Infections nosocomiales : de la bonne articulation entre la solidarité nationale et la responsabilité des établissements de santé

En matière d’accidents médicaux, la loi du 4 mars 2002 (Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé) a mis en place un système de solidarité nationale, destiné à faciliter l’indemnisation des dommages résultant d’un accident médical, d’une infection iatrogène ou d’une infection nosocomiale. Par ce dernier terme, il faut comprendre toute infection qui serait survenue au cours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente ni en incubation au moment de sa prise en charge, qu’elle soit endogène ou exogène (CE 10 oct. 2011, Centre hospitalier d’Angers, n° 328500, Lebon image ; AJDA 2011. 1926 image ; ibid. 2536 image, note C. Lantero image ; ibid. 2012. 1665, étude H. Belrhali image ; D. 2012. 47, obs. P. Brun et O. Gout image). Pour les dommages les plus graves résultant d’une telle infection, l’article L. 1142-1-1, 1°, du code de la santé publique prévoit les conditions dans lesquelles l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) assure la réparation. Ce dernier est un établissement public à caractère administratif de l’État, placé sous la tutelle du ministère de la Santé. Il est financé, pour une large part, par des fonds publics (v. Rép. resp. puiss. publ., v° Hôpitaux : régimes de responsabilité et de solidarité, par C. Grossholz, Dalloz, n° 263). Ainsi, lorsque l’Office assure la réparation d’un dommage, la réparation pèse, in fine, sur le contribuable. Il s’agit donc d’une indemnisation au titre de la solidarité nationale. À côté de ce régime d’indemnisation, il existe également un régime spécifique de responsabilité des établissements de soins. Le 14 juin 2023, la première chambre civile est venue rappeler comment concilier ces deux régimes.

Contexte de l’affaire et décision

En l’espèce, en 2012, une patiente a subi deux opérations chirurgicales au sein d’une clinique. Par la suite, elle a développé une infection et a subi deux reprises chirurgicales, avant de décéder d’une embolie pulmonaire. Sa famille a alors assigné en responsabilité et indemnisation la clinique ainsi que les médecins ayant réalisé les interventions.

Les médecins ont été condamnés in solidum à réparer les préjudices subis à hauteur de 80 % au titre de négligences dans la prise en charge. S’agissant des 20 % restant, c’est la responsabilité de la clinique qui a été recherchée. La Cour d’appel de Nîmes a rejeté les demandes formées contre cette dernière, au motif que la réparation incombait à l’ONIAM. Les juges du fond ont ainsi considéré que, pour les 20 % restants, il convenait de faire application du régime d’indemnisation spécifique des dommages les plus graves découlant d’infections nosocomiales, dont la réparation incombe à l’ONIAM.

La famille de la victime a formé un pourvoi en cassation, composé de deux moyens, dont seul le second est reproduit. Les demandeurs y reprochent aux juges du fond d’avoir rejeté leur demande qui tendait à ordonner à la clinique de mettre en cause l’ONIAM. Selon eux, dès lors qu’un dommage est indemnisable sur le fondement du régime d’indemnisation des dommages les plus graves résultant d’infections nosocomiales, l’ONIAM est appelé en la cause s’il ne l’a pas été initialement et il appartient alors au juge d’ordonner sa mise en cause. En ne le faisant pas, la cour d’appel aurait violé l’article L. 1142-21, I, alinéa 1er, du code de la santé publique et l’article 332 du code de procédure civile.

La solution de la Cour d’appel de Nîmes est cassée et annulée par la première chambre civile le 14 juin 2023. La Haute juridiction rappelle, à cette occasion, comment concilier la responsabilité des établissements de santé et l’indemnisation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale.

Spécificité de la responsabilité des établissements de santé en matière nosocomiale

Sur un premier moyen relevé d’office, la Haute juridiction rappelle d’abord l’article L. 1142-1, I, alinéa 2, du code de la santé publique, qui dispose que les établissements, services et organismes dans lesquels des actes médicaux sont réalisés engagent leur responsabilité en cas de dommage résultant d’une infection nosocomiale, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère. Cet article instaure un régime spécifique de responsabilité en matière nosocomiale : les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes médicaux sont responsables et ne peuvent se libérer qu’en invoquant une cause étrangère (déjà en ce sens, Civ. 1re, 8 févr. 2017, n° 15-19.716, Dalloz actualité, 1er mars 2017, obs. N. Kilgus ; D. 2017. 406 image ; ibid. 2224, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon image ; RTD civ. 2017. 412, obs. P. Jourdain image, en présence d’une victime indirecte). Autrement dit, si en vertu de l’alinéa 1er du même article, le professionnel de santé, les établissements, services ou organismes dans lesquels sont réalisés des actes médicaux ne répondent en principe que de leur faute, il n’en va pas de même en matière d’infections nosocomiales. L’établissement de santé dans lequel l’infection est contractée est responsable de plein droit et ne peut compter que sur la cause étrangère pour se libérer. L’article L. 1142-1, I, alinéa 2, du code de la santé publique, que rappelle la première chambre civile, pose ainsi un régime de responsabilité spécifique en matière d’infections nosocomiales, qu’il faut articuler avec le régime d’indemnisation au titre de la solidarité nationale.

Articulation des articles L. 1142-1, I, alinéa 2, et L. 1142-1-1, 1°, du code de la santé publique

L’article L. 1142-1-1, 1°, du code de la santé publique, instauré par la loi n° 2022-1577 du 30 décembre 2002 relative à la responsabilité médicale, dispose qu’ouvrent droit à réparation par l’ONIAM au titre de la solidarité nationale les dommages résultant d’infections nosocomiales correspondant à un taux d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique supérieure à 25 %, ainsi que les décès provoqués par ces infections. Ainsi, lorsqu’une infection nosocomiale entraîne un dommage d’une certaine gravité, l’ONIAM indemnise en lieu et place de l’établissement de santé dans lequel l’infection a été contractée. Dans ce cas, la réparation n’est pas subordonnée à la condition d’absence d’engagement de la responsabilité du prestataire de soins, contrairement à la réparation sur le fondement de l’article L. 1142-1-II du code de la santé publique. L’ONIAM ne peut donc pas s’exonérer en invoquant la responsabilité du prestataire de soins (en ce sens, v. C. Grossholz, préc., n° 288). Par principe, en application de l’article L. 1142-17, alinéa 1er, du code de la santé publique, l’ONIAM supporte alors la charge définitive de la réparation. Mais, par exception, l’Office dispose d’une action subrogatoire contre le professionnel ou l’établissement de santé en cas de faute établie (en ce sens, Civ. 1re, 28 sept. 2016, n° 15-16.117, D. 2016. 2437, obs. I. Gallmeister image, note M. Bacache image ; ibid. 2187, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon image ; ibid. 2017. 24, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz image ; RTD civ. 2016. 875, obs. P. Jourdain image). Un exemple de faute est mentionné par l’article L. 1142-17, alinéa 7, du code de la santé publique : un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales.

En bref, en cas de dommage résultant d’une infection nosocomiale, deux régimes coexistent. D’abord un régime de responsabilité, qui fait peser une responsabilité de plein droit sur l’établissement, le service ou l’organisme dans lequel l’infection est contractée. Ensuite, un régime d’indemnisation, qui veut que l’ONIAM indemnise en lieu et place du responsable si le dommage répond aux critères posés à l’article L. 1142-1-1, 1°, du code de la santé publique. Après avoir indemnisé, l’ONIAM conserve un recours contre le professionnel ou l’établissement si une faute est établie. Afin d’articuler ces deux régimes, un critère déterminant est nécessaire, qui est rappelé par la première chambre civile : la finalité de l’acte ou de l’intervention en cause.

Nécessité d’un acte à finalité contraceptive, abortive, préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice

La Cour de cassation mentionne l’article L. 1142-3-1 du code de la santé publique, qui précise que le régime d’indemnisation au titre de la solidarité nationale n’est pas applicable aux demandes d’indemnisation pour des dommages imputables à des actes « dépourvus de finalité contraceptive, abortive, préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice ». Autrement dit, pour que l’ONIAM indemnise, encore faut-il que l’acte litigieux ait une finalité contraceptive, abortive, préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice. Au critère de gravité du dommage mentionné plus haut, s’ajoute le critère de la finalité de l’acte en cause. D’où la nécessité, pour les juges du fond, de se prononcer sur la finalité de l’acte ou de l’intervention. Autrement, l’un des critères d’application du régime d’indemnisation par la solidarité nationale n’est pas vérifié et la Cour de cassation n’est pas en mesure de contrôler l’applicabilité du régime d’indemnisation ou de responsabilité. La Cour d’appel de Nîmes ne s’étant pas prononcée sur la finalité de l’intervention qui avait entraîné l’infection, puis le décès, sa solution est censurée. Afin de garantir la bonne articulation du régime d’indemnisation au titre de la solidarité nationale et de la responsabilité des établissements de soins, il est donc nécessaire de se prononcer sur la réunion des conditions d’application de ces régimes.

Mise en cause de l’ONIAM

La première chambre civile casse également la solution de la cour d’appel en réponse au second moyen invoqué par les demandeurs. Les juges du fond, après avoir considéré que la réparation du dommage relevait de la compétence de l’ONIAM, avaient estimé qu’il revenait ensuite aux victimes de former leurs demandes auprès de celui-ci. La Haute juridiction, de son côté, rappelle l’article L. 1142-21, alinéa 1er, du code de la santé publique, qui précise que lorsque la juridiction compétente estime que les dommages subis sont indemnisables au titre de la solidarité nationale, l’ONIAM est appelé en la cause et devient défendeur à la procédure. Nul besoin pour les victimes de former, dans un second temps, leurs demandes auprès de celui-ci. Une telle solution s’entend : l’objectif de la loi du 4 mars 2002 est en effet d’améliorer les droits des patients et de faciliter l’indemnisation de leurs dommages. Contraindre une victime à se tourner ensuite vers l’ONIAM après qu’une juridiction a estimé que son dommage était indemnisable au titre de la solidarité nationale irait à l’encontre de cet impératif.

Le régime de responsabilité des établissements de soins et le régime d’indemnisation par l’ONIAM obéissent ainsi à des logiques différentes : pour le premier, on considère que celui qui a causé un dommage doit répondre des conséquences de ses actes ; pour le second, on considère qu’une victime ne doit pas être laissée sans réparation et qu’à ce titre la réparation incombe à un tiers, par solidarité. À logiques différentes, champs d’application différents et règles différentes. C’est, finalement, ce que rappelle la première chambre civile dans cet arrêt du 14 juin 2023.

  

 SYMBOLE GRIS