Réitération de l’appel, la chute de l’histoire se profile

Un appelant d’un jugement du conseil de prud’hommes avait formé un premier appel sans mention des chefs de jugement critiqués, erreur rectifiée, le même jour, par un nouvel appel. Rien d’exceptionnel jusque-là puisque si le premier appel avait été effectué dans le délai imparti, le second, qui corrigeait le tir, l’était de facto.

Mais la Cour d’appel d’Aix-en-Provence estima qu’elle n’était pas saisie du fait de l’absence d’effet dévolutif et qu’il n’y avait pas lieu à statuer. Le moyen du pourvoi reprenait un attendu, déjà connu, de la deuxième chambre civile, en faisant grief à la cour d’appel d’avoir ainsi jugé alors « que la déclaration d’appel, nulle, erronée ou incomplète, peut être régularisée par une nouvelle déclaration d’appel, dans le délai pour conclure ; que la seconde déclaration d’appel s’incorpore à la première, de sorte que la cour d’appel, valablement saisie par la première déclaration d’appel, est saisie de la critique des chefs du jugement mentionnés dans la seconde ».

La Cour de cassation, sans considération pour le moyen, casse l’arrêt et renvoie en livrant la solution suivante :

« 4. Selon l’article 901, 4°, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, la déclaration d’appel est faite, à peine de nullité, par acte contenant notamment les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible. En application des articles 748-1 et 930-1 du même code, cet acte est accompli et transmis par voie électronique.
5. En application de l’article 562 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, seul l’acte d’appel emporte dévolution des chefs critiqués du jugement.
6. Il en résulte que les mentions prévues par l’article 901, 4°, du code de procédure civile doivent figurer dans la déclaration d’appel, laquelle est un acte de procédure se suffisant à lui seul.
7. Pour constater l’absence d’effet dévolutif de l’appel principal, l’arrêt relève que la déclaration d’appel ne précise pas les chefs de jugement critiqués mais procède par renvoi implicite à une annexe en indiquant uniquement que "l’appel est limité aux chefs du jugement expressément critiqués" sans plus de développement ni indication sur ceux-ci ni viser une quelconque annexe et transmettant, par le réseau virtuel privé avocat, le même jour un document intitulé "déclaration d’appel devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence" indiquant que l’objet de l’appel est la réformation de la décision en ce qu’elle a débouté Mme [C] de l’ensemble de ses demandes et l’a condamnée aux entiers dépens.
8. L’arrêt ajoute que l’appelante ne démontre pas avoir été dans l’impossibilité de faire figurer ces mentions dans la déclaration elle-même, laquelle pouvait contenir l’intégralité des chefs de jugement critiqués.
9. En statuant ainsi, alors qu’à la suite d’une première déclaration d’appel qui ne mentionnait pas les chefs de dispositif critiqués, une nouvelle déclaration d’appel a été adressée au greffe le même jour, dans le délai d’appel, par le réseau virtuel privé avocat, comportant les mentions énumérées à l’article 901 du code de procédure civile, dont l’indication des chefs de dispositif expressément critiqués, et se suffisant ainsi à elle-même, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Jusqu’ici tout va bien, jusqu’ici tout va bien

Tant que la sanction n’est pas tombée, l’appelant se nourrit d’espoirs. Durant la chute, défilent devant ses yeux les arrêts publiés qui fixent les contours de la déclaration d’appel et les modes de régularisation en cas d’erreur commise. Sans être certain de la réception tant la jurisprudence peut être délicate à appréhender. On connaît pourtant l’histoire, l’important n’est pas la chute mais l’atterrissage. Cet arrêt du 14 septembre 2023 a le grand mérite d’affirmer haut et fort le caractère autonome de l’acte d’appel comme le droit à l’erreur de l’appelant. Et sans doute celui de dégager le futur d’une question essentielle, celle du délai imparti à l’appelant pour régulariser cette erreur.

Il est en tous cas étonnant de voir, encore, comment certaines cours d’appel, à la suite d’une première déclaration d’appel que l’on qualifiera, génériquement, d’irrégulière, entendent priver l’appelant de la possibilité de rectifier son erreur au moyen d’un nouvel acte d’appel, sans même s’interroger sur l’expiration du délai d’appel. Comme si, dans une culture du « one shot », le premier jet devait être parfait, comme si l’avocat de l’appelant ne saurait bénéficier d’un droit à l’erreur au moment de passer sa déclaration d’appel par le Réseau privé virtuel avocats (RPVA).

Alors posons les choses d’emblée : oui, bien sûr, cette erreur peut être corrigée et un appel peut être réitéré. Tout n’est que question de délai.

Si la problématique de la réitération de l’acte d’appel dépasse celle de l’hypothèse d’une absence de mention des chefs de jugements critiqués, il faut bien reconnaître que c’est celle-ci, précisément, qui occupe les esprits. Car si l’erreur affectant un acte d’appel est quasiment infinie (de l’erreur orthographique, à celle sur la forme sociale, du défaut de capacité ou de pouvoir d’une partie à celle relative à une mention du jugement, de celle concernant l’identification de l’intimé à l’absence de l’intimé lui-même…), la jurisprudence dégagée au fil du temps en pareils cas ne surprend plus. On sait la sanction comme la façon de faire face. Mais avec l’avènement des chefs de jugement critiqués, la réécriture de l’article 901 du code de procédure civile et l’arrêt de principe de la Cour de cassation (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 image ; ibid. 576, obs. N. Fricero image ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle image ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero image ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon image ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry image ; ibid. 458, obs. N. Cayrol image ; Procédures, n° 4, avr. 2020, obs. H. Croze), l’erreur sur les chefs de jugement critiqués est devenue fatale : sauf lorsque l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible, lorsque la déclaration d’appel tend à la réformation du jugement sans mentionner les chefs de jugement qui sont critiqués, l’effet dévolutif n’opère pas et la cour d’appel n’est donc pas saisie.

La Cour d’Aix-en-Provence, qui s’était placée sur le terrain de l’absence d’effet dévolutif, avait ici observé que la déclaration d’appel « ne précise pas les chefs de jugement critiqués mais procède par renvoi implicite à une annexe en indiquant uniquement que "l’appel est limité aux chefs du jugement expressément critiqués, sans plus de développement ni indication sur ceux-ci ni viser une quelconque annexe ». Car si le RPVA mentionne effectivement que l’appel est limité aux chefs du jugement expressément critiqués, encore faut-il les ajouter ensuite ! Pas besoin de grande analyse, la cour pouvait constater l’absence des chefs de jugement critiqués et dire qu’elle n’était pas saisie par ce premier acte d’appel. Mais son erreur, tout aussi évidente, était de faire fi de la seconde...

  

 SYMBOLE GRIS