L’État devra justifier, d’ici à fin novembre, du respect en Île-de-France du délai de dix jours ouvrés après présentation de la demande aux guichets uniques pour demandeurs d’asile (GUDA).
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La durée de la période d’essai doit s’apprécier au regard de la catégorie de l’emploi occupé.
Un arrêté du 30 juillet 2021 précise le format et le contenu de la fiche d’information sur le prix et les prestations proposées par le syndic de copropriété.
Selon le bilan réalisé par le Conseil d’État, l’expérimentation de la médiation préalable obligatoire devrait conduire à une pérennisation et à un élargissement du dispositif mais pas pour tous les contentieux.
La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 7 septembre 2021 trois arrêts dans l’instruction en cours à l’encontre de la société Lafarge SA. Ces décisions étaient très attendues et tranchent plusieurs questions importantes, notamment sur la possibilité pour une personne morale d’être poursuivie pour des faits de complicité de crime contre l’humanité et quant aux conditions de constitution de partie civile des associations regroupant des victimes d’infractions à caractère terroriste.
La Commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a prononcé un blâme et une sanction pécuniaire d’un montant de 2 millions d’euros à l’encontre d’un établissement de paiement pour divers manquements à la législation sur la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
L’absence d’entretien professionnel de la salariée de retour de congé de maternité n’est pas susceptible d’entraîner la nullité du licenciement postérieur dès lors que l’article L. 1235-3-1 du code du travail a pour objet de recenser les hypothèses de nullité du licenciement, et non d’ériger de nouveaux cas de nullité, et qu’une telle nullité ne résulte ni de ce texte, ni de l’article L. 1225-27 du même code, ni de leur combinaison.
La nouvelle loi de bioéthique encadre l’interruption volontaire partielle de grossesse multiple et clarifie les conditions d’interruption médicale de grossesse pour les femmes mineures non émancipées.
Dans un avis du 16 juillet 2021, la Cour de cassation retient qu’il n’entre pas dans les attributions du juge de l’exécution d’autoriser un indivisaire à procéder seul à la vente amiable d’un bien indivis en cas de refus du coïndivisaire.
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La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la république a été publiée au Journal officiel du 25 août. Analyse critique de ces dispositions relatives aux contrats de la commande publique.
Au mois d’août, l’activité jurisprudentielle de la Cour de Strasbourg se limite, traditionnellement, à une poignée d’arrêts et de décisions si bien que la chronique estivale promettait d’être quantitativement réduite, même si qualitativement elle devra rendre compte d’importantes prises de position sur le renforcement du droit des étrangers, l’examen post-mortem du corps d’un bébé contre la volonté de sa mère, de nouvelles applications du principe de non-discrimination, le stockage des produits radioactifs, la protection des journalistes, la protection des détenus, les droits procéduraux. En 2021, ce déficit sera compensé par un événement majeur qui n’est pas d’ordre jurisprudentiel, mais qui influencera sans doute fortement l’activité de la Cour dans les mois et les années à venir. Aussi faudra-t-il lui réserver la première place.
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Trois ans après la publication de la loi n° 2018-701 du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les rodéos motorisés, qui avait créé plusieurs nouveaux délits de participation à un rodéo motorisé, et alors que ce phénomène continue de préoccuper les pouvoirs publics, la commission des lois de l’Assemblée nationale a procédé à son évaluation afin de s’assurer de l’adéquation de la loi avec les besoins du terrain.
Une mise en demeure relevant la carence d’un établissement d’enseignement privé hors contrat à respecter le principe du droit à l’éducation et des normes minimales de connaissances justifie le refus de l’État de conclure un contrat avec cet établissement.
Le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a fait hier des annonces concernant les expertises psychiatriques et psychologiques. L’objectif est de revaloriser un secteur en pleine crise. D’autres mesures concernent l’ensemble des expertises (comparutions aux assises, déclarations d’intérêts).
L’Autorité de la concurrence a sanctionné plusieurs entreprises et organismes professionnels pour avoir entravé, via des actions de boycott, le développement de nouveaux acteurs du numérique dans le secteur du transport routier de marchandises, les bourses de fret digitales.
La nouvelle loi de bioéthique crée un nouveau mode d’établissement de la filiation pour les enfants issus de couples de femmes, fondé sur une reconnaissance conjointe.
Les préfets n’ont pas à garantir un accès aux biens et services de première nécessité dans les centres commerciaux dès lors qu’il est possible d’y accéder dans des magasins situés à une distance raisonnable de ces centres.

Les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix ont présenté leur rapport évaluant la loi Sapin 2 le 7 juillet dernier. Les deux rapporteurs y proposent plusieurs pistes d’évolution. Retour sur 50 propositions visant à améliorer la lutte contre la corruption en France.
Un décret n° 2021-810 du 24 juin 2021 portant diverses dispositions en matière d’aide juridictionnelle et d’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles a été publié au Journal officiel du 26 juin. Une circulaire du 25 août vient en préciser les contours.
Une personne pouvant obtenir en référé la communication d’éléments de preuve avant tout procès sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, rien n’interdit ainsi au juge des référés d’ordonner la communication de certains documents sous peine d’astreinte. L’engagement de la procédure au fond ne peut cependant avoir pour effet d’interrompre le délai de prescription de l’action en liquidation de l’astreinte.
Malgré l’objectif de santé publique, le maire de Saint-Laurent-d’Aigouze ne pouvait pas, sans violer le droit au respect de la vie privée, exiger de ses agents la présentation d’un passe sanitaire et conserver les données recueillies.
Dalloz actualité a pu consulter le projet de réforme des juridictions financières. Une réforme profonde, qui devrait se faire par ordonnance, et dont l’habilitation figurera dans le budget 2022.
La Cour de justice de l’Union européenne apporte trois précisions sur la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi de la protection internationale.
La loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 tend, par diverses mesures d’inégale portée, à accélérer la rénovation des immeubles bâtis soumis au statut de la copropriété, en particulier pour accroître leur niveau de performance énergétique mais pas uniquement. Passage en revue des principales innovations législatives intéressant le droit de la copropriété.
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Le Conseil d’État juge que l’ancien propriétaire d’un navire, dont la cession, non publiée, n’est pas opposable aux tiers, ne peut pas être poursuivi pour contravention de grande voirie (CGV).
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Le Conseil d’État apporte des précisions sur les modalités de cession par une commune d’un immeuble avant l’expiration du contrat de bail emphytéotique.
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L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Présentation générale d’une réforme très attendue.
L’onde de choc sur toutes les places d’arbitrage européennes devrait rapidement se faire sentir (CJUE 2 sept. 2021, aff. C-741/19, Komstroy). Quel est le problème ? Tout simplement que la Cour de justice préempte le droit d’interpréter un traité multilatéral prévoyant le recours à l’arbitrage dans un litige opposant des tiers à l’Union européenne. Le litige opposant un investisseur ukrainien à la Moldavie a été instrumentalisé sur l’autel de la vendetta menée par la Cour contre l’arbitrage d’investissements. Or, il existe pour les parties un moyen très simple d’éviter de tomber sous l’emprise de la Cour de justice : fixer le siège de l’arbitrage en dehors de l’Union européenne. À ce titre, il ne faudra donc pas s’étonner de voir les places de Londres et Genève pointer du doigt cette solution pour mettre en avant leur propre attractivité. Doit-on pour autant se résoudre à voir l’arbitrage d’investissements échapper à la place de Paris ? Il nous semble que non, mais ce sera au prix d’une évolution du contrôle sur la sentence arbitrale.
Au-delà de cette décision marquante, le lecteur sera attentif aux arrêts Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999) et Fiorilla (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413), portant tous les deux sur la question de l’obligation de révélation (mais pas seulement). Cette question, régulièrement à l’honneur dans cette chronique, devient d’une grande technicité et on peut difficilement considérer la jurisprudence comme étant fixée. On signalera enfin l’arrêt d’appel dans l’affaire Saad Buzwair (Paris, 22 juin 2021, n° 21/07623), qui infirme le jugement rendu quelques semaines plus tôt sur la compétence internationale pour connaître d’une action en responsabilité contre l’arbitre.
I - CJUE c/ Arbitrage
L’affaire Komstroy est l’histoire de la place de Paris qui se tire une balle de pied. Depuis plusieurs années, Paris est choisi comme siège de l’arbitrage pour la résolution de litiges d’investissements, à défaut de compétence des tribunaux CIRDI. Ce choix est justifié par un droit français favorable à l’arbitrage et un contrôle de qualité sur les sentences arbitrales. Pourtant, en 2019, à la même époque, la cour d’appel (Paris, 24 sept. 2019, n° 18/14721, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 22, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2020. 816, note C. Fouchard ; JDI 2020. 983, note M. Audit) avait « jeté un pavé dans la marre » en saisissant la Cour de justice d’une question préjudicielle, alors que rien ne l’y obligeait (J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : arbitrage et question préjudicielle – la cour d’appel de Paris jette un pavé dans la mare, Dalloz actualité, 29 oct. 2019).
Autrement dit, la cour d’appel de Paris entendait déléguer le travail de contrôle des sentences arbitrales qui lui avait été confié par les parties à la Cour de justice. Or il ne fallait pas être devin pour savoir que la Cour allait sauter sur l’occasion pour appliquer son idéologie hostile à l’arbitre. C’est désormais chose faite. S’il a mis deux ans à achever sa chute, l’impact du pavé (qui était en fait un bâton de dynamite) a vidé la marre : la Cour de justice n’a pas hésité à se saisir de l’occasion pour anéantir, dans les relations entre un investisseur européen et un État membre, l’article 26 du Traité sur la charte de l’énergie (TCE) qui prévoit la faculté de recourir à l’arbitrage. Finalement, le cœur de la question posée, à savoir l’interprétation de la notion d’« investissement », était presque secondaire. La Cour, dans son immense mansuétude, accepte d’en livrer son interprétation – évidemment restrictive – en égratignant au passage tous ceux ayant eu une interprétation divergente de la sienne.
Notre analyse de cette décision restera superficielle. Il faudra du temps pour l’examiner sous toutes ses coutures, percevoir ses tenants et ses aboutissants, bref, pour passer de la sidération à la réflexion. C’est donc à chaud, et avec le recul que cela nécessite, que nous en livrons une première analyse. Le point le plus important de la décision concerne la compétence de la Cour (A). En effet, cela n’avait rien d’évident que la Cour accepte d’examiner une question préjudicielle portant sur un litige extra-européen. Une fois cet obstacle franchi, on pourra revenir sur les deux apports de l’arrêt sur le fond de la question préjudicielle (B) : d’une part, l’applicabilité de l’article 26 du Traité sur la charge de l’énergie (TCE) dans les litiges intra-européens et, d’autre part, sur l’interprétation de la notion d’investissement. Enfin, on envisagera une première piste (un antidote ?) pour permettre à la jurisprudence française de neutraliser le poison que vient d’injecter la Cour de justice à la réputation de « Paris, Place d’arbitrage » (C).
A - La compétence de la Cour
La Cour de justice peut-elle examiner une question préjudicielle alors que le litige à l’occasion duquel elle est soumise oppose un État tiers à un investisseur ressortissant d’un autre État tiers ? La solution fera sans doute l’objet de commentaires érudits de la part des spécialistes du droit européen, bien plus à même de se prononcer sur la pertinence de la motivation de la Cour de justice. En tout cas, la réponse n’est pas évidente, et la négative est soutenue par le Conseil de l’Union européenne, les gouvernements hongrois, finlandais et suédois. Sans surprise néanmoins, la Cour se reconnaît compétente (§§ 21 s. de la décision).
Pour éviter de paraphraser l’arrêt, on retiendra que la Cour de justice envisage deux obstacles à sa compétence. Premièrement, elle reconnaît qu’elle n’est en principe pas compétente pour interpréter un accord international pour ce qui concerne son application dans le cadre d’un différend ne relevant pas du droit de l’Union (§ 28). L’argument ne manque pas de pertinence, puisque c’est précisément le cas en l’espèce. Deuxièmement, elle admet avoir déjà jugé qu’elle n’est pas compétente pour interpréter l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) lorsqu’il doit être appliqué à des situations ne relevant pas de l’ordre juridique de l’Union, du fait que les litiges portent sur une période antérieure à l’adhésion des États à l’Union (§ 37). Là encore, l’objection est de taille puisque les parties au litige appartiennent à des États dont l’adhésion n’est pas à l’ordre du jour.
Pour autant, la Cour ne s’en laisse pas compter. La messe est dite dès le début de l’arrêt (§ 23), où la Cour énonce que dès lors que l’Union européenne (UE) est partie au TCE, cet accord fait « partie intégrante […] de l’ordre juridique de l’Union et que, dans le cadre de cet ordre juridique, la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel sur l’interprétation de cet accord ». Tout repose sur cet axiome de base, dont on discutera les limites : puisque l’Union est partie au traité, il intègre l’ordre juridique européen et la Cour est compétente pour l’interpréter. Pour tenter de renforcer sa motivation, la Cour ajoute que l’Union dispose d’une compétence exclusive en matière d’investissements, ce qui justifie sa compétence pour répondre à une question d’interprétation sur cette notion (§§ 25 s.). Enfin, elle souligne que les parties ayant choisi de fixer le siège à Paris, cela a pour conséquence de rendre le droit français applicable en tant que lex fori et, par conséquent, le droit de l’Union qui fait partie du droit français (§ 33).
Le raisonnement présente, à nos yeux, deux limites très sérieuses. L’une tient à la théorie du droit (1), l’autre au droit de l’arbitrage (2).
1 - Les limites du raisonnement en théorie du droit
En théorie du droit, il nous semble que le problème réside dans l’assimilation un peu rapide, pour ne pas dire abusive, du TCE à une « partie intégrante de l’ordre juridique européen ». Pour la Cour, la conclusion du traité par l’Union entraîne un effet d’attraction du TCE dans l’ordre juridique européen. Ce faisant, elle nie une partie de la complexité des questions autour de la pluralité des ordres juridiques. La Cour refuse d’envisager l’existence d’un ordre juridique international dans lequel ce type de traité s’inscrit. C’est finalement une vision binaire, presque trumpienne, du droit qui est proposée : soit les institutions européennes ont contribué à l’élaboration de la règle et elle fait partie de l’ordre juridique européen, soit ce n’est pas le cas et elle est extérieure à cet ordre juridique.
Le problème de ce raisonnement est qu’il ignore que plusieurs ordres juridiques peuvent collaborer à l’élaboration d’une règle qui appartiendra à un ordre juridique tiers. C’est typiquement le cas en droit international public, où les États, qui sont tous des ordres juridiques, contribuent à l’adoption de règles qui seront applicables dans l’ordre juridique international. C’est encore le cas lorsque les États européens ont décidé de s’unir pour la création d’un nouvel ordre juridique, l’Union européenne. En somme, chaque ordre juridique est capable de créer ses propres règles ou de contribuer à l’élaboration de règles avec d’autres. De même, au sein d’un ordre juridique sont applicables les règles de cet ordre, mais aussi des règles d’ordres juridiques tiers. C’est le cas lorsque, à l’occasion d’un litige international, le droit international privé français conduit à l’application du droit étranger. Personne n’ira dire, à cette occasion, que la règle étrangère fait partie intégrante de l’ordre juridique français. C’est donc, il nous semble, l’erreur de la Cour : croire que la conclusion du TCE par l’Union européenne intègre ce traité au sein de l’ordre juridique de l’Union. Celui-ci reste bien dans son propre ordre juridique qui est, en l’occurrence, l’ordre juridique international.
Cela dit, il est vrai qu’il n’est pas rare que les juridictions d’un ordre juridique soient conduites à interpréter des règles émanant d’un autre ordre juridique. Le juge français le fait quotidiennement avec le droit européen et ponctuellement avec des règles de droit étranger. Il n’y a rien de choquant à cela. Quelle est alors la difficulté à ce que la Cour de justice en face de même avec le TCE ? Le problème, en réalité, n’est pas tant que la Cour de justice interprète le TCE ; il est que la Cour de justice se pose en interprète officiel du TCE. Lorsque le juge français interprète le droit américain, il n’aspire pas à supplanter la Cour suprême des États-Unis. Il en donne simplement une interprétation pour un litige en particulier. Pourtant, et c’est là que le problème réside, le TCE donne déjà compétence à un juge pour réaliser son interprétation. Il s’agit, selon l’article 26, et en fonction de ce qui a été prévu par les parties, d’une juridiction arbitrale. Ainsi, et quand bien même le traité ne crée pas une juridiction unique pour son interprétation, la Cour de justice préempte l’interprétation du traité confiée aux arbitres.
Pour se rendre compte du problème causé par une telle analyse, on peut faire un parallèle avec la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH). On le sait, et on le comprend mieux, la Cour de justice a fait obstacle à l’adhésion de l’Union à la CEDH (CJUE 18 déc. 2014, avis 2/13, AJDA 2015. 329, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2015. 75, obs. O. Tambou
; RTD civ. 2015. 335, obs. L. Usunier
; RTD eur. 2014. 823, édito. J. P. Jacqué
; Cah. dr. eur. 2015, n° 1, p. 19, obs. J.-P. Jacqué ; ibid. p. 47, obs. I. Pernice ; ibid. p. 73, obs. E. Dubout ; Europe 2015, n° 2, p 4, obs. D. Simon ; JDI 2015. 708, note D. Dero-Bugny).
Admettons, pour le besoin du raisonnement, que l’Union ait ratifié la Conv. EDH. En transposant le raisonnement suivi dans Komstroy, l’adhésion de l’Union à la Conv. EDH conduirait à l’intégration de cette dernière au sein de l’ordre juridique européen. Par conséquent, la Cour de justice se sentirait légitime pour réaliser une interprétation officielle de la Conv. EDH et l’imposer à l’ensemble des États membres et même, puisque c’est le cas dans la présente affaire, à des États tiers dans des litiges n’ayant aucun lien avec l’Union. En définitive, la CEDH ne serait plus, aux yeux de la CJUE, l’interprète officiel de la Conv. EDH. Le parallèle entre les deux est d’ailleurs frappant, puisque l’aversion à l’arbitrage est fondée sur des raisons identiques à celles qui ont justifié un avis défavorable concernant la Conv. EDH. Il y a toutefois, entre le cas de la Conv. EDH et celui du TCE, une différence majeure : dans le premier cas, le projet d’adhésion a pu être abandonné, alors que, dans le second, l’adhésion est déjà réalisée. A posteriori, c’est donc une violation pure et simple des engagements internationaux à laquelle on assiste. Aux yeux de la Cour de justice, la hiérarchie des normes n’inclut pas une supériorité des engagements internationaux sur le droit européen primaire.
2 - Les limites du raisonnement en droit de l’arbitrage
En droit de l’arbitrage, le raisonnement n’est pas non plus convaincant. La Cour retient qu’« un tel choix [de fixer le siège de l’arbitrage à Paris], librement effectué par ces parties, a pour conséquence de rendre applicable au litige au principal le droit français en tant que lex fori dans les conditions et limites prévues par ce droit ». La formule n’est pas totalement fausse, mais elle est trompeuse par sa généralité. En effet, en arbitrage il faut distinguer quatre lois différentes : la loi applicable au contrat, la loi applicable à la procédure arbitrale, la loi applicable à la convention d’arbitrage et la lex arbitri. La décision de la Cour de justice conduit à nier la distinction entre loi applicable à la convention d’arbitrage et lex arbitri.
Il faut dire que, dans la configuration de l’affaire, la distinction n’est pas aisée à réaliser. Le choix d’un siège de l’arbitrage par les parties permet de déterminer la lex arbitri. Ainsi, en fixant le siège à Paris, les parties choisissent la loi française comme lex arbitri. Sa portée est différente selon la conception que l’on se fait de l’arbitrage, les législations modernes tendant à la réduire sensiblement. Il n’en demeure pas moins, et cette solution est universelle, que c’est la lex arbitri qui permet de déterminer les voies de recours contre la sentence arbitrale. Ainsi, comme c’est le cas en l’espèce, la désignation de Paris ouvre la voie à un recours en annulation en France. Or si le recours en annulation est soumis à des règles propres à l’arbitrage, il n’en demeure pas moins que d’un point de vue procédural, il est soumis au droit commun. C’est ainsi, et même si cela est prévu par le texte, que le recours est soumis à la procédure ordinaire applicable devant la cour d’appel (C. pr. civ., art. 1527, al. 1er). De même, et cette fois les textes ne le prévoient pas, l’arrêt d’appel est susceptible d’un pourvoi en cassation au titre du droit commun. La jurisprudence récente nous offre d’ailleurs un exemple supplémentaire de cette imbrication des voies de recours arbitrales dans le droit commun, avec la reconnaissance de la tierce opposition contre la décision se prononçant sur le recours contre la sentence (Civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-23.996, Central Bank of Libya, D. 2021. 1034 ; Rev. arb. 2021. 474, note S. Akhouad-Barriga ; Procédures 2021. Comm. 225, obs. L. Weiller). De même, il n’aura échappé à personne que l’arbitrage ne fait pas obstacle à l’élévation du litige devant le Tribunal des conflits. En somme, le recours contre la sentence ne figure pas dans un cadre procédural imperméable au droit commun. À ce titre, il n’y a pas d’objection fondamentale à ce qu’une question préjudicielle soit formulée. Ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté (Civ. 1re, 18 nov. 2015, n° 14-26.482, Dalloz actualité, 2 déc. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 2450
; ibid. 2588, obs. T. Clay
).
Néanmoins, ce mécanisme procédural peut-il conduire, en matière d’arbitrage, à soumettre à la Cour n’importe quelle question ? C’est là, il nous semble, que doivent résider les limites, lesquelles ont été franchies dans la présente affaire. La Cour de justice n’est d’ailleurs pas ignorante de ces limites, et les rappelle à très juste titre à deux reprises (§§ 33 et 57). D’une part, elle souligne que le droit du siège s’applique « dans les conditions et limites prévues par ce droit ». D’autre part, toujours dans la même idée, la Cour précise qu’« un tel contrôle juridictionnel ne peut être exercé par la juridiction de renvoi que dans la mesure où le droit interne de l’État membre de cette dernière le permet. Or, l’article 1520 du code de procédure civile ne prévoit qu’un contrôle limité portant, notamment, sur la compétence du tribunal arbitral ». Ainsi, pour en donner une illustration, la question préjudicielle ne peut pas porter sur une question de fond, sauf à porter atteinte au principe de non-révision au fond des sentences arbitrales. Il en va seulement différemment si la violation d’une telle règle entraîne une atteinte à l’ordre public international. Dans ce cas, la question préjudicielle est possible, l’article 1520, 5°, du code de procédure civile permettant au juge de l’annulation de réaliser ce contrôle. Naturellement, la Cour de justice peut être tentée – et elle le fait d’ailleurs déjà – de modeler à sa guise la notion d’ordre public international et en promouvoir une appréciation élargie lorsque sont en cause des règles européennes. Il n’en demeure pas moins que toute question préjudicielle ne peut porter que sur la qualification d’ordre public international d’une règle européenne ou, le cas échéant, sur son interprétation lorsqu’une telle qualification est acquise. À défaut, la question ne doit pas pouvoir être posée, sauf à violer le droit français de l’arbitrage international.
C’est à ce stade qu’il convient de rappeler les règles applicables à la convention d’arbitrage. Tous les lecteurs de cette chronique savent qu’elle est indépendante matériellement de son instrumentum et juridiquement de toute loi étatique (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, Rev. crit. DIP 1994. 663, note P. Mayer ; RTD com. 1994. 254, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin
; Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1994. 432, note E. Gaillard). Il en résulte, d’une part, que la convention d’arbitrage n’est pas affectée par le sort du contrat principal et, d’autre part, que ni les lois étrangères ni le droit français ne lui sont applicables (on épargnera au lecteur le débat sur la source de cette règle matérielle). Ainsi, selon le droit français de l’arbitrage, la convention d’arbitrage n’est soumise à aucune loi. Il n’y a pas lieu de raisonner différemment à propos des conventions d’arbitrage figurant dans les traités d’investissements (même s’il est vrai que la configuration n’est pas tout à fait équivalente s’agissant d’un traité international). D’ailleurs, la jurisprudence française ne dit pas autre chose, puisque dans l’arrêt Sorelec, elle a appliqué pour la première fois la jurisprudence Dalico dans l’hypothèse d’un examen de la compétence fondée sur traité bilatéral d’investissements (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay
; JDI 2021. Comm. 20, note I. Fadlallah). Dès lors, c’est à l’aune de la seule intention des parties que le consentement figurant dans un traité d’investissement doit être scruté, indépendamment de toute loi étatique. C’est cette solution que la Cour de justice ne respecte pas en donnant son appréciation sur une question relative à la compétence du tribunal arbitral. Ce faisant, la convention d’arbitrage n’est plus soumise à la seule volonté des parties, indépendamment de toute loi étatique ; elle fait corps avec le traité dans lequel elle figure et est soumise au droit européen, interprété souverainement par la Cour de justice. C’est la raison pour laquelle une question préjudicielle ne doit pas pouvoir porter sur la convention d’arbitrage, alors qu’elle peut porter sur une question d’ordre public international. Dans un cas, l’indépendance matérielle et juridique de la clause y fait obstacle, alors que dans l’autre, le droit français et européen est bien susceptible de revêtir une telle qualification. En définitive, la Cour de justice n’est pas allée au bout de sa promesse, en ne respectant pas les limites du contrôle fixé par le droit français de l’arbitrage international.
B - Les apports sur le fond
Sur le fond, la Cour de justice répond à deux questions : d’une part, l’applicabilité de l’article 26 du TCE dans les relations intra-européennes (1) et, d’autre part, l’interprétation de la notion d’investissement (2).
1 - L’applicabilité de l’article 26 du TCE dans les relations intra-européennes
Personne ne sera étonné de constater que la Cour de justice a saisi l’occasion de cette question préjudicielle pour s’intéresser à l’applicabilité de l’article 26 du TCE – à savoir la disposition relative à la résolution des litiges – dans le cadre d’une relation intra-européenne. Pourtant, la question ne lui était pas posée, la présente affaire concernant tout à l’inverse une relation extra-européenne et la question portant exclusivement sur l’interprétation de la notion d’investissement. Il n’en demeure pas moins que l’occasion était trop belle pour assoir la jurisprudence Achmea (CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, Dalloz actualité, 4 avr. 2018, obs. F. Mélin ; AJDA 2018. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2018. 2005
, note Veronika Korom
; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 2448, obs. T. Clay
; Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard
; RTD eur. 2018. 597, étude J. Cazala
; ibid. 649, obs. Alan Hervé
; ibid. 2019. 464, obs. L. Coutron
; Rev. arb. 2018. 424, note S. Lemaire ; Procédures 2018. Comm. 143, obs. C. Nourissat ; JDI 2018. 903, note Y. Nouvel ; JDI 2019. 271, note B. Rémy ; GAJUE, à paraître, note M. Barba).
À la vérité, la solution rendue est presque décevante, tant elle ne présente que très peu d’originalité par rapport à Achmea. Le raisonnement est rigoureusement identique (§§ 40 s.) : le droit de l’Union est un droit autonome qui crée un système juridictionnel propre ; les tribunaux arbitraux sont en dehors de ce système, notamment parce qu’ils ne peuvent pas soumettre de question préjudicielle ; le TCE fait partie de l’ordre juridique de l’Union. Il résulte de la combinaison de ces trois éléments que les tribunaux arbitraux ne peuvent pas connaître d’une action fondée sur le TCE dans un litige intra-européen, car ce faisant, il y aurait une atteinte à l’autonomie du droit de l’Union. La logique d’Achmea est reprise de bout en bout. L’apport de l’arrêt est donc maigre sur ce point. Il est d’autant plus faible que, quelques jours avant, entrait en vigueur en France l’accord portant extinction des traités bilatéraux d’investissement intra-européens (JOUE, 29 mai 2020). Si ce traité exclut expressément le cas du TCE (les considérants ne sont pas numérotés, mais il s’agit du troisième), on peut lire, depuis le 28 août 2021, sur le site de la Direction générale du Trésor qu’« il est rappelé qu’aucune nouvelle procédure de règlement des différends investisseur-État ne devrait être engagée par des investisseurs d’un État membre contre un autre État membre de l’Union en application du Traité sur la charte de l’énergie ». Autant dire que la solution paraissait déjà acquise pour beaucoup de monde.
Néanmoins, la Cour de justice ne va pas aussi loin que l’on aurait pu l’anticiper. En effet, si elle juge que l’article 26, paragraphe 2, sous c), du TCE est inapplicable dans les différends intra-européens, elle réserve la question d’un différend opposant un investisseur d’un État tiers et un État membre : « Il s’ensuit que, […] le TCE peut imposer aux États membres de respecter les mécanismes arbitraux qu’il prévoit dans leurs relations avec les investisseurs d’États tiers qui sont également parties contractantes de ce traité au sujet d’investissements réalisés par ces derniers dans ces États membres ». Ainsi, est explicitement préservée la situation des investisseurs originaires d’États tiers. Cette solution va rendre extrêmement importante la question de la nationalité de l’investisseur, dont on sait qu’elle est très souvent débattue.
Cependant, il ne faut pas dissimuler la principale innovation de l’arrêt Komstroy. À la différence de l’affaire Achmea ayant conduit à l’abolition des traités bilatéraux, l’Union européenne est partie au TCE. Il ne s’agit donc plus simplement de vilipender des États membres persistant dans l’application de traités contraires au droit européen, mais de constater que l’Union en est elle-même à l’origine. Ce phénomène n’est pas exceptionnel, et tous les ordres juridiques connaissent des mécanismes d’anéantissement a posteriori des violations de la hiérarchie des normes par des textes internes. Pour autant, au regard de la nature du texte, il faut bien voir que la solution conduit peu ou prou l’Union européenne à se retrouver en violation de ses engagements internationaux. Or c’est peut-être un aspect que la Cour de justice n’a pas tout à fait mesuré : l’Union pourra être attraite devant des tribunaux arbitraux par des investisseurs européens auxquels l’inapplicabilité de l’article 26 du TCE est opposée. C’est là la nouveauté par rapport à Achmea, où la Cour donne la consigne aux États membres de quitter des traités auxquels l’Union demeure étrangère. Cette fois, elle sera comptable de ses décisions. Alors, l’Union va-t-elle devoir se défendre devant les tribunaux arbitraux honnis ? Rien que d’y penser, on salive déjà.
Par ailleurs, la décision de la Cour de justice de biffer l’article 26 du TCE peut emporter des conséquences au regard de la Conv. EDH. Pour les investisseurs auxquels l’accès aux tribunaux arbitraux sera désormais interdit, la question pourra se poser d’une privation du droit d’accès à un juge arbitral. La question n’est pas nécessairement fantaisiste, au regard de la jurisprudence qui se développe à la CEDH sur cette question (v. infra, CEDH 13 juill. 2021, n° 74989/11, Ali Riza). Pour les investisseurs ayant déjà obtenu une sentence favorable, le débat pourra porter sur le droit à l’exécution des décisions de justice, dont on sait déjà qu’il concerne les sentences arbitrales (CEDH 3 avr. 2008, Regent c/ Ukraine, Rev. arb. 2009. 797, note J.-B. Racine). Ainsi, quand bien même ce n’est pas l’Union européenne qui se trouvera directement devant la CEDH, on pourrait tout à fait assister à une sorte de contrôle de conventionnalité indirect de cette réécriture du TCE. Les États membres pourraient alors se retrouver entre le marteau de la Cour de justice et l’enclume de la CEDH. Là encore, on trépigne d’impatience !
2 - L’interprétation de la notion d’investissement
Ce n’est qu’en bout de course que la Cour de justice se concentre sur la question préjudicielle qui lui est posée, à savoir la définition de la notion d’investissement (§§ 67 s.). En synthèse, la Cour de justice estime qu’« il convient de considérer qu’un simple contrat de fourniture est une opération commerciale qui ne saurait, en tant que telle, constituer un “investissement”, au sens de l’article 1er, point 6, du TCE, et cela indépendamment même de la question de savoir si un apport est nécessaire afin qu’une opération donnée constitue un investissement ». Elle écarte la qualification d’investissement et, allant plus loin que l’objet de la question préjudicielle, considère que l’article 26 du TCE ne peut s’appliquer à un différend portant sur une telle créance.
Nous ne détaillerons pas cette question de la qualification d’investissement, qui fera l’objet de commentaires avisés. La réponse n’est pas évidente et, on le sait, il s’agit toujours de questions débattues en droit des investissements. Toutefois, la Cour laisse échapper quelques balles perdues : « Toute autre interprétation de cette disposition reviendrait à priver de son effet utile la distinction claire que le TCE opère entre le commerce, régi par la partie II de ce Traité, et les investissements, régis par la partie III de celui-ci ». Voilà donc le tribunal arbitral et la Cour de cassation (qui avait opté, au moins de façon implicite, pour une qualification d’investissement, Civ. 1re, 28 mars 2018, n° 16-16.568, Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 561, note C. Fouchard ; JDI 2019. 160, note E. Gaillard), rhabillés pour l’hiver. Ainsi, la question n’est évidente pour personne depuis cinquante ans, sauf pour la Cour de justice qui, du haut de sa longue expérience en la matière, éclaire enfin les ténèbres (effet Dunning-Kruger ?).
Reste, finalement, à se poser la question la plus importante avec cette solution : doit-on considérer que la messe est dite ?
C - Les suites de Komstroy
La solution de la Cour de justice va-t-elle mécaniquement entraîner l’annulation de la sentence arbitrale dans cette affaire ? Il est vrai que la situation paraît mal engagée pour l’investisseur, à qui il vient d’être dit que la créance ne peut revêtir la qualification d’investissement et qu’il n’y a donc pas lieu de bénéficier de l’article 26 du TCE. Toutefois, la Cour de justice laisse, sans doute involontairement, une porte de sortie. On l’a dit, elle précise à deux reprises que le contrôle de la sentence doit se faire dans le cadre et les limites de ce qui est prévu par le droit du siège. En l’état actuel du droit positif, la voie est étroite. On le sait, le contrôle de la sentence sur la compétence est un contrôle plein et toute divergence d’appréciation entre le juge et l’arbitre emporte annulation. Certes, la cour peut rappeler, comme nous l’avons exposé, que la convention d’arbitrage est détachée de toute loi étatique et que, par conséquent, l’interprétation qui en est faite par la Cour de justice ne s’impose pas plus qu’une autre. Toutefois, l’acrobatie est périlleuse.
En revanche, rien n’interdit à la jurisprudence française de faire bouger les lignes quant au contrôle de la compétence. Pour le dire simplement, si la jurisprudence s’émancipe du contrôle actuel de la compétence, elle s’offre une marge de manœuvre par rapport à cette décision et, par ricochet, libère les arbitres de l’emprise de la Cour de justice. Comment faire ? Certaines propositions doctrinales existent déjà en ce sens. Les unes proposent de réduire l’intensité du contrôle (T. Clay, obs. ss Civ. 1re, 6 oct. 2010, Abela, D. 2010. 2933, spéc. 2943, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2011. 85, note F. Jault-Seseke
) ; les autres recommandent d’annuler les sentences uniquement en fonction de la gravité du vice (F.-X. Train, note ss Civ. 1re, 6 oct. 2010, Abela, Rev. arb. 2010. 813, n° 13 ; M. Boucaron-Nardetto, Le principe compétence-compétence en droit de l’arbitrage, préf. J.-B. Racine, PUAM, 2013, n° 740). Dans un cas comme dans l’autre, l’arbitre retrouve une marge de manœuvre sur ces questions, ce qui peut permettre de sauver la sentence. Naturellement, on peut réserver l’application de telles propositions aux seules sentences rendues en arbitrage d’investissements, voire, pour ne pas trop froisser la Cour de justice, aux seules sentences extra-européennes.
Toutefois, il nous semble que cette décision peut être l’occasion pour la jurisprudence de réaliser une véritable révolution copernicienne du contrôle de la compétence. En effet, le contrôle réalisé par le juge français (comme par la Cour de justice dans la présente affaire) sur la compétence se désintéresse totalement du raisonnement mené par les arbitres. La cour réalise son propre examen à partir de la convention d’arbitrage. Autrement dit, il y a deux raisonnements menés parallèlement et dans l’ignorance l’un de l’autre : l’un par l’arbitre, l’autre par le juge. Si, par miracle, ces deux raisonnements aboutissent à un résultat identique, la sentence est validée ; à l’inverse, toute divergence dans la solution conduit à l’annulation de la sentence. En matière d’arbitrage d’investissements, cela revient, lorsque le siège est fixé à Paris, à faire prévaloir les solutions françaises sur des décennies de jurisprudence arbitrale. Pourtant, la matière est complexe et la richesse ainsi que la variété des traités interdisent de se limiter à une lecture littérale des textes. Emmanuel Gaillard a parfaitement mis en lumière la difficulté dans son commentaire de l’arrêt rendu par la Cour de cassation dans la même affaire (JDI 2019. Comm. 6). L’auteur explique qu’il est vain de rechercher une signification universelle de la notion d’investissement. À l’inverse, il précise que c’est dans « le droit spécial des traités qu’il y a lieu de rechercher le sens de la notion utilisée par chaque instrument pour définir son champ d’application ratione materiae ». Il y a donc une nécessité à ne pas imposer une interprétation franco-française et civiliste à ces textes. N’importe quel juriste sait et ne doit jamais oublier qu’une notion peut avoir un contenu variable selon la matière (la notion d’ordre public est éloquente). C’est l’erreur qui est systématiquement commise par la cour d’appel de Paris et, dans cette affaire, par la Cour de justice : tenter de plaquer sa propre définition d’une notion sans se plonger dans le foisonnement du droit international des investissements.
Une façon de surmonter cette difficulté serait, pour la jurisprudence française, d’utiliser comme point de départ de son contrôle la motivation de la sentence arbitrale. À partir de là, le juge peut vérifier si la solution retenue par l’arbitre est fondée. Ce faisant, la jurisprudence française serait contrainte de prendre en compte la variété des sources utilisées par les arbitres et, par conséquent, de se défaire des seules sources françaises. Il n’y aurait plus nécessairement une seule réponse possible à une question de compétence identique. Le contrôle sur la compétence en sortirait enrichi et inscrirait le juge français dans une véritable dimension internationale (pour plus de détails, J. Jourdan-Marques, Faut-il consolider Dalico ? Réflexion sur les règles matérielles relatives à la compétence arbitrale, à paraître). Surtout, dans la présente affaire, cela permettrait aux juridictions françaises de ne pas être liées par la solution de la Cour de justice, dès lors que c’est sur l’examen de la motivation des arbitres qu’elles se concentreraient. Ce faisant, la place de Paris sortirait renforcée de cet épisode.
II - Les mesures provisoires pré-arbitrales
A - La compétence territoriale
L’article 1449 du code de procédure civile énonce que « l’existence d’une convention d’arbitrage ne fait pas obstacle, tant que le tribunal arbitral n’est pas constitué, à ce qu’une partie saisisse une juridiction de l’Etat aux fins d’obtenir une mesure d’instruction ou une mesure provisoire ou conservatoire ». Il est donc possible de solliciter, malgré une clause compromissoire, le juge étatique pour obtenir une telle mesure. Reste à déterminer le juge compétent pour en connaître. L’alinéa 2 du même article prévoit que « la demande est portée devant le président du tribunal judiciaire ou de commerce ». Il ne dit en revanche rien sur la compétence territoriale. C’est à cette question que répond la Cour de cassation (Civ. 1re, 23 juin 2021, n° 19-13.350, Système U, D. 2021. 1244 ). Elle énonce qu’« il résulte des articles 42, 46, 145 et 493 du code de procédure civile que le juge territorialement compétent pour statuer sur une requête fondée sur le troisième de ces textes est le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées, sans que la partie requérante puisse se prévaloir d’une clause compromissoire ». Afin de préciser la solution, la cour ajoute qu’« en présence d’une telle clause, le tribunal étatique susceptible de connaître de l’instance au fond est celui auquel le différend serait soumis si les parties, comme elles en ont la faculté, ne se prévalaient pas de la convention d’arbitrage ».
La solution est simple et intelligible : lorsqu’une demande est formée sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, la partie dispose d’une option de compétence. Elle peut saisir le juge du lieu d’exécution des mesures ou celui qui aurait été, à défaut de clause compromissoire, compétent pour connaître du fond. Cela ne veut pas dire que la compétence se réduit à une alternative entre deux juges. En visant les articles 42 et 46 du code, la cour rappelle bien que le juge compétent au fond peut être celui du domicile du défendeur, mais aussi, en matière contractuelle, celui du lieu de la livraison effective de la chose ou du lieu de l’exécution de la prestation de service. En revanche, l’arrêt a surtout pour conséquence de ne pas donner aux juridictions parisiennes une compétence générale pour connaître de ces demandes, quand bien même le siège de l’arbitrage y est fixé.
B - L’octroi d’une provision
Un référé provision pré-arbitral est-il le moyen rêvé de contourner tous les désagréments liés à l’évolution récente dans la lutte contre la corruption, en particulier en matière d’arbitrage ? Apparemment oui, en tout cas pour la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui ne voit aucun problème à se dispenser de tous les nouveaux standards en la matière (Aix-en-Provence, 17 juin 2021, n° 19/17249, Airbus Helicopters). Les faits sont banals, puisqu’ils donnent lieu à un contentieux sériel dont les juridictions parisiennes ont déjà eu à connaître (Paris, 15 sept. 2020, n° 19/09058, Samwell, Dalloz actualité, 19 oct. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). Des soupçons ont émergé à l’encontre de la société Airbus Helictopers, dont l’obtention de marchés aurait été facilitée par le recours à des agents commerciaux qui auraient été les auteurs de pratiques corruptives. À la suite de l’ouverture par le Parquet financier français (PNF) ainsi que par le Serious Fraud Office anglais (SFO) et le Department of Justice américain (DOJ), de procédures pénales visant des faits de fraude et de corruption au sein du groupe Airbus, les paiements aux agents ont été interrompus. Face au défaut de paiement de ses créances, l’un d’eux a saisi les juridictions françaises d’un référé provision, en dépit d’une clause compromissoire figurant dans les contrats. Après avoir établi l’urgence en raison des difficultés financières du créancier, la cour accueille favorablement la demande. Elle estime que le débiteur ne présente aucune contestation sérieuse, en dépit des moyens évoquant des suspicions de corruption. La motivation est intéressante. Elle s’établit en trois temps. Premièrement, il est signalé que les enquêtes en cours ne visent pas expressément les relations entre le créancier et le débiteur. Deuxièmement, le débiteur est considéré comme malvenu à émettre a posteriori une contestation sur les modalités d’exécution d’un contrat dont elle est l’instigatrice, dont elle ne conteste pas les bénéfices et qu’elle n’a jamais remis en cause. Troisièmement, elle constate l’absence de résiliation du contrat.
Cette argumentation semble frappée du coin du bon sens. Elle l’est d’ailleurs à bien des égards. Pour autant, elle est intenable en ce qu’elle offre un boulevard pour le contournement de l’arbitrage et de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris sur la corruption. On le sait, les arbitres sont invités à faire preuve d’une vigilance de plus en plus grande sur ces questions. Or il ne fait aucun doute qu’une telle motivation de la part d’un tribunal arbitral entraînerait une annulation brutale de la sentence, au regard de la jurisprudence de la cour d’appel de Paris (par ex., Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, préc. ; 28 mai 2019, n° 16/11182, Alstom, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1956, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2435, obs. T. Clay
; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin
; Rev. arb. 2019. 850, note E. Gaillard ; 10 avr. 2018, n° 16/11182, D. 2018. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 2448, obs. T. Clay
; RTD com. 2020. 283, obs. E. Loquin
; Rev. arb. 2018. 574, note E. Gaillard ; Cah. arb. 2018. 465, note A. Pinna). Il y a donc une contradiction frontale à vouloir, d’un côté, une ligne dure dans la lutte contre la corruption et, d’un autre côté, accueillir des référés provisions indépendamment de telles allégations. Sauf à déstabiliser la cohérence de l’ordre juridique français dans sa lutte contre ce fléau, cette décision ne peut pas survivre à un pourvoi.
III - Le principe de compétence-compétence
Un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris mérite d’être souligné en ce qu’il rappelle deux solutions qui ne doivent pas être oubliées (Paris, 30 juin 2021, n° 21/02568, Carrefour Proximité France). D’une part, il souligne que l’existence d’un ensemble contractuel prétendument indivisible n’est pas de nature à faire échec à une clause compromissoire contenue dans l’un d’eux. Ainsi, que l’on soit en présence de clauses distinctes, voire de certaines conventions sans clauses, il appartient en tout état de cause au tribunal arbitral de trancher les contestations sur sa compétence. Ensuite, et de manière plus fondamentale, l’arrêt réaffirme que l’impécuniosité d’une partie n’est pas de nature à faire échec au principe de compétence-compétence : « L’impécuniosité ne constitue, en effet, pas un critère de nature à caractériser l’inapplicabilité manifeste d’une clause compromissoire et il revient aux acteurs de l’arbitrage d’écarter tout risque de déni de justice face à un plaideur aux moyens financiers limités ». La solution est importante, à l’heure où le principe de compétence-compétence est assailli de toute part (Civ. 1re, 30 sept. 2020, n° 18-19.241, PWC, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2501 , note D. Mouralis
; ibid. 2484, obs. T. Clay
; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud
; ibid. 923, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke
; AJ contrat 2020. 485
, obs. D. Mainguy
; Rev. prat. rec. 2021. 39, chron. R. Bouniol
; Rev. crit. DIP 2021. 202, note E. Loquin
; RTD civ. 2020. 845, obs. L. Usunier
Procédures 2021, n° 1, p. 19, obs. L. Weiller ; RLDC 2021, n° 190, p. 29, note C. Marilly ; RLDA 2020, n° 164, p. 4, note S. Koulocheri ; ibid. 2020, n° 165, p. 14, note J. Clavel-Thoraval ; Gaz. Pal. 2020, n° 41, p. 27, note S. Bollée ; JCP 2020. 2100, note M. de Fontmichel ; LPA 2020, n° 254, p. 7, note S. Akhouad-Barriga ; CCC 2020, n° 12, p. 69, note S. Bernheim-Desvaux ; ibid. 2021, n° 1, p. 3, obs. E. Fohrer-Dedeurwaerder ; LPA 2021, n° 12, p. 5, note J. Lefebvre ; JCP E 2021, n° 10, p. 33, obs. C. Nourissat). Elle n’est pas sans rappeler celle retenue dans l’affaire Lola Fleurs (Paris, 26 févr. 2013, n° 12/12953, D. 2013. 2936, obs. T. Clay
; Cah. arb. 2013. 479, note A. Pinna ; Rev. arb. 2013. 756, note F.-X. Train). Néanmoins, elle recèle une différence avec ce dernier. En effet, dans ce dernier, c’est au tribunal arbitral de permettre l’accès au juge ; cette fois, ce sont les acteurs de l’arbitrage à qui il appartient d’éviter tout risque de déni de justice. Autrement dit, la liste des débiteurs de cette obligation de garantir l’accès au juge de l’impécunieux s’élargit. Potentiellement, on peut y faire figurer un centre d’arbitrage, la partie adverse et, en tirant à peine sur la ficelle, les conseils. Affaire à suivre.
Dans une autre affaire soumise à la cour d’appel de Paris (Paris, 1er juill. 2021, n° 21/01799, Mclaren Automotive), la situation est intéressante. Il s’agit d’une action en résolution pour vices cachés d’un contrat de vente de véhicule automobile. Le vendeur a assigné en intervention forcée son propre vendeur, le constructeur du véhicule. Ce dernier s’est prévalu d’une clause figurant dans le contrat pour faire échec à la compétence des juridictions françaises. La clause mérite d’être reproduite : « Si le différend n’a pas été résolu par la négociation dans les vingt-cinq (25) jours ouvrables suivant la livraison de l’Avis de contestation, chaque partie peut soumettre le Différend à l’arbitrage LCIA ou à la juridiction exclusive des tribunaux d’Angleterre ». Il s’agit donc d’une clause optionnelle, prévoyant soit le recours à l’arbitrage, soit le recours aux juridictions anglaises. Pour la cour, cette clause n’est pas une clause compromissoire, en ce qu’elle n’impose pas une obligation d’aller à l’arbitrage. En conséquence, elle écarte le principe de compétence-compétence. Une telle solution n’est pas sans rappeler celle retenue en présence d’une clause prévoyant que les parties doivent se consulter pour examiner l’opportunité de recourir à l’arbitrage (Lyon, 4 juin 2019, n° 19/00698, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; Bordeaux, 23 janv. 2020, n° 16/02240, Hôtel Merle, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). À notre connaissance, la Cour de cassation n’a jamais eu à se prononcer sur ces questions. La solution n’est pas totalement illégitime. Elle soulève néanmoins la question de la distinction entre une clause dont il ne fait aucun doute qu’elle n’est pas une clause compromissoire, permettant ainsi la mise à l’écart du principe de compétence-compétence, et une clause qui est pathologique et dont l’interprétation doit être renvoyée aux arbitres.
Dans un troisième arrêt (Paris, 6 juill. 2021, n° 21/03597, Novacid), une action délictuelle a été engagée devant les juridictions françaises, à laquelle une clause compromissoire est opposée. Pour tenter d’y échapper, les demandeurs prétendent être tiers au contrat et se prévalent de la nature extracontractuelle de l’action. La cour décide malgré tout de renvoyer à l’arbitrage, à travers une motivation qu’on ne peut qu’approuver (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, Rev. arb. 2019. 685). D’une part, elle retient que la nature contractuelle ou délictuelle de l’action importe peu ; d’autre part, elle estime qu’à défaut d’absence évidente de tout lien entre le litige et la clause, les parties doivent être renvoyées à l’arbitrage. Voilà qui assure un respect rigoureux de l’effet négatif tout en préservant la priorité des arbitres pour se prononcer sur la qualification de l’action et l’applicabilité de la clause !
IV - Les recours contre les sentences
A - Aspects procéduraux des voies de recours
1 - L’internationalité de l’arbitrage
L’article 1504 du code de procédure civile énonce qu’« est international l’arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international ». Cet article retient un critère économique de l’internationalité, contrairement au critère juridique qui est le plus souvent utilisé en droit international privé. Classiquement, on considère que le critère économique de l’internationalité est aisé à concrétiser. Toutefois, l’affaire Tapie est à l’origine d’une approche plus restrictive de cette internationalité (Paris, 17 févr. 2015, n° 13/13278, Sté CDR créances c/ Sté CDR-Consortium de réalisation, Dalloz actualité, 20 févr. 2015, obs. X. Delpech ; ibid. 18 déc. 2015, obs. F. Mélin ; D. 2015. 1253 , note D. Mouralis
; ibid. 425, édito. T. Clay
; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; Rev. arb. 2015. 832, note P. Mayer ; JCP 2015. 289, note S. Bollée ; Procédures avr. 2015. Étude 4, obs. L. Weiller ; Cah. arb. 2015. 281, note A. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2015, n° 94, p. 17, note M. Boissavy ; ibid., n° 167, p. 22, obs. M. Nioche ; Bull. ASA 2016. 207, note M. Henry ; Civ. 1re, 30 juin 2016, nos 15-13.755, 15-13.904, 15-14.145, Dalloz actualité, 30 août 2016, obs. X. Delpech ; D. 2016. 1505
; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 2589, obs. T. Clay
; Rev. crit. DIP 2017. 245, note J.-B. Racine
; JCP 2016. 954, note S. Bollée ; Procédures 2016, n° 290, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1123, note P. Mayer ; Cah. arb. 2017. 339, note M. Henry). Cette tendance a été confirmée depuis dans une affaire EPPOF (Paris, ord., 1er déc. 2020, n° 20/08033, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques).
L’arrêt Aurier met en lumière ces deux aspects de l’internationalité (Paris, 8 juin 2021, n° 19/02245). D’une part, la distinction entre les critères est parfaitement révélée. En effet, l’une des parties au litige est de nationalité ivoirienne, alors que l’autre a son siège social en suisse, pour un contrat dont l’exécution est réalisée en France. À ce titre, il ne fait aucun doute que l’internationalité juridique du litige est caractérisée. Pourtant, la cour rappelle que « la qualité ou la nationalité des parties, la loi applicable au fond du litige ou à la procédure, ainsi que le siège du tribunal arbitral » importent peu, tout comme la « volonté des parties ». Ce qui compte, c’est que le différend « porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul État ». En l’espèce, la cour constate que le litige, qui porte sur la rupture d’un contrat d’agent, est localisé en France. La cour écarte les éléments relatifs à la nationalité et au siège social des parties, à la localisation d’un compte bancaire, au transfert postérieur du joueur à l’étranger. À l’inverse, elle retient que le contrat couvre exclusivement le territoire français et que le litige porte sur sa rupture alors que le joueur joue en France. La cour conclut donc au caractère interne du contrat.
On peut se demander si, affaire après affaire, il ne faut pas acter un glissement de l’appréciation de l’internationalité en matière d’arbitrage. Autant, pendant plusieurs décennies, la question ne se posait pas et les praticiens optaient assez spontanément pour le régime de l’arbitrage international. Désormais, il est nécessaire de s’interroger systématiquement sur cette qualification et d’envisager sérieusement une potentielle qualification d’arbitrage interne.
2 - Le recours contre l’ordonnance d’exequatur
Lorsque l’exequatur est accordé à une sentence arbitrale étrangère, l’article 1525, alinéa 4, du code de procédure civile prévoit que « la cour d’appel ne peut refuser la reconnaissance ou l’exequatur de la sentence arbitrale que dans les cas prévus à l’article 1520 ». Il en résulte que, si c’est l’ordonnance d’exequatur est attaquée, c’est bien la sentence qui fait l’objet d’un examen. Dans un arrêt Fiorilla (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413), la cour d’appel de Paris en déduit que « l’ordonnance qui accorde l’exequatur […] n’est donc susceptible, en tant que telle, d’aucun recours ». En conséquence, la cour refuse d’examiner le moyen tiré de la prescription de la sentence et celui tiré de l’existence d’une transaction.
Cette solution présente l’avantage de la simplicité. Elle évite de polluer le débat et permet de focaliser le recours sur les cas d’ouverture prévus par l’article 1520 du code de procédure civile. Elle se heurte néanmoins de sérieuses limites.
D’une part, la cour envisage la possibilité d’un appel-nullité contre l’ordonnance d’exequatur. L’admission d’un tel recours nécessite qu’aucun recours contre la décision ne soit recevable. On peut y voir une forme de logique, dès lors que la cour d’appel a affirmé que le recours vise la sentence et que l’ordonnance n’est, en tant que telle, susceptible d’aucun recours. Il n’en demeure pas moins que cette solution est en contradiction frontale avec la lettre de l’article 1525, alinéa 1er, du code de procédure civile, qui prévoit bien que l’ordonnance d’exequatur « est susceptible d’appel ». Pour autant, la solution n’est pas totalement nouvelle, la jurisprudence ayant déjà admis un tel recours, en particulier lorsque l’exequatur est accordé par un juge dénué du pouvoir de le prononcer (Par ex., Civ. 1re, 9 déc. 2003, n° 01-13.341, D. 2004. 1055, et les obs. , note G. Weiszberg
; ibid. 3186, obs. T. Clay
; RTD civ. 2004. 547, obs. P. Théry
; RTD com. 2004. 256, obs. E. Loquin
: JCP 2004. 348, note J.-G. Mahinga ; Rev. arb. 2004. 337, note S. Bollée).
D’autre part, dire que le recours est limité aux cas visés par l’article 1520 du code de procédure civile est réducteur. Premièrement, même si l’arrêt reste isolé et discutable, la jurisprudence a eu l’occasion d’admettre que soit examinée une question de retrait litigieux dans le recours contre la sentence, en cassant un raisonnement analogue à celui réalisé ici par la cour d’appel (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-22.112, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 516 ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 2448, obs. T. Clay
; AJ contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques
; Rev. crit. DIP 2018. 862, note H. Muir Watt
; RTD civ. 2018. 411, obs. H. Barbier
; ibid. 431, obs. P.-Y. Gautier
; Rev. arb. 2018. 389, note M. Laazouzi ; Procédures 2018, n° 5, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 1111, note P. Casson ; RDC 2018. 354, note R. Libchaber ; JDI 2018. 1202, note P. Pinsolle). Deuxièmement, il n’est pas certain qu’il faille traiter de façon analogue les griefs portant sur la recevabilité d’une demande d’exequatur et ceux portant sur le bien-fondé de l’octroi de l’exequatur. Pour les seconds, la limitation des griefs aux seuls cas prévus par l’article 1520 du code de procédure civile résulte de la logique du droit de l’arbitrage. En revanche, cette logique doit-elle conduire à refuser tout examen du juge sur la recevabilité de la demande ? On peut en douter, d’autant que la procédure n’est pas contradictoire devant le tribunal judiciaire. En conséquence, l’exequatur peut être accordé avec de graves erreurs, liées par exemple à un défaut d’intérêt ou de qualité à agir. Il ne paraît dès lors pas opportun de priver la cour d’annuler l’ordonnance d’exequatur pour un tel motif.
Pour autant, dire que le juge du recours ne doit pas s’interdire de contrôler la recevabilité de la demande d’exequatur ne signifie pas nécessairement que le grief est fondé. Ainsi, la prescription de la créance dont la sentence constitue le support ne doit pas, quoi qu’il arrive, s’opposer à l’exequatur de la sentence, qui peut être demandé indépendamment de toute exécution future. Si l’exécution d’une sentence prescrite est demandée, la question devrait, en conséquence, relever du juge de l’exécution et non du juge de l’exequatur.
B - Aspects substantiels des voies de recours
1 - La compétence
a - La recevabilité du moyen sur la compétence
L’arrêt Schooner n’est pas passé inaperçu, en ce qu’il permet désormais à une partie de renouveler totalement le débat sur la compétence devant le juge du recours, que ce soit en se prévalant de nouveaux moyens, nouveaux arguments ou de nouvelles preuves (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 419, note P. Duprey et M. Le Duc). Pour cela, il suffit d’avoir soulevé devant le tribunal arbitral un argument sur la compétence. On pouvait néanmoins se demander si la jurisprudence en aurait une approche restrictive : par exemple, interdirait-elle à soulever une discussion sur la validité de la clause si la seule applicabilité avait été discutée ? À la lecture de l’arrêt Pharaon, on est tenté de répondre négativement. En effet, la cour constate que « la compétence du tribunal arbitral […] a été soulevée ». Elle en déduit alors que « ces seules constatations suffisent à considérer que la société IBC est bien recevable à se prévaloir de ce moyen devant le juge de l’annulation » (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999). Autrement dit, à aucun moment la cour ne s’intéresse à la nature du moyen. Elle s’autorise ainsi à examiner n’importe quel moyen sur la compétence dès lors qu’il y a une la moindre discussion devant le tribunal arbitral. Voilà qui devrait inciter – et c’est tout à fait regrettable – les parties à soulever, au moins à titre conservatoire, l’incompétence du tribunal arbitral.
b - La loi applicable à la clause compromissoire
Il est acté depuis près de trente ans que les clauses compromissoires en matière internationale ne sont pas soumises à une règle de conflit, mais à une règle matérielle française issue de l’arrêt Dalico (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, préc.). Toutefois, depuis un arrêt Uni-Kod (Civ. 1re, 30 mars 2004, n° 01-14.311, RTD com. 2004. 443, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2005. 959, note C. Seraglini ; JCP 2004. II. 10132, note G. Chabot ; S. Bollée, Quelques remarques sur la pérennité [relative] de la jurisprudence Dalico et la portée de l’article IX de la Convention européenne de Genève. À propos de l’arrêt Sté Uni-kod c/ Sté Ouralkali, JDI 2006. 126), confirmé en cela par l’arrêt Kout Food (Paris, 23 juin 2020, n° 17/22943, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Cah. arb. 2020. 61, note P. Rosher ; Rev. arb. 2020. 701, note E. Gaillard ; JDI 2021. 153, note J.-B. Racine), il n’est pas exclu que, par la volonté des parties, une loi nationale soit applicable. C’est sur ce point que revient l’arrêt Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999). Après avoir rappelé la règle issue de l’arrêt Dalico, la cour reprend une formule déjà utilisée dans Kout Food : « le principe de l’autonomie de la clause compromissoire est d’application générale en matière d’arbitrage international, en tant que règle matérielle internationale consacrant la licéité de la convention d’arbitrage, hors de toute référence à un système de conflit de lois, la validité de la convention devant être contrôlée au regard des seules exigences de l’ordre public international, abstraction faite de toute loi étatique fût-elle celle régissant la forme ou le fond du contrat qui la contient ».
En l’espèce, l’article du contrat contenant la clause compromissoire prévoit, d’une part, l’application de la loi algérienne au contrat et, d’autre part, l’application de la loi algérienne à l’arbitrage, en ajoutant que le siège de l’arbitrage se situe en France. Suffisant pour entraîner l’application de la loi algérienne à la clause ? Comme on pouvait s’y attendre, la réponse est négative. En effet, dans l’esprit de la jurisprudence, il faut toujours distinguer fermement la loi applicable au contrat, la loi applicable à la procédure arbitrale, la lex arbitri et enfin la loi applicable à la clause compromissoire. Or la clause prévue par les parties régit les trois premières questions, mais ne prévoit rien pour la dernière. C’est ce qui conduit la cour, conformément au principe d’autonomie de la clause, à juger que « les parties n’ont pas soumis la validité et les effets de la clause compromissoire à la loi algérienne », aucune circonstance ne permettant d’établir « de manière non équivoque la volonté des parties de désigner le droit algérien ».
La solution, si elle ne manquera pas de heurter une partie des observateurs, était prévisible au regard de la jurisprudence française. En revanche, l’arrêt apporte une précision importante. La cour souligne que, s’il avait été choisi, le droit algérien aurait été susceptible de régir « l’efficacité, le transfert et l’extension de la clause compromissoire ». Autrement dit, un choix de loi non équivoque des parties est de nature à écarter non seulement l’application de la règle matérielle issue de Dalico, mais également celles relatives à la transmission et à l’extension de la clause compromissoire, dont on sait que le régime n’est pas parfaitement identique (v. not. l’arrêt ABS qui fait la synthèse de ces deux règles, Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, Alcatel Business System (ABS), D. 2007. 2077, obs. X. Delpech , note S. Bollée
; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay
; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke
; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry
; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin
; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007.II.10118, note C. Golhen ; ibid. 2007.I.168, § 11, obs. Ch. Seraglini ; ibid. 2007.I.200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007, p. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur). Ainsi, toutes les règles matérielles du droit français de l’arbitrage peuvent être écartées par une désignation expresse par les parties d’un droit étranger applicable à la clause compromissoire. Reste que, lorsque ce n’est pas le cas, comme en l’espèce, il est inutile d’invoquer la loi étrangère, l’examen se réalisant à l’aune des règles matérielles françaises (sur ces questions, v. J. Jourdan-Marques, Faut-il consolider Dalico ? Réflexion sur les règles matérielles relatives à la compétence arbitrale, à paraître).
c - L’extension de la clause compromissoire
Après avoir écarté l’application de la loi algérienne, l’arrêt Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999) revient sur l’extension de la clause compromissoire à un non-signataire. Pour commencer, elle énonce la règle applicable : « une clause compromissoire insérée dans un contrat international peut être étendue aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et dans les litiges qui peuvent en résulter, cette situation contractuelle et leurs activités présumant qu’elles l’ont acceptée et qu’elles ne pouvaient en ignorer l’existence et la portée, bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat qui la stipulait ». La formule parlera aux praticiens du droit de l’arbitrage, puisqu’elle se retrouve de façon presque identique dans Kout Food (Paris, 23 juin 2020, n° 17/22943, préc.) et surtout, hasard du calendrier, dans un arrêt de la 5-5 rendu cinq jours plus tôt (Paris, 10 juin 2021, n° 20/07754, MEPI. L’arrêt ne sera pas commenté plus en avant, sauf à dire qu’il illustre encore la difficulté des juridictions à appliquer rigoureusement le principe compétence-compétence). Il faut toutefois être attentif pour y déceler une différence. Reproduisons, pour simplifier la lecture, la formule figurant dans l’arrêt Kout Food : « la clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et dans les litiges qui peuvent en résulter, dès lors qu’il est établi que leur situation contractuelle et leurs activités font présumer qu’elles ont accepté la clause d’arbitrage dont elles connaissaient l’existence et la portée, bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat qui la stipulait ».
Il y a une différence très nette dans la construction des deux attendus. L’arrêt Kout Food pose une présomption d’acceptation de la clause, sous réserve d’une connaissance de son existence de sa portée. À l’inverse, l’arrêt Pharaon pose une double présomption, d’acceptation de la clause et de connaissance de son existence et de sa portée. Il est possible que cette évolution dans la formulation de la règle n’ait qu’une portée limitée. Si l’on prend la peine de relire l’arrêt Kout Food, on constate que, en dépit de la formulation de l’attendu, la cour se focalise sur le comportement du tiers sans s’intéresser à sa connaissance de la clause. Ainsi, déjà dans cette décision, c’est l’implication dans l’exécution du contrat et dans le litige qui permet de fonder l’extension de la clause. C’est une démarche identique qui est retenue dans l’affaire Pharaon, où la cour se focalise sur l’implication du tiers pour trancher en faveur de l’extension de la clause.
Il n’en demeure pas moins que l’on peine à identifier la règle pertinente en matière d’extension de la clause compromissoire. La jurisprudence ne cesse de se fonder sur des règles formulées de façon différente, sans que l’on bénéficie d’une quelconque boussole pour comprendre ces choix. Par exemple, dans l’arrêt Rotana, la cour a retenu que « selon les usages du commerce international, la clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans la négociation, la conclusion, l’exécution et/ou la résiliation du contrat » (Paris, 2 mars 2021, n° 18/16891, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques. L’arrêt a été rendu par la formation compétente en arbitrage interne). Dans cette formule, il n’y a aucune référence à une quelconque connaissance ou acceptation présumée de la clause. Or, comme chacun sait, une présomption peut être combattue et renversée. Il ne serait donc pas vain que la jurisprudence opte pour une règle matérielle et cesse de mentionner les autres.
d - La compétence pour prononcer une compensation
L’arrêt Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999) est décidément très riche, puisqu’il soulève la question de la compétence du tribunal arbitral pour prononcer une compensation. La réponse de la cour d’appel est claire et il suffit de la reproduire : « il convient de considérer que le tribunal arbitral est compétent pour prononcer une compensation entre deux créances s’il est compétent pour statuer sur l’une et l’autre des créances alléguées qui ont fait l’objet de la compensation ».
2 - L’indépendance et l’impartialité des arbitres
L’actualité est toujours aussi brûlante sur les questions d’indépendance et d’impartialité de l’arbitre. L’affaire Aurier (Paris, 8 juin 2021, n° 19/02245) est d’ailleurs l’occasion de rappeler les définitions de l’une et l’autre de ces notions, lesquelles ont déjà été récemment posées (Paris, 16 févr. 2021, n° 18/16695, Grenwich et Paris ; 2 mars 2021, n° 18/16891, Rotana, préc.). Pour l’indépendance, elle procède « d’une approche objective consistant à caractériser des facteurs précis et vérifiables externes à l’arbitre susceptibles d’affecter sa liberté de jugement, tels que des liens personnels, professionnels et/ou économiques avec l’une des parties ». Pour l’impartialité, elle suppose « l’absence de préjugés ou de partis pris susceptibles d’affecter le jugement de l’arbitre, lesquels peuvent résulter de multiples facteurs tels que la nationalité de l’arbitre, son environnement social, culturel ou juridique ».
Dans la majorité des affaires, les discussions se cristallisent autour d’un fait qui n’a pas été révélé. Toutefois, cette hypothèse est loin d’être la seule à se présenter, comme le rappellent les affaires Aurier et Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999). Rien n’exclut que le fait litigieux ait été révélé (ou n’ai pas eu besoin de l’être). Dans cette hypothèse, le régime est globalement identique, à l’exception, naturellement, des discussions sur l’obligation de divulguer le fait. Ainsi, le débat s’articule autour de la recevabilité du grief (a), le cas échéant l’obligation de révéler la circonstance (b) et la caractérisation d’un doute raisonnable (c). Toutefois, le débat pourrait bien rebondir dans les mois à venir, dès lors que la cour d’appel ouvre la voie à un contrôle de ces griefs sur le fondement de l’ordre public international (d).
a - La recevabilité du grief
La recevabilité du grief relatif à un lien mettant en cause l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre est conditionnée au comportement des parties pendant l’instance arbitrale (T. Clay parle de devoir de réaction, note ss Paris, 23 févr. 2016, D. 2016. 2589). La règle est issue de l’article 1466 du code de procédure civile, lequel énonce que « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ». Elle conduit la jurisprudence à considérer qu’une partie n’est plus recevable à invoquer devant la cour, à l’appui du recours en annulation de la sentence, des faits n’ayant pas fait l’objet d’une requête en récusation dans les délais (Civ. 1re, 25 juin 2014, n° 11-26.529, Tecnimont SPA (Sté) c/ J&P Avax [Sté], D. 2014. 1985 ; ibid. 1967, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 1981, avis P. Chevalier
; ibid. 1986, note B. Le Bars
; ibid. 2541, obs. T. Clay
; JCP 2014. 1278, obs. T. Clay ; ibid. Doctr. 857, § 4, obs. C. Seraglini ; ibid. 2014. Doctr. 977, § 9, obs. C. Nourissat ; LPA 2014, n° 215, p. 5, obs. M. Henry ; Cah. arb. 2014. 547, note T. Clay ; Rev. arb. 2015. 85, note J.-J. Arnaldez et A. Mezghani ; Paris, 12 avr. 2016, n° 14/14884, D. 2016. 2589, obs. T. Clay
; RTD civ. 2016. 856, obs. H. Barbier
; Rev. arb. 2017. 234, note E. Loquin ; ibid. 949, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 447, note T. Clay ; Paris, 19 mai 2015, n° 14/05854, D. 2015. 2588, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2015. 951 ; Civ. 1re, 15 juin 2017, n° 16-17.108, D. 2017. 1306
; ibid. 2559, obs. T. Clay
; RTD com. 2017. 842, obs. E. Loquin
; JDI 2018. 149, note B. Castellane). L’affaire Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999) apporte deux précisions intéressantes, qui ne devront pas échapper au praticien.
La première n’est pas la plus étonnante, mais doit tout de même être intégrée. Lorsque l’arbitrage est multipartite, il ne suffit pas que l’une des parties forme une demande en récusation pour en faire bénéficier toutes les autres. La procédure de récusation permet seulement à la partie qui l’a exercé de préserver ses droits, à l’exclusion des autres parties (on peut toutefois le discuter, car il existe des mécanismes de représentation, en particulier la représentation mutuelle des coobligés). Il est donc indispensable, pour pallier ce risque, d’exercer la demande de récusation au nom de toutes les parties ou de former des demandes distinctes, quand bien même elles ont le même objet.
La deuxième était moins prévisible et, à dire vrai, soulève un certain nombre d’interrogations (l’arrêt dans l’affaire Aurier semble retenir une exigence assez proche sur cette question, Paris, 8 juin 2021, n° 19/02245). La partie a engagé deux procédures de récusation, rejetées l’une et l’autre par la Cour internationale d’arbitrage de la CCI. De ce fait, elle semble devoir être recevable à se prévaloir de ces griefs devant le juge de l’annulation (v. notre vademecum, Dalloz actualité, 4 mai 2020), la décision de la cour de la CCI n’ayant pas autorité de la chose jugée (Paris, 23 juin 2015, n° 13/09748, Rev. arb. 2015. 957). Las, la cour d’appel ajoute une nouvelle exigence : il ne suffit pas d’avoir réagi en formant une demande de récusation. Il faut ensuite « formuler expressément une objection ou à tout le moins des réserves devant le tribunal arbitral ».
On peut difficilement se satisfaire de cette solution. La cour l’assoit sur l’article 1466 du code de procédure civile. Elle en fait même une lecture exégétique, puisqu’elle explique qu’« il ressort de cet article que l’irrégularité doit être invoquée “devant le tribunal arbitral”, lequel ne se confond pas avec l’institution en charge de l’organisation de l’arbitrage, en l’espèce la Cour de la CCI ». On ne peut pas disconvenir avec la cour sur la présence de cette exigence au sein de l’article 1466. Néanmoins, c’est oublier deux choses que de limiter son interprétation à cette précision.
D’une part, il est difficile de prôner ici une lecture stricte du texte quand, depuis dix ans, la jurisprudence impose aux parties de saisir des organes autres que le tribunal arbitral (juge d’appui ou institution) sous peine de renonciation. Sauf à dire qu’il existe parallèlement une règle textuelle et une règle jurisprudentielle de renonciation, cette appréciation restrictive dénote avec l’appréciation extensive habituellement retenue.
D’autre part, l’article 1466 du code de procédure civile pose un second critère, celui de l’absence de « motif légitime ». Cette condition ne peut être ignorée. Or on peut se demander en quoi il est plus légitime de renouveler ses contestations devant le tribunal arbitral après le rejet de la demande de récusation, plutôt que de ne pas le faire, dès lors que la contestation est vouée à l’échec. D’ailleurs, en pratique, la partie demande, dans un premier temps, à l’arbitre de démissionner avant d’exercer, dans un second temps, la demande de récusation. Il n’y a donc rien à espérer d’une nouvelle contestation.
En définitive, la jurisprudence impose, par cette décision, une nouvelle condition à la recevabilité du grief relatif à la constitution du tribunal arbitral. Comme souvent, elle ne posera pas de grandes difficultés pour les praticiens chevronnés de l’arbitrage, qui seront en mesure de la prendre immédiatement en compte. En revanche, elle constituera un piège pour les autres conseils, moins familiers avec le droit français de l’arbitrage. Surtout, elle peut faire des dégâts dans les procédures déjà entamées, avec une application rétroactive de cette exigence supplémentaire.
b - Les éléments à révéler
Quels éléments les arbitres doivent-ils révéler aux parties en début d’instance arbitrale ? La question est ancienne et les choses bougent. À ce titre, l’arrêt Vidatel a amorcé un glissement (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Vidatel, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. Doctr. 696, obs. P. Giraud), en prenant appui sur la note de la CCI pour déterminer les éléments devant figurer dans la déclaration d’indépendance des arbitres. L’arrêt Fiorilla confirme ce mouvement, et doit à ce titre être particulièrement signalé (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413).
Dans cette affaire, l’arbitrage est administré par la FINRA. Ce règlement est particulièrement intéressant. D’une part, il prévoit de façon assez détaillée les obligations de divulgation ; d’autre part, il met en place un questionnaire auquel les arbitres sont tenus de répondre, lequel est censé compléter la déclaration d’indépendance.
Dans cet arrêt, comme dans Vidatel, la cour reprend à son compte les prescriptions du règlement et énonce que « l’arbitrage ayant été rendu sous l’égide de la FINRA, il convient notamment de se référer aux recommandations émises sur cette question par ce centre d’arbitrage pour préciser le contenu de l’obligation de révélation imposée aux arbitres ». Il ajoute encore qu’« il ressort de ces recommandations que l’obligation de divulgation de l’arbitre dans le cadre d’un arbitrage FINRA est très large puisqu’elle porte, s’agissant de ses rapports avec l’une des parties, leurs représentants, les témoins ou les co-arbitres, sur tout intérêt ou toute relation directe ou indirecte existante ou passée, avec ces derniers, mais vise aussi, hors les rapports avec ces personnes, à connaître les situations et/ou comportement de chaque arbitre dans le passé et notamment les éventuels litiges et procédures dans lesquels ils ont été impliqués (autres que celles pour lesquelles ils étaient arbitres) », pour finalement conclure que « c’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier [si les arbitres] ont satisfait à leur obligation de divulgation ».
Ainsi, le règlement d’arbitrage est utilisé comme source à part entière de l’obligation de révélation des arbitres, permettant au juge de réaliser son contrôle. C’est le règlement qui permet de dire ce qui doit ou ce qui ne doit pas être révélé.
C’est une véritable révolution, dont nous avions déjà tenté d’analyser la portée à l’occasion du commentaire de l’arrêt Vidatel (Chronique d’arbitrage : la révélation encore révolutionnée ?, Dalloz actualité, 22 févr. 2021). On peut y voir au moins un argument extrêmement favorable et un argument extrêmement défavorable. En faveur de cette évolution, il est certain qu’elle apporte aux arbitres une sécurité juridique très importante, en leur permettant de se fier, pour la rédaction de leur déclaration d’indépendance, au règlement d’arbitrage, indépendamment du droit du siège. C’est le reflet d’un droit français qui place toujours plus haut le principe d’autonomie du droit de l’arbitrage. En défaveur de cette évolution, on doit néanmoins constater qu’elle conduit à une obligation de révélation à plusieurs vitesses. Ainsi, l’obligation n’aura pas le même contenu en matière d’arbitrage ad hoc ou institutionnel, et, dans ce dernier cas, en fonction de l’institution. Pour notre part, nous n’avons pas encore été en mesure de trancher en faveur de l’une ou de l’autre, les deux présentant un certain nombre d’avantages.
Toutefois, si l’on accepte de suivre le raisonnement de la cour d’appel, il convient de le pousser à son terme : c’est au règlement et à lui seul – sauf contrariété à l’ordre public international (ou aux règles impératives du droit français, pour reprendre des formules utilisées dans le cadre de la compétence) – de régir les questions de révélation. Autrement dit, il faut que les exigences du règlement se substituent au droit français, pas qu’elles se surajoutent. Juger l’inverse conduit à empiler les couches et impose aux arbitres et aux parties de démêler, entre le droit français et le règlement d’arbitrage, des exigences qui peuvent s’additionner, se neutraliser, voire se contredire. Pour l’instant, cela ne semble pas être la voie suivie par la cour. On l’a déjà constaté dans l’arrêt Vidatel, où elle a expressément considéré que l’obligation de divulgation ne se limite pas à ce qui est prévu par la note de la CCI. De plus, la cour ne semble pas prête à renoncer à l’exception de notoriété, quand bien même le règlement ne prévoit pas une telle solution. En somme, il est fort probable que la cour s’oriente vers une combinaison entre les exigences spécifiques du règlement et le cadre général du droit français.
On ne détaillera pas le raisonnement de la cour concernant les faits reprochés aux arbitres dans cette affaire. On signalera simplement que l’existence d’un questionnaire touffu modifie le traitement de ces questions. En effet, les arbitres peuvent apporter trois réponses : une réponse positive (révélation d’un fait) ; une réponse négative (rien à révéler) ; un silence. Dans le premier cas, le fait ayant été révélé, il n’y a pas de problème dès lors que les parties ont renoncé à s’en prévaloir. Dans le troisième cas, ce silence n’est pas dirimant si d’autres éléments permettent d’établir que le fait a en réalité été révélé (à défaut, il faudra l’analyser comme une réponse négative). Enfin, le deuxième cas est celui qui potentiellement posera problème.
En cas de réponse négative, il faudra ensuite deux éléments pour obtenir l’annulation de la sentence. D’une part, il faut prouver que la réponse aurait dû être positive. Il y a donc un enjeu probatoire. Or la lecture de l’arrêt montre que la cour d’appel prend très au sérieux cette question, n’hésitant pas à écarter les allégations insuffisamment étayées. D’autre part, quand bien même il est établi que la réponse négative n’est pas appropriée, l’annulation n’est pas immédiate, avec la nécessité de caractériser un doute raisonnable.
c - La caractérisation d’un doute raisonnable
L’autre apport essentiel de l’arrêt Fiorilla tient à la nécessité de caractériser un doute raisonnable. L’arrêt Vidatel laissait planer un doute sur cette question malgré une jurisprudence constante depuis une dizaine d’années. Sans dire que l’arrêt Fiorilla clôt le débat, il faut convenir qu’il met du plomb dans l’aile à l’idée selon laquelle l’absence de divulgation d’un fait exigé par le règlement entraîne l’annulation immédiate de la sentence. L’arrêt énonce qu’il convient d’apprécier « si en cas de non-respect de cette obligation [de divulgation], ce manquement était susceptible de créer dans l’esprit des recourants un doute raisonnable sur leur impartialité ».
Sans doute peut-on s’en satisfaire, tant l’annulation automatique de la sentence à chaque défaut de révélation a pu être critiquée au lendemain de l’arrêt Tecnimont. Reste que le problème aujourd’hui n’est pas tant l’exigence d’un critère lié au doute raisonnable que sa caractérisation factuelle. En effet, on a pu critiquer à plusieurs reprises ces derniers mois des refus d’annulation pour des faits d’une certaine gravité (par ex., Paris, 23 févr. 2021, n° 18/03068, LERCO, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. Doctr. 696, obs. P. Giraud). Or on ne peut ignorer que le développement des règlements d’arbitrage sur les questions de révélation change la donne. En effet, avant, les arbitres pouvaient se prévaloir d’une relative incertitude sur les faits à révéler. Désormais, lorsque le règlement pose des questions frontales (comme le règl. FINRA) et qu’un arbitre répond faussement à l’une des questions, on peut éventuellement plaider l’erreur, beaucoup moins l’ignorance. Il faudra donc observer comment la jurisprudence se saisira de ces problématiques.
Par ailleurs, on le sait, les questions relatives à l’obligation de révélation n’achèvent pas les discussions relatives à l’indépendance et à l’impartialité. Dans l’affaire Aurier (Paris, 8 juin 2021, n° 19/02245), la situation est un peu particulière. Le litige est porté devant la Chambre arbitrale du sport, qui utilise une liste fermée d’arbitres. Le requérant reproche à son adversaire d’être défendu par un conseil figurant lui-même sur cette liste, ce qui entraîne, à ses yeux, un doute sur l’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral. Pendant la procédure arbitrale, la partie a sollicité le retrait dudit conseil. En somme, si l’annulation de la sentence est demandée pour défaut d’indépendance et d’impartialité des arbitres, le grief ne les vise qu’indirectement, puisque c’est l’argumentation est focalisée sur la présence du conseil. Il est intéressant de constater que, sur cette question, la cour retient également le critère du « doute raisonnable ». La solution est logique : ce n’est pas parce que la discussion ne prend pas pour point de départ l’absence de révélation que le régime doit être distinct. Dans un cas comme dans l’autre, le fait litigieux n’est susceptible d’entraîner l’annulation que s’il crée un doute raisonnable. Tel n’est pas le cas, dans cette affaire, de la présence d’un avocat présent dans la liste d’arbitres comme conseil d’une partie. Cela dit, il est intéressant de noter que, depuis 2020, l’article 7 du règlement de la chambre arbitrale du sport prévoit que « les arbitres de la Chambre arbitrale du sport ne peuvent pas agir comme conseil d’une partie devant la Chambre arbitrale du sport ». Cette évolution devrait éviter que la situation litigieuse se reproduise. Néanmoins, on peut se demander si elle n’aurait pas pu être prise en compte par la cour dans la caractérisation du doute raisonnable.
d - Vers un contrôle de l’indépendance et de l’impartialité par l’ordre public international ?
L’idée selon laquelle l’indépendance du tribunal arbitral relève de l’ordre public (international) n’est pas nouvelle et a déjà été soutenue en doctrine (M. Henry, Le devoir d’indépendance de l’arbitre, avant-propos J.-D. Bredin, préf. P. Mayer, LGDJ, coll. « Bibli. de droit privé », 2001, spéc. n° 431 ; M. Henry, note ss Reims, 2 nov. 2011, Avax c/ Tecnimont, Rev. arb. 2012. 112, n° 26 ; P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international, Litec, 1996, n° 1622). Pour autant, elle n’a jamais emporté – à notre connaissance – de réelles conséquences en jurisprudence.
C’est désormais chose faite, et d’une manière imprévisible. Dans l’arrêt Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999), la cour énonce qu’« en ce qu’il serait ainsi porté atteinte au principe d’égalité entre les parties et aux droits de la défense, une sentence rendue par un arbitre dont le défaut d’indépendance serait établi, heurterait l’ordre public international ». D’emblée, on remarque la mention de la seule indépendance, contrairement à l’impartialité. Peut-on envisager une distinction, seule l’indépendance relevant de l’ordre public international, à l’exclusion de l’impartialité ? En réalité, la réponse – négative – est déjà donnée par la jurisprudence, dans l’arrêt Fiorilla (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413)
Reste que, pour que cette qualification d’ordre public international ait un intérêt, il faut qu’elle emporte des conséquences juridiques. C’est justement sur ce point que l’apport de l’arrêt est majeur. Il faut reprendre les faits pour le comprendre. Pour discuter la constitution du tribunal arbitral, le requérant s’est prévalu des deux arguments : la proximité géographique entre le domicile de l’arbitre et un immeuble appartenant à une des parties (sur le même palier) ; les liens entre l’arbitre et un cabinet d’avocats. Or on se rappelle que ces deux griefs ont été rejetés, d’une part car une des parties n’a pas participé à la demande de récusation, d’autre part parce que l’autre n’a pas réitéré ses réserves devant le tribunal arbitral. Ce sont pourtant les mêmes griefs qui sont invoqués au soutien de l’ordre public international.
Dès lors qu’il y a identité parfaite entre les fondements factuels invoqués au soutien des deux griefs, on peut s’attendre à ce que les moyens subissent le même sort. Pourtant, ce n’est pas le cas. Là où le grief est déclaré irrecevable sur le fondement de l’article 1520, 2°, du code de procédure civile, son bien-fondé est examiné sur le fondement de l’article 1520, 5°, les deux parties étant manifestement recevables ! On peut imaginer deux explications. La première est que la cour a considéré que l’irrecevabilité n’a pas été invoquée au titre de ce cas d’ouverture par le défendeur. C’est néanmoins très improbable, puisque l’on peut lire dans l’arrêt que le défendeur s’est référé à ses développements sur la régularité de la constitution du tribunal. La seconde explication est donc la plus plausible : le moyen tiré du manquement aux exigences d’indépendance et d’impartialité est examiné indépendamment d’une quelconque renonciation.
Naturellement, on pourra se réjouir que la jurisprudence restrictive sur la recevabilité du grief en matière de constitution du tribunal arbitral puisse être contournée par la voie de l’ordre public international. On peut d’autant plus le faire que nous venons de critiquer plus haut la nouvelle exigence pesant sur les parties de renouveler leurs contestations devant le tribunal arbitral après le rejet de la demande de récusation.
Néanmoins, ce n’est pas l’appréciation que nous en faisons. D’abord, parce qu’il est artificiel d’appliquer un régime distinct à une question identique en fonction du cas d’ouverture utilisé. Il y a un cas d’ouverture dédié aux questions d’indépendance et d’impartialité, et l’utilisation de l’ordre public international ne doit pas permettre d’en contourner le régime. Ensuite, parce que ce n’est pas parce qu’un moyen relève de l’ordre public international qu’il n’est pas susceptible de renonciation. La cour justifie cette inclusion dans le 5° par la référence à l’égalité des parties et aux droits de la défense. Dans un cas comme dans l’autre, il a déjà été jugé que ces griefs sont susceptibles de renonciation. La cour d’appel de Paris a retenu que « le principe d’égalité des armes relève de l’ordre public international de protection, de sorte qu’il est loisible à une partie de renoncer à son bénéfice » (Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502, Dalloz actualité, 7 mai 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP E 2020, n° 4, p. 37, obs. J. Ortscheidt). Il en va de même concernant l’ordre public procédural (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 14 mai 2019, n° 16/16502, préc.). En conséquence, il ne doit pas suffire de basculer sur l’ordre public international pour échapper à la renonciation.
Ainsi, les insatisfactions que nous avons exprimées quant à une exigence trop importante de la jurisprudence sur la recevabilité du grief ne doivent pas être palliées par le recours à l’ordre public international. C’est en revenant à une appréciation raisonnable de la recevabilité que la jurisprudence pourra trouver un équilibre.
Reste à savoir, si cette différence quant à la recevabilité s’accompagne d’une différence sur le fond. Il est difficile d’apporter une réponse tranchée. Dans l’arrêt Fiorilla, la cour énonce qu’« il appartient au juge d’apprécier l’impartialité de l’arbitre en relevant toute circonstance de nature à affecter le jugement de celui-ci et à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur cette qualité qui est de l’essence de la fonction arbitrale ». La formule est proche de celle utilisée dans un arrêt Creighton c/ Qatar (Civ. 1re, 16 mars 1999, n° 96-12.748, D. 1999. 497 , note P. Courbe
; RTD com. 1999. 850, obs. E. Loquin
; Gaz. Pal. 2001, n° 52, p. 10, obs. E. du Rusquec). La référence au doute raisonnable laisse entendre que le régime n’est pas différent que lorsque le grief est examiné sur le fondement de l’article 1520, 2°, du code de procédure civile. L’arrêt Pharaon est plus ambigu. La cour exige la caractérisation « d’un défaut d’indépendance de l’arbitre » (§ 145) ou d’un « lien de dépendance de l’arbitre » (§ 148). Néanmoins, la référence à un « courant d’affaires », notion régulièrement utilisée en matière de constitution du tribunal arbitral, laisse entendre que les éléments à caractériser ne sont pas si différents.
En définitive, ces arrêts Pharaon et Fiorilla ouvrent une nouvelle voie pour se prévaloir de circonstances mettant en doute l’indépendance et l’impartialité du tribunal arbitral. D’une part, ils permettent un sauvetage du grief et d’éviter ainsi une irrecevabilité ; d’autre part, le régime du contrôle, s’il n’est pas encore certain, ne semble pas devoir différer de celui appliqué à l’occasion d’un examen réalisé sur le fondement de l’article 1520, 2°, du code de procédure civile.
3 - Le respect du contradictoire
L’arrêt Pharaon (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999) est riche de contestations concernant le respect du contradictoire par le tribunal arbitral. Un passage mérite d’être mentionné. Il est reproché au tribunal arbitral d’avoir accepté d’entendre certains témoins, en violation de la loi algérienne, applicable à la procédure. Le moyen est écarté, la cour faisant prévaloir le Règlement d’arbitrage de la CCI sur la loi algérienne. Dès lors que ce règlement autorise le tribunal arbitral à entendre des témoins et que la question de cette audition a été débattue, il n’y a aucune violation du contradictoire, nonobstant le contenu de la loi algérienne.
4 - L’ordre public international
L’arrêt Fiorilla (Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413) retient deux solutions déjà connues en droit de l’arbitrage international. La première, que personne n’ignore, est que l’annulation de la sentence par les juridictions du siège ne fait pas obstacle à ce que la sentence soit revêtue de l’exequatur en France. Pour ce faire, l’arrêt rappelle les principes posés par les arrêts Hilmarton et Putrabali (Civ. 1re, 23 mars 1994, n° 92-15.137, Hilmarton, D. 1994. 91 ; Rev. crit. DIP 1995. 356, note B. Oppetit
; RTD com. 1994. 702, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin
; Rev. arb. 1994. 327, note C. Jarrosson ; JDI 1994. 701, note E. Gaillard ; 10 juin 1997, nos 95-18.402 et 95-18.403, Hilmarton, Bull. civ. I, n° 195 ; D. 1997. 163
; RTD com. 1998. 329, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin
; Rev. arb. 1997. 376, note P. Fouchard ; ibid. 329, spéc. n° 17 ; JDI 1997. 1033, note E. Gaillard ; 29 juin 2007, n° 05-18.053, Putrabali, Bull. civ. I, nos 250 et 251 ; D. 2007. 1969, obs. X. Delpech
; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay
; ibid. 1429, chron. L. Degos
; Rev. crit. DIP 2008. 109, note S. Bollée
; RTD com. 2007. 682, obs. E. Loquin
; JDI 2007. 1236, note T. Clay ; LPA 2007, n° 192, p. 20, note M. de Boisséson ; Rev. arb. 2007. 507, note E. Gaillard ; RJDA 2007. 883, obs. J.-P. Ancel ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 3, obs. S. Lazareff ; ibid. 14, note P. Pinsolle ; JCP 2006. I. 216, § 7, obs. C. Seraglini ; Bull. ASA 2007. 217, note P.-Y. Gunter). La seconde est que la reconnaissance d’une sentence peut être refusée si deux décisions sont inconciliables. Or, tel n’est pas le cas lorsqu’une partie se prévaut d’une transaction antérieure à la sentence, laquelle n’a pas été reconnue en France et a été écartée par les arbitres.
Par ailleurs, un arrêt CMRT (Paris, 29 juin 2021, n° 20/01304) laisse entendre que le principe d’exécution de bonne foi des conventions est d’ordre public international. L’arrêt n’est pas tout à fait probant, mais en évoquant « sous couvert d’une violation de l’ordre public international et du principe d’exécution des contrats de bonne foi » et en rejetant le moyen en ce qu’il tend en réalité à demander la révision au fond, il laisse ouvert la porte à une discussion sur ce point. En revanche, il est beaucoup plus clair sur la question du non-respect d’une clause de conciliation préalable, qui n’est pas examinée sur le fondement de l’ordre public international.
C - Les autres voies de recours
Pour l’essentiel, les recours exercés contre les sentences arbitrales sont des recours en annulation ou, le cas échéant, des recours contre l’ordonnance d’exequatur. Pourtant, d’autres recours existent, en fonction des caractéristiques de l’arbitrage. On évoquera dans cette chronique l’appel (1), le recours en annulation devant le Conseil d’État (2) et le recours devant la CEDH (3).
1 - L’appel contre une sentence arbitrale
Le décret du 13 janvier 2011 a changé les règles applicables en matière d’appel contre les sentences internes. Dans le droit antérieur, à défaut de volonté contraire, l’appel était le principe ; désormais, à défaut de volonté contraire, l’appel est l’exception (C. pr. civ., art. 1489). Si la solution est simple, les questions de droit transitoire restent à régler. C’est à l’une d’elles qu’est confrontée la cour d’appel de Paris, puisque la clause figure dans des statuts datant de 1995 (Paris, 29 juin 2021, n° 21/05848, CO.FE.DE). Pour la résoudre, la cour rappelle l’article 3, 1°, du décret qui énonce : « 1° Les dispositions des articles 1442 à 1445, 1489 et des 2° et 3° de l’article 1505 du code de procédure civile s’appliquent lorsque la convention d’arbitrage a été conclue après la date mentionnée au premier alinéa ». Ainsi, la solution est d’ores et déjà prévue par le texte. Néanmoins, elle est discutée dans l’affaire, notamment parce que les statuts ont été modifiés après l’entrée en vigueur de la loi. Pour la cour, ces modifications n’y changent rien, dès lors que la clause est « autonome par rapport aux statuts ». C’est donc l’autonomie de la clause compromissoire qui fonde ce « gel » du droit applicable. Autrement dit, la clause résiste aux modifications de la convention par les parties. À suivre cette logique, on peut penser qu’il en va de même en cas de prorogation du contrat.
2 - Le recours en annulation devant le Conseil d’État
C’est un petit événement : le Conseil d’État vient de valider sa première sentence arbitrale internationale et de lui conférer l’exequatur. La décision est d’autant plus remarquable qu’elle est rendue dans l’affaire Fosmax (CE 20 juill. 2021, n° 443342, Fosmax, Lebon ; AJDA 2021. 1540
), là où justement a été annulée une première sentence (CE 9 nov. 2016, n° 388806, Fosmax, Lebon avec les concl.
; AJDA 2016. 2133
; ibid. 2368
, chron. L. Dutheillet de Lamothe et G. Odinet
; D. 2016. 2343, obs. J.-M. Pastor
; ibid. 2589, obs. T. Clay
; ibid. 2017. 2054, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; RFDA 2016. 1154, concl. G. Pellissier
; ibid. 2017. 111, note B. Delaunay
; RTD com. 2017. 54, obs. F. Lombard
; Rev. arb. 2017. 179, note J. Billemont ; ibid. 2017. 254, note M. Audit et C. Broyelle ; Cah. arb. 2017. 977, note M. Laazouzi et S. Lemaire ; JCP A 2017, n° 19, p. 25, note O. le Bot ; JCP 2016. 2148, note S. Bollée ; JCP E 2017, n° 2, p. 43, note C. Serain ; Procédures 2017. Comm. 10, obs. L. Weiller). Plus encore, le contrôle réalisé par le Conseil d’État donne le sentiment de se stabiliser et ne révèle, au moins dans cet arrêt, aucune velléité de s’aventurer très loin dans l’examen du raisonnement des arbitres.
Sur la nature du contrôle, le Conseil d’État reprend mot pour mot les règles qu’elle a déjà retenues dans son précédent arrêt. Pour mémoire, nous les reproduisons : « Lorsqu’il est saisi d’un recours dirigé contre une sentence arbitrale rendue en France dans un litige né de l’exécution ou de la rupture d’un contrat conclu entre une personne morale de droit public française et une personne de droit étranger, exécuté sur le territoire français, mais mettant en jeu les intérêts du commerce international, il appartient au Conseil d’État de s’assurer, le cas échéant d’office, de la licéité de la convention d’arbitrage, qu’il s’agisse d’une clause compromissoire ou d’un compromis. Ne peuvent en outre être utilement soulevés devant lui que des moyens tirés, d’une part, de ce que la sentence a été rendue dans des conditions irrégulières et, d’autre part, de ce qu’elle est contraire à l’ordre public. S’agissant de la régularité de la procédure, en l’absence de règles procédurales applicables aux instances arbitrales relevant de la compétence de la juridiction administrative, une sentence arbitrale ne peut être regardée comme rendue dans des conditions irrégulières que si le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent, s’il a été irrégulièrement composé, notamment au regard des principes d’indépendance et d’impartialité, s’il n’a pas statué conformément à la mission qui lui avait été confiée, s’il a méconnu le principe du caractère contradictoire de la procédure ou s’il n’a pas motivé sa sentence. S’agissant du contrôle sur le fond, une sentence arbitrale est contraire à l’ordre public lorsqu’elle fait application d’un contrat dont l’objet est illicite ou entaché d’un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu’elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l’interdiction de consentir des libéralités, d’aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l’intérêt général au cours de l’exécution du contrat, ou lorsqu’elle méconnaît les règles d’ordre public du droit de l’Union européenne ».
En synthèse, le Conseil d’État rappelle que le contrôle de la sentence arbitrale n’a pas vocation à conduire à une révision au fond de la sentence. Si les cas d’ouverture ne sont pas transposés du code de procédure civile, il reste que l’on identifie de très forts liens de parenté avec ce texte et avec la Convention de New York.
Dans la réalisation du contrôle, le Conseil d’État ne va pas au-delà de ce qu’il a annoncé. Ainsi, pour un grief tiré du défaut de motivation de la sentence, il se limite à constater que la sentence est motivée ; pour un grief relatif à la violation de l’autorité de la chose jugée, le Conseil d’État constate qu’il ne remet pas en cause la compétence du tribunal arbitral ; enfin, pour un grief tiré de la violation des « règles relatives à la mise en régie », il constate qu’il n’est pas susceptible de caractériser une contrariété à l’ordre public international.
En définitive, on peut se réjouir que le Conseil d’État prenne progressivement la mesure de ses nouvelles fonctions de juge des sentences arbitrales. Le travail réalisé dans cette décision révèle une recherche d’équilibre entre, d’un côté un contrôle limité des sentences pour respecter la volonté des parties de soumettre le litige à l’arbitrage et, de l’autre, réserve la possibilité d’un contrôle plus approfondi sur des problématiques qui heurtent de front les principes du droit public.
3 - Arbitrage et Cour européenne des droits de l’homme
Existe-t-il un droit d’accès au Tribunal arbitral du sport ? Telle est en substance la question posée dans un arrêt Ali Riza (CEDH 13 juill. 2021, n° 74989/11). Un litige oppose un joueur Turc à son ancien club de football, Turc également. Après deux décisions devant la Fédération de Football Turque (par le Comité de résolution des litiges, puis par le Comité d’arbitrage de la FFT), le joueur tente de saisir le Tribunal arbitral du sport. Celui-ci décline sa compétence, au motif que ni les statuts de la FIFA ni le règlement de 2008 du Statut et du Transfert des Joueurs de la FIFA ne fondent sa compétence, pas plus que le règlement du Comité d’arbitrage de la FFT qui exige, pour une saisine du TAS, une internationalité du litige.
Après un rejet du recours par le Tribunal fédéral Suisse, le joueur saisit la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 6, § 1, de la Convention. En substance, il considère que le refus du Tribunal arbitral du sport de se reconnaître compétent pour trancher le litige constitue une atteinte à son droit d’accès au juge. La Cour ne rejette pas d’emblée l’argument et valide implicitement l’hypothèse : il peut y avoir une atteinte au droit d’accès au juge à la suite d’une sentence d’incompétence. Ce n’est pas rien de le dire ! Toutefois, le contrôle réalisé par la Cour est réduit. Elle énonce qu’il s’agit d’un « contrôle européen limité ». Surtout, elle se limite à reprendre le cheminement du tribunal arbitral pour constater, en définitive, que « le TAS a, dans le cadre d’une décision motivée et détaillée, expliqué de manière convaincante pourquoi il ne pouvait pas connaître du litige et, en particulier, pourquoi le litige ne revêtait pas un élément international ». Ainsi, la Cour est loin de réaliser un contrôle équivalent à celui qui se fait habituellement devant un juge de l’annulation. Il n’en demeure pas moins que le contrôle existe et que l’arrêt révèle que, au sens de la Convention européenne des droits de l’homme, une décision d’incompétence peut priver une partie de son droit d’accès à un tribunal. Voilà qui est une piste intéressante à creuser pour les praticiens !
V - La responsabilité de l’arbitre
Il y a quelques mois, le tribunal judiciaire de Paris rendait un jugement remarqué sur la compétence internationale pour connaître d’une action en responsabilité de l’arbitre (TJ Paris, 31 mars 2021, n° 19/00795, Dalloz actualité, 17 mai 2021, obs. P. Capelle ; ibid. 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. 915, note I. Fadlallah ; ibid. 1214, note L. Jandard). Dans une décision solidement motivée, mais discutable dans les choix réalisés, le tribunal a conclu à l’application du règlement Bruxelles 1 bis et a écarté comme critère de rattachement le siège de l’arbitrage. En appel, la décision est sèchement infirmée par la cour (Paris, 22 juin 2021, n° 21/07623, Saad Buzwair), qui contredit le tribunal judiciaire sur les deux points qu’il a eu à juger.
Sur l’applicabilité du règlement Bruxelles 1 bis, la cour considère que celui-ci n’est applicable au motif que l’article 1.2 (d) exclut l’arbitrage de son champ d’application. Pour le justifier, elle retient que « l’action visant à mettre en cause la responsabilité d’un arbitre après l’annulation d’une sentence arbitrale fondée sur le manquement de ce dernier [à] son obligation de révélation est étroitement liée à la constitution du tribunal arbitral et à la conduite de l’arbitrage puisqu’elle vise à apprécier si l’arbitre a exercé, conformément à ses obligations découlant de son contrat d’arbitre, sa mission, laquelle participe de la mise en œuvre de l’arbitrage ». La formule est intéressante, en ce qu’elle fait le lien entre l’arbitrage et l’action en responsabilité pour justifier l’exclusion. Reste à savoir si elle est suffisamment robuste pour écarter toute action en responsabilité du champ d’application du règlement. On imagine aisément un plaideur souligner que son action en responsabilité n’est pas « fondée sur le manquement de ce dernier à son obligation de révélation ». Faut-il exclure les autres actions, notamment celles fondées sur le non-respect du délai de l’arbitrage ? Sans doute pas, car ce dernier est aussi lié à la « conduite de l’arbitrage ». On voit bien qu’il peut y avoir des discussions, même si, ainsi rédigée, la règle semble avoir une portée générale.
Sur le facteur de rattachement, là encore, la cour s’oppose à l’analyse du tribunal judiciaire. Elle retient qu’« en matière d’arbitrage international, sauf volonté contraire des parties, le juge étatique du lieu de la prestation de service pour statuer sur une action en responsabilité dirigée contre l’arbitre dans l’exécution du contrat d’arbitre est celui dans le ressort duquel se situe le siège de l’arbitrage ». En plus du domicile du défendeur, critère classique de compétence, le siège de l’arbitrage est considéré comme lieu d’exécution du contrat et donne compétence à ce juge pour connaître de l’action en responsabilité dirigée contre l’arbitre. La cour s’en explique, en ajoutant que « le contrat d’arbitre participe de la nature mixte de l’arbitrage, contractuelle par sa source et juridictionnelle par son objet, et dérive de la convention d’arbitrage à laquelle il est étroitement lié. Ainsi, la prestation de service d’un arbitre consiste en l’accomplissement de sa mission de trancher le litige qui lui est soumis par les parties et comprend celle de rendre une sentence au siège de l’arbitrage choisi par les parties ou en accord avec elles. Il y a lieu en conséquence, eu égard à la nature particulière du contrat d’arbitre, étroitement lié à la convention d’arbitrage, de considérer que le lieu de l’exécution de la prestation de l’arbitre se situe audit siège, quand bien même la procédure d’arbitrage et les travaux de réflexion des arbitres ont pu, en accord entre les parties, se dérouler en d’autres lieux ».
Naturellement, on pourra discuter de cette formule, en soulignant que les arbitres bénéficient, pour l’essentiel au moins, d’une immunité dans l’exercice de leur mission juridictionnelle et qu’il est dès lors paradoxal de faire de cet élément un critère central dans la détermination du lieu où les seuls aspects contractuels de la responsabilité seront examinés. Reste qu’elle rappelle à juste titre la complexité de la mission de l’arbitre, dont les aspects contractuels et juridictionnels ne peuvent facilement être démêlés. Or, quand bien même c’est une fiction juridique (sur les fictions juridiques en arbitrage, même si celle-ci n’est pas évoquée, E. Silva Romero, Les « fictions juridiques » dans le langage du droit français de l’arbitrage international, Rev. arb. 2021. 343), c’est bien le siège de l’arbitrage qui est le lieu de déroulement de l’arbitrage. En conséquence, il est logique que, au sens de l’article 46 du code de procédure civile, il s’agisse aussi du lieu d’exécution du contrat d’arbitre (si tant est que l’on accepte son existence, L. Jandard, La relation entre l’arbitre et les parties. Critique du contrat d’arbitre, thèse ss la dir. de F.-X. Train, 2018). En tout cas, le principal intérêt de cette solution réside dans l’unité du facteur de rattachement en présence d’une pluralité d’arbitres. En effet, le siège pourra systématiquement être retenu, là où la solution du tribunal judiciaire qui s’intéresse au lieu effectif de travail des arbitres risque d’entraîner un éclatement.
On signalera encore l’incise « sauf volonté contraire des parties ». La cour réserve ainsi la possibilité d’un juge désigné par les parties. Si cette possibilité est plutôt théorique, il arrive qu’un contrat soit rédigé, notamment parce que l’on trouve certains modèles en ligne (on en trouve un sur le site du CNB). Dès lors, rien n’interdit d’y faire figurer une clause attributive de juridiction.
Cela dit, il faut bien avoir conscience que l’affaire est potentiellement loin d’être finie. D’une part, on ne sera pas étonné en cas d’intervention de la Cour de cassation. D’autre part, et plus fondamentalement, il n’est pas à exclure une intervention de la Cour de justice. Autant dire que, dans cette hypothèse, on en tremble d’avance.

La décision tant redoutée est tombée dans l’affaire Komstroy. Alors que l’arrêt Achmea faisait office de cercueil pour l’arbitrage d’investissements au sein de l’Union européenne, voilà que la Cour de justice y ajoute les clous.
La majoration de 100 % de l’indemnité d’occupation d’une dépendance du domaine public fluvial ne peut être légalement établie au nom de l’ancien propriétaire ayant cédé son navire au seul motif que la vente du bateau n’est pas opposable aux tiers faute d’accomplissement des formalités prévues par l’article L. 4121-2 du code des transports.
La majoration de 100 % de l’indemnité d’occupation d’une dépendance du domaine public fluvial ne peut être légalement établie au nom de l’ancien propriétaire ayant cédé son navire au seul motif que la vente du bateau n’est pas opposable aux tiers faute d’accomplissement des formalités prévues par l’article L. 4121-2 du code des transports.
Le nombre de jours d’arrêt maladie dans la fonction publique a progressé de 21 % entre 2014 et 2019. Pour la Cour des comptes, la réduction de ce chiffre doit être une priorité.
La Cour des comptes a analysé l’évolution des dépenses publiques, impactées par la crise du covid-19.
Le groupe de recherche sur la copropriété (GRECCO) s’intéresse à la mise en conformité du règlement de copropriété avec les dispositions relatives aux parties communes à jouissance privative.
« Les nouvelles technologies de sécurité posent des enjeux fondamentaux en matière de libertés. » Un constat « sans surprise », reconnaît le député Jean-Michel Mis dans le rapport Pour un usage responsable et acceptable par la société des technologies de sécurité qu’il a remis au Premier ministre le 9 septembre. La méfiance des citoyens face à la vidéosurveillance, aux drones, à la reconnaissance faciale, aux ciblages algorithmiques… « n’est pas illégitime et ne doit pas être écartée ou ignorée », estime le député de la Loire.
Le critère de représentativité exigé d’un syndicat pour désigner un défenseur syndical méconnaît le principe d’égalité devant la loi, décide le Conseil constitutionnel à la faveur d’une question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Confédération nationale des travailleurs-Solidarité ouvrière (CNT-SO).

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions relatives aux effets du cautionnement.
Droit antérieur et présentation de la réforme
La section III, devenue la section IV, relative à « l’extinction du cautionnement » était avant la réforme peu fournie puisqu’elle ne contenait, pour l’essentiel et outre le renvoi au droit commun des obligations, que l’article 2313 ancien relatif à l’opposabilité des exceptions – dont le régime est remonté au sein de la section II sur l’étendue du cautionnement –, l’article 2314 ancien sur le bénéfice de subrogation et l’article 2316 ancien sur le recours avant paiement en cas de prorogation du terme. Ces dernières dispositions ont été adaptées et précisées. Elles sont en outre complétées par des textes propres à l’extinction du cautionnement de dettes futures, et plus précisément de l’obligation de couverture, qui reprennent pour l’essentiel des solutions jurisprudentielles consécutives à la thèse de Christian Mouly (C. Mouly, Les causes d’extinction du cautionnement, Litec, 1979, préf. M. Cabrillac).
Les causes d’extinction régies par cette section sont les causes d’extinction par voie principale de l’obligation de la caution qui s’ajoutent, d’une part, aux causes d’extinction du droit commun des obligations, visées par l’article 2313 nouveau, alinéa 1er, d’autre part, aux causes d’extinction par voie accessoire auxquelles renvoie l’alinéa 2 du même texte qui dispose que l’obligation de la caution « s’éteint aussi par suite de l’extinction de l’obligation garantie » (sur le caractère accessoire du cautionnement, voir le commentaire de la section II relative à la formation et à l’étendue du cautionnement).
Le bénéfice de subrogation
L’article 2314 nouveau relatif au bénéfice de subrogation reprend en substance l’ancien, avec une rédaction plus claire. Il dispose en ces deux premiers alinéas que « Lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par la faute de celui-ci, s’opérer en sa faveur, la caution est déchargée à concurrence du préjudice qu’elle subit. Toute clause contraire est réputée non écrite ». On remarque en particulier la suppression de la référence aux « droits, hypothèques et privilèges du créancier » qui permet d’inclure plus clairement tout type de droit, et de consacrer ainsi la jurisprudence de la Cour de cassation (v. not. Com. 3 mai 2006, nos 04-17.283 et 04-17.396 P, D. 2006. 1693 , note D. Houtcieff
; ibid. 1364, obs. V. Avena-Robardet
; ibid. 2855, obs. P. Crocq
; RTD com. 2007. 229, obs. A. Martin-Serf
; RD banc. fin. 2006. 18, obs. D. Legeais ; Defrénois 2006, art. 38449, p. 1386 s., obs. S. Piedelièvre, visant tout « droit exclusif ou préférentiel » ; et, sur le droit de gage général, Com. 19 févr. 2013, n° 11-28.423 P, D. 2013. 565, obs. A. Lienhard
; ibid. 1706, obs. P. Crocq
; RTD civ. 2013. 416, obs. P. Crocq
; RTD com. 2013. 346, obs. A. Martin-Serf
; ibid. 573, obs. D. Legeais
; Dr. et patr. juill. 2013, obs. A. Aynès ; RDC 2013. 1454, obs. A.-S. Barthez).
La seule modification apportée par la réforme au régime du bénéfice de subrogation résulte de l’alinéa 3 de l’article 2314 qui dispose que « La caution ne peut reprocher au créancier son choix du mode de réalisation d’une sûreté ». Il s’agit là pour le législateur de combattre la jurisprudence selon laquelle « si l’attribution judiciaire du gage ne constitue qu’une faculté pour le créancier, ce dernier, lorsqu’il est par ailleurs garanti par un cautionnement, commet une faute au sens [de l’article 2314 ancien du code civil] si, en s’abstenant de demander cette attribution, il prive la caution d’un droit qui pouvait lui profiter » (Com. 8 mars 2017, n° 14-29.819 ; 13 mai 2003, n° 00-15.404 P, D. 2003. 1629 , obs. V. Avena-Robardet
; ibid. 2004. 52, obs. P.-M. Le Corre
; RTD com. 2003. 803, obs. B. Bouloc
; ibid. 2004. 156, obs. A. Martin-Serf
; Banque et droit juill.-août 2003, 61, obs. N. Rontchevsky ; adde Com. 17 févr. 2009, n° 07-20.458, Bull. civ. IV, n° 22 ; D. 2009. 625, et les obs.
; RTD civ. 2009. 555, obs. P. Crocq
; RTD com. 2009. 425, obs. D. Legeais
; RD banc. fin. 2009. Comm. 90, obs. A. Cerles ; Banque et droit mars-avr. 2009. 52, obs. F. Jacob). Une interprétation a contrario de l’article 2314, alinéa 3, laisse en revanche penser que le législateur est favorable au maintien de la sanction du créancier qui aurait omis d’exercer une faculté autre que la demande d’attribution judiciaire, telle que l’inscription d’une sûreté légale (Civ. 1re, 3 avr. 2007, n° 06-12.531, D. 2007. 1572
, note D. Houtcieff
; ibid. 1136, obs. V. Avena-Robardet
; ibid. 2327, chron. P. Chauvin et C. Creton
; ibid. 2008. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet
; RTD civ. 2007. 595, obs. P. Crocq
; RTD com. 2007. 584, obs. D. Legeais
; JCP 2007. I. 158, n° 13, obs. P. Simler), ou l’inscription définitive d’une sûreté provisoire (Ch. mixte, 17 nov. 2006, n° 04-19.123, Bull. ch. mixte, n° 10 ; D. 2006. 2907
, obs. V. Avena-Robardet
; RTD civ. 2007. 157, obs. P. Crocq
; RTD com. 2007. 215, obs. D. Legeais
; RLDC, janv. 2007, p. 32, obs. J.-J. Ansault ; RDC 2007. 428, obs. D. Houtcieff ; Defrénois 2007, art. 38562, n° 27, p. 440 s., obs. E. Savaux).
L’extinction de l’obligation de couverture
La réforme consacre, au sein des articles 2315 à 2317 nouveaux, la spécificité de l’extinction du cautionnement de dettes futures, qui connait des causes et des effets qui lui sont propres. L’article 2315 dispose que « Lorsqu’un cautionnement de dettes futures est à durée indéterminée, la caution peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai de préavis contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable ». Il s’agit là de l’application au cautionnement de la faculté de résiliation unilatérale commune à tous les contrats à durée indéterminée, elle-même fondée sur la prohibition des engagements perpétuels (C. civ., art. 1211, issu de l’ord. n° 2016-131 du 10 févr. 2016). L’effet de cette résiliation est précisé par l’article 2316 qui dispose que « lorsqu’un cautionnement de dettes futures prend fin, la caution reste tenue des dettes nées antérieurement, sauf clause contraire ». La résiliation du cautionnement de dettes futures emporte l’extinction de la seule obligation de couverture, c’est-à-dire de la garantie des dettes futures, et le maintien des obligations de règlement, c’est-à-dire des obligations de payer les dettes déjà nées, même si elles ne sont pas encore exigibles, en cas de défaillance du débiteur (la jurisprudence est constante en ce sens ; v. par ex., Com. 16 oct. 1990, n° 88-17.252 P ; 1er avr. 2008, n° 07-11.003). L’article 2316 est au demeurant général, et s’applique à d’autres causes d’extinction que la résiliation, telles que la survenance du terme, qui ne met donc elle aussi fin qu’à l’obligation de couverture, sauf stipulation contraire (v. dans le même sens, Com. 29 févr. 1984, n° 82-16.662 P ; Civ. 1re, 6 nov. 1985, n° 84-12.523 P ; Com. 24 oct. 1989, n° 88-15.988 P ; 28 févr. 1995, n° 93-14.705 NP ; 15 nov. 2005, n° 04-16.047 NP ; 4 mai 2017, n° 15-25.616 NP ; 28 févr. 2018, n° 16-25.069). Le décès de la caution produit les mêmes effets puisque l’article 2317 nouveau dispose que « Les héritiers de la caution ne sont tenus que des dettes nées avant le décès », et consacre ainsi la célèbre jurisprudence Lempereur (Com. 29 juin 1982, n° 80-14.160 P, D. 1983. 360, note C. Mouly ; RTD civ. 1983. 354, obs. P. Rémy). L’alinéa 2 du même texte précise en revanche que, contrairement aux autres causes d’extinction, « toute clause contraire est réputée non écrite » (Com. 13 janv. 1987, n° 84-14.146 P, D. 1987. Somm. 453, obs. L. Aynès ; JCP 1988. II. 20954, note S. de la Marnière). Les mêmes effets sont enfin attachés par l’article 2318, alinéa 1er, nouveau à la dissolution de la société débitrice ou créancière par l’effet notamment d’une fusion, ce texte codifiant là encore des solutions antérieures (v. not., pour l’absorption du créancier, Com. 20 janv. 1987, n° 85-14.035 P, D. 1987. Somm. 453, obs. L. Aynès ; JCP 1987. II. 20844, note M. Germain ; et pour l’absorption du débiteur, Com. 8 nov. 2005, n° 02-18.449 P, JCP 2006. I. 123, nos 17 s., obs. A.-S. Barthez ; Dr. et patr. févr. 2006, p. 126, obs. P. Dupichot ; JCP 2005. II. 10170, note D. Houtcieff ; Dr. et patr. sept. 2006. 80, obs. J.-P. Mattout et A. Prüm ; JCP 2006. I. 131, n° 9, obs. P. Simler). Un sort particulier est réservé à la dissolution de la caution personne morale puisqu’elle celle-ci n’emporte aucune extinction des obligations, que ce soit de couverture ou de règlement (C. civ., art. 2318, al. 2 nouv.).
La prorogation du terme
L’article 2320 nouveau dispose que « la simple prorogation de terme, accordée par le créancier au débiteur principal, ne décharge pas la caution. Lorsque le terme initial est échu, la caution peut soit payer le créancier et se retourner contre le débiteur, soit, en vertu des dispositions du livre V du code des procédures civiles d’exécution, solliciter la constitution d’une sûreté judiciaire sur tout bien du débiteur à hauteur des sommes garanties. Elle est alors présumée justifier de circonstances susceptibles de menacer le recouvrement de sa créance, sauf preuve contraire apportée par le débiteur ». Ce texte reprend l’article 2316 ancien tout en l’adaptant à la suppression, par l’ordonnance, des recours avant paiement tels qu’ils étaient prévus par l’article 2309 ancien, pour renvoyer au droit commun des mesures conservatoires. Mais la caution peut également choisir de payer le créancier et exercer contre le débiteur son recours après paiement (v. déjà, Com. 5 nov. 1971, Bull. civ. IV, n° 264). Enfin, si le texte ne le dit pas expressément, il ne fait aucun doute que la caution qui serait appelée en paiement par le créancier au terme initial pourrait lui opposer la prorogation conventionnelle en application du principe d’opposabilité des exceptions de l’article 2298. La prorogation du terme n’est donc pas opposable à la caution, mais opposable par la caution.
Le cautionnement d’un solde de compte courant
La réforme innove enfin en consacrant un texte au cautionnement du solde d’un compte courant ou de dépôt. L’article 2319 nouveau dispose que « La caution du solde d’un compte courant ou de dépôt ne peut plus être poursuivie cinq ans après la fin du cautionnement ». L’utilité de cette précision est certaine. En effet, la dette principale ne devenant exigible qu’au jour de la clôture du compte, la caution peut être poursuivie longtemps après que le cautionnement a pris fin. Certes, la solution jurisprudentielle selon laquelle la caution ne couvre pas les avances consenties par le créancier postérieurement à l’extinction du cautionnement, tandis que les remises postérieures effectuées par le débiteur s’imputent sur la dette de la caution (Com. 22 nov. 1972, n° 71-10.745 P, RTD com. 1973. 309, obs. M. Cabrillac et J.-L. Rives-Lange), conduit à libérer progressivement la caution. Mais il est fréquent qu’une clause contraire, jugée valable (v. par ex., Com. 18 févr. 2003, n° 99-21.313), prévoie que la caution est tenue du solde existant au jour de la clôture du compte, sans que son engagement puisse excéder le solde provisoire au jour de la résiliation, de sorte que les remises postérieures s’imputent prioritairement sur les avances postérieures. La caution risquait alors d’être tenue perpétuellement, sans pouvoir invoquer la prescription puisque la dette n’est pas exigible tant que le compte n’est pas clôturé (v. not., M. Cabrillac, Obligation de couverture, obligation de règlement et cautionnement du solde du compte courant, Mélanges Mouly, t. 2, Litec, 1998, p. 293 ; P. Simler, Cautionnement. Garanties autonomes. Garanties indemnitaires, 5e éd., LexisNexis, 2015, n° 818 ; A. Gouëzel et L. Bougerol, Le cautionnement dans l’avant-projet de réforme du droit de sûretés : propositions de modification, D. 2018. 678). La loi nouvelle peut donc être approuvée de limiter ainsi dans le temps le droit de poursuite du créancier (dans le même sens, Com. 5 oct. 1982, n° 81-12.595).
Perspectives
La réforme du cautionnement est riche quels que soient les aspects de régime concernés : dispositions générales, formation et étendue, effets, extinction. Elle clarifie le droit positif en le rendant plus lisible et accessible. Elle opère aussi des modifications importantes des textes existants – notamment sur la mention manuscrite et la disproportion – et combat des solutions jurisprudentielles qui sont pour certaines très critiquées, que l’on songe au cautionnement réel, à l’opposabilité des exceptions, au bénéfice de subrogation ou, dans une moindre mesure, au devoir de mise en garde. Il sera particulièrement intéressant d’observer l’attitude de la Cour de cassation. Va-t-elle continuer d’appliquer certaines solutions décriées, et non imposées par les textes, aux cautionnements conclus avant l’entrée en vigueur de la réforme ? Ou va-t-elle s’inspirer des dispositions nouvelles pour opérer des revirements et permettre, indirectement, une application des solutions nouvelles à ces cautionnements antérieurs ? L’impact de la réforme sur la pratique et le volume du contentieux sera également à observer. On peut souhaiter que l’ordonnance assèche une partie du contentieux et contribue ainsi à stabiliser la matière, même si l’on ne peut exclure que de nouvelles interrogations apparaissent.
Sur la l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives aux privilèges mobiliers.
L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions relatives à l’extinction du cautionnement.
L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions relatives à l’extinction du cautionnement.
Un « Plan Indépendants » a été présenté par le président de la République dont la mesure phare réside dans la proposition de création d’un statut unique protecteur pour l’entrepreneur individuel, qui impliquera la suppression du statut de l’EIRL.
L’irrégularité commise dans le déroulement de la procédure disciplinaire prévue par une disposition conventionnelle ou un règlement intérieur, est assimilée à la violation d’une garantie de fond et rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse lorsqu’elle a privé le salarié de droits de sa défense ou lorsqu’elle est susceptible d’avoir exercé une influence sur la décision finale de licenciement par l’employeur.
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97 % des agents publics se sont dit au moins une fois, dans le cadre professionnel, « c’est absurde… » et 80 % déclarent être confrontés à ce sentiment d’absurdité régulièrement ou très fréquemment.
Droit antérieur à la réforme
C’est à la faveur de la réforme opérée par l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006 que le nantissement de créance avait réalisé sa mue : en se détachant de la figure tutélaire du gage, il avait acquis une identité propre (v. M. Julienne, Le nantissement de créance, préf. L. Aynès, Économica, 2012 ; La nature juridique du nantissement de créance in Mélanges Didier R. Martin, LGDJ, 2015, p. 315). Mieux, le nantissement avait conquis ses lettres de noblesse en éclipsant la cession de créance de droit commun à titre de garantie, devenant ainsi la sûreté sur créance de droit commun (Com. 19 déc. 2006, n° 05-16.395 : « en dehors des cas prévus par la loi, l’acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un nantissement de créance », D. 2007. 344 , note C. Larroumet
; ibid. 76, obs. X. Delpech
; ibid. 319, point de vue R. Dammann et G. Podeur
; ibid. 961, chron. L. Aynès
; AJDI 2007. 757
, obs. F. Cohet-Cordey
; RTD civ. 2007. 160, obs. P. Crocq
; RTD com. 2007. 217, obs. D. Legeais
; ibid. 591, obs. B. Bouloc
; rappr. Com. 26 mai 2010, n° 09-13.388, D. 2010. 2201, obs. A. Lienhard
, note N. Borga
; ibid. 2011. 406, obs. P. Crocq
; RTD civ. 2010. 597, obs. P. Crocq
; RTD com. 2010. 595, obs. D. Legeais
; ibid. 601, obs. B. Bouloc
; comp. Com. 17 juin 2020, n° 19-13.153, qui semble admettre la possibilité d’une telle cession, D. 2020. 1357
; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille
; RTD civ. 2020. 671, obs. C. Gijsbers
; RTD com. 2020. 951, obs. A. Martin-Serf
; v. à ce sujet, M. Mignot, Vers la validation de la cession de créance à titre de garantie ?, JCP 2020. 1037). La jurisprudence était même allée jusqu’à reconnaître au profit du créancier titulaire de cette sûreté un droit exclusif au paiement de la créance nantie (v. Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-11.417 et 19-13.636, D. 2020. 1940
, note J.-D. Pellier
; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; Rev. prat. rec. 2020. 6, obs. D. Cholet et A. Provansal
; ibid. 7, obs. D. Cholet et O. Salati
; ibid. 2021. 25, chron. O. Salati
; RTD civ. 2020. 666, obs. C. Gijsbers
; ibid. 946, obs. N. Cayrol
; 17 sept. 2020, n° 19-10.420, D. 2020. 1836
; RTD civ. 2020. 946, obs. N. Cayrol
; Rappr. Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-19.340 ; v. à ce sujet, M. Julienne, Le nantissement enfin pris au sérieux, Banque et Droit, n° 194, sept.-oct. 2020, p, 4 ; J.-D. Pellier, La consécration du droit exclusif au paiement du créancier nanti, D. 2020. 1940
), consacrant ainsi la thèse d’une éminente doctrine (M. Julienne, Le nantissement de créance, op. cit., spéc. nos 155 s.). Toutefois, il subsistait certaines zones d’ombre, que la nouvelle réforme du droit des sûretés est venue opportunément lever, conformément à l’article 60, I, 7°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi PACTE », qui avait autorisé le gouvernement à « préciser les règles du code civil relatives au nantissement de créance, en particulier sur le sort des sommes payées par le débiteur de la créance nantie et sur le droit au paiement du créancier nanti ».
Droit issu de la réforme
Le nantissement de créance est toujours envisagé au titre du nantissement de meubles incorporels, mais il est le seul à être précisément réglementé, les auteurs de la réforme n’ayant finalement pas consacré le nantissement de monnaie scripturale préconisé par l’avant-projet de l’Association Henri Capitant (v. L. Bougerol, Le nantissement de monnaie scripturale, in La réforme du droit des sûretés, ss. dir. L. Andreu et M. Mignot, LGDJ, Institut universitaire Varenne, 2019, p. 211 ; C. Juillet, Le nantissement de monnaie scripturale dans l’avant-projet de réforme du droit des sûretés, RLDC, mars 2018, p. 17). En outre, les nantissements portant sur des biens autres que les créances sont toujours soumis, à défaut de dispositions spéciales, aux règles prévues pour le gage de meubles corporels, la nouvelle ordonnance ayant toutefois expressément exclu l’article 2286, 4°, c’est-à-dire le droit de rétention, conformément à la jurisprudence (Com. 26 nov. 2013, n° 12-27.390, D. 2014. 1610, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2014. 158, obs. P. Crocq
; JCP 2014. 635, n° 20, obs. P. Delebecque : « l’article 2286-4° du code civil issu de la loi du 4 août 2008 n’est applicable qu’aux biens corporels, ce qui exclut les nantissements ». Cela ne remet toutefois nullement en cause, comme le précise le rapport au président de la République, le droit de rétention dans le nantissement de comptes-titres [sûreté d’ailleurs également touchée par la réforme], au demeurant expressément prévu par l’article L. 211-20, IV, du code monétaire et financier. Sur cette question, J.-D. Pellier, Droit de rétention et nantissement de titres financiers, D. 2019. 1846
). D’ailleurs, les auteurs de la réforme ont pris la peine de le spécifier clairement s’agissant du nantissement de parts de sociétés civiles (C. civ., art. 1866 : « Les parts sociales peuvent faire l’objet d’un nantissement dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 2355 du code civil »). Les débats d’hier concernant le régime de ce type de nantissement subsisteront donc (v. à ce sujet, M. Julienne, Le régime du gage : droit commun du nantissement ?, RD banc. fin., sept. 2014. Dossier 40 ; v. égal., M. Julienne, Le nantissement de droits sociaux, RLDA, à paraître). Subsistera sans doute également le débat sur le point de savoir si le nantissement peut porter sur des créances non monétaires (sur cette question, v. M. Julienne, Le nantissement de créance, op. cit., nos 513 s.). À cet égard, les auteurs de l’avant-projet de l’Association Henri Capitant avaient souhaité ajouter à la liste des éléments permettant l’individualisation des créances futures, la nature desdites créances, ce qui semblait suggérer qu’un nantissement pouvait porter sur des créances autres que de somme d’argent. Mais cette modification n’a finalement pas été adoptée par la nouvelle ordonnance.
En revanche, le nantissement de créance se trouve désormais doté d’un régime très efficace, en grande partie inspiré de celui de la cession de créance (v. à ce sujet, M. Julienne, Le régime du nantissement de créance complété et modernisé, Rev. banque, avr. 2021, p. 65). Cette efficacité se manifeste, en premier lieu, par la suppression de l’article 2357 du code civil, issu de la réforme de 2006, et prévoyant que « Lorsque le nantissement a pour objet une créance future, le créancier nanti acquiert un droit sur la créance dès la naissance de celle-ci » (corrélativement, est également supprimé l’alinéa 3 de l’article 1323 du code civil, qui prévoit, en matière de cession de créance, que « le transfert d’une créance future n’a lieu qu’au jour de sa naissance, tant entre les parties que vis-à-vis des tiers ». V. à ce sujet, J.-D. Pellier, La cession de créance de droit commun à titre de garantie, Dalloz actualité, 23 sept. 2021). Cette disposition jurait avec l’article 2361 du même code, aux termes duquel « Le nantissement d’une créance, présente ou future, prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date de l’acte » (le rapport au président de la République souligne d’ailleurs à cet égard que « Cette disposition s’articulait mal en effet avec l’article 2361 selon lequel le nantissement d’une créance future prend effet et est opposable dès la date de l’acte »). Il était néanmoins possible de relativiser ce problème dans la mesure où la date de l’acte demeure l’événement déclenchant l’opposabilité du nantissement de créance (rappr. M. Julienne, Le nantissement de créance, op. cit., n° 46 : « Si donc une même créance fait l’objet de plusieurs opérations, tous les ayants cause du constituant acquerront un droit à ce même moment, mais il n’empêche que la hiérarchie des différents intéressés se réglera en fonction de la date des actes dont ils se prévalent respectivement »). Quoi qu’il en soit, il a été fait le choix ce supprimer toute discussion à ce sujet.
Les auteurs de l’avant-projet d’ordonnance diffusé le 18 décembre 2020 avaient également proposé d’abroger l’alinéa 2 de l’article 2360, qui dispose qu’« au cas d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou d’une procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers contre le constituant, les droits du créancier nanti portent sur le solde du compte à la date du jugement d’ouverture ». Cette suppression eût été justifiée par le fait que « cette règle est spécifique aux procédures collectives et n’a donc pas sa place dans le code civil ». Il est dommage qu’elle n’ait finalement pas été réalisée, car il y avait là une occasion de redorer le blason du nantissement de compte dans le cadre d’une procédure collective, la Cour de cassation ayant considéré, de manière très contestable, que l’ouverture d’une telle procédure faisait obstacle à la conservation des fonds nantis (Com. 22 janv. 2020, n° 18-21.647, D. 2020. 212 ; ibid. 1685, point de vue R. Dammann et A. Alle
; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; RTD civ. 2020. 164, obs. C. Gijsbers
; v. à ce sujet, M. Julienne, Pitié pour le nantissement de compte, RDC 2020-2, p. 56 ; J.-D. Pellier, De la primauté des procédures collectives sur les sûretés, JCP 2020. 423). Le rapport au président de la République affirme même que « L’article 2360, relatif au nantissement de compte, n’est pas modifié, ce qui pérennise la jurisprudence de la Cour de cassation ayant déterminé le sort de cette sûreté en procédure collective (Com. 22 janv. 2020, n° 18-21.647, préc.) », ne laissant ainsi planer aucun doute sur le maintien de cette jurisprudence.
L’efficacité du nantissement de créance se trouve en revanche incontestablement renforcée par l’ajout d’un certain nombre de précisions au sein du Code civil : tout d’abord, l’on sait que la date de l’acte est fondamentale en la matière puisqu’elle détermine, comme susdit, l’opposabilité du nantissement de créance aux tiers autres que le débiteur de la créance nantie (pour lequel une notification ou une intervention à l’acte est nécessaire en vertu de l’art. 2362). Mais encore faut-il savoir sur qui pèse la charge de la preuve de cette date et comment elle peut être prouvée. C’est à ces questions que répond la seconde phrase de l’article 2361, issue de la réforme : « En cas de contestation, la preuve de la date incombe au créancier nanti, qui peut la rapporter par tout moyen ».
Le nantissement de créance est donc aligné sur la cession de créance de droit commun (C. civ., art. 1323, al. 2) et la cession ainsi que le nantissement des créances professionnelles par voie de bordereau « Dailly » (C. mon. fin., art. L. 313-27, al. 4). On observera cependant qu’en pratique, les parties auront toujours intérêt à recourir aux services d’un huissier ou d’un notaire pour établir la date avec certitude. Cette preuve sera d’autant plus importante en présence d’une pluralité de nantissements, le nouvel article 2361-1 du code civil levant à cet égard une incertitude en prévoyant que « Lorsqu’une même créance fait l’objet de nantissements successifs, le rang des créanciers est réglé par l’ordre des actes. Le créancier premier en date dispose d’un recours contre celui auquel le débiteur aurait fait un paiement ». Là encore, les auteurs de l’ordonnance se sont inspirés du régime de la cession de créance « afin d’assurer une cohérence entre les deux régimes » selon les termes du rapport au président de la République (C. civ., art. 1325 ; v. à ce sujet, G. Marain, Le « recours » de l’article 1325 du code civil dans le cadre des conflits entre cessionnaires successifs d’une même créance, AJ contrat 2017. 426 ).
Ce sont, ensuite, les droits du créancier nanti et ceux du débiteur de la créance nantie qui sont précisés : s’agissant du premier, l’article 2363 dispose désormais qu’« Après notification, le créancier nanti bénéficie d’un droit de rétention sur la créance donnée en nantissement et a seul le droit à son paiement tant en capital qu’en intérêts. Le créancier nanti, comme le constituant, peut en poursuivre l’exécution, l’autre dûment informé ». Les auteurs de l’avant-projet d’ordonnance en date du 18 décembre 2020 hésitaient entre la consécration, à l’instar de la jurisprudence, du droit exclusif au paiement (v. supra), et celle du droit de rétention. Ils ont finalement choisi … de ne pas choisir ! Ce sont en effet les deux mécanismes qui se trouvent curieusement consacrés au sein du même texte, le rapport au Président de la République précisant à ce sujet qu’ « il s’agit non pas d’un droit préférentiel (qui donnerait lieu à un concours et donc à un classement) mais d’un droit exclusif (le créancier nanti exclut les autres créanciers et ne peut donc pas se faire primer) reposant sur un droit de rétention sur la créance nantie. Cette clarification est conforme au dernier état de la jurisprudence (Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-11.417 et 19-13.636, préc.) ». Cette dernière assertion est erronée, la jurisprudence ayant consacré le droit exclusif au paiement du créancier nanti et non le droit de rétention (le premier n’ayant nullement besoin de « reposer » sur le second en ce qu’il se suffit à lui-même. Rappr. M. Julienne, Le régime du nantissement de créance complété et modernisé, art. préc. Comp. L. Bougerol-Prud’homme, Exclusivité et garanties de paiements, Bibl. dr. privé, t. 538, LGDJ, 2012, nos 169 s.). La consécration légale du droit de rétention est d’autant plus curieuse au regard de l’exclusion de principe de ce droit en matière de meubles incorporels. Quoi qu’il en soit, le créancier nanti est parfaitement armé pour résister aux assauts des autres créanciers, y compris ceux qui sont réputés être les plus dignes d’intérêt, tel le Trésor public (v. supra). Au demeurant, comme l’indique le rapport au Président de la République, « Le texte ne fait pas obstacle à la pratique consistant, pour des financements importants, à notifier le nantissement afin de le rendre opposable au débiteur, tout en souhaitant que le constituant continue à recevoir paiement ».
Concernant le débiteur, le nouvel article 2363-1 règle la question de l’opposabilité des exceptions, qui était demeurée sous le boisseau jusqu’à présent : « Le débiteur de la créance nantie peut opposer au créancier nanti les exceptions inhérentes à la dette. Il peut également opposer les exceptions nées de ses rapports avec le constituant avant que le nantissement ne lui soit devenu opposable ». Une fois de plus, ce sont les textes relatifs à la cession de créance qui ont logiquement inspiré les rédacteurs de l’ordonnance (C. civ., art. 1324, al. 2 ; v. égal. art. 1346-5, al. 3, en matière de subrogation personnelle ; v. à ce sujet, M. Mignot, La règle dite de l’opposabilité des exceptions après l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 in Mélanges en l’honneur d’É. Loquin, Droit sans frontières, vol. 51, LexisNexis, 2018, p. 671 ; v. égal., F. Jacob, La distinction des exceptions inhérentes à la dette et de celles qui ne le sont pas à l’épreuve [entre autres] de sa consécration légale nouvelle par l’article 1346-5, alinéa 3, du code civil in Mélanges en l’honneur du professeur Claude Witz, LexisNexis, 2018, p. 347).
Demeure cependant une question, rarement soulevée : le débiteur de la créance nantie pourrait-il opposer les exceptions relatives à la créance garantie afin de faire échec au paiement ? On serait tenté de répondre par la négative en raison du droit exclusif au paiement du créancier nanti : dès lors que la créance nantie ne présente aucun vice, elle doit naturellement être payée entre les mains du nanti (pourvu que le nantissement soit opposable au débiteur). Il reste que le nantissement demeure une sûreté accessoire, dont l’existence est censée dépendre de la validité de la créance garantie (on pourrait peut-être raisonner comme en matière hypothécaire, le nouvel article 2455 prévoyant, en son alinéa 2, que le « tiers acquéreur peut encore, comme le pourrait une caution, opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal ». V. à ce sujet, J.-D. Pellier, Les sûretés réelles immobilières, Lexbase, à paraître). Par ailleurs, les auteurs de la réforme n’ont pas souhaité préciser les droits du constituant. L’avant-projet de réforme de l’Association Henri Capitant avait pourtant proposé de reprendre la règle de l’article L. 313-27, alinéa 2, du code monétaire et financier applicable à la cession et au nantissement des créances professionnelles réalisé par voie de bordereau « Dailly » (Avant-projet de l’Association Henri Capitant : art. 2359-1 : Le constituant ne peut, sans l’accord du créancier nanti, modifier l’étendue des droits attachés à la créance nantie »).
En revanche et enfin, la nouvelle ordonnance précise les conditions de conservation des sommes payées au créancier nanti dans l’hypothèse où la créance garantie ne serait pas échue : le créancier nanti doit alors, selon les termes de l’alinéa 2 de l’article 2364, les conserver « à titre de garantie sur un compte spécialement affecté ouvert à cet effet ». C’est ici l’article L. 743-14 du code de commerce qui a servi de modèle (C. com., art. L. 743-14 : « Les sommes détenues par les greffiers des tribunaux de commerce pour le compte de tiers et relevant de catégories fixées par décret en Conseil d’État sont déposées sur un compte spécialement affecté ouvert à cet effet auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Le même décret détermine les conditions du dépôt des fonds »). Le but est de soustraire ces sommes des appétits des autres créanciers. On peut toutefois regretter que le sort des sommes issues de la créance nantie, payée entre les mains du constituant (le nantissement n’ayant pas été notifié au débiteur), n’ait pas été précisé. Pourtant, l’avant-projet de réforme sous l’égide de l’Association Henri Capitant avait proposé d’ajouter la phrase suivante au sein de l’alinéa 2 de l’article 2362 du code civil : « Sauf clause contraire, le constituant conserve les sommes sur un compte bloqué ouvert auprès d’un établissement habilité à les recevoir ou les remet au créancier nanti qui lui en fait la demande pour l’exercice de sa garantie ». Et le gouvernement était précisément habilité à préciser « le sort des sommes payées par le débiteur de la créance nantie » …
Perspectives
Le nantissement de créance sort incontestablement grandi de cette nouvelle réforme. Cela sera-t-il suffisant pour faire de lui un candidat sérieux face à la cession de créance à titre de garantie ? On peut très sérieusement en douter tant les effets de cette dernière paraissent supérieurs aux yeux des créanciers (Rappr. P. Théry, Quelques observations sur le droit des sûretés, advenu et à venir, RDA, déc. 2019, p. 122 : « Si, à formalités égales, le créancier a le choix entre cession et nantissement, l’expérience de la loi Dailly qui traitait de la cession et du nantissement des créances professionnelles laisse augurer un abandon du nantissement au profit de la cession dont les effets sont plus énergiques mais aussi plus prévisibles grâce aux solutions dégagées depuis 1981 par la chambre commerciale ». Sur les mérites respectifs des deux mécanismes, v. M. Julienne, Nantissement ou cession(s) fiduciaire(s) : que choisir ?, RDC 2018/2, p. 318 ; J.-D. Pellier, Pour la cession de créance de droit commun à titre de garantie in La réforme du droit des sûretés, dir. L. Andreu et M. Mignot, LGDJ, Institut universitaire Varenne, 2019, p. 243, spéc. nos 10 et 11).
Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par , le 22 septembre 2021

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives au nantissement de créance.
L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives au nantissement de créance.
« Sûreté vedette de la fin du XXe siècle » (M. Cabrillac, C. Mouly, S. Cabrillac et P. Pétel, Droit des sûretés, LexisNexis, coll. « Manuels », 10e éd., 2015, n° 851), dont les atours la rapprochent de la sûreté idéale, la clause de réserve de propriété traverse les décennies sans que son succès ne se démente. Dérogeant au principe du transfert de propriété solo consensu (C. civ., art. 1196), la clause de réserve de propriété suspend l’effet translatif du contrat, le plus souvent une vente, jusqu’au complet paiement de la contrepartie, le plus souvent, le prix de vente (C. civ., art. 2367). Ignorée du code civil jusqu’à l’ordonnance du 23 mars 2006, qui a procédé à une simple codification à droit constant, la réserve de propriété est simplement ponctuellement retouchée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés. C’est ainsi une réforme a minima, qui n’épuise pas les termes de l’habilitation (v. art. 60-I, 8° de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 : autorisant le gouvernement à « compléter les règles du code civil relatives à la réserve de propriété, notamment pour préciser les conditions de son extinction et les exceptions pouvant être opposées par le sous-acquéreur »), qui est opérée : la clause de réserve de propriété, telle que dessinée par la présente ordonnance, ressemble (presque) à s’y méprendre à celle consacrée par l’ordonnance du 23 mars 2006.
Ainsi, la stabilité du régime de la clause de réserve de propriété prédomine, ce n’est qu’exceptionnellement que des évolutions sont opérées.
Droit antérieur à la réforme : la stabilité des principes
À la lecture de l’ordonnance du 15 septembre 2021, un constat s’impose : les articles 2367 et suivants du code civil, siège de la clause de réserve de propriété, sont très largement inchangés. Les principes directeurs demeurent donc.
S’agissant, en premier lieu, de sa constitution et de ses effets. Sa formation répond à un formalisme dépourvu de toute lourdeur : seul un accord des volontés est exigé et l’écrit, exigé par l’article 2368 du code civil, n’est qu’une simple règle de preuve (sur la publicité facultative et son intérêt en cas de procédure collective, v. art. 117 du décr. 28 déc. 2005). L’assiette de la clause de réserve de propriété, quant à elle, se caractérise par sa grande polyvalence : la réserve de propriété mobilière, faisant l’objet corpus de règle nourri, côtoie la réserve de propriété immobilière, dont seul le principe est consacré (C. civ., art. 2373, al. 2). Quant aux créances garanties, si l’on songe immédiatement au prix de vente, on ne saurait s’arrêter à lui : tout contrat impliquant un transfert de propriété d’un bien moyennant une contrepartie peut inclure une telle sûreté. Le contrat d’entreprise peut donc donner prise à la clause de réserve de propriété (v. par ex., Com. 29 mai 2001, n° 98-21.126, inédit, RTD civ. 2001. 930, obs. P. Crocq ; v. égal. P. Puig, Contrat d’entreprise et transfert de propriété, in Mélanges J. Dupichot, Bruylant, 2004, p. 393 s.). Les effets de la clause de réserve de propriété laissent, quant à eux, une large place aux parties (Cass., avis, 28 nov. 2016, n° 16011 sur les clauses abusives, D. 2016. 2516
; ibid. 2017. 877, chron. M. Latina et E. Le Corre-Broly
; ibid. 1996, obs. P. Crocq
; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet
; AJ contrat 2017. 29, obs. J. Lasserre Capdeville
; RTD civ. 2017. 197, obs. P. Crocq
) qui peuvent, en dépit du silence des textes, prévoir conventions d’occupation précaire, octroyant alors au débiteur le droit de jouir et d’user du bien. Usuelle en pratique, cet aménagement va fréquemment de pair avec les clauses ayant pour effet de dissocier le transfert de propriété et le transfert des risques. L’adage Res perit domino est ainsi fréquemment écarté et le débiteur, non propriétaire, supporte les risques (Com. 20 nov. 1979, Mécarex (1er arrêt), Bull. civ. IV, n° 300 ; D. 1980. IR 571, note B. Audit ; JCP 1981. II. 19615, note J. Ghestin ; v. égal. Com. 19 oct. 1982, Mecarex (2e arrêt), Bull. civ. IV, n° 321 ; RTD civ. 1984. 515, note J. Huet : l’obligation de restitution de l’acquéreur n’est qu’une obligation de moyens et non de résultat).
S’agissant, en second lieu, des droits du créancier en cas de défaillance du débiteur. L’efficacité de la clause de réserve de propriété n’est plus à démontrer. En effet, demeuré propriétaire du bien, cette sûreté confère au créancier le droit de revendiquer le bien et d’en disposer. Il est ainsi préservé des affres du concours. Cette efficacité est d’autant plus grande qu’elle est accentuée par différentes mesures favorables à la revendication. L’incorporation du bien vendu ne fait pas obstacle à la revendication du bien, dès que le bien peut être séparé sans causer de dommage (C. civ., art. 2370) ; le créancier ayant vendu des choses fongibles peut revendiquer des « biens de même nature et de même qualité détenus par le débiteur ou pour son compte » (C. civ., art. 2369). Cette dernière règle, « hérétique au regard de la notion de propriété » (M. Cabrillac, Les sûretés réelles entre vins nouveaux et vieilles outres, in Mélanges P. Catala, Litec, 2001, p. 709 s., nos 22 s.), est incontestablement de nature à favoriser l’efficacité de la clause. Néanmoins, une incertitude demeure, que ne lève pas l’ordonnance du 15 septembre 2021, quant aux droits du créancier en présence d’autres créanciers revendiquant la propriété de ces et en l’absence de stocks suffisants : si l’article 2369 suggère que leurs droits respectifs soient calculés au prorata de la somme restant due à chacun, on ne peut, hier comme aujourd’hui, avoir de certitude (P. Crocq, « Sûretés mobilières. – Clause de réserve de propriété », Jurisclasseur, Droit civil, n° 97 ; comp. F. Pérochon, La revendication de biens fongibles par le vendeur, LPA 14 sept. 1994, p. 82, n° 19 : prônant une répartition au prorata de la quantité livrée). Enfin, dernière manifestation de cette efficacité favorisée par le législateur : le report des droits du créancier réservataire sur la créance de prix de revente du bien et le report des droits sur l’indemnité d’assurance en cas de destruction du bien.
Mais c’est alors envisager les évolutions opérées par la présente ordonnance. La stabilité des principes cède alors la place aux évolutions.
Droit issu de la réforme : les évolutions ponctuelles
Parmi les évolutions opérées par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 seules deux ont une incidence sur le régime de la réserve de propriété.
La première brise la jurisprudence, il s’agit du nouvel l’article 2372. Jusqu’à présent doté d’un alinéa unique, cette disposition est complétée par un alinéa second. Hier comme aujourd’hui, l’alinéa 1er, qui n’a fait l’objet que de modifications formelles, prévoit qu’en cas d’aliénation ou de perte du bien, les droits du créancier se reportent soit sur la créance du prix de revente (v. égal. Com. 17 mars 1998, n° 95-11.209 : transfert de propriété du bien au profit du tiers effectué en exécution du contrat d’entreprise, D. 2000. 75 , obs. D. Mainguy
; ibid. 1999. 72, obs. A. Honorat
; RTD com. 1998. 911, obs. B. Bouloc
) soit sur l’indemnité d’assurance subrogée (Com. 29 mai 2001, RTD civ. 2001. 930, obs. P. Crocq
). Instauré par la présente réforme, l’alinéa second, reprenant la formule retenue par l’avant-projet de réforme élaboré sous l’égide de l’Association H. Capitant, mérite de plus amples développements. Il dispose que « le sous-acquéreur ou l’assureur peut alors opposer au créancier les exceptions inhérentes à la dette ainsi que les exceptions nées de ses rapports avec le débiteur avant qu’il ait eu connaissance du report ». Autrement dit, l’opposabilité des exceptions limite les droits du créancier réservataire. Or, la jurisprudence optait jusqu’alors pour une solution diamétralement opposée : elle n’avait de cesse de refuser au sous-acquéreur la possibilité d’opposer au créancier les malfaçons du bien vendu (Com. 3 janv. 1995, n° 93-11.093, D. 1996. 219
, obs. F. Pérochon
; ibid. 221, obs. F. Pérochon
; RTD civ. 1997. 166, obs. F. Zenati
) ou de considérer que la dation en paiement faite par le sous-acquéreur constituait « un mode de paiement mettant obstacle à la revendication du vendeur » (Com. 14 mai 2008, n° 06-21.532, D. 2008. 2253, obs. A. Lienhard
, note H. Aubry
; RTD civ. 2008. 520, obs. P. Crocq
; RTD com. 2008. 866, obs. A. Martin-Serf
), permettant ainsi au créancier d’exiger de lui le paiement. La solution heurtait de plein fouet le principe de l’interdiction de non-enrichissement du créancier (Comp. la solution, CE, 6e et 11e s.-sect., 12 déc. 2007, n° 296345, AJDA 2007. 2410
). La réforme le restaure : le sous-acquéreur peut dorénavant se prévaloir d’une part des exceptions inhérentes à la dette et d’autre part des exceptions nées des rapports entre le tiers et le débiteur, dès lors qu’elles sont nées avant que le tiers n’ait eu connaissance du report. Un alignement est ainsi opéré avec les solutions adoptées tant en matière de subrogation (C. civ., art. 1346-5) que de cession de créance (C. civ., art. 1324). Néanmoins, la réserve de propriété ne connaissant nullement le concept de notification, celle-ci, contrairement à ce qui prévaut dans la cession de créance, est sans incidence.
La seconde modification, trouvant son siège dans les dispositions relatives au gage, procède à une simple clarification. En effet, le nouvel article 2335 précise le sort du gage de la chose d’autrui que l’ordonnance du 23 mars 2006 avait déclaré nul. Il aura donc vocation à s’appliquer en cas de gage de la chose dont la propriété est réservée. Il ne fait désormais plus de doute : la nullité n’est qu’une nullité relative que seul le créancier gagiste, partie protégée par la règle édictée, est en mesure d’invoquer. Le créancier réservataire ne peut donc l’exiger, en conséquence de quoi, les solutions retenues par la jurisprudence en présence d’un conflit entre ce créancier et un créancier gagiste avec dépossession, sont maintenues : la possession de bonne foi de ce dernier tiendra en échec les droits du créancier propriétaire.
Bilan et perspective
Ainsi, l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ne bouleverse nullement le régime de la réserve de propriété ; les évolutions sont marginales. La possibilité qu’offrait la loi d’habilitation de restaurer le caractère accessoire de cette sûreté en admettant son extinction en cas d’extinction de la créance garantie (V. not. en matière d’effacement des dettes, Civ. 2e, 27 févr. 2014, n° 13-10.891, D. 2014. 1081 , note D. R. Martin
; ibid. 1722, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, T. Vasseur, E. de Leiris, H. Adida-Canac, D. Chauchis et N. Palle
; RTD civ. 2014. 370, obs. H. Barbier
) n’a pas été saisie. Les conséquences inopportunes d’une telle solution demeurent donc. Les termes de l’habilitation rendaient en revanche plus délicate la dernière proposition formulée par le groupe de travail présidé par M. Grimaldi : la consécration du droit du débiteur de disposer du bien. Ainsi, la clause de style l’admettant perdurera. En effet, la consécration implicite de cette faculté par l’article 2372 (v. supra) est incertaine : la modification n’ayant eu pour seul objectif que de « combattre une solution jurisprudentielle » (v. Rapport au président de la République) relative à l’opposabilité des exceptions. Gageons que la question se posera à l’avenir.
Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par , le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, par Jean-Denis Pellier le 22 septembre 2021

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives à la réserve de propriété.
L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives à la réserve de propriété.
L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives au gage.
Ni statu quo ni bouleversement, tel est l’enseignement que l’on retiendra de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés en matière de sûretés mobilières corporelles conférant au créancier un droit de préférence. Les évolutions opérées en ce domaine s’inscrivent dans la continuité de celles consacrées par l’ordonnance du 23 mars 2006 qui, en ce domaine, avait redessiné le paysage, en procédant notamment à une nouvelle classification des sûretés réelles et en qualifiant de « gage » toute sûreté préférentielle ayant une assiette mobilière corporelle.
Ainsi, alors que l’acte I de la réforme des sûretés mobilières corporelles, résultant de l’ordonnance du 23 mars 2006, a initié une modernisation, l’acte II, œuvre de l’ordonnance du 15 septembre 2021, poursuit cette modernisation en procédant à des adaptations, qu’un acte III devrait, sous peu, compléter.
Droit antérieur à la réforme : une modernisation initiée
À la veille de l’ordonnance n° 2021-1192 portant réforme des sûretés, la modernisation du gage avait été largement initiée. Néanmoins, cette modernisation était imparfaite car de nombreux régimes spéciaux demeuraient.
De nombreuses dispositions issues de l’ordonnance du 23 mars 2006, que la présente ordonnance laisse intactes, permettent de dessiner un gage à l’attractivité restaurée.
Tel est, d’abord, le cas des règles régissant sa constitution. En effet, si le gage, avec ou sans dépossession, est devenu une sûreté solennelle (v. cependant pour le gage commercial, Com. 17 févr. 2015, n° 13-27.080, D. 2015. 787 , note N. Borga
; ibid. 1810, obs. P. Crocq
; AJCA 2015. 176, obs. C. Albiges
; Rev. sociétés 2015. 663, note J.-J. Ansault
; RTD civ. 2015. 437, obs. P. Crocq
; RTD com. 2015. 342, obs. D. Legeais
; ibid. 350, obs. B. Bouloc
), cette solennité se résume à peu de choses (désignation de la dette garantie, de la quantité de biens donnés en gage, ainsi que leur espèce et leur nature - C. civ., art. 2336). La dépossession n’est plus qu’une modalité d’opposabilité aux tiers, les parties pouvant lui préférer une simple inscription sur un registre tenu par le greffe du tribunal de commerce (C. civ., art. 2337, al. 1er ). Son assiette révèle également le souci de modernisation : peuvent être affectés en garantie non seulement les choses futures mais aussi les ensembles de biens de choses au sein desquels la substitution est possible. En outre, un même bien peut faire l’objet concomitamment d’une pluralité de sûretés, hypothèse dans laquelle des règles de conflit ont été édictées (C. civ., art. 2237 et 2340).
S’agissant, ensuite, des effets du gage, une distinction doit être opérée. En présence d’un gage avec dépossession, le créancier est tenu d’une obligation de restitution et est dépourvu du droit de jouir ou d’user de la chose. Aussi perçoit-il les fruits à charge de les imputer sur les intérêts ou à défaut sur le capital (C. civ., art. 2345). En présence d’un gage sans dépossession, la protection du créancier est assurée par la neutralisation de la possession de l’ayant cause à titre particulier du constituant. Il n’aura ainsi pas à craindre la vente par le constituant du bien grevé, en revanche, tel ne sera pas le cas en cas de revente (C. civ., art. 2337 al. 3).
S’agissant, enfin, de la réalisation, un vent de modernisation a également soufflé sur le gage. En effet, aux côtés de la vente forcée du gage et de l’attribution judiciaire admises de longue date, la validité du pacte commissoire a été consacrée (C. civ., art. 2348). Ainsi, deux voies s’offrent au créancier pour devenir propriétaire du bien en cas de défaillance du débiteur qui toutes deux lui imposent de reverser au constituant la différence entre le montant de la créance garantie restant dû et la valeur du bien (v. C. Séjean-Chazal, La réalisation de la sûreté, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque de thèses », t. 190, 2019). Cependant, le créancier bénéficiant d’un droit de rétention (C. civ., art. 2286), l’ensemble de ces modes de réalisation est bien souvent inutile. Si cette prérogative tombe sous le sens pour le gage sans dépossession, elle surprend dans le gage sans dépossession (sur lequel, v. S. Piedelièvre, Le nouvel article 2286, 4°, du code civil, D. 2008. 2950 ).
Si à la veille de l’ordonnance du 15 septembre 2021, la modernisation du gage était incontestablement initiée, elle était imparfaite. En effet, de nombreux régimes spéciaux, nés au gré des revendications catégorielles à une époque où le gage de droit commun était nécessairement avec dépossession, avaient été consacrés et venaient ternir le nouveau paysage. C’est ainsi, par exemple, que le gage commercial, le mal-nommé « nantissement » de l’outillage et du matériel, le warrant hôtelier, le warrant pétrolier prenaient place dans le code de commerce, que le code rural et de la pêche régissait le warrant agricole, qu’une loi 12 septembre 1940 avait consacré le warrant des stocks de guerre. Comment ne pas également évoquer le gage de stocks, sûreté créée à « contretemps » pour pallier une dépossession dorénavant révolue, et dont la consécration avait été source de difficultés, symptomatiques de la matière. La première, sans doute la plus emblématique, tenait à l’articulation entre le droit commun et les régimes spéciaux illustrée par la saga du gage de stocks : lorsque les conditions du droit commun sont réunies, les parties souhaitant constituer un gage étaient-elles contraintes de recourir à la sûreté spéciale ou pouvaient-elles préférer recourir au gage de droit commun ? Ce n’est qu’après bien des errements que le législateur, brisant la jurisprudence, avait consacré la liberté de choix entre gage de droit commun et gage de stocks. La portée de la solution était en revanche plus incertaine dans de nombreuses autres hypothèses. La deuxième difficulté tenait aux conflits potentiels entre créanciers munis de sûretés de nature différente sur un même bien : à défaut de registre de publicité unique, chaque sûreté spéciale étant publiée sur un registre distinct, un créancier pouvait légitimement ignorer l’existence d’un créancier concurrent.
Ce faisant, à la veille de l’ordonnance du 15 septembre 2021, un constat s’imposait : le droit du gage était à la croisée des chemins : la modernisation était initiée, mais elle était imparfaite. Le travail de modernisation est perpétué par la présente réforme, dont la mesure doit être prise.
Droit issu de la réforme: la modernisation poursuivie
Si l’ordonnance du 15 septembre 2021 ne rompt pas avec l’état du droit antérieur, ses apports en matière de gage ne sauraient être négligés : les retouches ponctuelles révèlent un gage de droit commun rendant inutile de nombreux régimes spéciaux.
Au titre des innovations, l’une d’entre elles retient tout particulièrement l’attention et dépasse le seul cadre du gage et englobe l’ensemble des sûretés mobilières : la centralisation des inscriptions mobilières (Ord., art. 31). Chère à P. Crocq, cette mesure est consacrée, mettant ainsi un terme à l’éparpillement des systèmes de publicité, source d’incertitudes à l’issue inextricable. L’évolution est remarquable et seul le gage de véhicule automobile y échappe (C. civ., art. 2338) dès lors qu’il ne porte pas sur une flotte de véhicules.
La première nouveauté, sans doute la plus remarquable, trouve son siège dans le nouvel article l’article 2334 : la validité du gage d’immeubles par destination est consacrée. Inspirée des régimes spéciaux (v. par ex., C. com., art. L. 525-8 et C. rur., art. L. 342-1, al. 2), appelée de ses vœux par la pratique et la doctrine (v. entre autres, J.-D. Pellier, Réflexions sur le gage ayant pour objet un immeuble par destination ou un meuble par anticipation, D. 2020. 1236 ), la disposition procède à un élargissement de l’assiette du gage. En effet, jusqu’à présent, à défaut pour les parties de pouvoir user d’un gage spécial l’admettant, les biens immobilisés par destination étaient une source de crédit inexploitée : entre nullité du gage d’un bien immobilisé ab initio et caducité du gage d’un bien immobilisé après la constitution de la sûreté, seule la théorie de l’accessoire permettait d’inclure automatiquement ces biens dans l’assiette de l’hypothèque grevant l’immeuble (C. civ., anc. art. 2397, al. 4, devenu l’art. 2389). Qu’ils soient immobilisés lors de la constitution du gage ou par la suite, la validité du gage est dorénavant de mise. Mais une telle nouveauté impliquait, d’une part, de poser une règle de conflit entre le créancier titulaire d’un gage sur un immeuble par destination et le créancier titulaire d’une hypothèque incluant ce bien : elle a été posée par l’article 2419, alinéa 1er, qui règle ce conflit en fonction des dates d’inscription, « nonobstant le droit de rétention des créanciers gagistes ». L’élargissement de l’assiette du gage impliquait, d’autre part, d’adapter les procédures civiles d’exécution et de permettre au créancier gagiste de saisir le bien : le nouvel article L. 112-3 du code des procédures civiles est en ce sens.
La deuxième nouveauté tient au régime du gage de choses fongibles : la faculté pour le constituant d’aliéner ces biens est désormais généralisée. S’agissant du gage avec dépossession, cette faculté fait son entrée dans le Code civil, mais est subordonnée à l’existence d’une stipulation contractuelle (C. civ., art. 2341). En présence d’un gage sans dépossession, cette faculté n’est dorénavant plus soumise à l’existence d’une telle stipulation (C. civ., art. 2342). Les régimes spéciaux ont, une fois encore, été source d’inspiration (C. com., act. art. L. 527-1).
Ultime « nouveauté » de cette réforme en matière de gage : la poursuite de l’assouplissement des modes de réalisation du gage. Alors que les dispositions relatives à l’attribution en propriété, attribution judiciaire ou pacte commissoire, n’ont pas connu d’évolution substantielle, l’article 2346, consacré à la vente forcée, transpose une solution que, jusqu’à présent, seul le gage commercial connaissait, à savoir la procédure de vente simplifiée. Désormais, tout gage constitué à des fins professionnel peut faire l’objet d’une vente publique huit jours après une signification faite au débiteur ou, le cas échéant, au constituant (v. J.-D. Pellier, Le gage professionnel, RLDA, à paraître ; v. égal. du même auteur, Vers une extension de la voie parée ?, D. 2021. 1037 ).
Au-delà de ces « nouveautés », l’ordonnance du 15 septembre 2021 procède à deux clarifications bienvenues. La première est relative au gage de la chose d’autrui dont l’article 2335 prévoyait jusqu’à présent la nullité.
Introduite en 2006, la portée de cette disposition suscitait le débat : remettait-elle en cause l’issue traditionnelle du conflit entre le créancier réservataire de propriété et le créancier gagiste en vertu de laquelle ce dernier, apte à opposer sa possession (C. civ., art. 2276), ne saurait craindre une action en revendication ? La nullité était-elle absolue ou relative ? Face à ces interrogations, un consensus avait émergé pour considérer que la nullité n’était que relative, susceptible d’être invoquée par le seul créancier et que l’issue du conflit réserve de propriété-gage n’était nullement remise en cause. Ces solutions sont aujourd’hui consacrées par le nouvel article 2335 : le gage de la chose d’autrui « peut être annulé à la demande du créancier qui ignorait que la chose n’appartenait pas au constituant ». La seconde clarification tient au rang du créancier gagiste en cas de vente forcée. Une évolution formelle est opérée : la référence au « privilège » du créancier gagiste (C. civ., act. art. 2332) disparaît au profit de celle de « droit de préférence » (C. civ., nouv. art. 2332-4), conforme à la nature conventionnelle du gage. Une évolution plus substantielle est en outre opérée quant à la place du créancier gagiste dans le classement des créanciers. Jusqu’à présent, la jurisprudence considérait que son droit s’exerçait au rang du créancier bailleur d’immeuble (v. Com. 14 févr. 1977 et rappr. Civ. 1re, 7 mai 1974), la règle est dorénavant inscrite dans le marbre de la loi (C. civ., art. 2332-4).
L’œuvre de modernisation du droit commun du gage ne fait que mettre en lumière l’inutilité d’un certain nombre de gages spéciaux, qui, par l’effet de ces évolutions ont perdu de leur spécificité. D’autres étaient, en outre, progressivement tombés en désuétude. On comprend dès lors que la réforme ait été l’occasion de rationaliser le paysage. Appartiennent désormais au passé : le gage commercial, le nantissement de l’outillage et du matériel d’équipement, les warrants pétroliers et hôteliers, le gage des stocks de guerre et industriel et le très controversé gage des stocks (Ord., art. 28).
Pour le gage de véhicule automobile, sa spécificité, déjà largement atténuée par l’ordonnance du 23 mars 2006, est réduite à portion congrue : son système de publicité. Il n’y a donc guère que le warrant agricole qui échappe à cette rationalisation (C. com., art. L. 342-1 s.).
À l’issue de la réforme du 15 septembre 2021, le droit du gage continue sa mue ; les évolutions dessinées par l’ordonnance du 23 mars 2006 trouvent ici leur prolongement. L’attractivité du gage sort ainsi renforcée.
Les perspectives d’évolution : les mesures règlementaires
Si la publicité centralisée constitue une évolution majeure (v. supra), celle-ci ne saurait voir le jour au 1er janvier 2022, date d’entrée en vigueur de la majorité des dispositions. En effet, sa mise en place nécessitant tant des mesures réglementaires que des développements informatiques, son entrée en vigueur a été décalée au plus tard au 1er janvier 2023 (Ord., art. 37). Espérons qu’elle intervienne au plus vite et dans les délais fixés afin de ne pas plonger la matière dans des abîmes d’insécurité. On se souvient en effet qu’en 2006, une mesure comparable en matière de gage de véhicules automobiles avait été édictée mais n’a toujours pas, à ce jour, vu le jour… Mais rendez-vous est désormais pris au plus tard le 1er janvier 2023 (C. civ., art. 2338 al. 2, act. art. 2351 et Ord., art. 37)…
Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives au gage.
L’arrêt de la Cour de justice du 9 septembre 2021 présente trois intérêts.
1° En premier lieu, il contribue à délimiter le champ d’application du règlement (CE) n° 1206/2001 du 28 mai 2001 relatif à la coopération entre les juridictions des États membres dans le domaine de l’obtention des preuves en matière civile ou commerciale.
Selon son article 1, ce règlement est applicable en matière civile ou commerciale, lorsqu’une juridiction d’un État membre, conformément aux dispositions de sa législation, demande : a) à la juridiction compétente d’un autre État membre de procéder à un acte d’instruction ou b) à procéder directement à un acte d’instruction dans un autre État membre.
Au regard de ces dispositions, la Cour de justice a été saisie d’une question préjudicielle inattendue : ce règlement peut-il être utilisé par une juridiction d’un État membre pour vérifier auprès des autorités compétentes d’un autre État membre l’adresse d’une personne qui y vit et à laquelle une décision prononcée dans le premier État doit être signifiée ?
L’arrêt répond par la négative, en retenant que le règlement « ne s’applique pas à une situation dans laquelle une juridiction d’un État membre recherche l’adresse, dans un autre État membre, d’une personne à laquelle une décision de justice doit être signifiée ». Cette solution s’impose...
Par un arrêt du 9 septembre 2021, la Cour de justice se penche sur le champ d’application du règlement « obtention des preuves » et sur les liens entre les injonctions de payer et le règlement Bruxelles I bis, en rappelant en substance aux juridictions des États membres qu’elles ne sauraient abuser de la procédure de renvois préjudiciels.
Une ordonnance du 15 septembre 2021, prise sur habilitation de la « loi PACTE » du 22 mai 2019, instaure, à compter du 1er janvier 2023, un registre national des entreprises intégralement dématérialisé et recensant, pour chaque entreprise exerçant sur le territoire national, l’ensemble des informations relatives à sa situation. Ce registre va se substituer à l’ensemble des registres d’entreprises existants.
Lorsque le statut du personnel ouvre la voie du recours gracieux au salarié licencié pour faute grave, le délai de prescription de l’action en contestation du licenciement court à compter de la notification de la décision du directeur général statuant sur recours gracieux.
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Droit antérieur à la réforme
La fiducie-sûreté est une institution connue quoiqu’assez jeune en droit positif (pour l’avis d’un praticien du milieu bancaire, A. Gourio, La fiducie-sûreté, D. 2009. 1944 ). Son introduction dans la législation française demeure, en effet, plutôt récente tout comme la fiducie stricto sensu. On sait, depuis le fameux article de Bruno Oppetit, que la fiducie signe ce que l’on appelle une tendance régressive du droit, la loi revenant à des techniques très efficaces connues depuis l’Antiquité mais abandonnées pendant un certain temps en raison des dangers de sa surutilisation (B. Oppetit, Les tendances régressives dans l’évolution du droit contemporain, in Mélanges dédiés à Dominique Holleaux, Litec, Librairie de la Cour de cassation, Paris, 1990, nos 317 s. spécialement sur la fiducia cum creditore). C’est, en effet, une loi n° 2007-211 du 19 février 2007 qui a codifié la fiducie dans le code civil pour pouvoir notamment concurrencer les droits étrangers spécialement anglo-saxons qui connaissent, depuis bien longtemps, l’institution du trust. Technique de gestion par excellence (Rép. civ., v° Fiducie, par F. Barrière, n° 18), la fiducie n’en reste pas moins utilisable à titre de garantie. L’article 2011 du code civil la définit comme « l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ». Pendant un certain temps, la fiducie-sûreté n’a toutefois pas été régie par des textes spécifiques et l’on se servait alors des règles générales pour utiliser la technique à titre de garantie (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, 7e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2016, p. 648, n° 692). Sous l’empire du droit actuel issu de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009, l’article 2372-1 a pu préciser par la suite que « la propriété d’un bien mobilier ou d’un droit peut être cédée à titre de garantie d’une obligation en vertu d’un contrat de fiducie conclu en application des articles 2011 à 2030 » pour les biens meubles et similairement pour un les biens immeubles à l’article 2488-1 du code civil.
Au titre de certains traits caractéristiques, la convention de fiducie-sûreté reste dans le droit actuel solennelle comme toute fiducie et elle doit ainsi respecter les mentions prescrites à l’article 2018 du code civil (identité des biens ou droits transférés, durée du contrat, identité des constituants et du fiduciaire le cas échéant, du bénéficiaire, mission du fiduciaire). Mais, d’une manière assez originale, le contrat doit également mentionner – en vertu des articles 2372-2 ou 2488-2 du code civil – l’évaluation des biens ou droits cédés à titre de garantie et, plus classiquement, la dette garantie en elle-même. Le but de cette exigence d’évaluation des biens et droits transférés reste probablement de sécuriser l’utilisation de l’opération de fiducie utilisée comme une sûreté. Cependant, cette originalité n’a peut-être pas une grande utilité en droit positif. Certains auteurs ont ainsi critiqué le dispositif sous cet angle, faisant perdre à la fiducie-sûreté une partie de la souplesse escomptée par son introduction. En cas de non-paiement de la dette garantie par la fiducie, le droit actuel prévoit un système où le créancier fiduciaire obtient ainsi la libre disposition des biens ou des droits cédés. Sûreté fondée autour de l’exclusivité, la fiducie attire donc nécessairement l’attention des créanciers pouvant en bénéficier. Dans certaines hypothèses, le créancier n’est pas le fiduciaire et il faudra alors que le premier demande au second la libre disposition des biens du patrimoine constitué.
On retrouve aux articles 2372-4 et 2488-4 du code civil la solution commune aux sûretés réelles lorsque le bien garanti a une valeur supérieure à la créance impayée. Dans cette situation, le bénéficiaire doit reverser l’excédent au constituant pour éviter tout enrichissement. Si le fiduciaire s’est chargé de la vente, il procède à ce versement. La possibilité du « rechargement » de la fiducie-sûreté de l’article 2372-5 ou de l’article 2488-5 permet, là-encore, beaucoup de souplesse au mécanisme. Quand le contrat le prévoit, le patrimoine fiduciaire peut être affecté en garantie d’une nouvelle dette dans la limite de sa valeur estimée au jour de la recharge. Il faut alors, à peine de nullité, enregistrer la convention de recharge au service des impôts du siège du fiduciaire ou au service des impôts des non-résidents si le fiduciaire n’est pas domicilié en France conformément à l’article 2019 du code civil.
Les changements opérés par la réforme sont plus de l’ordre de l’assouplissement que de la modification substantielle. L’essentiel des traits caractéristiques du droit antérieur demeure. Il s’agit, avant tout, d’apporter encore plus d’attractivité au mécanisme du Code civil quelque peu délaissé par la pratique et préféré à d’autres solutions plus libres. La loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 indique à son article 60, 10°, l’objectif en la matière : « assouplir les règles relatives à la constitution et à la réalisation de la fiducie-sûreté ». Nous allons voir que le pari est réussi.
Droit issu de la réforme
À titre liminaire, l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 modifie çà-et-là quelques éléments de plan afin de placer la fiducie-sûreté aux côtés de la cession de créance et de la cession de somme d’argent à titre de garantie. Sous cette réserve qui tient au plan du code civil, l’ordonnance ne modifie pas drastiquement l’institution assez jeune que représente la fiducie-sûreté. Le mécanisme gagne toutefois beaucoup de souplesse. Ainsi, exit l’exigence d’évaluation des biens dans l’assiette de la fiducie telle qu’elle l’était à peine de nullité dans l’article 2372-2 ou dans l’article 2488-2 du code civil. Ne reste plus que l’évaluation de la créance garantie mais cette précision est d’une aide précieuse en cas de réalisation de la sûreté notamment pour reverser l’excédent si la vente conduit à un prix supérieur à la créance, sujet de la sûreté. Comme nous l’avons remarqué précédemment, l’exigence d’évaluation des biens n’a que peu d’intérêts et on ne comprend que mal que son exigence se soit maintenue si longtemps en droit positif. Cette suppression doit être accueillie avec bienveillance pour stimuler l’intérêt de la fiducie-sûreté. Les parties peuvent toujours volontairement procéder à une telle évaluation si elles le souhaitent mais l’absence d’une telle quantification ne sera pas sanctionnée par la nullité du contrat. La souplesse préside encore quand l’article 2372-3 ou l’article 2488-3 du code civil se voient ajoutés la précision suivante : « Si le fiduciaire ne trouve pas d’acquéreur au prix fixé par expert, il peut vendre le bien ou le droit au prix qu’il estime, sous sa responsabilité, correspondre à sa valeur ». Cette estimation implique une certaine confiance envers le fiduciaire et on ne peut qu’encourager les contractants à peut-être encadrer cette faculté dans le contrat de fiducie ayant donné lieu à ce patrimoine fiduciaire à titre de sûreté. La liberté trouve comme écho la responsabilité et sur ce point l’ordonnance suit la proposition de l’association Henri Capitant puisque le fiduciaire est responsable de ce prix. Les intérêts du débiteur et du créancier sont donc sauvegardés par cette nécessité de la justification de l’impossibilité de la vente et de la fixation d’un prix différent de celui retenu par l’expert. Il faudra voir, après un retour d’expérience sur le terrain, si le mécanisme fonctionne et garantit les droits de chacun. Il s’agit probablement de la nouveauté la plus importante de cette nouvelle fiducie-sûreté organisée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. On note également que, dans ce même article 2372-3, l’expression « marché organisé » est substituée par le vocable « une plate-forme de négociation » pour recouper la même notion évoquée à l’article L. 421-1 du code monétaire et financier comme c’est le cas pour le gage à l’article 2348 nouveau du code civil. Ici, le but reste une harmonisation du vocabulaire bienvenue d’autant que les notions recoupent des réalités différentes (la plate-forme étant « un système multilatéral de négociation ou un système organisé de négociation » comme le rappelle la Chancellerie dans le projet d’ordonnance).
Le reste des textes demeure, sans grand étonnement, inchangé. Quelles perspectives s’ouvrent donc pour ce droit issu de la réforme dans un futur proche ?
Perspectives
Comme toutes les sûretés réelles fondées sur l’exclusivité, la fiducie-sûreté représente un enjeu essentiel aujourd’hui en droit des sûretés. Longtemps dominé par des sûretés fondées sur la préférence, le droit privé français a désormais un éventail de choix dans les techniques utilisables afin de s’adapter à des situations variées. Mais il faut bien avouer que les innovations de l’ordonnance n° 2021-1192 viennent assouplir une sûreté qui devient de plus en plus efficace. Encore faut-il vouloir et accepter que le créancier dispose d’une telle technique en cas de non-paiement de la dette. L’ordonnance ne condamne évidemment pas, à ce titre, la pratique selon laquelle le créancier reste bien souvent le fiduciaire (sur ces questions, F. Danos, La qualification des droits des différentes parties à une opération de fiducie, in Mélanges Merle, Paris, Dalloz, 2012, p. 137 s.). La propriété transférée à titre de garantie devient alors maximale. La fiducie-sûreté ne peut être réalisée que par des créanciers particuliers et ainsi les autres sûretés réelles non fondées sur l’exclusivité mais sur la préférence (notamment l’hypothèque et le gage) n’ont pas à craindre cet assouplissement particulièrement intéressant. En somme, le droit français améliore son éventail plus qu’il induit des concurrences entre ses mécanismes. Il faudra peut-être encore un peu de temps pour que les créanciers se saisissent de l’institution du droit commun au lieu de techniques très proches en droit spécial, notamment en droit bancaire.
Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par , le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, par Jean-Denis Pellier le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 8) : la réserve de propriété, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives à la fiducie utilisée à titre de garantie.
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L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives à la fiducie utilisée à titre de garantie.
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Droit antérieur à la réforme
Sous l’empire du droit antérieur à la nouvelle réforme du droit des sûretés, la cession de créance à titre de garantie n’était pas reconnue de manière générale. En effet, la Cour de cassation avait considéré qu’ « en dehors des cas prévus par la loi, l’acte par lequel un débiteur cède et transporte à son créancier, à titre de garantie, tous ses droits sur des créances, constitue un nantissement de créance » (Com. 19 déc. 2006, n° 05-16.395, D. 2007. 344 , note C. Larroumet
; ibid. 76, obs. X. Delpech
; ibid. 319, point de vue R. Dammann et G. Podeur
; ibid. 961, chron. L. Aynès
; AJDI 2007. 757
, obs. F. Cohet-Cordey
; RTD civ. 2007. 160, obs. P. Crocq
; RTD com. 2007. 217, obs. D. Legeais
; ibid. 591, obs. B. Bouloc
. Rappr. Com. 26 mai 2010, n° 09-13.388, D. 2010. 2201, obs. A. Lienhard
, note N. Borga
; ibid. 2011. 406, obs. P. Crocq
; RTD civ. 2010. 597, obs. P. Crocq
; RTD com. 2010. 595, obs. D. Legeais
; ibid. 601, obs. B. Bouloc
. Comp. Com. 17 juin 2020, n° 19-13.153, qui semble admettre la possibilité d’une telle cession, D. 2020. 1357
; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille
; RTD civ. 2020. 671, obs. C. Gijsbers
; RTD com. 2020. 951, obs. A. Martin-Serf
. V. à ce sujet, M. Mignot, Vers la validation de la cession de créance à titre de garantie ?, JCP 2020. 1037). Les seuls moyens de céder une créance à titre de garantie étaient donc la cession Dailly (C. mon. fin., art. L. 313-23 s.) ainsi que la cession fiduciaire de créance nommée (C. civ., art. 2018-2). Il est certes possible, également, de concevoir une cession de l’émolument de la créance, c’est-à-dire de son produit, à titre de garantie, la sûreté s’analysant alors en une cession fiduciaire portant sur un bien futur puisque n’appartenant pas encore au cédant (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Une figure méconnue : la cession de l’émolument de la créance, RTD civ. 2019. 229
). Mais il ne s’agit plus alors d’une cession de créance.
Pourtant, l’on aurait pu penser qu’en définissant la cession de créance comme « un contrat par lequel le créancier cédant transmet, à titre onéreux ou gratuit, tout ou partie de sa créance contre le débiteur cédé à un tiers appelé le cessionnaire » (C. civ., art. 1321, al. 1er), l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations avait entendu englober l’hypothèse de la cession de créance à titre de garantie. Ce serait oublier que l’objet de la réforme n’était pas le droit des sûretés même si la considération est quelque peu artificielle (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Pour la cession de créance de droit commun à titre de garantie, in La réforme du droit des sûretés, dir. L. Andreu et M. Mignot, LGDJ, Institut universitaire Varenne, 2019, p. 243, spéc. nos 3 et 4). Quoi qu’il en soit, en exprimant clairement la possibilité d’une telle cession, les auteurs de la réforme ont fait le choix de couper court à toute difficulté.
Droit issu de la réforme
La consécration de la cession de créance de droit commun à titre de garantie avait été proposée par l’avant-projet de réforme du droit des sûretés sous l’égide de l’Association Henri Capitant (C. civ., art. 2373 à 2375). Les auteurs de cet avant-projet avait toutefois pris le soin d’indiquer à ce sujet que « l’insertion d’une cession de créance à titre de garantie, qui constituerait une fiducie particulière, soustraite au droit commun de la fiducie-sûreté, a donné lieu à des débats qui ont divisé la commission. C’est sous réserve que sont présentés les textes qui suivent ». La raison profonde de cette proposition est ensuite précisée clairement : « Dans un souci d’attractivité internationale de la loi française, le premier article de cette sous-section consacre la possibilité, actuellement déniée par la jurisprudence de la Cour de cassation, de réaliser un transfert de créance à titre de garantie sur le fondement du régime de droit commun de la cession de créance (C. civ., art. 1321 s.). Les deux autres articles en précisent les règles pour tenir compte des spécificités de l’opération de garantie (respect du principe de spécialité ; obligation de restitution du cessionnaire après complet paiement) » (sur l’attractivité du droit français, v. P. Delebecque, « L’attractivité » du droit français : un mot d’ordre dépourvu de sens ?, in Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Aynès, LGDJ, 2019, p. 185 ; v. égal., C. Larroumet, Le mythe de l’attractivité du droit civil français, in Mélanges en l’honneur du Professeur Laurent Aynès, LGDJ, 2019, p. 365). Le législateur a manifestement été sensible à cette considération, puisque l’article 60, I, 9°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « PACTE », a autorisé le gouvernement à « inscrire dans le code civil la possibilité de céder une créance à titre de garantie ». Le rapport au président de la République accompagnant l’ordonnance du 15 septembre 2021 précise d’ailleurs qu’« Il s’agit de permettre, aux côtés de la fiducie-sûreté et dans un souci d’attractivité internationale de la loi française, la cession de créance à titre de garantie ».
C’est ainsi que naquirent les nouveaux articles 2373 à 2373-3 du code civil. Le premier de ces texte dispose que « La propriété d’une créance peut être cédée à titre de garantie d’une obligation par l’effet d’un contrat conclu en application des articles 1321 à 1326 » (il s’agit d’une reprise pure et simple de l’avant-projet de l’Association Henri Capitant). La cession de créance à titre de garantie se coule ainsi dans le moule du droit commun de la cession de créance (v. à ce sujet, F. Chénedé, La cession de créance, in Le nouveau régime général des obligation, dir. V. Forti et L. Andreu, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2016, p. 87 ; C. Gijsbers, Le nouveau visage de la cession de créance, Dr. et patr., juill. 2016, p. 48 ; A. Gouëzel, Les opérations translatives, AJCA 2016. 135 ; v. égal., au sujet du projet de réforme, M. Julienne, Cession de créance : transfert d’un bien ou changement de créancier ?, Dr. et patr., juill. 2015, p. 69). À cet égard, il faut d’ailleurs préciser que le gouvernement supprime fort opportunément l’alinéa 3 de l’article 1323 du code civil, qui prévoit que « le transfert d’une créance future n’a lieu qu’au jour de sa naissance, tant entre les parties que vis-à-vis des tiers ». Ce texte représentait en effet un sérieux handicap pour la cession de créance (v. F. Danos, Proposition de modification de l’article 1323 du code civil : l’opposabilité aux tiers de la cession d’une créance future, RDC 2017, n° 114, p. 200), souffrant à cet égard de la comparaison avec la cession Dailly et le nantissement de créance (v. à ce sujet, M. Julienne, Nantissement ou cession(s) fiduciaire(s) : que choisir ?, RDC 2018/2, p. 318, n° 15 ; v. égal., J.-D. Pellier, Pour la cession de créance de droit commun à titre de garantie, art. préc., nos 8, 9 et 10).
Ensuite, l’article 2373-1, conformément au principe de spécialité des sûretés réelles (non seulement quant à l’assiette de la sûreté, mais également quant à la créance garantie), prévoit que « Les créances garanties et les créances cédées sont désignées dans l’acte. Si elles sont futures, l’acte doit permettre leur individualisation ou contenir des éléments permettant celle-ci tels que l’indication du débiteur, le lieu de paiement, le montant des créances ou leur évaluation et, s’il y a lieu, leur échéance ». Sont ainsi repris les mêmes éléments d’identification des créances qu’en matière de nantissement (C. civ., art. 2356) et de cession Dailly (C. mon. fin., art. L. 313-27). On observera toutefois que, contrairement à ce que préconisait l’avant-projet de l’Association Henri Capitant, il n’est plus fait référence à la nature des créances, ce qui est regrettable, car la cession peut porter, en théorie, sur une créance non monétaire (v. à ce sujet, V. Egéa, La circulation d’une créance non monétaire l’exemple de la délivrance, D. 2012. 2111 ). Il est vrai, cependant, que le rapport au président de la République indique que cette liste n’est « qu’indicative ». Toutefois, l’on comprend, à la lecture de l’article suivant, que le régime de la cession de créance à titre de garantie a été pensé en contemplation des créances de sommes d’argent. En effet, le nouvel article 2373-2 du code civil prévoit que « Les sommes payées au cessionnaire au titre de la créance cédée s’imputent sur la créance garantie lorsqu’elle est échue. Dans le cas contraire, le cessionnaire les conserve dans les conditions prévues aux articles 2374-3 à 2374-6 ». La cession de créance à titre de garantie a donc vocation à se transformer en sûreté portant sur une somme d’argent (pour un mécanisme analogue en matière de nantissement de créance, v. M. Julienne, Le nantissement de créance, préf. L. Aynès, Économica, 2012, spéc. nos 195 s.). C’est la raison pour laquelle on lui applique les règles prévues pour la cession de somme d’argent à titre de garantie, également issues de la nouvelle ordonnance (v. C.-A. Michel, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 11) : la cession de somme d’argent à titre de garantie, Dalloz actualité, 24 sept. 2021 ; J.-D. Pellier, La propriété retenue ou cédée à titre de garantie, JCP à paraître, spéc. nos 7 et 8). Le rapport au président de la République indique à cet égard que « Dans une telle hypothèse en effet, le droit de propriété dont était titulaire le cessionnaire sur la créance se reporte sur la somme d’argent versée en paiement de celle-ci ; sa sûreté-propriété sur la créance se transforme en sûreté-propriété sur la somme d’argent, ce qui conduit à lui appliquer le régime prévu pour cette sûreté ». En revanche, il a sans doute été jugé superfétatoire de préciser que le créancier disposait d’un droit exclusif sur la créance cédée, contrairement à ce qui était prévu par l’avant-projet de l’Association Henri Capitant (C. civ., art. 2375 : « Le cessionnaire a sur la créance cédée un droit exclusif. Il exerce l’intégralité des droits qui lui sont attachés »).
Enfin, l’article 2373-3 énonce que « Lorsque la créance garantie est intégralement payée avant que la créance cédée ne le soit, le cédant recouvre de plein droit la propriété de celle-ci ». C’est donc automatiquement que le cédant redevient titulaire de sa créance, conformément à ce que la jurisprudence avait décidé en matière de cession Dailly (Civ. 1re, 19 sept. 2007, n° 04-18.372, D. 2007. 2532, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2008. 322, obs. T. Revet
; RTD com. 2008. 162, obs. D. Legeais
, considérant, s’agissant d’une cession de créance à titre de garantie, « que c’est seulement dans ce dernier cas que le cédant d’origine peut retrouver la propriété de la créance cédée sans formalité particulière dans la mesure où la garantie prend fin lorsque son bénéficiaire n’a plus de créance à faire valoir ou lorsqu’il y renonce »). Il y a là une précision tout à fait heureuse (même si la jurisprudence serait certainement parvenue à ce résultat sans le secours d’un texte) et, aux dires du rapport au président de la République, « conforme à la logique des sûretés-propriétés : le transfert de propriété n’y est que temporaire ».
Perspectives
La consécration (bienvenue) de la cession de créance de droit commun à titre de garantie pose la question légitime de la concurrence de cette sûreté avec le nantissement de créance (sur la question de la concurrence entre les sûretés, v. de manière générale, C.-A. Michel, La concurrence entre les sûretés, préf. P. Dupichot, LGDJ, coll. « Bibl. dr. privé », t. 580, 2018). Ce dernier investit en effet également le créancier d’un droit exclusif au paiement reposant (curieusement) sur un droit de rétention (v. J.-D. Pellier, Le nantissement de créance, Dalloz actualité, 22 sept. 2021), conformément au nouvel alinéa 1er de l’article 2363 du code civil (« Après notification, le créancier nanti bénéficie d’un droit de rétention sur la créance donnée en nantissement et a seul le droit à son paiement tant en capital qu’en intérêts »), ce que la jurisprudence avait au demeurant admis (sans toutefois se fonder sur un droit de rétention) avant même l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions (v. Civ. 2e, 2 juill. 2020, n° 19-11.417 et 19-13.636, D. 2020. 1940 , note J.-D. Pellier
; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; Rev. prat. rec. 2020. 6, obs. D. Cholet et A. Provansal
; ibid. 7, obs. D. Cholet et O. Salati
; ibid. 2021. 25, chron. O. Salati
; RTD civ. 2020. 666, obs. C. Gijsbers
; ibid. 946, obs. N. Cayrol
; v. égal., Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 19-10.420, D. 2020. 1836
; RTD civ. 2020. 946, obs. N. Cayrol
; rappr. Civ. 2e, 10 déc. 2020, n° 19-19.340 ; v. à ce sujet, M. Julienne, Le nantissement enfin pris au sérieux, Banque et Droit n° 194, sept.-oct. 2020, p, 4 ; J.-D. Pellier, La consécration du droit exclusif au paiement du créancier nanti, D. 2020. 1940
). Toutefois, le nantissement ne saurait conférer au créancier qui en bénéficie l’ensemble des prérogatives du titulaire de la créance. La cession de créance pourrait donc bien sortir vainqueur de cet affrontement (Rappr. P. Théry, Quelques observations sur le droit des sûretés, advenu et à venir, RDA déc. 2019, p. 122 : « Si, à formalités égales, le créancier a le choix entre cession et nantissement, l’expérience de la loi Dailly qui traitait de la cession et du nantissement des créances professionnelles laisse augurer un abandon du nantissement au profit de la cession dont les effets sont plus énergiques mais aussi plus prévisibles grâce aux solutions dégagées depuis 1981 par la chambre commerciale »). Mais après tout, pour reprendre le mot du regretté Professeur Crocq, « abondance de biens ne nuit pas ! » (P. Crocq, Les sûretés fondées sur le droit de propriété, in Quelle réforme pour le droit des sûretés ?, dir. Y. Blandin et V. Mazeaud, Dalloz, 2019, p. 75 s., n° 18).
Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, par Jean-Denis Pellier le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 8) : la réserve de propriété, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, par Cédric Hélaine le 23 septembre 2021

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives à la cession de créance de droit commun à titre de garantie.
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L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives à la cession de créance de droit commun à titre de garantie.
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Le projet de loi de finances pour 2022 sonne la fin du soutien de l’État à l’ensemble du secteur économique en raison de la crise sanitaire. En cette fin de quinquennat, il est recentré sur les ministères régaliens.
Le Conseil d’État décide de transmettre au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité présentée par la société Coyote portant sur les dispositions qui permettent de bloquer les messages entre internautes aux abords d’une zone de contrôle policier.
Le refus du ministre chargé des mines de faire droit à une demande d’extension d’un titre minier ne présente pas de caractère réglementaire.
Un décret présenté au Conseil des ministres du 29 septembre portera l’indice minimum de traitement de la fonction publique au niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), a annoncé la ministre de la transformation et de la fonction publiques, Amélie de Montchalin. La hausse automatique du SMIC au 1er octobre risquait de faire passer les premiers échelons de la grille sous ce salaire, ce qui serait contraire à un principe général du droit dégagé par le Conseil d’État (CE, sect., 23 avr.
Multiplication des sûretés-propriétés mobilières. En matière de sûretés mobilières, les évolutions les plus marquantes de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés ne sont sans doute pas celles relatives au sûretés préférentielles (gage ou nantissement). Innovantes certes, elles s’inscrivent néanmoins dans la continuité de la voie initiée par l’ordonnance du 23 mars 2006. Bien différente est la conclusion qui s’impose s’agissant des sûretés-propriétés : entre consécration de la validité de la cession de créance à titre de garantie et consécration de la cession de somme d’argent à titre de garantie, la présente ordonnance fait œuvre de nouveauté. C’est à la faveur de l’article 60-I, 11°, de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 habilitant le gouvernement à « inscrire et organiser dans le code civil le transfert de somme d’argent au créancier à titre de garantie », que celui que l’on dénomme communément le « gage-espèces » est, « dans un souci d’attractivité du droit français, de lisibilité et de sécurité juridique » (v. Rapport au président de la République, spéc. sous présentation de l’art. 11 de l’ordonnance ), aujourd’hui consacré. En effet, en dépit de son importance pratique considérable, le gage-espèces s’épanouissait jusqu’alors sans support textuel spécifique. Or, les évolutions législatives contemporaines (consécration du gage avec dépossession de choses fongibles – art. 2341 c. civ. – ou encore fiducie-sûreté – art. 2011 c. civ. –) avaient fait naître des interrogations quant à la qualification de l’opération et donc quant à son régime, incertitudes que la présente ordonnance dissipe.
Ainsi, jusqu’à présent dans l’ombre, le gage-espèces accède aujourd’hui à la lumière.
Le droit antérieur à la réforme: une sûreté dans l’ombre
Sous l’empire du droit antérieur à l’ordonnance du 15 septembre 2021, lequel a vocation à s’appliquer jusqu’à l’entrée en vigueur de cette dernière le 1er janvier 2022 (Ord., art. 37), les principes avaient été établis par la jurisprudence, toutefois, leur pérennité était incertaine en raison de l’avènement, à l’initiative de l’ordonnance du 23 mars 2006, de l’article 2341 du code civil.
S’agissant des principes jurisprudentiels, une distinction devait être opérée selon le sort réservé à la somme remise au créancier. À défaut d’individualisation de la somme au sein du patrimoine de ce dernier, l’opération emportait transfert de la propriété de cette somme. La qualification de cession fiduciaire était retenue, en conséquence de quoi, à l’image de tout mécanisme fiduciaire, le créancier s’engageait à restituer la somme au constituant dès lors que l’obligation garantie était exécutée. En cas d’inexécution, il devenait définitivement propriétaire de la somme et la compensation fondait alors l’extinction de l’obligation de restitution (Com. 3 juin 1997, n° 95-13.365, D. 1998. 61 , note J. François
; ibid. 104, obs. S. Piédelièvre
; RTD com. 1997. 663, obs. M. Cabrillac
; ibid. 686, obs. A. Martin-Serf
; ibid. 1998. 403, obs. B. Bouloc
). Cette qualification ne pouvait en revanche être retenue dans l’hypothèse où la somme remise au créancier demeurait individualisée dans le patrimoine du créancier. La qualification de gage était alors retenue (rappr. Com. 23 avr. 2003, n° 02-11.015, JCP 2003. I.176, obs. P. Delebecque), les modes de réalisation du gage s’imposaient alors. Néanmoins, à une époque où l’opprobre à l’encontre du pacte commissoire avait encore cours, la jurisprudence admettait ce mode de réalisation.
Mais quelle pérennité pour ces solutions avec l’avènement de l’article 2341, alinéa 2, du code civil, lequel prévoit que « si la convention dispense le créancier de (l’obligation de tenir les choses fongibles séparées des choses de même nature qui lui appartiennent), il acquiert la propriété des choses gagées à charge de restituer la même quantité de choses équivalentes ». Y avait-il encore place pour la cession fiduciaire innommée, non soumise aux articles 2333 et suivants consacrés au gage (v. semblant favorable au maintien de la cession fiduciaire innommée, Com. 3 avr. 2019, n° 18-11.281, D. 2019. 757 ; Just. & cass. 2020. 282, rapp. A. Vaissette
; RTD com. 2019. 990, obs. A. Martin-Serf
) ? Quelle était la nature juridique du mécanisme auquel aboutissait cette disposition : gage irrégulier ou fiducie-sûreté (v. M. Bourassin et V. Brémond, Droit des sûretés, 7e éd., 2019, n° 900) ? Les incertitudes affluaient. En consacrant la cession de somme d’argent à titre de garantie, l’ordonnance du 15 septembre 2021 apporte un élément de réponse.
Droit issu de la réforme : la lumière
Ce ne sont désormais pas moins de sept articles qui viendront bientôt régir le gage-espèces (futurs, C. civ., art. 2374 à 2374-6). Pour novatrice que sont ces textes, les solutions adoptées ne surprennent guère car elles tirent leur inspiration tantôt de dispositions communes aux sûretés réelles (v. par ex., C. civ., art. 2374-1 faisant de la sûreté une sûreté solennelle ou encore l’art. 2374-4 c. civ. envisageant le sort des fruits ; v. Rapport au président de la République), tantôt de mesures applicables à toutes les sûretés fiduciaires (V. par ex., C. civ., art. 2374-5 admettant l’imputation en cas de défaillance du débiteur ou encore l’art. 2374-6 imposant une restitution de la somme en cas d’exécution de la créance garantie). Que retenir de ces nouvelles règles ?
S’agissant de la constitution du gage-espèces, le code civil consacre une sûreté qui ne peut être qu’une sûreté avec dépossession. En effet, la remise des sommes au créancier, par tradition matérielle de monnaie fiduciaire ou par simple écriture en présence de monnaie scripturale, détermine l’opposabilité aux tiers de la sûreté (C. civ., art. 2374-2). S’agissant des effets, le cessionnaire devient propriétaire des sommes. Il acquiert, en outre, et par principe, le droit de disposer librement des sommes cédées ; seule la stipulation conventionnelle contraire prévoyant l’affectation des sommes peut y faire obstacle (C. civ., art. 2374-3). Cette libre disposition des sommes et son éventuelle entrave sont la clé de voûte permettant de préciser le sort des fruits et des intérêts. À défaut de libre de disposition, les fruits et intérêts viennent accroître l’assiette de la sûreté. La clause contraire est toutefois possible (C. civ., art. 2374-4, al. 1er). Différente est la règle en présence d’un créancier libre de disposer des sommes. La confusion des sommes au sein du patrimoine du créancier s’y oppose : comment, dans une telle situation, identifier « les fruits » produits par « la somme » remise au créancier à titre de garantie (v. Rapport au président de la République) ? Néanmoins, dans une telle situation, l’article 2374-4 permet aux parties de prévoir un intérêt au profit du cédant, lequel se « substituera » à un droit aux fruits impossible à concevoir.
S’agissant enfin des effets, les règles inhérentes au mécanisme fiduciaire se retrouvent tant dans l’article 2374-5, consacré à l’hypothèse de la défaillance du débiteur, qu’à l’article 2374-6, relatif, quant à lui, à l’hypothèse, plus heureuse, d’une exécution de la créance garantie. Dans la première, le créancier « peut » imputer le montant de la somme sur la créance garantie. La propriété menacée d’être provisoire devient alors définitive (rappr. C. Witz, Réflexions sur la fiducie-sûreté, JCP E 1993. I. 244). L’usage du verbe « pouvoir » suggère que l’imputation n’est pas automatique et que le créancier a la liberté procéder (ou de ne pas procéder) à l’imputation. La liberté du créancier dans la réalisation de la sûreté est ainsi implicitement affirmée (les termes de l’habilitation excluait qu’un tel principe soit érigé en des termes généraux ; il est néanmoins ponctuellement consacré, v. le nouvel art. 2314 c. civ. précisant que « la caution ne peut reprocher au créancier son choix du mode de réalisation d’une sûreté »). Sans surprise, le gage-espèces, pas plus que toute autre sûreté, ne saurait être une source d’enrichissement pour le créancier, qui est donc contraint de restituer l’éventuel excédant (C. civ., art. 2374-5). Dans la seconde hypothèse, l’absence de défaillance du débiteur, le re-transfert de la propriété, inhérent au mécanisme fiduciaire, s’impose au créancier.
Perspectives
Cette nouvelle sûreté nommée attire l’attention : l’innovation est majeure. Mais quelle articulation entre elle et l’article 2341 du code civil ? C’est une interrogation qui fera sans doute couler beaucoup d’encre sous peu (v. J.-D. Pellier, La propriété retenue ou cédée à titre de garantie, à paraître, n° 8).
Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, par Jean-Denis Pellier le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 8) : la réserve de propriété, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, par Cédric Hélaine le 23 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 10) : la cession de créance de droit commun à titre de garantie, par Jean-Denis Pellier, le 23 septembre 2021

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives à la cession de somme d’argent à titre de garantie.
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L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives à la cession de somme d’argent à titre de garantie.
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Droit antérieur à la réforme
L’importance prise par les sûretés réelles immobilières ne fait aucun doute. D’une efficacité redoutable, elles sont devenues rapidement incontournables et ce, qu’elles soient fondées sur la préférence ou sur l’exclusivité. Afin de traiter au mieux l’état du droit antérieur de cette question, nous rappellerons des constantes autour de leur qualification d’une part puis autour de leur régime, d’autre part.
D’une part, leur qualification est inchangée entre l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 et le droit actuel. Comme le disent certains auteurs, « on pénètre dans le domaine des sûretés réelles immobilières un peu comme on rentre dans une étude de notaire : à pas feutrés, et avec une certaine déférence » (P. Delebecque et P. Simler, Droit civil – Les sûretés. La publicité foncière, 7e éd., Dalloz, 2016, p. 383, n° 373). L’actuel article 2373 du code civil énumère leur nombre : « les sûretés sur les immeubles sont les privilèges, le gage immobilier et les hypothèques. » avant d’ajouter dans son second alinéa « la propriété de l’immeuble peut également être retenue ou cédée en garantie. ». Ainsi, à l’hypothèque faut-il rajouter le gage immobilier (que l’on appelait jadis l’antichrèse) et les privilèges immobiliers.
D’autre part, leur régime a pu connaître des évolutions importantes ces dernières années. La loi fait une place très importante à l’hypothèque que l’on appelle encore parfois volontiers « la reine des sûretés ». D’une importance cruciale, cette garantie occupe aujourd’hui de très nombreux articles du code civil. Mais il faut ici distinguer entre les sûretés pour dresser les traits caractéristiques des règles applicables du droit antérieur à l’ordonnance. Nous ne pourrons pas élaborer un état exhaustif de chaque question mais nous tenterons de dégager les grandes orientations de ce droit applicable jusqu’en 2022.
En ce qui concerne l’hypothèque, toute l’économie de cette sûreté réelle immobilière est résumée autour de l’article 2393 du code civil. Ce texte permet de comprendre plusieurs caractéristiques essentielles de l’hypothèque qui sont reprises et détaillées dans la suite des dispositions. En somme, l’hypothèque est un droit réel, accessoire et indivisible qui ne porte que sur les immeubles en dépit de l’existence de figures originales comme l’hypothèque maritime. La formulation même de l’article 2393 concernant son indivisibilité est une traduction en français assez fidèle de l’adage latin formulé par Dumoulin hypotheca est tota in toto et tota in qualibet parte qui a des effets importants sur des mécanismes ayant pour conséquence l’extinction partielle d’une dette garantie (sur ce point, C. Hélaine, L’extinction partielle des dettes, thèse Aix-en-Provence, 2019, dir. V. Égea et E. Putman, n° 36, p. 53).
L’hypothèque se présente donc comme une technique incontournable, notamment pour accéder au crédit. Elle peut être légale, conventionnelle ou judiciaire. Quand elle est conventionnelle, le débiteur s’exposant à un certain danger sur l’immeuble objet de la sûreté, toute une série de dispositions permet de rendre l’opération sécurisée. Son aspect solennel en est un des principaux traits caractéristiques. L’une des questions ayant agité le droit antérieur à ce sujet a notamment concerné l’hypothèque dite rechargeable qui a connu un sort plutôt funeste, tantôt supprimée, tantôt rétablie (L. Andreu, L’hypothèque rechargeable ressuscitée, JCP E 26 janv. 2015. 134 ; C. Gijsbers, Hypothèque rechargeable : rétablissement pour les professionnels par la loi du 20 décembre 2014, D. 2015. 69 ).
Devant l’ampleur de la question des règles applicables à l’hypothèque, nous comparerons les éléments de régime qui ont fait l’objet de modifications dans l’état futur du droit positif applicable selon les règles de droit transitoire de l’ordonnance n° 2021-1192 (v. infra).
En ce qui concerne le gage immobilier, le législateur a érigé cette sûreté sur le calque de l’hypothèque pour un nombre important de dispositions comme en témoigne l’article 2388 actuel du Code civil. De l’essence même du contrat (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, op. cit., p. 385, n° 375), la dépossession reste un trait distinctif du gage immobilier. Sa dénomination a d’ailleurs évolué : d’abord intitulée antichrèse, elle fut ensuite nommée gage immobilier pour simplifier sa qualification et éviter le recours à un terme jugé obscur. Cette dépossession se comprend surtout dans l’optique de la jouissance du bien puisque le créancier gagiste peut percevoir les fruits civils générés par le bien immeuble gagé.
En ce qui concerne les privilèges, le régime antérieur à l’ordonnance est gouverné par le concours entre privilèges immobiliers généraux et spéciaux que l’on retrouve également pour les privilèges mobiliers. Il faut se rappeler que la loi d’habilitation n’avait pas permis leur réforme en 2006 et il avait alors fallu maintenir en l’état le système antérieur. L’avant-projet rédigé sous l’égide de l’Association Henri Capitant avait jugé que les privilèges immobiliers spéciaux – prenant rang avant la date de leur inscription – n’étaient pas tolérables en l’état. S’est ainsi créé en doctrine un certain mouvement militant pour que ces privilèges spéciaux soient transformés en hypothèques légales qui ne prendraient effet qu’à la date de leur inscription. Le droit antérieur des privilèges immobiliers est donc régi par une certaine insécurité juridique à travers cette spécialité. À cette incertitude, s’ajoutent également des privilèges tout simplement inadaptés à notre époque comme nous l’avons vu pour les privilèges mobiliers (sur ce point de la réforme, C. Hélaine, Les privilèges mobiliers, Dalloz actualité, 21 sept. 2021).
Voici donc des sûretés plurielles que la loi regroupait autour du terme générique « sûretés réelles immobilières ».
Quels sont les changements issus de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ?
Droit issu de la réforme et perspectives
Sur l’hypothèque
L’hypothèque voit plusieurs parties de son régime évoluer assez drastiquement. Mais avant de les évoquer, il faut rapidement étudier si ses caractéristiques générales ont changé. L’article 2393 actuel ayant été jugé imprécis, l’ordonnance entend le réécrire. Ce constat a conduit le gouvernement à proposer une définition de l’hypothèque éclatée dans plusieurs articles. Exit les principaux caractères dès le premier article ! Les principaux traits caractéristiques de l’institution sont disséminés aux quatre vents. Sur le fond, rien ne change toutefois sur les caractères de l’hypothèque désormais définie à l’article 2385 nouveau comme « l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation sans dépossession de celui qui la constitue ».
Parmi les disparitions importantes, une attire l’attention. La fameuse règle « les meubles n’ont point de suite par hypothèque » de l’article 2398 du code civil (RTD civ. 1994. 543, obs. E. Putman ) est abandonnée. On peut le regretter, même si l’ordonnance le justifie avec l’inadaptation de la règle eu égard à la possibilité de l’hypothèque sur les navires, bateaux et aéronefs. La raison n’est-elle pas au moins discutable en raison du caractère dérogatoire de la nature juridique de ces biens ?
On retrouve ensuite la présentation classique : hypothèque légale, hypothèque conventionnelle et hypothèque judiciaire.
Sur cette dernière, on notera l’apparition d’un article 2408 nouveau indiquant que l’hypothèque judiciaire conservatoire est régie par le code des procédures civiles d’exécution. Ceci vient pallier un silence dans le Code civil de cette technique bien connue des voies d’exécution. On remarque ainsi la place désormais discrète de l’hypothèque judiciaire dans le code civil.
L’hypothèque légale est celle la plus touchée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. Elle voit son régime aménagé pour que la transformation des privilèges immobiliers spéciaux puisse être accueillie dans les nouveaux articles 2391 et suivants et plus précisément à partir des articles 2402 et suivants. La solution paraît logique tant il existe des liens entre l’hypothèque légale et les privilèges (Rép. civ., v° Hypothèque légale, par A. Fournier, n° 2). Ainsi, peut-on désormais lire que les hypothèques légales sont générales ou spéciales pour tenir compte de ce changement. Cette coexistence entre hypothèques légales générales et spéciales complexifie un peu cet aspect de l’hypothèque il faut bien le dire.
Sur les hypothèques légales générales, notons la suppression massive de l’hypothèque légale des époux qui n’est conservée que pour un régime matrimonial très peu choisi, la participation aux acquêts. Il faut également bien accueillir la reconnaissance officielle de l’hypothèque légale du mineur qui, au lendemain de la loi n° 2007-208 du 5 mars 2007, avait été incertaine par la suppression d’une référence à ce sujet dans l’article 2409 du Code civil. Le projet d’ordonnance hésitait, dans un premier temps, sur le maintien de l’hypothèque légale des frais de dernière maladie et de fournitures de subsistances. L’ordonnance n° 2021-1192 les a supprimées pour éviter des hypothèques légales désuètes.
La suppression des privilèges immobiliers spéciaux pour devenir des hypothèques légales spéciales est probablement l’une des plus grandes nouveautés de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. L’effet de ce changement est fondamental : la prise de rang se fait à l’inscription et non plus à la date de naissance de la créance (J.-D. Pellier, Les sûretés réelles immobilières, Lexbase, n° 3). Le but avoué est évidemment de « simplifier et unifier les sûretés immobilières » comme le précise le projet d’ordonnance de décembre 2020. Encore faudra-t-il se méfier des privilèges immobiliers spéciaux nés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance comme le note sur ce point le Rapport remis au président de la République concernant l’ordonnance étudiée. Les questions de droit de transitoire en droit des sûretés réelles immobilières ont encore de beaux jours devant elles !
L’hypothèque conventionnelle connaît quelques bouleversements. En premier lieu, l’article 2409 nouveau lequel reprend l’article 2416 du code civil hésitait – dans le cadre du projet d’ordonnance – à se défaire de la possibilité de conclure sous seing privé une promesse d’hypothèque (jurisprudence constante, Civ. 3e, 7 janv. 1987, Bull. civ. III, n° 4 depuis Civ. 7 févr. 1854). Il faut bien admettre que cette jurisprudence selon laquelle une telle promesse est valable est contraire au parallélisme des formes, certes. Le maintien d’une telle solution était, selon les rédacteurs du projet, assez discutable compte tenu de l’absence d’efficacité de la révocation de la promesse unilatérale de contrat issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (Rép. civ., v° Hypothèque conventionnelle, par C. Juillet, n° 56 ; V. Brémond, Hypothèque et promesse d’hypothèque, les liaisons dangereuses, JCP N 2003, nos 1369 et 1374). Mais sur ce point, le projet était un peu trop sévère et il est tout à fait bienvenue que l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 n’ait pas consacré une telle formule notariée pour la promesse d’hypothèque. Relevons également la codification à droit constant de la forme notariée du mandat d’hypothéquer, ce qui respecte parfaitement le principe de parallélisme des formes (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, op. cit., p. 415, n° 407 ; Rép. civ., v° Hypothèque conventionnelle, par C. Juillet, n° 12 et spéc. n°55).
Beaucoup de règles concernant l’hypothèque conventionnelle sont ensuite modernisées et renumérotées en raison de la suppression de certains textes. L’une des interrogations que suscite la lecture de l’ordonnance concerne le principe classique de prohibition des hypothèques sur bien futur lequel est complètement renversé. Il existe alors une difficulté sur le domaine de l’ordonnance puisque l’article 60, 12°, de la loi d’habilitation du 22 mai 2019 ne permettait qu’une réforme « élargissant les dérogations à la prohibition des hypothèques de biens à venir » (nous soulignons). En renversant le principe, l’article 2414 dispose désormais « l’hypothèque peut être consentie sur des immeubles présents ou futurs ». Or, il ne s’agit plus d’élargir mais de changer de paradigme à ce sujet. La disposition nouvelle brouille les frontières entre ce que pouvait faire l’ordonnance et ce qu’elle fait réellement. N’aurait-il pas fallu procéder par voie ordinaire et donc permettre des débats parlementaires pour cette question susceptible de beaucoup d’applications pratiques ? Bien évidemment, la loi de ratification viendra éliminer cette question (J.-D. Pellier, Les sûretés réelles immobilières, op. cit., n°5).
L’effet des hypothèques comprend désormais une première sous-section sur le droit de préférence et le droit de suite puis une seconde sur la purge. Cette présentation dynamique permet une meilleure compréhension des dispositions qui font l’objet de modernisation et de clarification diverses.
On notera que la purge qui profite au tiers acquéreur trouve désormais application également pour le gage d’un immeuble par destination (C. civ., art. 2472 nouv.) ; ce qui est assez original mais tout à fait pertinent. Le projet d’ordonnance l’explique ainsi : « en cas d’aliénation d’un immeuble incluant un immeuble par destination gagé, il est indispensable que soit ouverte la faculté de procéder à la purge de ce gage ; à défaut, en effet, aucun acquéreur ne se présenterait et le commerce des immeubles serait paralysé ».
Une subtilité importante concerne les droits du tiers acquéreur. Abandonnant une jurisprudence récente (Civ. 2e, 19 févr. 2015, n° 13-27.691, D. 2015. 964 , note P. Théry
; ibid. 1339, obs. A. Leborgne
; ibid. 1810, obs. P. Crocq
; RTD civ. 2015. 652, obs. W. Dross
) qui avait précisé que le tiers détenteur ne pouvait pas se prévaloir de la prescription de la créance principale (en l’espèce pour obtenir la mainlevée du commandement de payer, valant saisie), l’article 2455 nouveau du code civil issu de l’ordonnance dispose désormais que « le tiers acquéreur qui n’est pas personnellement obligé à la dette peut s’opposer à la vente de l’immeuble s’il demeure d’autres immeubles, hypothéqués à la même dette, en la possession du débiteur principal, et en requérir la discussion préalable selon la forme réglée au chapitre Ier du titre Ier du livre IV du présent code. Pendant cette discussion, il est sursis à la vente de l’immeuble hypothéqué » avant d’ajouter que « Ce tiers acquéreur peut encore, comme le pourrait une caution, opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal ». Voici de quoi assurer aux tiers acquéreurs une sécurité bienvenue et conforme aux règles du droit des sûretés concernant l’opposabilité des exceptions (v. sur ce point l’analyse de C. Juillet, Rép. civ., préc. n° 90). Il faut également souligner que l’alinéa 1er de l’article 2455 nouveau offre une extension importante du bénéfice discussion du tiers acquéreur face aux créanciers disposant d’une hypothèque spéciale sur l’immeuble alors que l’actuel article 2466 ne le permet pas.
En ce qui concerne l’extinction de l’hypothèque, on ne peut qu’apprécier l’ajout du vocable « notamment » dans les causes d’extinction citées à l’article 2474 du code civil issu de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. Il existe, en effet, d’autres causes d’extinction que celles citées comme celle que rappelle d’ailleurs le projet d’ordonnance, le défaut de déclaration dans une procédure de rétablissement personnel (v. à ce sujet, J.-D. Pellier, Droit de la consommation, 3e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2021, p. 457, n° 362). On accueille également bien volontiers la suppression de la référence à la prescription dans l’extinction de l’hypothèque. Lorsqu’une créance est prescrite, l’hypothèque s’éteint par voie accessoire. Ainsi, il n’y a pas de nécessité de citer la prescription à l’article 2474 du code civil. L’ordonnance vient ici supprimer une référence surabondante de l’article 2488, 4°, en vigueur.
D’autres changements pourraient être utilement cités comme la modernisation du droit de suite (on préfère désormais l’expression de tiers acquéreur au tiers détenteur, plus juste), la modification de certains points de la purge judiciaire, l’abandon de la faculté de délaissement de l’article 2467 du code civil, etc. Sur ce point, la partie des « Des effets de l’hypothèque » du Rapport remis au président de la République est particulièrement éclairante sur les différentes modifications opérées.
Sur les autres sûretés réelles
En ce qui concerne les privilèges immobiliers, les changements introduits par l’ordonnance sont importants comme nous l’avons noté. Le 12° de l’article 60 de la loi du 22 mai 2019 précisait que l’ordonnance devait « améliorer les règles relatives aux sûretés réelles immobilières, notamment en remplaçant les privilèges immobiliers spéciaux soumis à publicité par des hypothèques légales ». C’était une proposition de l’Association Henri Capitant qui a été suivie ici. La modification reste une très bonne nouvelle pour la prise de rang qui sera ainsi celle de l’inscription de l’hypothèque. Certains privilèges immobiliers spéciaux sont purement et simplement supprimés comme celui des architectes de l’article 2382 en raison d’un formalisme trop important.
Pour les privilèges généraux, il faut noter que l’article 2377 nouveau, actuel article 2375 du code civil, est grandement modernisé. Le privilège des frais de justice comprend la même référence que pour son pendant en privilèges mobiliers, i.e. « sous la condition qu’ils aient profité au créancier auquel le privilège est opposé ».
C’est une codification à droit constant qui n’appelle aucune remarque particulière tant la solution est acquise (Com. 17 nov. 1970, Bull. civ. IV, n° 305). En ce qui concerne le privilège des salaires, la numérotation du Code du travail est reprise pour correspondre aux dernières réformes. Cet article 2377 nouveau sert de structure pour le classement des privilèges comme l’indique le nouvel article 2378 reprenant en la matière l’actuel article 2376. La disparition des privilèges spéciaux conduit à une importante renumérotation d’un certain nombre d’articles.
Il faut noter que les dispositions portant sur le gage immobilier n’ont fait l’objet d’aucune modification substantielle sauf – et c’est essentiel – concernant la définition du mécanisme. Le nouvel article 2379 du code civil dispose que « Le gage immobilier est l’affectation d’un immeuble en garantie d’une obligation avec dépossession de celui qui la constitue ». Voici une formulation qui semble mettre fin à un débat sur la dépossession comme effet ou comme condition du gage immobilier. La formulation se dirige dans le sens d’une condition, faisant probablement de cette sûreté réelle un contrat réel, ce qui est remarquable compte tenu de l’appauvrissement de cette catégorie juridique (sur ce point, v. J.-D. Pellier, Retour sur le gage immobilier à la lumière de la nouvelle réforme du droit des sûretés, à paraître). L’ensemble a été renuméroté aux articles 2379 et suivants du code civil. L’ordonnance n’a, mis à part pour la définition, opéré qu’une modification mineure, très souvent de formulation ou de renvois. Il faut peut-être regretter sur ce point que le terme d’antichrèse ne soit pas revenu dans le giron du code civil. Ceci aurait permis – comme le voulait le projet Capitant – une unité du gage comme une sûreté des meubles corporels. La proposition sera restée lettre morte. Ici donc, peut-être un regret mais assez mineur. La loi a peut-être évité le recours à un terme peu connu du grand public. Le futur dira si nous reviendrons à la dénomination d’antichrèse, plus fidèle à l’institution en elle-même.
En somme, le droit des sûretés réelles immobilières connaît des modifications importantes, plus ou moins conformes à la loi d’habilitation. Le droit qui en résulte est grandement modernisé et il faut probablement s’en féliciter. Des interrogations perdurent toutefois sur l’hypothèque de biens futurs ou sur la nécessité du maintien de certaines hypothèques légales spéciales, i.e. en réalité de certains privilèges immobiliers spéciaux du droit antérieur. Mais l’ensemble reste très intéressant sous l’angle de la technique juridique employée : moderniser sans trahir, restaurer sans trop en ajouter.
Sur l’ordonnance « Réforme du droit des sûretés », Dalloz actualité a également publié :
• Réforme du droit des sûretés : saison 2, par Jean-Denis Pellier le 17 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 1) : le cautionnement (dispositions générales), par Jean-Denis Pellier le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 2) : formation et étendue du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 20 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 3) : les effets du cautionnement, par Jean-Denis Pellier le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 4) : l’extinction du cautionnement, par Laetitia Bougerol le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 5) : les privilèges mobiliers, par Cédric Hélaine le 21 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 6) : le gage, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, par Jean-Denis Pellier le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 8) : la réserve de propriété, par Claire-Anne Michel le 22 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, par Cédric Hélaine le 23 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 10) : la cession de créance de droit commun à titre de garantie, par Jean-Denis Pellier, le 23 septembre 2021
• Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 11) : la cession de somme d’argent à titre de garantie, par Claire-Anne Michel, le 24 septembre 2021

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives aux sûretés réelles immobilières.
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L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Analyse des dispositions générales relatives aux sûretés réelles immobilières.
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Une modification notable des caractéristiques des locaux loués en cours du bail expiré justifie, à elle seule, le déplafonnement du loyer et en l’absence de convention contraire, les intérêts de retard courent à compter de la délivrance de l’assignation en fixation du prix lorsque celle-ci émane du bailleur.
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Une modification notable des caractéristiques des locaux loués en cours du bail expiré justifie, à elle seule, le déplafonnement du loyer et en l’absence de convention contraire, les intérêts de retard courent à compter de la délivrance de l’assignation en fixation du prix lorsque celle-ci émane du bailleur.
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À modifier les règles du jeu en cours de partie, il est à craindre que les parties et leurs avocats n’aient plus envie de jouer. La question de procédure posée à la Cour de cassation comme la solution du reste apparaissaient pourtant simples. Sur appel d’un jugement du conseil de prud’hommes, une chambre sociale de la cour d’appel de Paris relève la caducité de la déclaration d’appel faute pour l’appelant d’avoir récapitulé ses prétentions sous forme de dispositif. Le pourvoi du salarié reprochait à la cour d’avoir énoncé, pour retenir la caducité, que le respect de la diligence impartie par l’article 908 du code de procédure civile est nécessairement apprécié en considération de l’article 954 de ce code et que la méconnaissance de ce dernier texte ne pouvait conduire au prononcé d’une caducité. À question intéressante, réponse embarrassante ! La deuxième chambre civile apporte la solution suivante qui, pour être appréhendée, mérite d’être rappelée exhaustivement : « 4. En application de l’article 908 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, à peine de caducité de la déclaration d’appel, relevée d’office, l’appelant dispose d’un délai de trois mois à compter de la déclaration d’appel pour conclure.
5. Les conclusions d’appelant exigées par cet article 908 sont toutes celles remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ce texte, qui déterminent l’objet du litige porté devant la cour d’appel.
6. L’étendue des prétentions dont est saisie la cour d’appel étant déterminée dans les conditions fixées par l’article 954 du même code, dans sa rédaction alors applicable, le respect de la diligence impartie par l’article 908 s’apprécie nécessairement en considération des prescriptions de cet article 954.
7. Selon cet article 954, pris en son alinéa 2, les prétentions des parties sont récapitulées sous forme de dispositif, la cour d’appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif. Il résulte de ce texte, dénué d’ambiguïté, que le dispositif des conclusions de l’appelant remises dans le délai de l’article 908, doit comporter, en vue de l’infirmation ou de l’annulation du jugement frappé d’appel, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement frappé d’appel. Cette règle poursuit un but légitime, tenant au respect des droits de la défense et à la bonne administration de la justice.
8. Il résulte de la combinaison de ces règles que, dans le cas où l’appelant n’a pas pris, dans le délai de l’article 908, de conclusions comportant, en leur dispositif, de telles prétentions, la caducité de la déclaration d’appel est encourue.
9. Cette sanction, qui permet d’éviter de mener à son terme un appel irrémédiablement dénué de toute portée pour son auteur, poursuit un but légitime de célérité de la procédure et de bonne administration de la justice.
10. Par ailleurs, cette règle ne résulte pas de l’interprétation nouvelle faite par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 septembre 2020 (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, D. 2020. 2046 , note M. Barba
; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero
; ibid. 1353, obs. A. Leborgne
; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet
; D. avocats 2020. 448 et les obs.
; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, Anne-Isabelle Gregori, Rudy Laher et A. Provansal
; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol
), imposant que l’appelant demande dans le dispositif de ses conclusions, l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ou l’annulation du jugement. Il en résulte que cette règle n’entre pas dans le champ du différé d’application que cet arrêt a retenu en vue de respecter le droit à un procès équitable.
11. L’arrêt constate que les conclusions d’appelant, prises dans le délai prévu à l’article 908, comportaient un dispositif se bornant à demander de confirmer pour partie le jugement et pour le surplus, de faire droit à l’ensemble des demandes, de condamner la société à lui verser une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens et d’ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
12. En l’état de ces constatations, dont il résultait que le dispositif des conclusions de l’appelante, qui procédait par renvoi, ne comportait pas de prétentions déterminant l’objet du litige, c’est à bon droit, sans faire preuve d’un formalisme excessif, que la cour d’appel a prononcé la caducité de la déclaration d’appel.
13. Le moyen n’est, dès lors, pas fondé ».
Les pieds sur terre, commençons par dégager les évidences
La portée de cet arrêt doit être remise dans un contexte, particulier, qui ne ressort ni de cette décision ni du moyen soutenu mais du seul arrêt de la cour d’appel de Paris. Déjà et contrairement aux apparences, il ne s’agissait pas d’un arrêt rendu sur déféré, après que le conseiller de la mise en état a statué, comme on pourrait le penser. C’est la cour d’appel qui, au fond, décida de soulever le moyen de caducité. Le pouvait-elle ? Si l’on se réfère à l’article 914 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, oui car une fin de phrase perdue à l’article 914 du code de procédure civile qui fixe les pouvoirs du conseiller de la mise en état précise que « Néanmoins, sans préjudice du dernier alinéa du présent article, la cour d’appel peut, d’office, relever la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de l’appel ou la caducité de celui-ci ». Sauf qu’il n’aura pas échappé au lecteur attentif que l’appel avait été formé avant l’entrée en vigueur dudit décret, lecteur qui n’ignore toutefois pas que la Cour de cassation avait déjà consacré une possibilité pour les cours, sans référence donc à l’ordre public et avant 2017, de relever la caducité de la déclaration d’appel ou l’irrecevabilité des conclusions si les parties et le conseiller de la mise en état ne s’en étaient précédemment emparés. Mais que l’on se trouve avant ou après le 1er septembre 2017, l’article 954 précise depuis le 1er janvier 2011 que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Or, le dispositif des conclusions de l’appelant, s’il sollicitait la confirmation du jugement en ce que le grief d’insuffisance professionnelle et le licenciement sans cause réelle et sérieuse n’étaient pas établis, mentionnait ensuite et seulement : « faire droit à l’ensemble des demandes ». Face à un tel dispositif, une sanction ne faisait pas de doute tant les cours d’appels, et les différentes chambres de la Cour de cassation dès l’entrée en vigueur des décrets Magendie, ont rappelé cette exigence qui avait valeur d’évidence (Civ. 1re, 24 oct. 2012, n° 11-22.358 ; Civ. 3e, 2 juill. 2014, n° 13-13.738, D. 2014. 1505 ; Procédures, oct. 2014, obs. H. Croze ; Com. 22 sept. 2015, n° 14-15.588). Mais ce qui étonnera, c’est la nature de cette sanction !
Haute cour, haute voltige
En effet, en pareil cas, la sanction n’est pas la caducité de la déclaration d’appel mais la confirmation du jugement. S’il n’était pas expressément demandé la réformation du jugement (et on sait ce que la deuxième chambre civile en pense pour les actes d’appel postérieurs au 17 septembre 2020 – infra), l’absence de prétentions au dispositif des dernières écritures (outre une demande au titre de l’art. 700 et des dépens) devait conduire la cour, qui n’était donc saisie de rien d’autre, à confirmer le jugement, pas à prononcer une caducité. La définition juridique de la caducité est la sanction de l’absence d’accomplissement d’un acte de procédure dans un délai imparti, comme l’illustrent d’ailleurs parfaitement les articles 902, 905-1, 905-2, 908 ou même 1037-1. Or, en l’espèce, la cour d’appel avait observé que les conclusions – qui contenaient tout de même des prétentions sans déterminer véritablement l’objet du litige – avaient bien été notifiées dans le délai de trois mois imposé à l’appelant pour conclure ce qui laissait augurer, pour avoir dégagé une caducité là où il n’y en avait pas, une censure de l’arrêt par la deuxième chambre civile. Car lorsque les cours confondent les sanctions, la Cour de cassation ne se prive pas de le dire. Elle le fit, on le sait, à l’égard des cours d’appel qui, saisies d’un appel « total », confirmaient à tort le jugement dès lors que la déclaration d’appel ne mentionnait pas les chefs de jugement critiqués pour, évoquant, dégager, par trois fois déjà, la sanction idoine : la cour n’a ni à confirmer ni à infirmer, elle doit dire qu’elle n’est pas saisie puisque c’est l’acte d’appel qui fonde l’effet dévolutif (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288 ; ibid. 576, obs. N. Fricero
; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle
; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero
; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon
; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry
; ibid. 458, obs. N. Cayrol
; Procédures, n° 4, avr. 2020, obs. H. Croze ; 2 juill. 2020, n° 19-16.954, Dalloz actualité, 18 sept. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2021. 543, obs. N. Fricero
; 25 mars 2021, n° 20-12.037, Dalloz actualité, 26 avr. 2021, obs. R. Laffly ; Rev. prat. rec. 2021. 6, chron. O. Cousin, A.-I. Gregori, E. Jullien, F. Kieffer, A. Provansal et C. Simon
). Le demandeur au pourvoi pouvait donc, sereinement, attendre la solution de la Cour de cassation.
Acrobatie procédurale
Abondant dans le sens de la cour d’appel, la Cour de cassation commence par rappeler que les conclusions attendues sont toutes celles remises au greffe, notifiées dans les délais prévus par l’article 908 et qui déterminent l’objet du litige. C’est la rédaction même d’un article 910-1, issu du décret du 6 mai 2017… qui n’était donc pas applicable. Mais il est exact là aussi que la Cour de cassation avait déjà dégagé cette solution en y ajoutant (ce qui n’est plus vrai depuis) les conclusions qui soulèvent un incident de nature à mettre fin à l’instance (Cass., avis, 21 janv. 2013, n° 12-00.016, BICC 1er janv. 2013, p. 8, rapp. De Leiris et obs. Lathoud ; RTD civ. 2015. 199, obs. N. Cayrol ; JCP 2013. 135, obs. Gerbay). Soit. Plus contestable ensuite, elle ajoute, selon une formule déjà utilisée mais dans un arrêt inédit pour tirer la même sanction de caducité en raison de l’absence cette fois d’une demande de réformation au dispositif (Civ. 2e, 31 janv. 2019, n° 18-10.983, inédit) que « L’étendue des prétentions dont est saisie la cour d’appel étant déterminée dans les conditions fixées par l’article 954 du même code, dans sa rédaction alors applicable, le respect de la diligence impartie par l’article 908 s’apprécie nécessairement en considération des prescriptions de cet article 954 » (6). Nécessairement, l’adverbe en devient suspect. L’article 908 ne s’apprécie en effet qu’à l’aune de la temporalité (le délai de forclusion de trois mois pour remettre ses conclusions au greffe) sans référence au contenu des écritures qui est tout l’objet d’un article 954 qui ne s’intéresse pas aux délais pour conclure et ressort, de surcroît, des pouvoirs de la cour statuant au fond. Le propos n’est évidemment pas de contester l’idée d’une sanction ; personne ne songera, en l’état de la procédure d’appel actuelle et des textes, à contester qu’une sanction puisse être prise face à des conclusions remises dans le délai mais qui seraient d’évidence défaillantes (aucun moyen, aucune prétention, aucun dispositif…), ce qui est terriblement gênant, c’est cette sanction, celle de la caducité. L’arrêt ne précise-t-il pas d’ailleurs que « le dispositif des conclusions de l’appelant remises dans le délai de l’article 908, doit comporter, en vue de l’infirmation ou de l’annulation du jugement frappé d’appel, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement frappé d’appel » (7). La cour doit donc confirmer le jugement, pas dire que la déclaration est caduque ! Pourtant, la Haute cour poursuit, par un artifice juridique, en indiquant qu’il « résulte de la combinaison de ces règles que, dans le cas où l’appelant n’a pas pris, dans le délai de l’article 908, de conclusions comportant, en leur dispositif, de telles prétentions, la caducité de la déclaration d’appel est encourue » (8). Or, procéduralement, c’est faux. L’article 954 ne vise aucune sanction de caducité tandis que l’article 908 ne mentionne que le délai de remise et alors même, on l’a vu, que la caducité, en procédure civile d’appel, ne s’intéresse pas à la « qualité » des écritures. Il appartenait à la cour d’appel de Paris, comme le font d’ailleurs toutes les cours d’appel en pareille hypothèse et comme l’a déjà rappelé la Cour de cassation, de confirmer le jugement au regard d’un dispositif qui opérait par renvoi sans la moindre précision de prétention. La deuxième chambre civile sait très bien tout cela, mais fait comme si.
Contorsionnisme juridique
La raison profonde vient ensuite : « Cette sanction, qui permet d’éviter de mener à son terme un appel irrémédiablement dénué de toute portée pour son auteur, poursuit un but légitime de célérité de la procédure et de bonne administration de la justice » (9). Au cas présent pourtant, le procès était bien allé à son terme puisque la cour d’appel statuait, non pas sur déféré mais au fond tandis que la Cour de cassation, pas une seule fois, ne vise le conseiller de la mise en état ou l’article 914 du code de procédure civile qui liste ses compétences. Alors de deux choses l’une, soit la deuxième chambre civile a entendu juger que la cour, au fond, pouvait retenir la caducité au côté de la confirmation en cas d’omission au dispositif des conclusions des parties (c’est très discutable juridiquement, on l’a vu, mais cela ne change finalement pas grand-chose au résultat), soit il faut comprendre un message subliminal, que l’on voudrait ne pas comprendre. En consacrant la sanction de caducité au regard de conclusions éminemment défaillantes, la Cour de cassation entendrait en réalité donner la possibilité aux conseillers de la mise en état de statuer sur cette problématique. Mais alors pourquoi ne pas le dire, précisément, en usant de la motivation enrichie ? En offrant aux conseillers de la mise en état la possibilité de constater une caducité qui est, effectivement, de leur compétence, la deuxième chambre civile entendrait in fine court-circuiter la cour d’appel et accélérer le prononcé de la sanction. Pour cela, elle n’avait d’autre choix que de lier, artificiellement, la caducité prévue à l’article 908 à un article 954 qui n’entend les prétentions et le dispositif des conclusions que du côté de la cour d’appel.
Afin que les choses, osons le mot, soient claires, la Cour de cassation finit par rappeler que cette règle ne résulte pas de l’interprétation nouvelle faite par la Cour de cassation dans un arrêt du 17 septembre 2020 (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, Procédures nov. 2020. Comm. 190, R. Laffly), imposant que l’appelant demande, dans le dispositif de ses conclusions, l’infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l’anéantissement ou l’annulation du jugement, sans possibilité de différé d’application comme elle l’avait expressément précisé le 17 septembre 2020 (10). Il n’y aura pas de cession de rattrapage, et aucun différé d’application au 9 septembre 2021, comme il y en a eu un au 17 septembre 2020, ainsi que l’a encore rappelé, avec force et par deux fois, la Haute cour qui n’hésita pas à convoquer l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme au secours de l’appelant puis de l’intimé qui forme appel incident sans solliciter de demande de réformation dès les premières écritures (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 19-22.316 et 20-13.210, D. 2021. 1217 , note M. Barba
; AJ fam. 2021. 317, édito. V. Avena-Robardet
; ibid. 381, édito. V. Avena-Robardet
; Procédures. 2021. Comm. 186, R. Laffly ; 1er juill. 2020, n° 20-10.694, D. 2021. 1337
; AJ fam. 2021. 505, obs. J. Casey
; Procédures août-sept. 2021. Comm. 216, R. Laffly). A première vue, l’écart d’une modulation des effets temporels de cette jurisprudence, dont l’usage se fait en haut lieu avec parcimonie, peut s’expliquer. Car si l’arrêt du 17 septembre 2020 avait pu surprendre plus d’un juriste averti en assimilant la réformation ou l’annulation à une prétention au fond qui devait figurer donc au dispositif des premières conclusions, chacun sait, depuis 2011 donc, que le simple oubli d’une prétention au dispositif ne permet pas à la cour de statuer sur celle-ci. À première vue seulement. Parce que si l’intention de la deuxième chambre civile était de contourner ses propres arrêts des 17 septembre 2020, 20 mai 2021 et 1er juillet 2021 qui apparaissaient comme un puissant frein aux décisions de certaines cours frondeuses faisant rétroagir la sanction aux appels antérieurs au 17 septembre 2020 (au premier rang desquelles les conseillers de la mise en état des chambres sociales de la cour de Paris qui retiennent une caducité dès lors que l’appelant n’a pas sollicité de réformation ou d’annulation au dispositif de ses premières écritures), le procédé serait éminemment contestable. En l’état, si une partie précise ses prétentions au dispositif mais omet d’y faire figurer la réformation ou l’annulation, qui est donc une prétention au fond, la cour ne peut que confirmer le jugement si l’appel est postérieur au 17 septembre 2020, mais si aucune précision de prétention ne figure au dispositif, c’est la caducité qui est encourue, prononcée par la cour voire le conseiller de la mise en état, quelle que soit la date de l’appel. Et peut-être aussi la confirmation par la cour… On a connu arrêts plus inspirés.
Où s’arrêtera la prise de pouvoir du conseiller de la mise en état ?
Si c’était une volonté politique plus que juridique, et un gage donné à certains, le risque à venir est bien réel. Car au-delà même de textes qui ne prévoient pas une telle compétence, l’empiètement sur le pouvoir de la cour apparaît dangereux. Où placer en effet le degré de défaillance du dispositif des conclusions au regard de l’effet dévolutif de l’appel ? Lorsque n’apparaîtra, uniquement comme en l’espèce, ni demande de réformation ni indication des prétentions ? Ou bien le conseiller devient-il le juge de la qualité des écritures ? Quid d’une demande de réformation mais avec une indication de demandes globales et non détaillées ? Ou d’une demande omise voire mentionnée par la suite alors que ce pouvoir ne ressort, dans aucun texte, de ceux dévolus au conseiller de la mise en état ainsi que l’explicitait la circulaire du Ministère de la justice du 4 août 2017 de présentation des dispositions du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile : « À l’instar du contentieux lié à la prohibition des prétentions nouvelles en appel, le contentieux à la concentration des prétentions relèvera de la seule cour d’appel et non du conseiller de la mise en état. Il sera relevé à cet égard que l’article 914, qui a trait à la compétence du conseiller de la mise en état, ne fait pas référence à l’article 910-4 ». Ni à l’article 954 on ajoutera. On voit bien qu’en s’intéressant à l’examen de la qualification des prétentions, même face à un dispositif clairement défaillant, le conseiller touche nécessairement à l’effet dévolutif de la cour d’appel. Alors même que la Cour de cassation a, par son avis remarqué (Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly), précisément entendu déconnecter la compétence du conseiller de la mise en état des fins de non-recevoir qui touchent l’effet dévolutif de la cour, cet arrêt laisse perplexe et inquiétera selon le sort que lui réservera l’avenir. Ou alors il faut réécrire les articles 542, 561, 562 du code de procédure civile si l’on veut faire du conseiller de la mise en état, définitivement, le couteau suisse de la procédure d’appel… suffisamment aiguisé pour tout trancher. Enfin, loin de la pratique, la fausse bonne idée est bien celle de l’omnipotence d’un conseiller de la mise en état qui devient le juge de tous les moyens de procédure. Devant la complexité de la procédure d’appel, l’augmentation des saisines du conseiller de la mise en état, à charge de déféré bien sûr, a un impact direct et l’effet inverse recherché sur les délais d’audiencement. Lorsque la fin justifie les moyens, le praticien reste sur sa faim si la Cour de cassation elle-même s’affranchit des règles procédurales pour arriver à la sienne. On connaît la célèbre phrase apocryphe de Camus : mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde. Il aurait dû le dire, c’était le penseur de la vérité.

Il résulte de la combinaison des articles 908 et 954 du code de procédure civile que la caducité de la déclaration d’appel est encourue lorsque l’appelant n’a pas fait figurer ses prétentions dans le dispositif de ses conclusions dans le délai de trois mois de la remise de ses écritures.
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La Cour de cassation apporte une précision inédite en considérant que le covoiturage n’entre pas dans la catégorie des « moyens de transports en commun utilisables » dans le cadre d’une demande d’indemnités de grand déplacement d’un salarié ayant vocation à couvrir les dépenses supplémentaires de nourriture et de logement du salarié en déplacement professionnel qui ne peut pas regagner son domicile en l’absence de moyens de transports en commun utilisables.
Dans le cadre d’une zone à urbaniser (zone U), la lutte contre l’étalement urbain s’apprécie notamment au regard du projet d’aménagement et de développement durables (PADD).
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Ni le principe de l’autorité de la chose jugée, ni celui de l’unicité de l’instance ne font obstacle à ce que, suite à un jugement rendu par la juridiction prud’homale sur le fondement de l’article L. 2313-2 du code du travail (art. L. 2312-59, dont l’objet est de faire ordonner les mesures propres à faire cesser une atteinte aux droits des personnes, à leur santé physique et mentale ou aux libertés individuelles, le salarié intéressé engage ultérieurement une action au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail en rapport avec le même sujet.
L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Retour sur les dispositions du code des procédures civiles d’exécution amendées.
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L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Retour sur les dispositions du code des procédures civiles d’exécution amendées.
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Le premier décret d’application de l’ordonnance Haute fonction publique a été publié au Journal officiel du 23 septembre.
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L’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme protège le droit au respect de la vie privée. La notion de vie privée est une notion large qui englobe de multiples aspects de l’identité d’un individu : son nom, son orientation sexuelle, son droit à l’image, mais aussi le secret de ses correspondances, d’ailleurs expressément visé à l’article 8. Mais ce droit fondamental n’est pas absolu et peut être limité par d’autres droits fondamentaux. L’arrêt illustre bien le contrôle de proportionnalité qu’opère régulièrement la Cour européenne entre différents droits fondamentaux, en l’espèce le droit au secret des correspondances et le droit à la preuve.
Les faits, assez complexes, mêlant procédure devant les juridictions civiles et procédure devant les juridictions pénales, seront limités aux éléments essentiels à la compréhension de la décision.
Une femme de nationalité espagnole avait épousé un homme de nationalité portugaise avec lequel elle a eu deux enfants. Pour des raisons professionnelles, la famille partageait son temps entre l’Espagne et le Portugal. La vie conjugale du couple s’étant détériorée, Madame décida de s’installer définitivement en Espagne avec ses deux enfants, et saisit un tribunal espagnol afin d’obtenir la résidence habituelle des enfants, en attendant le divorce. En réponse, le mari saisit un tribunal portugais pour réclamer, dans un premier temps, la fixation provisoire de la résidence habituelle des enfants au Portugal, puis, dans un second temps, le divorce d’avec son épouse. À cette fin, il produisait des messages électroniques échangés entre son épouse et des correspondants masculins sur un site de rencontres occasionnelles, afin d’apporter la preuve de relations extra-conjugales de son épouse. Le mari avait accédé à cette messagerie après avoir tenté plusieurs combinaisons possibles de mots de passe, avant que son épouse lui donne un accès total à la messagerie afin de prouver qu’il ne s’agirait que d’une plaisanterie (pt 24).
La Cour de justice de l’Union européenne trancha dans un premier temps le conflit de compétences en faveur des juridictions espagnoles, premières saisies. Le tribunal espagnol prononça le divorce des époux, accordant à l’épouse la résidence habituelle des enfants et à son mari un droit de visite, sans tenir compte dans sa motivation des messages électroniques échangés. L’affaire aurait pu (aurait du) s’arrêter là.
Mais, parallèlement à la procédure de divorce, l’épouse avait saisi le procureur près les juridictions répressives de Lisbonne d’une plainte contre son mari pour violation du secret des correspondances dans le cadre des procédures de répartition de l’autorité parentale et de divorce. Les juridictions portugaises ont prononcé une ordonnance de non-lieu à l’égard du mari. D’une part, elles ont déduit, du fait que les conjoints avaient, durant leur vie de couple, une certaine liberté d’accéder à la messagerie de l’autre, une autorisation tacite d’accéder au contenu des messages électroniques litigieux, de sorte que les messages électroniques feraient partis du patrimoine moral commun du couple, ce qui impliquait une autorisation tacite de les utiliser « dans le cadre de la relation conjugale et de ses dérivés », donc dans la procédure de divorce et de répartition de l’autorité parentale. D’autre part, pour les juridictions portugaises, l’accès total à la messagerie qu’avait fini par donner l’épouse avait pour conséquence que les messages feraient désormais partie de la vie privée du couple et non de la seule épouse.
C’est dans ces conditions que l’épouse a engagé une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme contre la République portugaise estimant que les juridictions portugaises avaient manqué à leur obligation de garantir son droit au respect de sa vie privée. Il est certain que la responsabilité d’un État peut être engagée s’il a failli à garantir le droit au respect de la vie privée. En d’autres termes, le droit au respect de la vie privée n’a pas seulement un volet négatif – s’abstenir pour un État de s’ingérer dans la vie privée des citoyens – il a aussi un volet positif – adopter des mesures permettant de garantir à chacun le respect de sa vie privée, y compris dans les relations entre individus entre eux (CEDH 5 sept. 2017, Barbulescu c/ Roumanie, n° 61496/08, § 110, AJDA 2017. 1639 ; ibid. 2018. 150, chron. L. Burgorgue-Larsen
; D. 2017. 1709, et les obs.
; ibid. 2018. 138, obs. J.-F. Renucci
; ibid. 1033, obs. B. Fauvarque-Cosson et W. Maxwell
; ibid. 2019. 157, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; JA 2017, n° 568, p. 40, étude J. Marfisi
; Dr. soc. 2018. 455, étude B. Dabosville
; Dalloz IP/IT 2017. 548, obs. E. Derieux
; 23 sept. 2010, Schüth c/ Allemagne, n° 1620/03, §§ 54 et 57, D. 2011. 1637, chron. J.-P. Marguénaud et J. Mouly
; ibid. 2012. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta
; RDT 2011. 45, obs. J. Couard
; 12 nov. 2013, Söderman c/ Suède, n° 5786/08, § 78 ; 7 févr. 2012, Von Hannover c/ Allemagne (n° 2), nos 40660/08 et 60641/08, § 98, AJDA 2012. 1726, chron. L. Burgorgue-Larsen
; D. 2012. 1040
, note J.-F. Renucci
; ibid. 2013. 457, obs. E. Dreyer
; Légipresse 2012. 142 et les obs.
; ibid. 243, comm. G. Loiseau
; RTD civ. 2012. 279, obs. J.-P. Marguénaud
).
Le non-lieu prononcé par les juridictions portugaises traduisait-il une violation de l’obligation de la République portugaise de garantir le droit au respect des correspondances de l’épouse ? Avait-il été ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le droit de l’épouse au respect de sa vie privée et, d’autre part, le droit à la preuve du mari, c’est-à-dire son droit à bénéficier d’une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions ne le plaçant pas dans une situation de net désavantage par rapport à son épouse (CEDH 27 oct. 1993, Dombo Beheer BV c/ Pays-Bas, n° 14448/88, § 33, AJDA 1994. 16, chron. J.-F. Flauss ; 6 oct. 2009, Almeida Santos c/ Portugal, n° 50812/06, § 38 ; 10 oct. 2006, LL c/ France, n° 7508/02, § 40, D. 2006. 2692
; RTD civ. 2007. 95, obs. J. Hauser
).
La cour européenne des droits de l’homme a considéré qu’il n’y avait pas eu violation du droit au secret des correspondances. La Cour européenne estime certes sujettes à caution les conclusions des juridictions portugaises selon lesquelles les messages feraient parties de la vie privée du couple, d’autant que le consentement de l’épouse pour que son mari accède à la totalité des messages était intervenu dans un contexte conflictuel (pt 47). L’existence d’un « patrimoine moral commun du couple » impliquant « une autorisation tacite d’utiliser » la messagerie de son conjoint retenue par les juridictions portugaises n’est donc pas spécialement approuvée par la Cour européenne.
Mais cette dernière ne condamne pas pour autant le Portugal, car elle estime que la production des messages litigieux était pertinente pour apprécier la situation personnelle des conjoints et de la famille (pt 48) et que les messages n’avaient été divulgués que dans le cadre de procédures civiles à la publicité limitée (pt 49). La Cour européenne des droits de l’homme avait déjà retenu une analyse similaire s’agissant de correspondance papier faisant état d’une relation extraconjugale dans le cadre d’une procédure de mesures provisoires dans l’attente d’un divorce, mais elle avait expressément souligné les garanties de la loi belge, à savoir que la personne ne soit pas entrée irrégulièrement en possession des pièces qu’elle produit et que la pièce ne soit pas couverte par le secret professionnel (CEDH 13 mai 2008, NN et TA c/ Belgique, n° 65097/01, D. 2009. 2714, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et T. Vasseur ; RTD civ. 2008. 650, obs. J.-P. Marguénaud
; JCP 2008. I. 167, obs. Sudre). Elle avait en revanche retenu une solution inverse en refusant la production d’un compte rendu d’opération chirurgicale adressé par le chirurgien au médecin traitant attestant de l’alcoolisme de l’époux dans le cadre d’une procédure de divorce, au motif que des témoignages faisaient déjà état des habitudes alcooliques du conjoint et que des certificats médicaux prouvaient la violence dont l’épouse avait été victime, ce qui justifiait le prononcé d’un divorce aux torts exclusifs sans nécessité de produire un document couvert par le secret médical (CEDH 10 oct. 2006, préc., § 46. V. pour une appréciation inverse admettant la production de documents médicaux concernant la partie adverse au titre du droit à la preuve, Com. 15 mai 2007, n° 06-10.606, D. 2007. 1605
; ibid. 2771, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot
; Just. & cass. 2008. 205, Conférence G. Tapie
; RTD civ. 2007. 637, obs. R. Perrot
; ibid. 753, obs. J. Hauser
).
La jurisprudence française est conforme à cette approche. D’une part, l’article 259-1 du code civil interdit à un époux, dans le cadre d’une procédure de divorce, de « verser aux débats un élément de preuve qu’il aurait obtenu par violence ou fraude ». D’autre part, l’articulation du droit à la preuve avec le droit au respect de la vie privée est abordée à travers le prisme d’un rapport de proportionnalité. Il s’agit de trancher un conflit de droits fondamentaux. Le droit à la preuve ne peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée qu’à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi (Civ. 1re, 25 févr. 2016, n° 15-12.403, Bull. civ. I, n° 48 ; D. 2016. 884 , note J.-C. Saint-Pau
; ibid. 2535, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; AJ pénal 2016. 326, obs. D. Aubert
; RTD civ. 2016. 320, obs. J. Hauser
; ibid. 371, obs. H. Barbier
; Soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058, Bull. à paraître, D. 2020. 2383
, note C. Golhen
; ibid. 2312, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; ibid. 2021. 207, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; JA 2021, n° 632, p. 38, étude M. Julien et J.-F. Paulin
; Dr. soc. 2021. 14, étude P. Adam
; RDT 2020. 753, obs. T. Kahn dit Cohen
; ibid. 764, obs. C. Lhomond
; Dalloz IP/IT 2021. 56, obs. G. Haas et M. Torelli
; Légipresse 2020. 528 et les obs.
; ibid. 2021. 57, étude G. Loiseau
; Rev. prat. rec. 2021. 31, chron. S. Dorol
; 9 nov. 2016, n° 15-10.203, D. 2017. 37, obs. N. explicative de la Cour de cassation
, note G. Lardeux
; ibid. 2018. 259, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; Just. & cass. 2017. 170, rapp. A. David
; ibid. 170, rapp. A. David
; ibid. 188, avis H. Liffran
; ibid. 188, avis H. Liffran
; Dr. soc. 2017. 89, obs. J. Mouly
; RDT 2017. 134, obs. B. Géniaut
; RTD civ. 2017. 96, obs. J. Hauser
). A ainsi été cassé un arrêt ayant refusé de prendre en compte une lettre trouvée par un héritier dans les papiers de son père et établissant une donation, pour atteinte au secret des correspondances, sans rechercher si la production litigieuse n’était pas indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence (Civ. 1re, 5 avr. 2012, n° 11-14.177, Bull. civ. I, n° 85 ; D. 2012. 1596
, note G. Lardeux
; ibid. 2826, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon
; ibid. 2013. 269, obs. N. Fricero
; ibid. 457, obs. E. Dreyer
; RTD civ. 2012. 506, obs. J. Hauser
)
Dans notre espèce, le caractère régulier de l’entrée en possession des messages électroniques semblait discutable, puisqu’avant que son épouse ne donne un accès total à la messagerie, il semble que le mari en avait eu un accès partiel à la suite de plusieurs tentatives de mots de passe. Mais l’accès total à la messagerie, quoiqu’intervenu dans un contexte conflictuel, semble avoir couvert l’irrégularité première. En droit interne, il a à cet égard été jugé que le fait d’avoir profité de l’opportunité d’accéder à la messagerie électronique de l’épouse après son départ du domicile conjugal caractérise certes un manque de délicatesse, mais ne constitue pas une fraude dès lors que le mot de passe n’a pas été obtenu par fraude (Paris, 17 nov. 2016, n° 14/14482, D. 2017. 1082, obs. J.-J. Lemouland et D. Vigneau ; AJ fam. 2017. 67, obs. A. de Guillenchmidt-Guignot
; Dr. fam. 2017, n° 2, obs. Binet). Il semble donc que si l’accès au mot de passe n’avait été obtenu que par de multiples tentatives de mots de passe possibles, une atteinte au secret des correspondances aurait probablement été retenue.

La production par un conjoint de messages électroniques échangés par son épouse sur un site de rencontres dans le cadre d’une procédure de divorce n’est pas attentatoire au droit au respect de la vie privée de l’épouse, dès lors qu’elle n’intervient que dans le cadre de procédures civiles dont l’accès au public est restreint.
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Le Conseil d’État précise le régime juridique qui conditionne la modification de l’exploitation d’un élevage autorisé au titre des installations classées pour l’environnement.
Interprétant les dispositions conventionnelles applicables aux salariés des organismes de sécurité sociale à la lumière de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003, la Cour de cassation décide, d’une part, qu’une salariée en arrêt de travail pendant deux ans peut acquérir des droits à congé payé durant cet arrêt, d’autre part qu’elle est fondée à demander le report des congés dont elle n’a pas bénéficié au terme de l’arrêt de travail.
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Droit antérieur à la réforme
Dans une étude datant de 1995, un auteur a pu estimer que « le nantissement des valeurs mobilières ne représente qu’un aspect de l’éparpillement des techniques de mise en gage et renforce la nécessité d’une réforme d’ensemble du droit des sûretés, pour en faire un outil plus cohérent et mieux adapté aux richesses » (D. Fasquelle, Le nantissement de valeurs mobilières, RTD com. 1995. 1, spéc. n° 74 ). À l’heure de la publication de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, il est bon de savoir si les changements apportés au nantissement de compte-titres, à travers l’article 29 de l’ordonnance modifiant l’article L. 211-20 du code monétaire et financier et financier, sont parvenus à cet objectif.
Le nantissement de compte-titres – anciennement dénommé gage de compte d’instrument financier – a pu gagner souplesse et efficacité grâce à la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 (J.-Cl. BCB, v° Nantissement de compte titre, juin 2020, n° 4). L’institution a fait l’objet de plusieurs réformes successives jusqu’à arriver au modèle que nous connaissons aujourd’hui avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2021-1192. L’article L. 211-20 du Code monétaire et financier parle d’instruments financiers, changement terminologique plutôt récent et important pour englober tout à la fois les valeurs mobilières classiques et les parts et actions d’organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) incluant fonds communs et sociétés d’investissement à capital variable abrégés par la pratique en SICAV (L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, Paris, LGDJ, Droit civil, 2020, 14e éd., n° 537). Sous ce vocabulaire emportant avec lui donc tant les titres financiers que les contrats financiers, le législateur a voulu unifier la dénomination des titres éligibles à un nantissement de compte-titres (Pour une approche antérieure à cette dénomination, v. P. Emy, Le titre financier, thèse, Bordeaux, sous la dir. de B. Saintourens et la recension de la thèse par E. Putman, RTD civ. 2006. 647 ).
Actuellement, le mécanisme fonctionne grâce à une constitution très simple puisqu’il s’agit d’une déclaration signée par le titulaire du compte qui est la suite logique d’un contrat passé entre les parties sur les modalités du nantissement du compte-titres en lui-même (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, Dalloz, coll. « Précis », 7e éd., 2016, p. 630, n° 575). Cette déclaration est exigée à peine de nullité en nécessitant des mentions spécifiques prévues par l’article D. 211-10 du code monétaire et financier. Une solution rendue à propos de la législation antérieure – celle du gage de compte d’instruments financiers – a pu préciser que « la constitution en gage d’un compte d’instruments financiers est réalisée, tant entre les parties qu’à l’égard de la personne morale émettrice et des tiers, par la seule déclaration de gage signée par le titulaire du compte » (Com. 20 juin 2018, n° 17-12.559, D. 2018. 1381 ; ibid. 1884, obs. P. Crocq
; AJ contrat 2018. 439, obs. L.-J. Laisney
). En d’autres termes, l’opposabilité du gage d’un compte d’instruments financiers (ou d’un nantissement de compte-titres depuis la nouvelle dénomination issue de l’ordonnance n° 2009-107 du 30 janv. 2009) n’est pas subordonnée à sa notification (sur cette question, S. Chenu, L’efficacité des sûretés réelles conventionnelles dans les financements d’acquisitions à effet de levier, thèse, Université Bretagne Loire, 2018, p. 59, nos 92 s.). La solution est garante d’une efficacité redoutable pour le créancier. L’article L. 211-20 du code monétaire et financier évoque le virement des titres nantis vers un compte spécifiquement dédié au nantissement que l’on appelle le compte spécial. Mais la doctrine s’accorde à dire que cette condition n’est pas exigée sous l’angle de la validité de la sûreté (Rép. civ., v° Nantissement, par P. Crocq, n° 86). C’est d’ailleurs également le cas pour l’inventaire décrit dans la fin du I- de l’article qui dispose que « le créancier nanti peut obtenir, sur simple demande au teneur de compte, une attestation de nantissement de compte-titres, comportant inventaire des titres financiers et sommes en toute monnaie inscrits en compte nanti à la date de délivrance de cette attestation ». Sur l’assiette du gage, l’article L. 211-20 prévoit encore une certaine souplesse faisant la part-belle à la subrogation réelle et à l’accession en considérant les titres substitués ou ceux qui les complètent comme compris dans l’assiette du nantissement à l’instar des fruits et produits des titres figurant initialement dans le compte et les titres financiers et sommes postérieurement inscrits (P. Simler et P. Delebecque, Droit civil – Les sûretés, op. cit. p. 631, n° 675). La réalisation de la sûreté implique une condition essentielle : une mise en demeure du débiteur notifiée au constituant du nantissement quand il n’est pas le débiteur par ailleurs tout comme au teneur du compte quand il n’est pas le créancier nanti. La mise en demeure comprend des mentions exigées à peine de nullité à l’article D. 211-11 du code monétaire et financier. Dans sa thèse, Mme Claire Séjean-Chazal note le caractère tout à fait remarquable de cette disposition expresse alors que le droit commercial est normalement plus souple que le droit commun (C. Séjean-Chazal, La réalisation de la sûreté, Dalloz, coll. « Nouvelle Bibliothèque de thèse », 2019, p. 279, n° 227). Ceci montre l’attention portée par le législateur à la réalisation de la sûreté réelle et aux droits du débiteur défaillant pour que le créancier puisse appréhender le prix de vente ou s’attribuer le bien objet de la sûreté.
Quelles nouveautés sont issues de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 ? Avant toute chose, notons que le nantissement de compte-titres reste dans le code monétaire et financier ; ce qui est discuté par une partie de la doctrine depuis 2006 qui souhaitait son inclusion dans le code civil. L’avant-projet présidé par Michel Grimaldi avait, en effet, prévu un plan du Livre IV « Des sûretés » incluant dans son Titre II « Des sûretés réelles » et dans son Chapitre III « Du nantissement », une sous-section III « Du nantissement d’instruments financiers ». La proposition était restée, assez malheureusement, lettre-morte. L’éparpillement reste ici de mise encore à partir du 1er janvier 2022 puisque l’institution est toujours codifiée à l’article L. 211-20 du code monétaire et financier.
Droit issu de la réforme et perspectives
Le droit issu de l’ordonnance n’entend pas bouleverser le nantissement de compte-titres mais il procède à de nombreux changements rendant l’institution encore plus souple et efficace contre quelques crans de sécurité supplémentaires pour le débiteur constituant. À titre liminaire, précisons que même si l’ordonnance nouvelle prévoit que les nantissements ne confèrent pas, en principe, un droit de rétention, le nantissement de comptes-titres conserve un tel droit de rétention car ce dernier est mentionné expressément par l’article L. 211-20 du code monétaire et financier (rapport remis au président de la République, s.-sect. 3 : dispositions relatives au nantissement de meubles incorporels citant, Com. 26 nov. 2013, n° 12-27.390, D. 2014. 1610, obs. P. Crocq ; RTD civ. 2014. 158, obs. P. Crocq
; J.-D. Pellier, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 7) : le nantissement de créance, Dalloz actualité, 22 sept. 2021). La précision est importante car la rétention fonde partiellement l’efficacité de cette sûreté (pour une étude de la rétention à la lumière des titres financiers, J.-D. Pellier, Droit de rétention et nantissement de titres financiers, D. 2019. 1846 distinguant l’universalité de fait du compte-titre et le titre lui-même ; sur les titres nantis spécifiquement et la possibilité des blockchain, M. Julienne et S. Praicheux, Réforme du code civil, crise financière, blockchain : où en sont les garanties financières ?, in Réforme du droit des sûretés et activités bancaires, ss dir. de H. Synvet, RD banc. fin. 2018. Dossier 27, art. 32).
Une modification majeure réside dans l’insertion explicite de la possibilité d’exclure les fruits et produits par la convention des parties au nantissement de comptes-titres. Le créancier et le débiteur peuvent donc tout à fait librement faire le choix d’inclure ou non les fruits et produits, ce qui laisse une marge importante à la liberté contractuelle. L’article L. 211-20 nouveau prévoit également, à ce titre, désormais une dualité terminologique plus claire pour distinguer le « compte spécial » (le compte qui fait l’objet du nantissement de compte-titres) et le « compte fruits et produits » (celui spécifiquement dédié pour y inscrire au crédit lesdits fruits et produits des titres). La distinction permet d’éviter des confusions sémantiques qui peuvent conduire à des erreurs dans le maniement de la sûreté notamment au moment de sa réalisation.
La souplesse préside, là-encore, quand le texte mentionne que l’inscription au crédit du compte fruits et produits peut avoir lieu à tout moment. Ceci permet de contrebalancer la dernière phrase l’article L. 211-20, III- nouveau qui prévoit qu’« à défaut d’inscription au crédit d’un compte fruits et produits, à la date à laquelle la sûreté peut être réalisée, les fruits et produits sont exclus de l’assiette du nantissement » (nous soulignons). Ite missa est : la loi est donc très claire sur la nécessité d’ouverture d’un compte « fruits et produits » spécifique pour que le créancier puisse en bénéficier. C’est l’un des crans de sécurité supplémentaires dont nous parlions précédemment. En pratique, les fruits et produits seront bien souvent dans l’assiette du nantissement pour maximiser l’efficacité de la sûreté.
L’exigence d’unification préside quand la dernière partie de l’article L. 211-20 du code monétaire et financier prend acte de l’abrogation de l’article L. 521-3 du code de commerce (Ord., art. 28). Ceci pouvait créer une interrogation sur la réalisation du gage commercial lequel se distinguait de la réalisation du nantissement de compte-titres. Le projet d’ordonnance notait en commentaire que « la réalisation du nantissement de compte titres portant sur des titres cotés repose sur une simple mise en demeure. Ainsi, dès lors que le gage commercial est supprimé et que les dispositions de l’article L. 521-3 sont reprises au sein de l’article L. 211-20 il ne semble pas justifié de maintenir cette différence. Il y a lieu d’aligner les modalités de réalisation dans un souci de simplification et de cohérence ». Il faut très certainement approuver cette unification qui conduit à reformuler à droit constant le V° de l’article L. 211-20 nouveau, mis à part donc sur l’unification de la notification au lieu d’une « simple signification » actuellement prévue pour le gage commercial par l’article L. 521-3, alinéa 1er, du code de commerce. Des perspectives intéressantes s’ouvrent donc, avec cette réforme, quant à l’objectif d’unité du gage et du nantissement évoqué par M. Fasquelle en 1995 (D. Fasquelle, Le nantissement de valeurs mobilières, préc.). Le texte harmonise d’ailleurs également les délais applicables pour la réalisation de la sûreté selon la qualité du titre qu’il soit ou non admissible à une plateforme de négociation.
Autre ajout textuel explicite important, celui de la possibilité de nantir successivement un même compte-titres qui avait fait l’objet d’un débat doctrinal en raison de l’indivisibilité du droit de rétention (contra pour une « impossibilité implicite », J. Mestre, M. Billiau et E. Putman, Traité de droit civil – Tome 2 : Droit spécial des sûretés réelles, ss la dir. de J. Ghestin, 1996, p. 389, n° 948 ; Pro : L. Aynès, P. Crocq et A. Aynès, Droit des sûretés, op. cit. n° 538 : « rien ne s’oppose à ce que, à l’instar du tiers possesseur en cas d’entiercement, celui-ci exerce cette possession, et le droit de rétention qui en serait la conséquence, pour le compte de plusieurs créanciers »). Le débat est désormais terminé, l’ordonnance tranchant pour la solution la plus souple pour la sûreté. La prise de rang est alors classique, selon la date de la déclaration initiale étudiée précédemment mais les parties peuvent aménager ce point par convention ; ce qui est assurément une bonne chose en laissant donc une place encore importante à la liberté contractuelle.
On notera également, de manière plus ou moins anecdotique la substitution de l’expression de la qualité des titres « négociés sur un marché réglementé » par « admis sur une plateforme de négociation » que nous avions croisée déjà pour la fiducie à titre de garantie (C. Hélaine, Réforme du droit des sûretés (Saison 2, Episode 9) : la fiducie utilisée à titre de garantie, Dalloz actualité, 23 sept. 2021). L’expression nouvelle recoupe, effectivement la sémantique utilisée par le Code monétaire et financier à l’article L. 420-1 qui définit la notion ainsi : « une plateforme de négociation est un marché réglementé au sens de l’article L. 421-1, un système multilatéral de négociation au sens de l’article L. 424-1 ou un système organisé de négociation au sens de l’article L. 425-1 ». L’harmonisation du vocabulaire poursuit donc sa route et le droit des sûretés n’y fait pas exception.
Conclusion
L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 vient à la fois assouplir, clarifier et maintenir les grandes lignes d’une institution appréciée par la pratique. Le nantissement de compte-titre se trouve renforcé d’abord, par un gain de souplesse notamment sur ce que le contrat peut prévoir (par l’exclusion des fruits et produits du nantissement ou par la modification de la prise de rang en cas de nantissements successifs du même compte-titres). Cette souplesse était, à dire vrai, probablement déjà permise malgré des débats doctrinaux mais sa confirmation est fort bienvenue. L’institution se trouve, ensuite, également clarifiée, par exemple grâce à la spécificité terminologique entre compte spécial (le compte nanti) et compte « fruits et produits » qui permettra de savoir rapidement, au moment de la réalisation de la sûreté, si le créancier peut se servir également sur ces accroissements. Enfin, il faut noter que la conservation des grandes lignes de l’institution permettra aux créanciers de continuer à l’utiliser sans heurts, notamment en raison de son efficacité par le droit de rétention. L’avenir nous dira si ces modifications plus ou moins importantes auront conduit à conserver le nantissement de comptes-titres parmi les sûretés de droit spécial particulièrement appréciées par la pratique notamment bancaire et plus généralement du monde des affaires.

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Retour sur le nantissement de compte-titres.
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L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés a été publiée au Journal officiel du 16 septembre. Retour sur le nantissement de compte-titres.
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Amenée à statuer sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Poitiers, pour débouter le déclarant-saisissant de sa demande d’irrecevabilité des conclusions adverses, relève que s’il est constant que les intimés n’ont pas conclu dans le délai de deux mois imposé par l’article 1037-1 du code de procédure civile, « encore faut-il que le président de la chambre soit saisi de cette demande de constat d’irrecevabilité, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ; que la formation de jugement de la cour d’appel ne peut donc se substituer au président de la chambre ». Le moyen du pourvoi tiré de la violation de la lettre même de l’article 1037-1 était tout trouvé, ce qui amena la deuxième chambre civile, au visa de cet article, à casser et annuler en toutes ses dispositions l’arrêt selon la solution la suivante :
« 9. Selon ce texte, les parties à l’instance ayant donné lieu à la cassation, qui ne respectent pas les délais qui leur sont impartis pour conclure, sont réputées s’en tenir aux moyens et prétentions qu’elles avaient soumis à la cour d’appel dont l’arrêt a été cassé. Il en résulte qu’en ce cas, les conclusions que ces parties prennent, hors délai, devant la cour d’appel de renvoi sont irrecevables.
10. Par ailleurs, ce texte confère au président de la chambre ou au magistrat désigné par le premier président, le pouvoir de statuer sur la caducité de la déclaration de saisine sur renvoi de cassation, en cas de dépassement du délai dans lequel doit être notifiée cette déclaration aux parties adverses, et sur l’irrecevabilité des conclusions tardives de l’intervenant, volontaire ou forcé. En revanche, la disposition de ce texte prévoyant que l’affaire est fixée à bref délai, dans les conditions de l’article 905 du code de procédure civile, ne concerne que l’application de cet article, à l’exclusion de celles des dispositions des articles 905-1 et 905-2 conférant à ce magistrat des attributions destinées à sanctionner le respect par les parties des diligences prescrites par ces deux derniers textes. Or la liste des attributions conférées à ce magistrat, qui font exception à la compétence de principe de la formation collégiale de la cour d’appel, est, pour ce motif, limitative.
11. Par conséquent, seule la cour d’appel, à l’exclusion du président de la chambre ou du magistrat désigné par le premier président, peut prononcer l’irrecevabilité des conclusions des parties à l’instance ayant donné lieu à la cassation.
12. Pour rejeter la demande de la coopérative tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions notifiées le 6 août 2018 par M. [C] et l’EARL, ainsi que leurs conclusions postérieures, l’arrêt retient que la formation de jugement de la cour d’appel ne peut se substituer au président de la chambre pour constater que les parties auxquelles a été signifiée la déclaration de saisine de la cour de renvoi sont réputées s’en tenir aux prétentions et moyens qu’elles avaient soumis à la cour d’appel dont l’arrêt a été cassé.
13. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Faute avouée, pas toujours pardonnée
Faiblesses rédactionnelles, erreurs de syntaxe, omissions malheureuses, il ne fait mystère pour personne...
Seule la cour d’appel, à l’exclusion du président de la chambre ou du magistrat désigné par le premier président, peut prononcer l’irrecevabilité des conclusions des parties à l’instance ayant donné lieu à la cassation.