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Compétence du juge aux affaires familiales et charge de la preuve en présence d’un contrat de mariage

Le régime de la séparation de biens est censé simplifier le règlement des comptes à la dissolution du mariage. Toutefois, nombre d’époux ont pu constater que cette apparente simplicité n’est souvent qu’un leurre, au niveau tant substantiel que procédural. À propos de la compétence juridictionnelle et de la charge de la preuve, l’arrêt rendu le 30 janvier 2019 par la première chambre civile apporte d’heureuses clarifications.

Lors d’une instance en divorce, un époux marié sous le régime de la séparation de biens demande à son épouse le paiement de créances en lien avec une indivision ayant existé avant leur union matrimoniale, à l’époque où ils vivaient en concubinage. Il réclame également le partage par moitié des meubles meublants qui se trouvent dans l’ancien domicile familial, devenu celui de son épouse, et le paiement de la moitié de leur valeur à titre de soulte. Pour faciliter l’opération, ce dernier sollicite la désignation d’un expert chargé de leur inventaire et de leur estimation. Le juge aux affaires familiales rejette ces différentes demandes. Concernant le paiement des créances, le magistrat considère n’être tenu que d’ordonner la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux et ne disposer d’aucune compétence pour statuer sur l’indivision qui existait entre les parties avant leur mariage. Il observe que, le contrat de mariage ne faisant mention d’aucune créance antérieure à leur union, un tel élément patrimonial n’a pas vocation à être intégré dans les comptes de liquidation du régime matrimonial. Concernant le partage des meubles, le magistrat estime ne pas avoir à suppléer la carence d’une partie dans l’administration de la preuve alors que le demandeur n’apporte aucun élément laissant penser que des biens appartenant par moitié aux deux époux meubleraient l’ancien domicile familial, celui-ci ayant été meublé avant le mariage. L’époux interjette appel mais le jugement est confirmé sur ces deux points. Il forme alors un pourvoi en cassation. D’après lui, le juge aux affaires familiales serait bien compétent pour se prononcer sur les créances antérieures à la conclusion du mariage. Et, en refusant d’ordonner une expertise, il aurait procédé à une inversion des charges de la preuve car le contrat de mariage stipulait que les meubles meublants étaient présumés appartenir à chacun des époux dans la proportion de moitié.

Par un arrêt du 30 janvier 2019, la Cour de cassation donne raison au pourvoi. Elle soutient, d’une part, que « la liquidation à laquelle il est procédé en cas de divorce englobe tous les rapports pécuniaires entre les parties », ce qui inclut autant les questions liées à l’indivision ayant existé entre les parties avant leur union matrimoniale que les créances nées avant cette date. Elle affirme, d’autre part, qu’il importait peu que l’habitation ait été meublée avant le mariage. Dès lors que le contrat de mariage prévoyait une présomption d’indivision du mobilier en question, celle-ci devait être respectée.

Encore un arrêt sur les compétences du juge aux affaires familiales, dont les limites tracées par l’article L. 213-3 du code de l’organisation judiciaire sont loin d’être toujours évidentes (v. par ex. Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-27.145, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. R. Laher ; D. 2019. 7 image ; ibid. 505, obs. M. Douchy-Oudot image) ! En l’espèce, la cour d’appel considérait que ce juge n’était pas compétent pour statuer sur l’indivision ayant existé entre les parties avant leur union tout en retenant que les créances nées avant le mariage n’avaient pas vocation à être intégrées dans les comptes de liquidation du régime matrimonial. La lecture de l’arrêt d’appel nous renseigne davantage sur la motivation d’une telle solution. Reprenant les arguments avancés par le juge aux affaires familiales initialement saisi, la cour indique que le contrat de mariage ne faisait mention ni de créances antérieures à leur union ni des biens mobiliers ou immobiliers acquis pendant leur concubinage. Elle laisse aussi entendre que la conclusion d’un pacte civil de solidarité aurait pu changer la donne mais qu’il n’en existait pas. La cour d’appel a parfaitement conscience que l’article 267 du code civil prévoit que le juge aux affaires familiales connaît de la liquidation et du partage des « intérêts patrimoniaux » des époux. Elle estime simplement que cette expression – reprise à l’article L. 213-3 du code de l’organisation judiciaire – n’a pas vocation à englober l’indivision qui existait entre les parties avant leur mariage et les créances qui en découlent. La Cour de cassation donne tort à cette interprétation restrictive.

De prime abord, l’expression d’« intérêts patrimoniaux » n’est pas des plus claires. Envisagée par l’ancien article 264-1 du code civil, elle a été reprise par la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 (pour l’art. 267, C. civ.) puis par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 (pour l’art. L. 213-3, COJ). Lors d’une liquidation-partage consécutive à un divorce, le juge aux affaires familiales doit-il se limiter au seul régime matrimonial ou peut-il s’intéresser à d’autres éléments patrimoniaux ? Une jurisprudence constante précise que « la liquidation à laquelle il est procédé en cas de divorce englobe tous les rapports pécuniaires entre les parties et qu’il appartient à l’époux qui se prétend créancier de l’autre de faire valoir sa créance selon les règles applicables à la liquidation de leur régime matrimonial lors de l’établissement des comptes s’y rapportant » (v. Civ. 1re, 28 nov. 2000, n° 98-13.405, D. 2001. IR 177 image ; Defrénois 2002. 37508, obs. Champenois). La formule, reprise par la première chambre civile dans l’arrêt commenté, confère donc aux « intérêts patrimoniaux » une large portée, incluant les créances entre époux. Cette jurisprudence correspond parfaitement à la volonté du législateur qui, depuis des décennies, poursuit un mouvement de centralisation du contentieux familial entre les mains d’un seul juge afin d’« éviter le contentieux après divorce entre ex-époux et […] concentrer les effets de celui-ci dans le temps » (P. Hilt, note ss Civ. 1re, 22 mai 2007, n° 05-12.017, AJ fam. 2007. 360 image). Puisqu’il en va de l’intérêt des plaideurs et de la bonne administration de la justice, il est indifférent que les créances en question soient nées avant ou après l’union matrimoniale. Il est pareillement indifférent que le contrat de mariage y fasse ou non référence. Le divorce est une épreuve assez douloureuse pour ne pas avoir à multiplier les procédures contentieuses.

Outre le sujet de la compétence, l’arrêt offre également un rappel intéressant concernant la charge de la preuve lorsque le contrat de mariage a prévu des présomptions de propriété. Depuis longtemps, les notaires ont pris l’habitude d’établir de telles clauses afin de prévenir les difficultés probatoires qui pourraient surgir lors de la liquidation du régime matrimonial (v. Rep. civ., v° Séparation de biens, par G. Yildirim, nos 224 s.). Les parties peuvent ainsi convenir que tel ou tel bien sera réputé propriété exclusive ou indivise. La validité de cette pratique avait été discutée en doctrine (v. J. Beuriot, Des difficultés de la liquidation inhérentes à la dissolution de la séparation de biens contractuelle, thèse, Paris, 1938) mais la loi n° 65-570 du 13 juillet 1965 vint balayer toutes les incertitudes. Désormais, le deuxième alinéa de l’article 1538 du code civil dispose que « les présomptions de propriété énoncées au contrat de mariage ont effet à l’égard des tiers aussi bien que dans les rapports entre époux, s’il n’en a été autrement convenu ». En l’espèce, le contrat de mariage prévoyait que « tous les produits de consommation tels que vins, combustibles et autres provisions existant au jour de la dissolution du mariage seront présumés appartenir à chacun des époux dans la proportion de moitié, de même que les meubles meublants ». C’est précisément sur le fondement de cette clause que l’époux sollicitait la désignation d’un expert et le partage du mobilier garnissant l’ancien domicile du couple. Le juge aux affaires familiales, dont l’argumentaire sera confirmé en appel, rejettera cette demande aux motifs que celui-ci ne fournirait aucun élément pertinent permettant de dire que le mobilier garnissant le domicile conjugal constituerait du mobilier indivis. Il ajoutera, sans doute pour justifier davantage sa décision, que la maison était meublée antérieurement au mariage et qu’aucun inventaire n’avait été effectué entre époux lors de l’établissement du contrat de mariage.

La licéité de la clause n’ayant pas été discutée, la Cour de cassation n’avait guère d’autre choix que de casser l’arrêt d’appel sur ce point. Comme le souligne très bien la première chambre civile, la cour d’appel a procédé à une inversion de la charge de la preuve en exigeant de l’époux qu’il justifie l’existence de meubles en indivision. En d’autres termes, les demandes de paiement, de partage et d’expertise n’étaient pas soumises à la preuve du caractère indivis des meubles meublants. Certes, l’article 1353 du code civil – visé par la Cour de cassation – impose à celui qui réclame l’exécution d’une obligation de la prouver. Mais c’est justement tout l’intérêt de la « gestion contractuelle de la charge de la preuve » que de pouvoir parfois la renverser (v. N. Hoffschir, La charge de la preuve en droit civil, Dalloz, p. 433 s.). Il est, en effet, bien plus pratique pour des époux séparés de biens d’établir quelques présomptions de propriété par le jeu de l’article 1538 du code civil que de tenir des comptes d’apothicaires tout au long de leur vie de couple, même lorsqu’elle est entamée avant l’union matrimoniale. Dans cette dernière hypothèse, aucun texte n’exige d’ailleurs qu’un inventaire soit dressé préalablement à la signature du contrat et la présomption pourra s’appliquer à l’ensemble des biens visés par la clause. C’est dire si la portée de cette technique contractuelle sur la preuve est importante ; surtout si l’on relève que la présomption s’applique aussi bien dans les rapports entre les époux qu’à l’égard des tiers. S’agissant d’une présomption simple et non d’une présomption irréfragable (v. Civ. 1re, 19 juill. 1988, Defrénois 1989. 478, obs. G. Champenois), la situation des parties demeure cependant équilibrée. Ainsi, dans notre affaire, l’épouse pouvait encore apporter la preuve de sa propriété exclusive par tout moyen. Que les notaires soient donc rassurés : bien qu’une cour d’appel en ait douté, les clauses de présomption de propriété prévues au contrat de mariage ne sont pas que de style.

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