champs d’application ratione temporis

Le principal apport de l’arrêt est de dissocier les champs d’application ratione temporis du Traité (on peut même envisager une sous-distinction entre l’application ratione temporis du Traité et l’application ratione temporis de la protection qu’il aménage) et de la convention d’arbitrage. La Cour juge que « ni l’offre d’arbitrage stipulée à l’article 9 ni la définition des investissements prévue à l’article 1er ne comportaient de restriction ratione temporis et que l’article 12 n’énonçait pas une condition de consentement à l’arbitrage dont dépendait la compétence du tribunal arbitral, mais une règle de fond » (§ 13). Ainsi, les règles prévues par le traité à propos de sa propre entrée en vigueur n’affectent pas la compétence arbitrale. C’est l’erreur commise par la cour d’appel de Paris, qui a considéré que l’offre d’arbitrage est « une offre insérée dans les limites fixées par le traité ». En cela, l’arbitre est susceptible de se reconnaître compétent et de constater l’inapplicabilité totale ou partielle du traité au litige.

Très concrètement, cela signifie que le champ d’application du traité et le champ d’application de la compétence arbitrale sont différents. Il n’y a pas de difficulté théorique à imaginer qu’un traité ne s’applique pas à une situation, mais que l’arbitre soit compétent pour en connaître ou, à l’inverse, qu’un traité s’applique à une situation sans que l’arbitre soit compétent pour en connaître. Le Traité sur la Charte de l’Énergie en offre un exemple, puisque l’article 26 sur le règlement des litiges ne s’applique qu’aux investissements alors que le traité porte également sur la matière commerciale. De même, l’illégalité ou l’illicéité de l’investissement ne prive pas l’arbitre de sa compétence, mais prive l’investissement de sa protection. On voit donc que les champs d’application peuvent ne pas correspondre. Si cette analyse est admise sans difficulté pour les questions relevant du champ d’application ratione materiae, il n’y a pas de raison qu’il en aille différemment pour les autres champs d’application. C’est finalement une facette de l’indépendance matérielle de la convention d’arbitrage qui se révèle dans cette distinction des champs d’application.

Cette analyse a déjà été retenue en doctrine (M. Menard, Application ratione temporis de la protection des investissements et des investisseurs, in Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, sous la dir. de C. Leben, Pedone 2015, spéc. p. 201 ; contra, M. Audit, note ss. Paris, 29 janv. 2019, Rev. arb. 2019. 260, nos 11 s.). Elle a également été consacrée dans la jurisprudence arbitrale. Ainsi, à l’occasion de l’affaire Impregilo Spa c/ République islamique du Pakistan, le tribunal arbitral a affirmé que « care must be taken to distinguish between the jurisdiction ratione temporis of an ICSID tribunal and the applicability ratione temporis of the substantive obligations contained in a BIT » (ICSID Case n° ARB/03/3, du 22 avr. 2005, ICSID Reports vol. 12, p. 247-307, spéc. p. 305, § 309). D’autres décisions ont suivi cette logique de dissociation des champs d’application ratione temporis, tout en restant moins précises que la précédente (par ex., ICSID Case n° ARB/03/28 du 1er févr. 2006, Duke Energy International Peru Investments N°.1, Ltd c/ Pérou, § 148 ; plus nuancé, v. ICSID Case n° ARB/98/2, du 8 mai 2008, Pey Casado c/ Chili, § 428). Si la solution ne fait pas l’unanimité, ce qui n’étonnera personne en droit des investissements, on constate que la solution retenue par la Cour de cassation n’est pas isolée. Elle s’inscrit dans un courant doctrinal et jurisprudentiel préexistant en droit des investissements.

La persistance d’une compétence ratione temporis résiduelle ?

L’arrêt Oschadbank met-il fin à toute discussion sur la compétence ratione temporis du tribunal arbitral ? On aurait pu le penser, en particulier à la lecture du paragraphe 11 de l’arrêt, qui n’évoque que les champs d’application ratione materiae et personae de l’arrêt, ce que révèlent les références à l’investissement et à l’investisseur, laissant entendre qu’il n’existe aucune difficulté de compétence ratione temporis. Mieux, la mise en relation de cette solution avec celle retenue dans l’arrêt Rusoro aurait pu achever de nous en convaincre. En effet, dans cette affaire, la potentielle restriction temporelle à la compétence arbitrale se trouve au sein de la clause prévoyant le recours à l’arbitrage. Malgré cette localisation, elle s’est trouvée disqualifiée et ravalée au rang de simple condition de recevabilité. La combinaison de ces deux solutions paraît alors limpide : si l’on ne peut pas voir dans les considérations temporelles figurant dans la convention d’arbitrage ou en dehors de la convention d’arbitrage une condition ratione temporis, on peine à voir où il faut la chercher.

Pourtant, le dernier paragraphe de l’arrêt sème la confusion. La Cour énonce que « ni l’offre d’arbitrage stipulée à l’article 9 ni la définition des investissements prévue à l’article 1er ne comportaient de restriction ratione temporis et que l’article 12 n’énonçait pas une condition de consentement à l’arbitrage dont dépendait la compétence du tribunal arbitral, mais une règle de fond, la cour d’appel, qui devait seulement vérifier, au titre de la compétence ratione temporis, que le litige était né après l’entrée en vigueur du traité » (§ 13). La compétence ratione temporis du tribunal arbitral, sortie par la porte par la Cour de cassation, revient par la fenêtre. D’une part, la Cour de cassation soutient que, indépendamment de toute stipulation conventionnelle, la naissance du litige à l’entrée en vigueur du traité est une condition ratione temporis de la compétence du tribunal arbitral. D’autre part, elle ouvre la voie à ce qu’une stipulation temporelle du traité porte sur la compétence arbitrale. On est en peine d’expliquer cette motivation, qui vient ébranler l’édifice bâti deux paragraphes plus haut. Il faudra voir, à l’usage, si l’une et l’autre de ces hypothèses sont confirmées comme relevant de la compétence ratione temporis.

On peut se demander si la Cour de cassation, par cette motivation acrobatique, n’a pas en tête les litiges à venir sur le retrait par certains États, dont la France, de plusieurs traités d’investissements, que ce soit du Traité sur la Charte de l’Énergie (pour lequel la France vient officiellement de notifier son retrait) ou dans le cadre intra-européen. Ces décisions auront des conséquences importantes et soulèveront des discussions sur leur application temporelle. Or la solution de la Cour de cassation aurait pu être très embarrassante. En consacrant une dissociation entre application temporelle du traité et application temporelle de la convention d’arbitrage et en niant l’existence de la seconde problématique, la Cour de cassation aurait assuré aux arbitres une pleine liberté pour interpréter les conséquences temporelles du retrait de la France de ses engagements internationaux. À l’inverse, par cette réserve finale qui ouvre la voie à...

Panorama rapide de l’actualité « Civil » de la semaine du 2 janvier 2023

Cautionnement

Devoir de mise en garde

La chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle que le caractère averti de l’emprunteur, personne morale, s’apprécie en la personne de son représentant légal. Justifie légalement sa décision, l’arrêt d’une cour d’appel qui retient que la caution (qui était également gérante) avait une expérience de cinq ans au sein d’une première société, y exerçait les fonctions de responsable commercial et avait doublé le chiffre d’affaires par la mise en place d’une nouvelle stratégie commerciale. Bien que cette dernière n’ait pas auparavant exercé de compétences dans une société holding, il était donc à même de mesurer, par les compétences acquises dans la première entreprise, le risque d’endettement du prêt souscrit dans la seconde. Par conséquent, cette nouvelle personne morale avait la qualité d’emprunteur averti si bien que la banque n’était pas tenue d’un devoir de mise en garde à son égard (Com. 4 janv. 2023, n° 15-20.117, F-B).

Majeurs protégés

Etats généraux de la justice: annonces du ministre de la justice

Jeudi 5 janvier, le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, a annoncé un plan d’action pour la...

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Encore et encore des précisions sur les contours de l’office du juge de l’exécution

Le juge de l’exécution est né avec la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution et son décret d’application n° 92-755 du 31 juillet 1992, qui réglementait les mesures d’exécution mobilières ; la saisie immobilière restant – à l’époque, régie par le code de procédure civile (ancien) – soumise au tribunal de grande instance statuant à juge unique. Ses champs d’intervention étaient alors régis par l’article L. 311-12-1 du code de l’organisation judiciaire : « Le juge de l’exécution connaît des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu’elles n’échappent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire. Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en œuvre. Il connaît, sous la même réserve, des demandes en réparation fondées sur l’exécution ou l’inexécution dommageables des mesures d’exécution forcée ou des mesures conservatoires (…) ».

Pour encadrer cette notion de « contestations portant sur le fond du droit », assez rapidement après l’entrée en vigueur de la réforme le 1er janvier 1993, la Cour de cassation, saisie pour avis, a, dès 1995 (Cass., avis, 16 juin 1995, n° 09-50.008, RTD civ. 1995. 691, obs. R. Perrot image), fixé les frontières de l’office du juge de l’exécution en précisant qu’il ne pouvait être saisi de difficultés relatives à un titre exécutoire qu’à l’occasion des contestations portant sur les mesures d’exécution forcée engagées ou opérées sur le fondement de ce titre, et qu’il n’avait donc pas compétence pour connaître de demandes tendant à remettre en cause le titre dans son principe, ou la validité des droits et obligations qu’il constate.

C’est à compter du 1er janvier 2007 (ord. n° 2006-461 du 21 avr. 2006 et décr. n° 2006-936 du 27 juill. 2006), lorsque lui a été confiée la procédure de saisie-immobilière (ord. n° 2006-461 du 21 avr. 2006, art. 12), que l’office du juge de l’exécution a évolué (sur ce sujet, v. F. Kieffer, Compétence du JEX et condamnation à paiement : seulement dans les cas prévus par la loi, Dalloz actualité, 5 janv. 2021).

Pour déterminer les limites de l’office du juge de l’exécution, la Cour de cassation rappelle régulièrement que deux limites encadrent l’étendue des pouvoirs du juge de l’exécution :

la nécessité d’une mise en œuvre d’une mesure conservatoire ou d’une procédure civile d’exécution ; l’impossibilité de prononcer une condamnation à paiement hors les cas prévus par la loi

Ainsi, plusieurs décisions ont déjà illustré cette position (Civ. 2e, 25 sept. 2014, n° 13-20.561, Dalloz actualité, 13 oct. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D....

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Réforme de l’adoption : deux décrets publiés

Dispositions d’application de la réforme de l’adoption

À l’occasion du décret portant diverses dispositions d’application de la réforme de l’adoption, la Chancellerie tire les conclusions réglementaires de la loi du 21 février 2022 visant à réformer l’adoption (J. Houssier, Réforme de l’adoption : vote définitif de la loi par l’Assemblée nationale, Dalloz actualité, 15 févr. 2022), comme celles de l’ordonnance du 5 octobre 2022 prise en application de l’article 18 de cette loi (J. Houssier, Réforme de l’adoption : premières vues sur l’ordonnance n° 2022-1292 du 5 octobre 2022 – Ou la forme au service du fond, Dalloz actualité, 14 oct. 2022). À cette fin, le décret coordonne successivement le code de procédure civile (art. 1er), le code de l’action sociale et des familles (art. 2) et le code de la défense (art. 3) avec les nouvelles règles du code civil.

Modifications du code de procédure civile

S’agissant du code de procédure civile, d’abord, deux modifications doivent être notées.

La première, de détail, concerne l’article 1174 relatif à la rédaction du dispositif du jugement d’adoption, lequel vise désormais, en cas d’adoption de l’enfant de l’autre membre du couple, le partenaire et le concubin en sus du conjoint, conformément à l’ouverture de l’adoption aux couples de partenaires et de concubins consécutive à la loi du 21 février 2022.

La seconde, d’importance, concerne le transfert du code civil vers le code de procédure civile des articles régissant la transcription du jugement d’adoption et du jugement de révocation de l’adoption, désormais réglés au sein de deux nouveaux textes.

D’une part, un nouvel article 1175-1 est créé, réunissant à la fois l’ancien article 354 du code civil relatif à la transcription du jugement d’adoption plénière, et l’ancien article 362 du même code relatif à la transcription du jugement d’adoption simple. Ainsi ce nouvel article énonce-t-il désormais que :

« Dans les quinze jours de la date à laquelle elle est passée en force de chose jugée, à la requête du procureur de la République :
1° La décision prononçant l’adoption plénière est transcrite sur les registres de l’état civil du lieu de naissance de l’adopté;
2° La décision prononçant...

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États généraux de la justice : des moyens salués, un plan d’action mitigé

« Sanctuariser des moyens pour la justice », améliorer « la qualité de vie au travail », les mots sont posés. Ils faisaient partie des grandes attentes après « 30 ans d’abandon politique, budgétaire et humain » de la justice, comme l’a rappelé à plusieurs reprises le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, lors de son annonce du plan d’action pour l’institution, le jeudi 5 janvier. Un événement qui faisait suite au rapport Sauvé remis en juillet, à l’issue des États généraux de la Justice organisés d’octobre 2021 à avril 2022. La conférence de presse, d’abord prévue fin novembre, avait été reportée pour des questions d’« agenda », selon le ministère. En coulisses, on parlait plutôt de problèmes d’arbitrages avec la première ministre, Élisabeth Borne. La séance aura duré près de deux heures entre l’énumération des grands axes, les 60 mesures du quinquennat, et la réponse aux questions des journalistes.

Des moyens humains et financiers conséquents

« C’est sans doute la première fois qu’une réforme de la justice s’accompagne de moyens à la hauteur des enjeux », a affirmé le ministre de la Justice. Il a rappelé que le budget avait augmenté de 7,6 milliards d’euros en 2020 à 9,6 milliards d’euros en 2023 – contre 2 milliards d’euros sous la présidence de Nicolas Sarkozy et sous celle de François Hollande – et il a promis que cette enveloppe continuerait son envol jusqu’à atteindre « près de 11 milliards d’euros en 2027 », soit une hausse « de près de 60 % » entre les deux mandats de l’actuel président de la République.

Ces moyens permettront notamment « de revaloriser les agents du ministère », « poursuivre et finaliser le plan de 15 000 places de prison » ; « moderniser et agrandir les palais de justice » ; « numériser la justice » ; et « surtout, surtout, a insisté le garde des Sceaux, de recruter massivement pour renforcer les effectifs ». Il a acté la mise en place d’une loi de programmation qui entérinera le recrutement de 10 000 emplois supplémentaires d’ici 2027, dont 1 500 magistrats et 1 500 greffiers, « outre la constitution d’équipes autour des magistrats », reprenant là une préconisation du rapport Sauvé. Concrètement, la prochaine promotion de l’École nationale de magistrature (ENM) sera « la plus importante de l’histoire de l’école » avec plus de 380 auditeurs de justice, et 470 à compter de 2024, soit une hausse de + 81 % du nombre d’élèves.

Ces premières annonces ont emporté l’adhésion des syndicats. L’Union syndicale des magistrats (USM) a fait part de son « sentiment d’être écoutée et entendue », dans un communiqué, précisant rester « vigilante » sur l’affectation des sommes. « Nous étions dubitatifs sur ces États généraux mais les chiffres et les moyens sont là », confirme Cécile Mamelin, la vice-présidente de l’organisation. Le syndicat de la magistrature (SM) a lui salué le déploiement de « moyens considérables » mais jugé « insuffisant » le nombre de recrutements de magistrats. Samra Lambert, la secrétaire nationale, a rappelé que les chefs de juridiction avaient estimé les besoins à « 5 000 magistrats ».

La reconnaissance de la souffrance au travail et des métiers

Critiqué ces dernières années pour minimiser la souffrance au travail des magistrats, Éric Dupond-Moretti a opéré ce jeudi matin un revirement. « Je ne fuis pas mes responsabilités, a-t-il répété à l’issue de la matinée. Nous sommes tous dans la même barque ». Dans son plan d’action, il a intégré le « référentiel de la charge de travail des magistrats » actuellement étudié par la direction des services judiciaires (DSJ), avec les...

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Un jugement de vente sur adjudication par licitation ne vaut pas titre d’expulsion

À la fin de l’année 2020, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait eu, à propos de la licitation, modalité d’un partage, l’occasion de combler un vide laissé par les auteurs de la réforme du droit des successions, par la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, et de la procédure de saisie immobilière, par l’ordonnance n° 2006-461 du 21 avril 2006 et le décret n° 2006-236 du 27 juillet 2006 (Civ. 2e, 19 nov. 2020, nos 19-18.800 et 19-18.801 et 10 déc. 2020, n° 19-16.691 F-P+B+I, Dalloz actualité, 22 déc. 2020, obs. F. Kieffer ; AJ fam. 2021. 65, obs. F. Eudier image ; Rev. prat. rec. 2021. 11, chron. M. Draillard, A.-I. Gregori, A. Provansal et C. Simon image).

Elle avait, en effet, précisé qu’il résulte de l’article 543 du code de procédure civile que le jugement d’adjudication sur licitation est susceptible d’appel lorsqu’il statue sur une contestation, malgré l’absence de renvoi des textes régissant la matière à l’article R. 322-60 du code des procédures civiles d’exécution. L’appel est donc recevable (premier arrêt), le pourvoi ne l’est pas (second arrêt).

L’arrêt commenté poursuit se remplissage des vides.

Le contexte

À l’occasion d’une procédure de liquidation judiciaire, un mandataire judiciaire engage une action en licitation-partage sur le fondement des dispositions de l’article 815-17 du code civil.

En vertu du jugement ordonnant l’ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage et préalablement à celles-ci la vente sur...

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Pas de remise en cause du règlement chronologique des conflits de filiation

Pour la Cour européenne des droits de l’homme, « un système tel que celui de l’Italie, qui prévoit que l’action en contestation de paternité est préjudicielle à l’action en recherche de paternité peut en principe être jugé compatible avec les obligations découlant de l’article 8, eu égard à la marge d’appréciation de l’État. Elle estime toutefois que, dans le cadre d’un tel système, les intérêts de la personne qui cherche à déterminer sa filiation doivent être défendus, ce qui n’est pas le cas lorsque les procédures durent plusieurs années et empêchent l’introduction d’une action en recherche de paternité ».

C’est l’essentiel de ce qui doit être retenu du point de vue du droit français. Pour le droit italien, l’arrêt s’inscrit dans un cadre qui lui donne une autre dimension.

La requérante, née en 1954, a été déclarée à l’état civil sous le nom de sa mère et de son mari. En 2010, elle introduit une action en contestation de la paternité du mari, faisant valoir qu’un autre homme est son véritable père. En 2015, à la suite d’une expertise biologique, le tribunal déclare que le mari n’est pas le père biologique. Mais l’un des frères interjette appel en arguant d’un vice de forme entachant la procédure d’expertise biologique, puis se pourvoit en cassation. Par ordonnance du 16 juin 2021, la Cour de cassation reconnaît qu’il existe une divergence sur la validité du rapport d’expertise et suspend la procédure. Sur ce point, l’affaire est toujours en instance devant les chambres réunies de la Cour de cassation (en discussion, la nature de la nullité concernant le rapport d’expertise ; traditionnellement, cette nullité était qualifiée de relative et ne pouvait être soulevée d’office par le juge ; mais cette interprétation a été contredite en par un arrêt de la Cour de cassation du 6 déc. 2019 selon lequel, si l’expert outrepasse ses fonctions, la nullité est absolue).

En 2016 alors que la contestation de paternité est toujours pendante, la requérante introduit devant une autre juridiction, le tribunal de Rome, une action en recherche de paternité contre l’homme qu’elle pense être son père (plus exactement contre ses héritiers). Le tribunal déclare l’action en recherche irrecevable au motif « que la décision par laquelle les juridictions avaient accueilli le recours en contestation de paternité n’était pas encore définitive, condition préalable en droit interne à l’exercice de l’action en recherche de paternité ».

Le droit italien : similitudes et différences avec le droit français

Le droit italien applique une présomption de paternité à l’enfant issu d’un couple marié. Mais il prévoit que cette paternité peut être contestée par la mère, son époux ou l’enfant, en prouvant que...

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Indivisibilité du litige, l’évidente inévidence

La société Mecajet confie à la société RGY la réalisation de plans d’appareils de chauffage-climatisation devant équiper des navettes ferroviaires dont la fabrication lui a été commandée. Arguant d’un préjudice en raison d’une erreur de cotation des plans, la société Mecajet assigne la société RGY et son assureur Axa France IARD devant le tribunal de commerce. Ces derniers sont condamnés solidairement à l’indemniser et la société RGY relève appel à l’encontre des sociétés Mecajet et Axa France IARD, cette dernière ne constituant pas avocat. Le jugement ayant été infirmé par la cour d’appel de Douai le 2 juillet 2020, la société Mecajet, demanderesse au pourvoi, reprocha à la cour cette réformation totale avançant que la société Axa France IARD n’avait ni relevé appel ni constitué comme intimée tandis que les condamnations solidaires de l’assureur et de l’assuré à indemniser la société Mecajet n’étaient pas indivisibles. La deuxième chambre civile répond au visa de l’article 553 du code de procédure civile :

« 6. Aux termes de ce texte, en cas d’indivisibilité à l’égard de plusieurs parties, l’appel de l’une produit effet à l’égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l’instance ; l’appel formé contre l’une n’est recevable que si toutes sont appelées à l’instance.

7. Il en résulte qu’en l’absence d’impossibilité d’exécuter simultanément deux décisions concernant les parties au litige, l’indivisibilité, au sens de l’article 553 du code de procédure civile, n’étant pas caractérisée, l’appel de l’une des parties ne peut pas produire effet à l’égard d’une partie défaillante.

8. Pour débouter la société Mecajet de sa demande de condamnation solidaire de la société RGY et de la société Axa, l’arrêt retient que la société RGY ne peut être tenue de réparer les conséquences financières subies par la société Mecajet pour assurer la reprise des désordres des châssis mis en production.

9. En statuant ainsi, alors qu’en l’absence d’impossibilité de poursuivre simultanément l’exécution du jugement ayant condamné la société Axa et de l’arrêt déboutant la société Mecajet de sa demande de condamnation de la société RGY, l’appel de cette dernière ne pouvait produire effet à l’égard de la société Axa, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

Relations textuelles

Il faut comprendre que la société appelante, la société RGY, avait un intérêt commun avec l’un des intimés, sa compagnie d’assurances, Axa France IARD, avec laquelle elle avait été condamnée solidairement par le tribunal de commerce. Infirmant le jugement, la cour d’appel avait donc débouté la société Mecajet, demanderesse devant le tribunal et co-intimée devant la cour, de sa demande de condamnation solidaire à l’égard de l’appelant et de son assureur. La cour de Douai avait estimé que la société RGY ne pouvait être tenue de réparer les conséquences financières subies par la société Mecajet pour assurer la reprise des désordres des châssis mis en production et, si l’on ne sait que cela de cet arrêt d’appel non disponible, on comprend que la société Axa France IARD, régulièrement intimée mais non constituée, a pu bénéficier de l’infirmation au profit de son assurée, appelante. Rien de scandaleux à vrai dire. Rien non plus d’extravagant à la lecture de l’arrêt de cassation : en l’absence d’impossibilité de poursuivre simultanément l’exécution du jugement ayant condamné la société Axa et de l’arrêt déboutant la société Mecajet de sa demande de condamnation de la société RGY, l’appel de cette dernière ne pouvait produire effet à l’égard de la société Axa. L’explication : le litige n’était pas indivisible. La société Mecajet pouvait être déboutée de sa demande à l’égard de la société appelante mais pas de son assureur, sans autre forme de procès dirait-on, qui n’avait pas constitué avocat.

La solidarité n’est en effet pas l’indivisibilité, c’est même tout l’inverse ! C’est sans doute la proximité d’une intimité textuelle qui engendre la confusion. L’article 552, alinéa 1er, du code de procédure...

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Confirmation du refus de contrat sans loi et détermination de la loi applicable au contrat de coopération commerciale

De 2004 à 2006, la société Conforama France a eu pour fournisseur une société américaine d’équipement et d’ameublement, la société Mab Ltd, en liquidation amiable depuis 2006. Deux entreprises italiennes, créancières de l’entreprise américaine, ont exercé une action oblique à l’encontre de la société française pour des dettes que celle-ci avait contractées auprès de leur débiteur. La société française leur oppose une compensation conventionnelle sur le fondement d’une créance résultant de contrats de coopération commerciale conclus avec l’entreprise américaine. Ces contrats seraient soumis aux principes généraux applicables aux contrats internationaux, notamment les Principes Unidroit, à l’exclusion du droit français. Dans son arrêt du 30 mars 2021, la chambre commerciale internationale de la Cour du Paris réfute cette argumentation. Après avoir rappelé l’importance accordée à l’autonomie de la volonté par la Convention de Rome, la Cour conclut à l’absence de choix de loi au sens de l’article 3, § 1, de la Convention. Elle se réfère ensuite à l’article 4 de la convention, applicable à défaut de choix. Il en résulte, selon la Cour, que ces accords de coopération commerciale sont régis par le droit français, plus précisément par les articles L. 441-3 du code commerce dans leur rédaction alors en vigueur. Or, en vertu de ces dispositions, les contrats de coopération commerciale sont irréguliers. La compensation conventionnelle entre les créances réciproques du fournisseur et du distributeur ne peut donc opérer.

Dans son pourvoi, la société Conforama invoque, tout d’abord, l’applicabilité des Principes Unidroit désignés implicitement par une clause se référant aux principes généraux du droit et usages en matière de commerce international, stipulation contractuelle qui figure dans les conditions générales d’achat et de fourniture et le contrat de fourniture conclu entre les parties. Le pourvoi se fonde, ensuite, sur l’existence du groupe de contrats formé par les différents accords. Il soutient que le droit applicable à l’accord de distribution doit s’étendre aux contrats qui lui sont liés, à savoir les contrats de coopération commerciale.

La Cour de cassation est ainsi amenée à se prononcer, dans un premier temps, sur l’admission d’un choix de règles de droit non étatiques. La solution est sans ambiguïté : « il résulte de l’article 3, paragraphe 1, de la Convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles, que les principes généraux applicables aux contrats internationaux, tels que ceux qui ont été élaborés par l’Institut international pour l’unification du droit privé (Unidroit), ne constituent pas une...

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Incompatibilité des fonctions de médiateur et de conciliateur de justice

On sait que parmi les modes de règlement amiable des différends, la conciliation de justice peut être déléguée par le magistrat à un tiers, le conciliateur de justice qui exerce cette fonction à titre gratuit, et ce par application du décret n° 78-381 du 20 mars 1978 (N. Fricero, C. Butruille-Cardew, L. Benrais, B. Gorchs-Gelzer et G. Payan, Le guide des modes amiables de résolution des différends, 3e éd., Dalloz, coll. « Guides Dalloz », 2017, n° 120.11). Mais certaines questions restent parfois obscures en pratique, et ce assez régulièrement. Par exemple, une fois le conciliateur de justice nommé, ce dernier peut-il s’inscrire pour exercer les fonctions de médiateur dans le même temps ? Il faut dire que les textes ne donnent pas de réponse claire sur ce point si bien que l’interrogation subsiste assez régulièrement devant les juridictions pratiquant la conciliation. L’arrêt rendu le 15 décembre 2022 par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation répond, sans guère de nuance par la négative si bien qu’il est intéressant que l’on revienne brièvement sur les faits ayant donné lieu au recours. Une personne, nommée conciliateur de justice le 29 juillet 2020 pour une durée de trois, sollicite son inscription sur la liste des médiateurs de la cour d’appel de Poitiers. La commission restreinte de l’assemblée générale des magistrats du siège rejette sa demande au motif que les fonctions de conciliateur de justice sont incompatibles avec celles de médiateur. L’intéressé forme un recours contre cette décision. Devant la Cour de cassation, celui-ci estime notamment qu’étant donné que les fonctions de conciliateur sont compatibles avec celles de médiateur de la consommation, il n’y...

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Application surprenante de la règle « quand il y a les tuyaux, il y a le droit »

Une fois n’est pas coutume, c’est un arrêt inédit qui retiendra l’attention, notamment parce que, une fois n’est pas coutume (à nouveau), l’imprévisibilité de la solution retenue par cet arrêt était du côté du juge !

Rendu par la deuxième chambre civile le 8 décembre 2022, il laisse le lecteur perplexe, non pas en raison de la bienveillance dont il fait preuve vis-à-vis du demandeur au pourvoi, mais en raison… des raisons de cette bienveillance. L’arrêt semble mal s’accorder avec la jurisprudence antérieure de la Cour de cassation et, notamment un arrêt récent – celui du 17 novembre 2022 (Civ. 2e, 17 nov. 2022, n° 21-16.185 FS-B, Dalloz actualité, 6 déc. 2022, N. Hoffshir ; D. 2023. 45 image, note C. Bléry image). La solution qui se dégage de cette décision était assez imprévisible alors qu’elle est prise au motif d’une jurisprudence peu prévisible.

Lors d’une procédure de saisie immobilière, un juge de l’exécution rend un jugement d’orientation le 24 octobre 2019. Appel en est interjeté (le 20 janv. 2020), qui respecte la forme de l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution, à savoir celle d’un appel à jour fixe, avec représentation obligatoire par avocat (car cette modalité de l’appel du jugement d’orientation est imposée – sans pour autant que les exigences de l’art. 917 soient applicables : l’appelant n’a pas à justifier d’un péril ; l’appelant ne commet pas ici l’erreur fréquente consistant à faire appel selon la procédure ordinaire de l’article 901. – Adde sur les jours fixes imposés, v. C. Laporte, La procédure à jour fixe dans tous ses états, Procédures 2014. Étude 8, spéc. n° 25).

L’appelant adresse donc une requête au premier président (à son délégataire) afin d’être autorisé à assigner à jour fixe, par voie électronique. Le délégataire du premier président l’y autorise – jour fixe imposé oblige –, par ordonnance du 5 février 2020.

Lors de l’audience fixée au 27 mai 2020, l’intimé invoque l’irrecevabilité de l’appel.

Par arrêt du 17 décembre 2020, la cour d’appel de Paris déclare en effet l’appel irrecevable, car l’appelant ne pouvait régulièrement saisir le premier président, par voie électronique, d’une requête aux fins d’être autorisé à assigner à jour fixe ; « la requête prévue à l’article 917 du code de procédure civile devait être présentée au premier président ou à son délégataire sur support papier » : en effet, « à la date du litige, les modalités techniques permettant le recours à la transmission électronique de la requête à fin d’être autorisé à assigner à jour fixe, adressée au premier président d’une cour d’appel, n’ont pas été définies par un arrêté du garde des Sceaux ».

L’appelant se pourvoit en cassation. Il présente trois moyens. Par la seconde branche du premier, il reproche à la cour d’appel d’avoir violé l’article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « le droit d’accès au juge impose de garantir l’existence d’un droit de recours effectif soumis à des conditions claires et prévisibles ; […] l’article 748-1 du code de procédure civile permet le recours à la communication électronique devant toutes les juridictions à la seule condition qu’un arrêté en fixe les modalités de nature à en garantir la fiabilité ; […] l’arrêté du 30 mars 2011 fixant les modalités d’application de la communication électronique devant les cours d’appel n’exclut pas la juridiction du premier président ».

La Cour de cassation annule (sans casser), au visa des articles 748-1, 748-6, 917 du code de procédure civile et l’article 6, § 1er, de la Conv. EDH : elle juge que « le prononcé d’une telle sanction [l’irrecevabilité de la requête dématérialisée] résultant de l’interprétation de la réglementation alors applicable mais insuffisamment prévisible, aboutit à priver la société Fujitsu d’un procès équitable au sens de l’article 6, § 1er, de la Conv. [EDH] ».

Elle justifie longuement sa réponse :

elle évoque d’abord la question du droit d’accès au juge, pour laquelle elle se réfère à la Cour européenne des droits de l’homme. Elle rappelle les principes en la matière. Ce droit doit être « concret et effectif » et non « théorique et illusoire ». S’il n’est pas absolu, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même ; elles doivent en outre poursuivre un but légitime et il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (CEDH 5 avr. 2018, Zubac c/ Croatie, n° 40160/12, Dalloz actualité, 17 avr. 2018, obs. J. Jourdan-Marques). La deuxième chambre civile s’attache ensuite à un aspect des éventuelles restrictions : il faut que les modalités d’exercice du recours puissent « passer pour prévisibles aux yeux du justiciable » ; ensuite, elle observe ce qu’il en est à propos de la jurisprudence relative à la CPVE et plus spécialement à la saisine du premier président par voie électronique. La Cour de cassation recense les textes du code de procédure civile applicables à la matière : l’article 930-1, alinéa 1er, impose la CPVE en procédure d’appel avec représentation obligatoire ; l’article 748-1 détermine le domaine de la CPVE, qui peut être pratiquée dans les conditions et modalités fixées par le titre XXI du livre Ier du code, notamment celle prévue à l’article 748-6, qui suppose un arrêté technique. Elle évoque ensuite l’arrêté du 30 mars 2011 relatif à la CPVE dans les procédures avec représentation obligatoire devant les cours d’appel : or, « sans les exclure expressément, cet arrêté ne visait pas les actes devant être remis au premier président d’une cour d’appel et c’est l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la CPVE en matière civile devant les cours d’appel...

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Plan des États généraux : les points en suspens pour la justice économique

Les réactions générales au plan présenté par Éric Dupond-Moretti sont toutes positives. Pour Laure Lavorel, présidente du Cercle Montesquieu, « les entreprises ont besoin d’une justice qui fonctionne. Nous avons participé aux États généraux et sommes satisfaits du plan présenté. Nous nous félicitons de la reprise de propositions concernant les affaires économiques. Elles montrent une prise de conscience de l’importance du droit économique ».

Jean-Philippe Gille, président de l’Association française des juristes d’entreprise (AFJE), abonde sur ce point : « Pour les professionnels du droit, c’est un intéressant changement d’orientation stratégique : le ministère de la Justice se présente aussi comme celui du droit économique, et pas seulement celui de l’administration de la justice ». Et ce, « alors qu’il y a une compétition internationale autour du droit ». Même son de cloche pour Michel Peslier, président par intérim de la Conférence générale des juges consulaires de France, qui « accueille favorablement l’annonce des évolutions proposées par le garde des Sceaux ».

Des questions en suspens...

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Soins psychiatriques sans consentement : un tuteur hospitalier peut-il être demandeur de soins ?

par Mathias Couturier, Maître de conférences à l'Université de Caenle 16 janvier 2023

Civ. 1re, 14 déc. 2022, F-D, n° 21-19.287

Un arrêt de la Cour de cassation vient de poser une très intéressante question à laquelle il n’avait malheureusement pas la possibilité de répondre. Une personne avait fait l’objet d’une admission sur demande d’un tiers, ledit tiers étant son curateur dit « hospitalier » (devenu tuteur par la suite en raison d’une évolution de la mesure de protection). En effet, les établissements hospitaliers accueillant des personnes atteintes de troubles mentaux disposent d’un service de mandataires judiciaires à la protection des majeurs susceptibles d’être désignés pour exercer la fonction de personne chargée de la mesure de...

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Panorama rapide de l’actualité « Civil » de la semaine du 9 janvier 2023

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Juriste assistant placé auprès du premier président de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence et Nicolas Hoffschir, Maître de conférences à l’Université d’Orléansle 16 janvier 2023

Contrat de prestation de services juridiques entre un avocat et un consommateur

Honoraires d’avocat - principe du tarif horaire : clause abusive et pouvoir du juge

L’article 4, § 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, telle que modifiée par la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, doit être interprété en ce sens que relève de cette disposition une clause d’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur qui fixe le prix des services fournis selon le principe du tarif horaire.
L’article 4, § 2, de la directive 93/13, telle que modifiée par la directive 2011/83, doit être interprété en ce sens que ne répond pas à l’exigence de rédaction claire et compréhensible, au sens de cette disposition, une clause d’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur qui fixe le prix de ces services selon le principe du tarif horaire sans que soient communiquées au consommateur, avant la conclusion du contrat, des informations qui lui permettent de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance des conséquences économiques qu’entraîne la conclusion de ce contrat.
L’article 3, § 1er, de la directive 93/13, telle que modifiée par la directive 2011/83, doit être interprété en ce sens que une clause d’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur, fixant, selon le principe du tarif horaire, le prix de ces services et relevant, dès lors, de l’objet principal de ce contrat, ne doit pas être réputée abusive en raison du seul fait qu’elle ne répond pas à l’exigence de transparence prévue à l’article 4, § 2, de cette directive, telle que modifiée, sauf si l’État membre dont le droit national s’applique au contrat en cause a, conformément à l’article 8 de ladite directive, telle que modifiée, expressément prévu que la qualification de clause abusive découle de ce seul fait.
L’article 6, § 1er, et l’article 7, § 1er, de la directive 93/13, telle que modifiée par la directive 2011/83, doivent être interprétés en ce sens que lorsqu’un contrat de prestation de services juridiques conclu entre un avocat et un consommateur ne peut subsister après la suppression d’une clause déclarée abusive qui fixe le prix des services selon le principe du tarif horaire et que ces services ont été fournis, ils ne s’opposent pas à ce que le juge national rétablisse la situation dans laquelle se serait trouvé le consommateur en l’absence de cette clause, même si cela conduit à ce que le professionnel ne perçoive aucune rémunération pour ses services. Dans l’hypothèse où l’invalidation du contrat dans son ensemble exposerait le consommateur à des conséquences particulièrement préjudiciables, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, ces dispositions ne s’opposent pas à ce que le juge national remédie à la nullité de ladite clause en lui substituant une disposition de droit national à caractère supplétif ou applicable en cas d’accord des parties audit contrat. En revanche, ces dispositions s’opposent à ce que le juge national substitue à la clause abusive annulée une estimation judiciaire du niveau de la rémunération due pour lesdits services. (CJUE, 12 janv. 2023, C-395/21)

Cautionnement

Clause d’exigibilité anticipée, prétention nouvelle en cause d’appel

Justifie légalement sa décision la cour d’appel constatant qu’un contrat de prêt stipulant une clause d’exigibilité anticipée des sommes dues, qui ne comportait aucune dispense expresse et non équivoque d’envoi d’une mise en demeure à l’emprunteur, de telle sorte que la créance au titre du capital du prêt ne pouvait pas être exigible en pareille situation. Il résulte de l’article 566 du code de procédure civile qu’une prétention n’est pas nouvelle lorsqu’elle est l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire de celle formée en première instance.
N’encourt pas la cassation l’arrêt qui constate qu’en cas de rejet de la demande en paiement du capital restant dû formée à titre principal par la banque, celle-ci demandait la condamnation de la caution à lui payer les échéances échues du prêt demeurées impayées. Cette demande subsidiaire ne constitue ni...

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L’information nécessaire de la date du prononcé de l’ordonnance de clôture

Une fois l’ordonnance de clôture rendue, toutes les conclusions et les pièces déposées par les parties doivent d’office être déclarées irrecevables en application de l’article 802 du code de procédure civile (art. 783 c. pr. civ., dans sa rédaction antérieure à celle issue du décr. n° 2019-1333 du 11 déc. 2019). L’application de cette règle simple peut notamment soulever deux difficultés : il faut déterminer, d’une part, si les parties doivent être préalablement informées de la date du prononcé de l’ordonnance de clôture et, d’autre part, à quel instant cet acte commence à produire ses effets. Ces deux problèmes ont été tranchés dans l’arrêt du 8 décembre 2022, qui fait l’objet du présent commentaire.

La détermination du moment du prononcé de l’ordonnance de clôture

Il n’est pas rare que de nouvelles conclusions ou de nouvelles pièces soient produites le jour où le juge décide de rendre l’ordonnance de clôture. Il faut alors fixer l’instant où elle commence à produire ses effets.

a) Lorsque la loi énonce qu’un acte « prend effet à compter de sa date », comme c’est le cas des jugements d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire (v. aujourd’hui, C. com., art. R. 621-4, R. 631-7 et R. 641-1), il faut considérer que l’acte a commencé à produire ses effets dès la première heure du jour où il est intervenu (Soc. 15 juin 2022, n° 20-21.951, inédit ; 20 oct. 2021, n° 19-25.700, inédit ; 19 mai 2016, n° 14-25.443, inédit ; 14 oct. 2009, n° 07-45.257 P, Dalloz actualité, 30 oct. 2019, obs. S. Maillard ; D. 2009. 2554, obs. S. Maillard image ; Com. 13 nov. 2007, n° 06-15.340, inédit ; 2 oct. 2007, n° 06-20.140, inédit ; 20 oct. 1992, n° 89-10.083 P, RTD com. 1993. 344, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié image ; 12 nov. 1979, n° 78-10.859 P) ; il s’agit alors uniquement de fixer l’instant où le jugement commence à produire ses effets et non celui de son prononcé (Com. 17 mai 1989, n° 87-17.930 P).

b) Dans le silence de la loi, rien n’oblige ainsi à faire produire rétroactivement des effets à un acte du juge et la logique commande alors que l’acte produise ses effets uniquement à compter du moment de la journée où il est intervenu. Si la date et l’heure du prononcé de l’ordonnance sont mentionnées par le juge dans l’acte, il n’est généralement pas trop difficile de déterminer si les conclusions et pièces ont été déposées avant ou après cet instant (Civ. 2e, 20...

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Conflit de filiations : principe chronologique, mode d’emploi

L’affaire a déjà fait couler beaucoup d’encre sous l’angle du droit international privé puisqu’elle a conduit la Cour de cassation, dans un précédent arrêt, à admettre le jeu du renvoi de la loi allemande vers la loi française dans la mise en œuvre de l’article 311-14 du code civil, pour faire droit à une action en contestation de paternité (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-26.661, Dalloz actualité, 18 mars 2021, obs. F. Mélin ; D. 2020. 536 image ; ibid. 951, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke image ; ibid. 2021. 657, obs. P. Hilt image ; AJ fam. 2020. 255, obs. J. Houssier image ; Rev. crit. DIP 2020. 369, note D. Bureau image ; RTD civ. 2020. 340, obs. L. Usunier image).

Une enfant est née en Allemagne le 28 août 2010. Elle a été déclarée à l’état civil comme née d’une femme de nationalité allemande, et de son mari italo-australien. Un autre homme a contesté la paternité du mari devant les juridictions françaises de la résidence habituelle de l’enfant. Un jugement du tribunal de grande instance de Paris en date du 10 mars 2015, confirmé en appel, a dit que le mari n’était pas le père de l’enfant (sans trancher, semble-t-il, le conflit de paternité). L’homme auteur de la contestation a reconnu l’enfant à l’état civil le 28 août 2015. Sur renvoi, la cour d’appel de Paris (16 mars 2021) a constaté cette reconnaissance et a considéré qu’elle devait produire effet, en dehors même de toute action en établissement de paternité.

Les époux ont formé un nouveau pourvoi. Ils ont soutenu, en invoquant les termes de l’article 320 du code civil que « tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait ». Or, à la date de la reconnaissance le 28 août 2015, la paternité du mari, bien que contestée, n’avait pas été annulée, un appel (suspensif) ayant été formé, sur lequel la cour d’appel de Paris n’a statué que le 16 mars 2021 (les jugements rendus en matière de filiation ne sont pas de droit exécutoires à titre provisoire, C. pr. civ., art. 1149, al. 2, mod. Décr. n° 2019-333 du 11 déc. 2019 ; et il convient d’ajouter que le pourvoi en cassation est également suspensif en matière de filiation, art. 1150 c. pr. civ.).

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Se fondant sur l’article 320 du code civil, elle en déduit que « la reconnaissance d’un enfant qui a déjà une filiation légalement établie n’est pas nulle, mais est seulement privée d’effet, tant que cette filiation n’a pas été anéantie en justice » (c’est nous qui soulignons). Elle estime que la cour d’appel ayant retenu que le mari n’était pas le père de l’enfant, et ayant constaté la reconnaissance d’un autre homme, a pu en conclure « que cette...

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Du devoir de mise en garde d’une banque face à une société holding

Le droit du cautionnement implique d’être particulièrement vigilant quant aux différents devoirs que le créancier doit supporter tant à l’égard du débiteur principal qu’à l’égard de la caution. On pourra utilement noter que la chambre commerciale et la première chambre civile de la Cour de cassation sont particulièrement exigeantes sur ces questions, rendant le droit positif parfois sinueux. Avant l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, le devoir de mise en garde envers la caution était – assez peu utilement – complexe en créant notamment un doublon avec la sanction de la disproportion de la garantie conclue, mécanisme issu du code de la consommation (v. pour un développement jurisprudentiel récent, Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 21-14.673 F-B, Dalloz actualité, 6 oct. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1748 image). L’arrêt rendu par la chambre commerciale le 4 janvier 2023 permet de particulièrement bien mettre en musique ces différents devoirs de mise en garde en opérant quelques rappels bienvenus sur la qualité d’emprunteur averti. La publication au Bulletin permet de rappeler que le droit antérieur à l’ordonnance de 2021 continue d’être au centre du contentieux, le temps d’apurer les contrats conclus avant le 1er janvier 2022, ce qui prendra un certain temps, comme pour la réforme du droit des contrats. Les faits sont intéressants, car ils permettent de saisir immédiatement là où la difficulté s’est nouée. Quatre salariés d’une première société constituent une société holding afin de pouvoir acquérir les parts sociales de la société les employant. Cette acquisition est financée par un prêt conclu avec un établissement bancaire et garanti par le cautionnement de l’un des salariés ayant constitué la holding. Cette dernière société se retrouve en liquidation judiciaire, si bien que la banque a assigné la caution en paiement. Le garant reproche, dès la première instance, au créancier d’avoir manqué à son...

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Office du commissaire de justice significateur et procès-verbal de recherches infructueuses : la tentative de signification sur le lieu de travail n’est pas en option !

La Cour de cassation poursuit son œuvre pédagogique relative à la définition des contours de l’office de l’huissier significateur, désormais commissaire de justice (sur le maintien du terme « huissier », v. nos obs, T. Goujon-Bethan, L’office de l’huissier significateur à l’épreuve des boîtes aux lettres, Dalloz actualité, 26 sept. 2022).

En l’espèce, était demandée la nullité pour vice de forme (C. pr. civ., art. 114) d’un procès-verbal de recherches infructueuses (C. pr. civ., art. 659), dont on sait qu’il vaut signification d’une assignation (C. pr. civ., art. 664-1). Ledit procès-verbal était ainsi motivé par le commissaire de justice : « à ce jour, aucune personne répondant à l’identification du destinataire de l’acte n’y a son domicile. À l’adresse indiquée dans l’acte, l’intéressé n’y demeure plus. La boîte à lettres est pleine de courrier et le voisinage m’indique que l’intéressé a quitté les lieux. Ne figure pas sur les Pages blanches de l’annuaire électronique sur internet ». La cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion refuse de faire droit à la demande d’annulation de ce procès-verbal en relevant, d’abord, que les diligences du commissaire de justice sont suffisantes, et ensuite, que le destinataire « n’a pu concevoir aucun grief sur la remise de l’assignation suivant cette forme puisque l’acte mentionne qu’une copie a été envoyée au destinataire à cette adresse par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ainsi qu’un avis par lettre simple ».

Cette décision est cassée par la Cour de cassation. La Haute juridiction, qui exerce un contrôle sur la régularité des significations, prononce une cassation pour double manque de base légale. Elle estime que les constatations de la cour d’appel n’étaient pas suffisantes pour rejeter la demande d’annulation, tant en ce qui concerne la régularité que l’absence de grief.

La régularité : l’exigence d’une tentative de signification sur le lieu de travail

Chacun sait que, lorsqu’il procède à la signification d’un acte à une personne physique, le commissaire de justice peut effectuer une remise à personne en tout lieu (C. pr. civ., art. 689) et qu’il doit tenter une signification à personne prioritairement (C. pr. civ., art. 654) ; ce n’est qu’en cas d’impossibilité de signification à personne que les autres modes de signification sont possibles (C. pr. civ., art. 655). Chacun se rappelle également que la Cour de cassation articule raisonnablement les dispositions relatives à la hiérarchie des modes de signification et celles relatives au lieu : elle considère que l’impossibilité de signifier à personne s’apprécie au lieu du domicile (Civ. 2e, 2 déc. 2021, n° 19-24.170 P, Dalloz actualité, 12 janv. 2022, obs. T. Goujon-Bethan ; D. 2021. 2238 image ; Rev. prat. rec. 2022. 9, chron. D. Cholet, O. Cousin, M. Draillard, E. Jullien, F. Kieffer, O. Salati et C. Simon image). En pratique, le commissaire de justice peut donc, dans un premier temps, se présenter à l’adresse que son mandant lui désigne comme étant le domicile du destinataire et essayer de le trouver pour effectuer une signification à personne. Si la personne est absente, ledit commissaire peut procéder à une signification à domicile, mais uniquement s’il s’est assuré qu’il se trouve réellement au domicile du destinataire.

Il faut bien comprendre ce qui se joue dans ces cas-là. Lorsque l’acte signifié est une citation en justice, c’est le caractère contradictoire de la procédure qui est en cause, celle-ci ne pouvant se dérouler régulièrement sans que n’ait été « appelée » la partie adverse (C. pr. civ., art. 14). Le commissaire de justice est le premier garant du caractère équitable de la procédure (la Cour européenne des droits de l’homme – CEDH – tient les huissiers de justice pour des organes publics de l’État qui sont donc tenus de respecter les garanties de la Convention : CEDH 11 janv. 2001, n° 38460/97, Platakou c/ Grèce, § 39). Il garantit ainsi non seulement les droits de la défense du destinataire, à l’égard duquel tout doit être mis en œuvre pour l’appeler, mais aussi l’efficacité du jugement à intervenir pour son mandant, s’il...

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La communication forcée de données d’identification par une major

S’il incombe au demandeur de prouver les faits nécessaires au succès de ses prétentions, le juge peut l’épauler en cas de résistance abusive opposée par son adversaire, à ce sujet. C’est ainsi que la cour d’appel de Paris a exigé qu’une maison de disques fournisse les nom et adresse d’auteurs-compositeurs d’une œuvre arguée de contrefaçon.

L’arrêt du 16 novembre 2022 de la cour d’appel de Paris traite d’un contentieux traditionnellement déséquilibré, entre, d’une part, des majors – appelées ainsi en référence à leur rôle financier majeur dans l’industrie musicale – et, d’autre part, deux artistes qui estiment que leur œuvre a été indûment reproduite, sous la responsabilité des premières.

Exposons brièvement le litige présenté aux juges, les solutions dégagées par les juridictions successives, pour analyser les enseignements ainsi fournis par la cour d’appel de Paris.

Le litige présenté aux juges

Deux auteurs-compositeurs et interprètes d’une pièce musicale pour trompettes et saxophones, déposée à la SACEM en mai 2012 et intitulée CHAJRA, prétendent que le tube planétaire de reggae, remixé par un DJ, Cheerleader du label américain Ultra Music, qui a signé l’artiste jamaïcain OMI début 2014, serait une contrefaçon de leur œuvre antérieure.

Le morceau est exploité en France par la maison de disques Sony Music Entertainment. Sur le répertoire de la SACEM, il est présenté comme ayant été écrit et composé par cinq individus. Plusieurs personnes physiques ayant concouru à la création de l’œuvre désormais stigmatisée de manière concertée, et sans que leurs apports ne soient dissociables, l’œuvre en cause est une œuvre de collaboration, au sens de l’article L.113-2, alinéa 1, du code de la propriété intellectuelle, ce qu’aucun ne conteste.

L’œuvre de collaboration induit un régime de copropriété. Aussi, chaque exploitation et chaque défense d’une telle œuvre nécessitent-elles l’accord de tous ses créateurs. Et chaque attaque, par un tiers agissant en contrefaçon d’une telle œuvre, exige-t-elle la mise en cause de tous. En effet, il résulte d’une jurisprudence bien établie que la recevabilité de l’action en contrefaçon dirigée à l’encontre d’une œuvre de collaboration est subordonnée à la mise en cause de l’ensemble des co-auteurs, dès lors que leur contribution ne peut être séparée, que les droits invoqués par le demandeur à l’action soient moraux ou...

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Le respect du contradictoire et les procédures tendant au prononcé de mesures d’assistance éducative

Le juge des enfants peut, lorsque la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger, ou lorsque les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, ordonner diverses mesures d’assistance éducative (C. civ., art. 375). La procédure tendant au prononcé de ces mesures, qui paraît tout entière centrée autour de la protection de l’enfant, laisse une place, non négligeable, à d’autres acteurs que le juge des enfants et le mineur : outre le ministère public, les parents, le tuteur, la personne ou le représentant du service à qui l’enfant a été confié paraissent bien constituer des « parties » à la procédure (C. pr. civ., art. 1182 et 1187 ; v. égal. Circ. du 26 avr. 2002 relative au décret n° 2002-361 du 15 mars 2002 modifiant le nouveau code de procédure civile et relatif à l’assistance éducative, BOMJ n° 86 1er avr.–30 juin 2022). Conformément au vœu de certains auteurs (v. not., M. Huyette, Le contradictoire et la procédure d’assistance éducative, D. 2001. 1803 image), le décret n° 2002-361 du 15 mars 2002 a renforcé le rôle de la contradiction à l’égard de ces parties. Désormais, en effet, elles peuvent, seules ou par l’intermédiaire de leur avocat, consulter les pièces contenues dans le dossier déposé au greffe du tribunal (C. pr. civ., art. 1187) et les avis et convocations qui leur sont adressés doivent mentionner la faculté qui leur est ainsi laissée (C. pr. civ., art. 1182).

La Cour de cassation veille rigoureusement au respect de ces exigences.

L’affaire n’était pas banale puisqu’elle concernait un mineur qui avait été confié, le 17 janvier 2018, à un recueillant selon la procédure de kafala. Les mesures d’assistance éducative s’étaient alors multipliées. Le 24 février 2020, un premier jugement avait ordonné le placement du mineur auprès de deux personnes, prises en qualité de tiers dignes de confiance, et une mesure d’assistance éducative en milieu ouvert, tout en réservant les droits de visite et d’hébergement du recueillant. Un deuxième jugement, rendu le 28 août 2020, avait finalement confié le même mineur aux services de l’Aide sociale à l’enfance, mais avait reconnu au profit du recueillant un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. Enfin, le 10 septembre 2020, un nouveau jugement avait maintenu le placement jusqu’au 30 septembre 2021. Le recueillant avait toutefois formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel, qui avait ordonné de maintenir le placement jusqu’à cette même date.

La Cour de cassation, cela mérite d’être souligné, a accepté de statuer sur ce pourvoi alors que, au moment où elle rendait son arrêt, les mesures d’assistance éducative avaient déjà produit tous leurs effets. Cela illustre une évolution, qui n’est pas propre à la matière (Civ. 1re, 7 juill. 2021, n° 20-12.236 P, Dalloz...

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 SYMBOLE GRIS

Ordre des avocats de Carpentras


16, impasse Ste Anne

84200 Carpentras

Tél : 04.90.67.13.60

Fax : 04.90.67.12.66

 

 

 

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